Rapports de Human Rights Watch

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Les tensions actuelles

Nombreux sont les thèmes communs que les associations laïques de défense des droits humains et les groupes religieux continuent de défendre ensemble. En Europe occidentale et aux Etats-Unis, la défense acharnée des droits des demandeurs d'asile et des réfugiés économiques par les Eglises traditionnelles ainsi que leur plaidoyer en faveur d'une justice internationale continuent d'offrir de larges espaces de coopération. Dans l'hémisphère sud, par les actions qu'elles mènent pour compléter le travail des ONG laïques, beaucoup d'organisations religieuses sont montées au créneau pour promouvoir les droits économiques et sociaux en fournissant des services sociaux aux pauvres afin de pallier les réductions budgétaires des gouvernements locaux et l'insuffisance de l'aide internationale au développement.

Cependant, sur d'autres questions à la croisée du dogme religieux et de l'idéologie des droits humains, de la conviction morale personnelle et de la santé publique, les points de divergence se multiplient. L'attention donnée par le mouvement laïque des droits humains aux questions liées à la liberté d'expression, au genre, à la sexualité et à l'orientation sexuelle—depuis toujours inhérentes à l'idéal des droits de l'homme mais d'une importance croissante aujourd'hui—est de plus en plus incompatible avec les positions prises par bon nombre de groupes religieux. Les organisations humanitaires religieuses et les groupes laïques de défense des droits humains peuvent toutefois être sur la même longueur d'onde lorsqu'ils dénoncent le nettoyage ethnique au Darfour et manifestent ensemble devant les ambassades du Soudan.

La question des droits reproductifs des femmes est un bon exemple. Georgina Ashworth a résumé le problème en ces termes: “Les fondamentalistes religieux, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le monde islamique ou hindou, représentent actuellement d'énormes forces politiques opposées à ce que les femmes jouissent de leurs droits humains, en particulier leurs droits reproductifs. Non seulement ils persécutent et bannissent les partisans de la tolérance mais ils menacent également les moyens d'existence, voire la sécurité de quiconque a le courage de défendre l'autodétermination des femmes.”33

L'usage du préservatif pour prévenir le VIH/SIDA est un autre exemple. Aux Philippines, l'Eglise catholique qui, comme nous l'avons écrit plus haut, a joué un rôle important dans l'éviction de Marcos, se montre de plus en plus hostile au mouvement des droits humains qui prône l'éducation sexuelle et la distribution de préservatifs dans le cadre des campagnes de prévention du SIDA. Le gouvernement philippin relaie les positions de l'Eglise en empêchant activement la mise en œuvre de mesures qui préviendraient cette maladie mortelle, notamment en rendant difficile l'accès aux préservatifs et aux informations à caractère scientifique sur le VIH/SIDA. L'administration Bush, en raison des opinions exprimées par des congrégations religieuses conservatrices basées aux Etats-Unis, a suspendu le financement des dons de préservatifs ou autres moyens de contraception dans le pays, préférant des programmes qui mettent plutôt l'accent sur l'abstinence et la fidélité conjugale.

Ces politiques sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), ratifié par les Philippines, oblige les Etats parties à prendre les mesures “nécessaires pour assurer… la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques…, ainsi que la lutte contre ces maladies,” notamment le VIH/SIDA, ce qui devrait englober l'accès aux préservatifs et à des informations complètes à propos du VIH/SIDA. Le PIDCP garantit le droit à l'information et tous les principaux traités sur les droits de l'homme reconnaissent le droit à la vie, lequel est compromis par les politiques qui interfèrent avec l'accès aux technologies qui préservent la vie.34          

Par ailleurs, les tensions croissantes entre communautés religieuses et associations de droits ont parfois amené les différents responsables religieux à mettre une sourdine à leurs antagonismes et rivalités pour défendre des approches communes de ce qu'ils considèrent être des principes de foi partagés. La coalition entre le Saint-Siège et la Conférence internationale islamique, par exemple, était évidente lors des conférences de l'ONU sur les problèmes de population35 et les droits des femmes.36 Cette nouvelle importance accordée aux questions dites “éthiques” a parfois créé une convergence déplacée entre des représentants de certaines religions dominantes, des Etats coupables de graves violations des droits humains, tels que l'Arabie saoudite, l'Iran ou le Soudan, et dans bien des cas, l'administration Bush.



[33] Georgina Ashworth, “The Silencing of Women,” dans Tim Dunne et Nicholas J. Wheeler, eds., Human Rights in Global Politics (Cambridge (UK): Cambridge University Press, 1999), p. 273.

[34] Human Rights Watch, “The Philippines: Unprotected, Sex, Condoms, and the Human Right to Health,” mai 2004.

[35] Mark Herstgaard, “The Holy War against Birth Control,” Mother Jones, Mars/avril 2003.

[36] G. Ashworth, “The Silencing of Women,” p. 268.


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005