Rapports de Human Rights Watch

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La religion et le mouvement des droits humains

Par Jean-Paul Marthoz et Joseph Saunders1

Y a-t-il un schisme entre le mouvement des droits humains et les communautés religieuses? Des désaccords fondamentaux semblent de plus en plus dresser les militants laïques des droits humains contre les personnes et les groupes agissant au nom de la religion. La liste des questions litigieuses ne cesse de s'allonger: droits reproductifs, mariage des homosexuels, lutte contre le VIH/SIDA, lois sur le blasphème, autant de thèmes qui placent souvent les militants des droits humains et les groupes religieux dans des camps opposés. Comme l'a illustré le débat sur le port du foulard islamique en France et en Turquie, les polémiques liées à la religion ont également semé la confusion dans bien des esprits au sein du mouvement des droits humains et elles ont amené certains militants à exprimer de fortes réserves à propos de certaines formes d'expression publique de la conscience religieuse.

L'Europe occidentale, le continent le plus laïcisé au monde, s'est retrouvée dans l'œil du cyclone. La controverse qui a frappé l'Union européenne en octobre 2004 à propos de la proposition de nomination à la Commission européenne de Rocco Buttiglione, un conservateur catholique italien, illustre bien certains enjeux actuels. Nullement perturbé par la fureur qu'il provoquait, le candidat au poste de Commissaire à la justice, à la liberté et à la sécurité—qui, à cette fonction, aurait été chargé de lutter contre la discrimination—, a affirmé devant un parterre de parlementaires européens médusés que “l'homosexualité est un péché” et que “la famille existe pour permettre aux femmes d'avoir des enfants et d'être protégées par leurs maris.” Bien qu'il ait insisté sur le fait qu'il défendrait toutefois l'idée d'égalité entre tous les citoyens, il a été invité à retirer sa candidature par le président élu de la Commission.

En novembre 2004, le meurtre, inspiré par des motifs religieux, de Theo Van Gogh, un journaliste et cinéaste néerlandais bien connu qui, deux mois plus tôt, avait sorti un film controversé sur la violence faite aux femmes dans les sociétés islamiques, a déclenché un cycle infâme de violence, conduisant à des incendies volontaires de mosquées et d'églises chrétiennes. Ces événements traumatisants dans un pays qui se targue d'être tolérant ont placé le problème de la religion, et en particulier de l'islam, au centre d'une controverse publique. Alors que de nombreux Néerlandais de toutes confessions et communautés confondues manifestaient contre les attaques vengeresses et la discrimination, un haut responsable a réagi en proposant de remettre en vigueur, au nom de la coexistence, une loi de 1932 sur le blasphème.



[1] Jean-Paul Marthoz est le directeur international des médias de Human Rights Watch; Joseph Saunders est le directeur adjoint des programmes.


index  |  suivant>>January 2005