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La Convention contre la Torture:
Quelques considérations sur les obligations incombant aux juridictions des Etats parties à la lumière de la récente jurisprudence internationale. --------- Note préparée par Human Rights Watch à la demande des avocats des victimes dans l'affaire Hissène Habré et présentée devant la Cour de cassation du Sénégal à Dakar.
--------- La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après 'convention contre la torture') instaure une obligation (dite « aut dedere aut punire » ou « aut dedere aut prosequi ») pour le Sénégal de poursuivre lui-même Hissène Habré s'il ne l'extrade pas. 1. La Convention contre la torture stipule: « Article 5 (2): Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître [des infractions de torture] dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas …. » …… « Article 7 (1): L'Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une infraction [de torture] est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, [...] à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale… ». A. Un des objectifs principaux de la Convention contre la torture était de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse échapper aux conséquences de ses actes en fuyant à l'étranger. 2. Cela ressort clairement des travaux préparatoires de la Convention. D'après le hollandais J. Herman Burgers, Président du Groupe de Travail des Nations Unies chargé de préparer le projet de la Convention, et Hans Danelius, le représentant de la Suède qui a préparé le premier avant-projet de cette Convention, l'Article 5 de la Convention représente « [...]une pièce maîtresse dans la Convention, dont le but essentiel est de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse se soustraire aux conséquences de son acte en se rendant dans un autre pays. Comme pour les précédentes conventions contre le terrorisme, ...la présente Convention est aussi fondée sur le principe aut dedere aut punire; c'est-à-dire que le pays dans lequel le suspect est trouvé doit, ou bien l'extrader en vue des poursuites, ou bien le poursuivre en vertu de sa propre loi pénale. Afin de pouvoir exercer des poursuites pénales contre le suspect, l'Etat concerné doit être compétent à l'égard de l'acte [de torture], et c'est précisément ce que l'Article 5 cherche à établir. » (1); Les deux auteurs ajoutent plus loin, de façon encore plus précise: « Le Paragraphe 2 (de l'Article 5) dispose que, quoi qu'il en soit de l'existence ou pas de l'un quelconque des critères de compétence visés au paragraphe 1er, un Etat partie sera compétent à l'égard des crimes de torture dans tous les cas où l'auteur présumé de ces crimes sera présent sur tout territoire sous sa juridiction. » (2); 3. Ces explications des deux architectes principaux de la Convention sur son objet sont réconfortés par les déclarations des experts du Comité contre la torture des Nations Unies eux-même. (3) [Voir p.ex. Doc. CAT/C/SR.245, para. 18, 11 juin 1996, (examen du rapport périodique de l'Arménie),, (M. Sorensen, rapporteur: "Il importe de savoir quelles dispositions ont été prises pour réprimer le crime de torture et assurer la juridiction universelle…C'est là un devoir car un des buts fondamentaux de la Convention est de faire de tout tortionnaire un hors-la-loi."); Doc. CAT/C/SR.232, para. 65, 21 novembre 1995: (examen du rapport périodique du Guatemala) .(M. Dipanda Mouelle, Président: "Extradition on the basis of reciprocity…was inconsistent with the Convention, whose purpose was to establish a universal jurisdiction.")] L'objectif même de cette « compétence universelle » est de mettre en échec la carence éventuelle ou le vide de la loi nationale qui empêcherait que soient poursuivis et punis les auteurs des crimes contre 'l'ordre public international'. 4. Normalement, la compétence sur un crime dépend d'un lien, d'habitude territorial, entre ce crime et l'Etat chargé de mener les poursuites pénales. Mais, en ce qui concerne les cas de crimes contre l'humanité et des atrocités semblables, "ce lien peut être trouvé dans le simple fait que nous sommes tous des êtres humains." (4) Une principale raison pragmatique pour laquelle le droit international relève de la compétence universelle est d'assurer qu'il n'y ait pas d'abri sûr pour les responsables des crimes les plus sérieux. Ainsi, la piraterie est le crime "universel" classique, ayant été la première activité humaine à être inscrite sur la liste des crimes par le droit international. Sur cette liste la piraterie a été rejointe ultérieurement par la traite des Noirs. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la liste des crimes soumis à la compétence universelle s'est allongée pour inclure de nombreuses atrocités commises à l'intérieur des frontières nationales, telles que le génocide, l'apartheid et autres "crimes contre l'humanité," ainsi que la torture. D'après le dernier rapport de l'Association du Droit International, « [e]n vertu du principe de la compétence universelle, l'Etat a le pouvoir, voire le devoir d'exercer des poursuites à l'égard de certains crimes sérieux, peu importent le lieu de leur commission et la nationalité de leur auteur ou de la victime. Le seul lien de connexité qui puisse être exigé entre le crime et l'Etat poursuivant est la présence physique de l'auteur présumé sur le territoire sous la juridiction de cet Etat » (5); Soumettre certains crimes au mécanisme de la compétence universelle, comme l'a fait la Convention contre la torture, veut exprimer l'idée que, aux yeux de la communauté internationale, il s'agit des crimes qui troublent l'ordre juridique international dans son ensemble, de sorte qu'il ne devrait y avoir aucun îlot de protection territoriale en faveur de leurs auteurs, et que, par conséquent, les magistrats qui poursuivent ces auteurs le font moins comme agents du système judiciaire national de leur pays que comme instruments de l'ordre juridique international tout entier (6); En effet, « [l]e droit international pénal consacre certains cas de compétence universelle afin de réprimer plus efficacement des agissements particulièrement préjudiciables à la communauté des nations », et il le fait parce que la répression de ces agissements est « insuffisamment assurée […] par les justices nationales que désignent les seules règles ordinaires de compétence unilatéralement édictées dans chaque pays. » (7); 5. Dans le même ordre d'idées, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a, à juste titre, déclaré dans son jugement en l'affaire Furundzija, que « (…) l'une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l'interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout Etat est en droit d'enquêter, de poursuivre et de punir ou d'extrader les individus accusés de torture, présents sur son territoire » (8). Et d'ajouter que « ce fondement juridique de la compétence universelle en matière de torture confirme et renforce celui qui, de l'avis d'autres juridictions, découle du caractère par essence universel du crime » (9). Par ailleurs, comme l'a dit une Cour d'appel américaine, « le tortionnaire est devenu comme le pirate et le marchand d'esclaves d'autrefois, hostis humani generis, un ennemi de l'humanité toute entière » (10) qui doit en conséquence être puni par n'importe quel Etat, quel que soit le lieu de la commission de ses actes. 6. Le Sénégal a été le premier pays au monde à avoir ratifié le Traité du Rome portant création de la Cour Pénale Internationale. La préambule dudit Traité rappelle «qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction pénale les responsables de crimes internationaux.» 7. La Sous-Commission de la Promotion et de la Protection des Droits de l'Homme des Nations Unies a récemment ratifié ces principes dans sa résolution 2000/24 du 18 août 2000 intitulée 'Rôle de la compétence universelle ou extraterritoriale dans l'action préventive contre l'impunité', dans laquelle elle 1. Invite tous les gouvernements à coopérer entre eux, de façon réciproque, même en l'absence d'un traité, pour faciliter la tâche des autorités judiciaires qui traitent des procédures engagées par des victimes en agissant soit dans le cadre du principe de compétence universelle tel que reconnu par le droit international, soit dans celui d'une loi interne qui établit une règle de compétence extraterritoriale, notamment en raison de la nationalité de la victime ou de l'auteur; 2. Considère que, dans le cadre d'une telle coopération, la plus haute priorité devrait être accordée, indépendamment des circonstances dans lesquelles sont commises ces violations, à la poursuite de toute personne responsable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, y compris des anciens chefs d'État ou de gouvernement - dont l'exil sert de prétexte à leur impunité - en vue de prévenir, par l'exemplarité, de futures violations des droits de l'homme. (Nous soulignons); 8. Il a également été écrit que « […]la Convention de 1984 consacre la torture en tant qu'infraction internationale à part entière et instaure, pour la première fois en matière des droits de l'Homme, une compétence universelle pour les Etats parties pour poursuivre ou extrader les responsables présumés qui se trouveraient sur leur territoire. » (11) B. L'article 7 de la convention contre la torture instaure une obligation "aut dedere aut prosequi. » 9. L'article 7 § 1 de la Convention contre la torture pose le principe selon lequel «Tout Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une infraction visée à l'article 4 est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire (…) à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale » (souligné par nous). Le caractère directif du terme utilisé met en lumière le caractère impératif de l'obligation de poursuivre les présumés responsables d'actes de torture. 10. Il est étonnant de remarquer que l'arrêt présentement attaqué devant la Cour de Cassation du Sénégal ne fait pas même mention de l'article 7 de la Convention. Cette disposition, qui est au cœur du mécanisme instauré par la Convention, avait retenu la plus grande attention des juges de la Chambre des Lords britanniques dans l'affaire Pinochet. Lord Browne-Wilkinson, président du tribunal de la Chambre des Lords dans cette affaire Pinochet, a en effet noté que « La convention contre la torture n'était pas conclue dans le but d'instituer un nouveau crime international qui n'aurait pas existé auparavant, mais plutôt dans le but d'instaurer un système international dans lequel le criminel international - le tortionnaire - ne bénéficierait d'aucun abri sûr. L'objectif de la Convention était d'instaurer le principe aut dedere aut punire- soit vous extradez, soit vous poursuivez » (12) Les extraits suivants montrent que les autres juges de ce tribunal de Londres se sont prononcés dans le même sens, en citant plus expressément l'article 7: Lord Goff: « La Convention contre la torture s'est préoccupée de la compétence des tribunaux nationaux, mais son 'but essentiel' est de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse se soustraire aux conséquences de ses actes en se rendant dans un autre pays … L'article 7 … traduit le principe aut dedere aut punire, destiné à empêcher qu'un tortionnaire échappe aux poursuites en fuyant dans un autre pays. » (13) Lord Millet: « La Convention a donc affirmé et étendu [les mécanismes de poursuite d'] un crime international existant ; elle a imposé aux Etats parties l'obligation de prévenir un tel crime et de punir ceux qui en seraient coupables. Comme Burgers et Danelius l'expliquent, le principal objectif de la Convention était d'instaurer un mécanisme institutionnel qui facilite l'accomplissement de cette obligation. Alors que, sous les mécanismes [de compétence universelle] précédents, les Etats n'avaient que la faculté de se déclarer compétents à l'égard d'un crime quel qu'en soit le lieu de commission, ils avaient à présent l'obligation de le faire. Tout Etat partie sur le territoire duquel serait trouvée une personne accusée d'avoir commis le crime était désormais obligé soit d'offrir l'extradition d'une telle personne, soit de déclencher les procédures de poursuite à son égard. » (14)
11. Au moment même où des procédures étaient engagées contre le Général Pinochet en Angleterre, le Comité contre la Torture des Nations Unies examinait le rapport périodique du Royaume-Uni. Dans ses conclusions, le Comité a justement "recommand[é] […] que l'affaire du sénateur chilien Pinochet soit déférée au parquet en vue de déterminer si un procès est réalisable, et, le cas échéant, que des poursuites pénales soient engagées en Angleterre si la décision de ne pas l'extrader était prise. Ceci serait conforme aux obligations incombant à l'État partie en vertu des articles 4 à 7 de la Convention et de l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités." (Observations finales du Comité contre la Torture: United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland. 17/11/98. Doc. A/54/44.) 12. La décision des Lord britanniques sur l'interprétation de l'article 7 de la Convention était en parfaite harmonie avec l'opinion des juristes les plus qualifiés dans ce domaine. Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme chargé d'examiner les questions se rapportant à la torture, a constaté que la Convention incorpore « l'obligation d'extrader les présumés tortionnaires ou de les juger sur la seule base de la compétence universelle. » (15) C'est aussi l'avis de Cherif Bassiouni et Edward Wise qui rappellent que « L'article 7 (de la Convention) traduit le principe aut dedere aut judicare. » (16) Par ailleurs, commentant cette disposition dans un récent ouvrage, un des meilleurs spécialistes de la question affirme que « la Convention sur la torture prévoit également à son article 7 une obligation de La Haye de poursuivre » (17); D'après cet auteur, la convention contre la torture va bien au-delà de la simple obligation de légiférer contenu dans l'article 5, puisqu'elle impose aux Etats parties, en son article 7, une véritable obligation de poursuivre l'auteur présumé de crimes de tortures: « La Convention se caractérise ainsi principalement en matière juridictionnelle par le fait qu'elle n'impose pas une obligation purement législative et territoriale, qui caractérisait précédemment les autres conventions de droits de l'homme, pour reproduire les modèles de sécurité collective de Tokyo et de La Haye, dominés par les principes de la liberté juridictionnelle, aut dedere aut prosequi, ainsi que par l'obligation de poursuivre. En particulier, l'application du principe aut dedere aut prosequi fut largement débattue pour être finalement admise expréssement par les groupes d'experts aux travaux préparatoires » (18) 13. Quelle est la procédure à suivre devant les juridictions de l'Etat qui décide de poursuivre en vertu de la Convention ? L'obligation qui, en vertu de l'article 7 de la Convention, pèse sur l'Etat partie de soumettre l'affaire « à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale » implique que c'est aux organes et autorités judiciaires compétents en vertu des lois internes de l'Etat partie, qu'il appartient d'exercer les poursuites à l'encontre de l'auteur présumé des crimes de torture trouvé sur le territoire de cet Etat. La Convention contre la torture renvoie donc expressément aux règles de compétence et de procédure internes de chaque Etat partie pour la détermination des organes et autorités compétents en matière des poursuites. 14. En relation avec le principe aut dedere aut punire, les tribunaux ont parfois été confrontés à la question des rapports entre l'obligation de poursuivre et celle d'extrader. En particulier, la question s'est parfois posée si ces deux obligations ne sont pas liées l'une à l'autre, de sorte que, par exemple, un Etat ne serait obligé de poursuivre que si une demande d'extradition lui était adressée. Il a unanimement été répondu que l'obligation de poursuivre ne dépend pas de l'existence d'une demande d'extradition. Comme l'a dit encore Lord Browne-Wilkinson dans l'affaire Pinochet, en citant les travaux préparatoires de la Convention, « tout au long des négociations de la Convention, un certain nombre de délégations avaient souhaité que l'exercice par un Etat de la compétence en vertu de l'article 5(2) fût consécutif à son refus d'une demande d'extradition adressée par un des Etats désignés à l'article 5(1). Au cours d'une session tenue en 1984, toutefois, toutes les réserves au principe aut dedere aut punire furent retirées. Dès lors, plus aucune délégation n'était opposée à l'incorporation de la compétence universelle dans le projet de la Convention: Groupe de Travail sur le projet de la Convention U.N. Doc. E/CN. 4/1984/72, para. 26.» (19) Dans leur ouvrage sur les travaux de rédaction de la Convention, J. Herman Burgers et Hans Danelius font le même constat: « Certaines délégations étaient d'avis que la compétence devrait être subordonnée à la réception d'une demande d'extradition et à son rejet. Néanmoins cela n'était pas l'opinion majoritaire, ni celle refletée finalement dans la Convention. » (20)
En conclusion: l'interprétation de la Convention par la Cour d'Appel de Dakar est erronée et doit être corrigée 15. Comme cela vient d'être démontré à la lumière des travaux préparatoires de la Convention, l'interprétation qu'a eu de la Convention la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Dakar dans l'arret attaque n'est pas seulement erronée. Elle est également de nature à conduire à une double absurdité juridique. Elle permettrait d'abord de subordonner la force exécutoire de la Convention à l'adoption par le Sénégal d'une simple loi nationale de procédure, ce qui est évidemment contraire aux principes du droit international général ainsi qu'aux prescrits de l'article 79 de la Constitution du Sénégal. Elle permettrait également à tout Etat partie à la Convention, après l'avoir ratifiée, mais après s'être abstenu de prendre des 'mesures nécessaires' visées à la dite Convention, de se prévaloir de cette turpitude pour exiger que la Convention ne lui soit pas appliquée. Il n'est pas logiquement concevable qu'à travers la clause des 'mesures nécessaires' telle qu'interprétée par la Chambre d'Accusation, la communauté internationale ait prévu, d'un côté, des obligations précises dans l'historique de la Convention contre la torture, tout en subordonnant, de l'autre côté, le respect de ces obligations au bon vouloir des Etats parties en autorisant ces derniers à décider, par leur discrétion à adopter une loi interne de procédure, lesquelles de ces obligations appliquer. 16. L'interprétation proposée par la Chambre d'Accusation est d'une conséquence logique désastreuse sur la responsabilité internationale de l'Etat du Sénégal. Elle implique qu'en l'absence d'une loi interne d'application, la responsabilité internationale du Sénégal est pleinement engagée, puisqu'en s'abstenant de prendre les mesures d'application nécessaires, l'Etat du Sénégal aura porté préjudice aux droits garantis par la Convention aux ressortissants étrangers, en l'occurence les plaignants dans la présente instance (voir, dans ce sens, Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, A. Pellet, Droit international public, Paris, LGDJ, 5ème éd., p. 230). De même qu'il est de principe de droit civil que 'nul ne peut être entendu qui veut se prévaloir de sa propre turpitude', de même il est impérativement établi en droit international qu'aucun Etat ne peut invoquer les lacunes de son droit interne pour échapper à ses engagements conventionnels. C'est en tout cas ce qui est expressément prescrit à l'article 27 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, convention ratifiée par le Sénégal: Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité. C'est en effet pour mettre en échec à l'avance le genre d'argument proposé par la Chambre d'Accusation que, d'apres Ng. Q. Dinh, P. Daillier et A. Pellet, l'article 27 de la convention de Vienne a été adopté: « Les gouvernements sont [...] parfois tentés de justifier le non-respect d'un traité par son incompatibilité avec le droit national. Par réaction contre cet argument menaçant pour la sécurité des relations juridiques internationales, l'article 27 de la Convention de Vienne réaffirme la primauté du droit international [...] (Idem, p. 221) » 17. La Chambre d'Accusation de la Cour d'appel de Dakar a fait une mauvaise interprétation de la Convention, ce qui a par ailleurs déclenché, entre autres, l'intervention du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la torture. Ce dernier, conjointement avec le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, a fait part de sa préoccupation pour l'abandon des poursuites contre Hissène Habré. Dans un communiqué commun en date du 28 juillet 2000, « Les Rapporteurs spéciaux rappellent au Gouvernement du Sénégal ses obligations en tant qu'État partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils attirent également son attention sur la résolution adoptée cette année par la Commission des droits de l'homme sur la question de la torture (résolution 2000/43), dans laquelle elle insiste sur l'obligation générale des États d'enquêter sur les allégations de torture et d'assurer que ceux qui encouragent, ordonnent, tolèrent ou se rendent coupables de tels actes soient poursuivis et sévèrement sanctionnés. » (Nous soulignons.) 10 décembre 2000 1. J. Herman Burgers and Hans Danelius, The United Nations Convention Against Torture; A Handbook on the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman and Degrading Treatment or Punishment, p. 131. (notre traduction, nous soulignons) (Article 5 is: "a cornerstone in the Convention, an essential purpose of which is to ensure that a torturer does not escape the consequences of his acts by going to another country. As with previous conventions against terrorism, ....the present Convention is also based on the principle aut dedere aut punire; in other words, the country where the suspected offender happens to be shall either extradite him for the purpose of prosecution or proceed against him on the basis of its own criminal law. To be in a position to bring criminal proceedings against the offender, the State concerned must have jurisdiction over the offence, and this is what article 5 seeks to ensure. 2.
Idem, p. 132 (nous soulignons)
3 Le Comité contre la torture est l'organe désigné par la Convention pour contrôler son application. Il est
composé d'experts indépendants dont la compétence en la matière est reconnue et qui sont choisis par les
Etats parties.
4 Geoffrey Robertson, Crimes Against Humanity: The Struggle for Global Justice.
5. 5 The Exercise of Universal Jurisdiction in Respect of Gross Human Rights Offenses: Final Report,
Report of the International Law Association, London Conference (2000), p. 2. (notre traduction).
Disponible sur http://www.ila-hq.org/pdf/HumanRig.pdf . Le texte original, en langue anglaise, se lit:
"Under the principle of universal jurisdiction a state is entitled or even required to bring proceeding in
respect of certain serious crimes, irrespective of the location of the crime, and irrespective of the nationality
of the perpetrator or the victim. The only connection between the crime and the prosecuting state that may
be required is the physical presence of the alleged offender within the jurisdiction of that state."
6. 6 Idem: "By qualifying certain crimes as being subject to universal jurisdiction the international community
signals that they are so appalling that they represent a threat to the international legal order. Justice requires
that there should be no safe haven for the perpetrators of such crimes. Domestic courts and prosecutors
bringing the perpetrators to justice are not acting on behalf of their own domestic legal system but on behalf
of the international legal order." (p. 3)
7 Geraud de La Pradelle, La compétence universelle, in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet, Droit
international pénale, Cedin Paris X, Pedone, pp. 905-918, No 2
8 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE, Prosecutor v. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T 10, jugement, 10 décembre 1998, § 156.
9 Ibid, § 156.
10 Filartiga v. Pena-Irala , 630 F.2d 876 (2d Cir. 1980) ("the torturer has become like the pirate and slave trader
before him hostis humani generis, an enemy of all mankind.") 11 Edouard Delaplace, La torture, in in H. Ascencio, E. Decaux et A. Pellet (éd), Droit International Pénal,
Cedin Paris X, éd. Pedone, pp. 369-376, No 5) (nous soulignons)
12 'The Torture Convention was agreed not in order to create an international crime which had not
previously existed but to provide an international system under which the international criminal--the
torturer -could find no safe haven…'
13 [The Torture Convention of 1984] is concerned with the jurisdiction of national courts, but its "essential
purpose" is to ensure that a torturer does not escape the consequences of his act by going to another
country. … Article 7 … reflects the principle aut dedere aut punire, designed to ensure that torturers do not
escape by going to another country."
14 "The Convention thus affirmed and extended an existing international crime and imposed obligations on
the parties to the Convention to take measures to prevent it and to punish those guilty of it. As Burgers and
Danielus explained, its main purpose was to introduce an institutional mechanism to enable this to be
achieved. Whereas previously states were entitled to take jurisdiction in respect of the offence wherever it
was committed, they were now placed under an obligation to do so. Any state party in whose territory a
person alleged to have committed the offence was found was bound to offer to extradite him or to initiate
proceedings to prosecute him."
15 "the obligation either to extradite alleged torturers or to try them on the basis of universality of
jurisdiction alone." Sir Nigel Rodley, The Treatment of Prisoners in International Law (2d Ed, 1999), p.
129
16 Cherif Bassiouni and Edward Wise, Aut Dedere Aut Judicare: The Duty to Extradite or Prosecute in
International Law, p. 159 ("Article 7 incorporates the principle aut dedere aut judicare")
17 Marc Henzelin, Le principe de l'universalité en droit pénal international: Droit et obligation pour
les Etats de poursuivre et de juger selon le principe de l'universalité, Helbing & Lichtenhahn, ed.
Bruylant, Bâle-Bruxelles, 2000, p. 349 .
18 idem, p. 349 (nous soulignons)
19 Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis and Others (Ex Parte Pinochet)
[1999] 2 W.L.R. 827: "Throughout the negotiation of the Convention certain countries wished to make the
exercise of jurisdiction under Article 5(2) dependent upon the state assuming jurisdiction having refused
extradition to an Article 5(1) state. However, at a session in 1984 all objections to the principle of aut
dedere aut punire were withdrawn. 'The inclusion of universal jurisdiction in the draft Convention was no
longer opposed by any delegation': Working Group on the Draft Convention U.N. Doc. E/CN. 4/1984/72,
para. 26."
20. 20 "There were delegations which considered that jurisdiction should be dependent on an extradition request
having been made but refused. However, this was not the predominating opinion, and not the opinion that
was reflected in the Convention." (Id., at 133) |
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