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Honorables Membres du Comité des droits de l'homme de l'ONU,

Représentants des Etats Membres du Conseil des droits de l'homme de l'ONU,

Je tenais à vous apporter des informations complémentaires concernant l'annonce faite par la Tunisie devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU le 18 mars 2008 et devant le Groupe de travail de l'Examen périodique universel (EPU) le 8 avril 2008, selon laquelle elle inviterait Human Rights Watch à visiter ses prisons.

Cette annonce a été faite trois ans après que les autorités tunisiennes aient pour la première fois informé Human Rights Watch que nous pourrions visiter les prisons, un engagement dont nous avons fait part lors d'une conférence de presse à Tunis le 19 avril 2005 (voir https://www.hrw.org/en/news/2005/04/19/tunisia-pledges-end-long-solitary-confinement). Le gouvernement a par la suite reporté la concrétisation de son engagement, affirmant qu'il souhaitait que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soit le premier à faire cette visite.

Peu après que le ministre de la Justice, Béchir Tekkari, ait réitéré l'engagement de la Tunisie le 18 mars 2008 lors de l'examen du rapport de la Tunisie au Comité des droits de l'homme en accord avec ses obligations au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Human Rights Watch a entamé des négociations avec le ministère de la Justice sur les modalités des visites dans les prisons. Lors de la session d'avril de l'EPU, le ministre Tekkari a confirmé au Groupe de travail que la Tunisie avait  engagé des contacts avec nous.

Quatre ans après la première promesse de la Tunisie de nous accorder l'accès à ses prisons, Human Rights Watch continue à négocier dans l'espoir de parvenir à un accord qui nous permettrait de réaliser dans les institutions pénales des visites rigoureuses du point de vue méthodologique et de rendre compte publiquement de leurs résultats. 

Les autorités tunisiennes, cependant, ont à ce jour imposé des conditions rendant impossible notre objectif de dresser un état des lieux  complet et précis de la situation dans les prisons. Notamment, elles ont insisté pour que la délégation rencontre les prisonniers qu'elle interroge selon une méthode « d'échantillonnage », c'est-à-dire, en pénétrant dans une prison et en invitant les membres de la population carcérale à se porter volontaires pour être interrogés par la délégation. Human Rights Watch a accepté cette forme d'échantillonnage comme composante de sa méthodologie, mais nous insistons aussi pour rencontrer des prisonniers spécifiques choisis sur la base de notre actuel suivi de la situation dans les prisons, à condition que ces prisonniers soient d'accord pour s'entretenir avec nous.

Cette double méthode garantirait que la délégation puisse accéder à un échantillon large et diversifié de prisonniers, vérifier les informations fournies par les prisonniers qu'elle a pu rencontrer par le biais de la méthode d'échantillonnage en les comparant avec les informations fournies par les prisonniers présélectionnés, enquêter sur les cas où il y a eu des allégations d'exactions, et  s'entretenir avec des prisonniers présélectionnés que l'administration aurait pu transférer vers d'autres lieux de détention avant l'arrivée de la délégation.

Etant donné que le programme de visites faisant l'objet de négociations entraînerait une seule série de visites dans un nombre limité de prisons, le rapport de Human Rights Watch qui s'ensuivrait manquerait de crédibilité si les seuls prisonniers actuels interrogés étaient ceux désignés par une méthode d'échantillonnage, telle qu'elle est définie par les autorités. Human Rights Watch l'a expliqué aux autorités tunisiennes au cours d'un cycle de négociations menées en octobre 2008. Depuis lors, les négociations n'ont pas fait de progrès tangibles.

Je tiens à souligner que le cas de Human Rights Watch, qui attend que la Tunisie respecte son engagement à autoriser un accès, n'est pas exceptionnel.  Le ministre de la Justice M. Tekkari a déclaré en mars 2008, lors de la même session du Comité des droits de l'homme de l'ONU annonçant l'invitation faite à Human Rights Watch, que la Tunisie inviterait également le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants à se rendre dans le pays, mais à notre connaissance aucune invitation n'a encore été envoyée.  Le Rapporteur spécial sur la torture a demandé pour la première fois à se rendre en Tunisie en 1998 et a réitéré sa demande en 2008. Les Rapporteurs spéciaux sur l'indépendance des juges et des avocats et sur la Situation des défenseurs des droits de l'homme ont formulé des requêtes pour se rendre en Tunisie, en 1997 et 2008 respectivement, qui toutes deux sont encore en attente. La Tunisie a seulement accepté récemment une visite du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste, bien que les dates n'aient pas encore été confirmées.

Si le programme du CICR de visites régulières dans les prisons tunisiennes depuis juin 2005 est un pas positif et significatif, il ne peut se substituer à une autorisation d'accéder aux prisons pour les organisations de défense des droits humains qui, contrairement au CICR, rendent publics les résultats de leurs enquêtes. La Tunisie n'a pas autorisé un tel accès depuis 1991, lorsqu'elle avait permis une visite dans deux prisons à la Ligue tunisienne des droits de l'homme.

Le respect de sa promesse d'autoriser Human Rights Watch à se rendre dans les prisons  constituerait une avancée majeure de la Tunisie vers une transparence en matière de droits humains - mais seulement si elle accepte une méthodologie pour des visites qui garantisse la crédibilité et l'intégrité des rapports sur la situation dans les prisons découlant de ces visites.

Nous exhortons donc les autorités tunisiennes à donner suite à un engagement qu'elles ont pris publiquement devant les Nations Unies, en abandonnant des conditions qui reviennent à refuser un programme de visites de prisons par Human Rights Watch qui serait rigoureux du point de vue méthodologique.

Je vous remercie par avance de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos  questions et à vos observations.

Je vous prie d'agréer l'expression de ma considération distinguée.

Sarah Leah Whitson

Directrice exécutive

Division Moyen Orient et Afrique du Nord

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