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RD Congo : Lettre au premier ministre au sujet des attaques publiques contre les organisations de défense des droits humains

Son Excellence Adolphe Muzito
Premier Ministre
République démocratique du Congo

Votre Excellence,

Je vous écris aujourd'hui pour louer le gouvernement de la République démocratique du Congo quant à l'action positive entreprise récemment afin de traduire en justice les auteurs de violences sexuelles, mais aussi pour exprimer notre profonde préoccupation au sujet des récentes attaques portées contre les médias et des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch. Ces attaques compromettent les progrès réalisés par le gouvernement congolais en matière de respect pour les droits humains.

Human Rights Watch se félicite de la relation honnête et constructive que nous entretenons avec le gouvernement congolais. A l'instar de nombreuses organisations locales et internationales de défense des droits humains, votre gouvernement exprime depuis de nombreuses années sa préoccupation quant au recours largement répandu à la violence sexuelle à l'encontre des femmes et des filles tant par des groupes armés que par des soldats de l'armée congolaise. Comme vous le savez, Human Rights Watch a exprimé au début du mois de juillet sa préoccupation quant au peu de progrès réalisés en matière de poursuites judiciaires pour viol engagées contre des officiers supérieurs, malgré l'augmentation du nombre de procès pour viol intentés contre des soldats de grade inférieur.

Nous saluons donc la déclaration faite le 4 juillet par le gouvernement soulignant sa « tolérance zéro » pour les violations des droits humains, notamment le viol, commises par des soldats du gouvernement. Nous sommes également heureux de savoir que le gouvernement s'est engagé à traduire en justice les officiers supérieurs qui permettent que leurs troupes commettent pareilles exactions. Nous avons appris récemment que deux officiers à Rutshuru, au Nord Kivu, ont été reconnus coupables de viol par un tribunal militaire le 27 juillet. Nous espérons que d'autres enquêtes et procès d'officiers supérieurs impliqués dans des crimes graves suivront. Mettre fin à la culture d'impunité pour les atteintes aux droits humains, notamment les crimes de violence sexuelle, est essentiel à l'avancée de l'Etat de droit au Congo. Nous félicitons votre gouvernement pour les progrès qu'il réalise à cet égard.

Ces progrès, néanmoins, sont affaiblis par les attaques publiques contre les organisations de défense des droits humains et les médias, dont le rôle est de révéler ces violations.  Lors d'une conférence de presse le 28 juillet à Kinshasa, le ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende, a fait des déclarations sans fondement et non corroborées contre Human Rights Watch, d'autres organisations internationales de défense des droits humains et Radio France International. Le ministre a qualifié Human Rights Watch ainsi que d'autres organisations internationales de « terroristes humanitaires » qui « répètent des mensonges », visant à la « déstabilisation » du pays, à la « démoralisation » de l'armée gouvernementale et à la « balkanisation » du Congo. Le ministre Mende a soutenu que les rapports de Human Rights Watch portant sur les atteintes aux droits humains étaient rédigés pour des motifs « politiques et financiers ». Ces allégations sont à la fois injustes et fausses. 

Human Rights Watch œuvre au Congo depuis plus de 15 ans pour joindre ses forces à celles du peuple congolais, afin de promouvoir la justice et le respect des droits humains. Pendant ce temps, nous avons régulièrement révélé les atteintes aux droits humains commises par tous les groupes dans le pays, qu'il s'agisse d'armées étrangères, de groupes rebelles, de milices locales ou de forces de sécurité gouvernementales. Notre but est de nous tenir aux côtés des victimes et des activistes congolais pour protéger les personnes contre des actions illégales en temps de guerre, pour soutenir les libertés fondamentales et pour traduire en justice les coupables. 

Au-delà du Congo, Human Rights Watch fait partie des principales organisations indépendantes qui se consacrent à la défense et à la protection des droits humains. Nos enquêtes sont rigoureuses et objectives, et elles ont pour but de donner la parole aux personnes dont les droits ont été violés. Nous nous employons à faire en sorte que les coupables soient tenus pour responsables de leurs crimes. Depuis plus de 30 ans, nous œuvrons dans plus de 80 pays du monde, notamment dans des zones de troubles récents comme l'Afghanistan, la Birmanie, l'Irak, le Soudan, le Sri Lanka  et bien d'autres, afin de révéler les violations des droits humains et d'encourager le changement.

La responsabilité de soutenir les droits humains incombe aux gouvernements. Nous mettons donc au défi les gouvernements, tels que le vôtre au Congo, de respecter le droit humanitaire et les droits humains internationaux, et de mettre fin aux exactions. Pour cela nous recourons à diverses tactiques, notamment les révélations publiques, le plaidoyer et la construction de partenariats avec d'autres qui poursuivent aussi le changement. Les gouvernements peuvent ne pas aimer voir les exactions révélées, mais critiquer sans fondement les activistes et les journalistes qui documentent ces exactions est la marque d'un gouvernement répressif, et non d'un gouvernement essayant d'établir un Etat qui respecte les droits humains.

Le ton de la conférence de presse donnée par le ministre de la Communication et des médias a contrasté de façon flagrante avec la discussion fructueuse de Human Rights Watch avec le Président Joseph Kabila le 2 juillet à Goma, et d'autres échanges récents avec des ministres du gouvernement. Dans ces dernières discussions, nous avons été frappés par l'engagement personnel de hauts fonctionnaires à apporter le changement et à mettre un terme à la culture d'impunité au Congo. Dénoncer des organisations de défense des droits humains qui documentent des exactions de façon indépendante, museler des organes de presse tels que Radio France Internationale, et arrêter de façon arbitraire des militants des droits humains comme Golden Misabiko de l'ASADHO au Katanga, tout cela indique que l'engagement personnel du Président Kabila envers la justice est entravé plutôt qu'adopté par le gouvernement. C'est fort regrettable.

Nous vous exhortons à faire intégralement appliquer les lois nationales et internationales qui garantissent la liberté d'expression, la liberté de la presse et la protection des défenseurs des droits humains. Les élections seules ne suffisent pas à apporter la démocratie. Les acteurs congolais et internationaux doivent travailler ensemble à l'établissement d'un système judiciaire indépendant, d'un parlement dynamique et d'une presse libre afin d'améliorer la situation des droits humains, de garantir que le gouvernement est redevable de ses actions, et de s'assurer que la société civile bénéficie d'un espace politique ouvert. Human Rights Watch est engagé à aider aussi bien le gouvernement que le peuple congolais à atteindre ces objectifs importants. Nous souhaitons vivement une relation productive avec vous dans ces efforts, et nous vous demandons de maintenir votre respect pour le travail des organisations de défense des droits humains, comme Human Rights Watch, et pour les idéaux des droits humains auxquels nous adhérons.

Nous vous prions d'agréer, Votre Excellence, l'expression de notre profond respect.

Anneke Van Woudenberg
Chercheuse senior

Copie à :             

Son Excellence le Président Joseph Kabila Kabange

Son Excellence Upio Kakura, ministre des Droits humains

Son Excellence Lambert Mende, ministre de la Communication et des médias

Son Excellence Luzolo Bambi Lesa, ministre de la Justice

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