Africa - West

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RESUME

Il y a près de sept ans, le 24 avril 1990, le Président Mobutu Sese Seko, cédant ostensiblement aux pressions des mouvements pro-démocratiques, annonçait la fin du système à parti unique et le début d'une phase de transition devant faire du Zaïre une démocratie pluripartite. Sept ans après, pas moins de dix gouvernements différents se sont succédés à la tête de l'état zaïrois, mais le processus de transition annoncé n'a jamais véritablement vu le jour. Le président, refusant d'abandonner le pouvoir et continuant à nommer et donc à manipuler les gouvernements, a dans les faits démontré le peu de cas qu'il faisait de sa promesse. L'avancée rapide des troupes rebelles, dans l'est du pays, a quant à elle fortement conditionné tout changement politique à la victoire militaire de l'une ou l'autre des parties en présence.

Le Premier Ministre Kengo wa Dongo, nommé en juin 1994, avait lui promis des réformes et un environnement devant permettre l'organisation d'élections à la mi-1995. Les élections promises n'eurent jamais lieu et aucune véritable participation de la population au débat politique ne fut jamais possible, étant donné les mesures visant à limiter l'exercice des libertés fondamentales imposées par le gouvernement. Le président continua à placer ses hommes au plus haut de l'armée, des services de sécurité et des administrations locales et régionales, les choisissant en fonction de leur origine ethnique et régionale et de leur allégeance à sa personne et son alliance politique. Dans l'ensemble du pays, les militaires et la police prirent l'habitude de perturber les activités des groupes d'opposition, alors que se poursuivaient les violences à l'encontre de la population en général. Les soldats et certains civils, n'ayant plus été payés depuis plusieurs mois, se mirent à exiger des pots-de-vin et à se livrer à diverses extorsions de fonds, pillages et attaques à main armée. L'échec du processus de transition fit donc du Zaïre un pays dirigé par un président sans mandat, un parlement non-élu et un premier ministre soutenu par une minorité seulement de ce parlement. Le Zaïre était donc largement engagé sur la voie de la désintégration bien avant que la guerre n'éclate dans l'est du pays.

Une coalition rebelle, dont on a affirmé qu'elle était soutenue par les gouvernements ruandais et ougandais, lança en octobre 1996 une offensive de grande envergure dans l'est du pays, mettant sans grandes difficultés en déroute les troupes zaïroises, dispersant les réfugiés ruandais et burundais et portant un coup sérieux à la suffisance du régime en place à Kinshasa. Le mouvement de révolte démontra non seulement que la transition promise n'avait jamais été traduite dans les faits mais il permit aussi de confirmer le caractère « prédateur » des forces armées zaïroises. Si des violations des droits de l'homme furent commises tant par les troupes rebelles que par l'armée zaïroise, cette dernière se rendit coupable d'un nombre excessif d'actes de pillage et de destruction, ainsi que de multiples viols. La présence de milices ethniques et de mercenaires risque, aujourd'hui, de mener le pays vers une situation de violence généralisée.

Le conflit dans l'est du Zaïre fut en réalité le résultat de la politique du gouvernement zaïrois qui, pendant trop longtemps, évita toute remise en question de sa légitimité par le peuple en détournant la colère des zaïrois vers les tensions ethniques et régionales, qu'il eut d'ailleurs toujours soin d'attiser. La politique officielle de discrimination vis-à-vis des Zaïrois d'origine ruandaise et la décision de les priver de leur citoyenneté ne fut que l'une des conséquences concrètes de cette stratégie. Il est à noter que ce furent précisément ces zaïrois d'origine ruandaise qui, au départ, formèrent le gros des troupes rebelles. Des membres d'autres groupes ethniques se joignirent ensuite à eux et l'alliance ainsi formée, baptisée Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (A.F.D.L.), proclama son intention de renverser le Président Mobutu.

Les efforts destinés à organiser des élections dans les délais impartis par l'Acte Constitutionnel de la Transition furent interrompus par la guerre. Notons que presque rien n'avait été fait afin de faire de ces élections un scrutin libre et équitable, qui permettrait à la population de véritablement participer à la vie politique du pays, et ce même si le processus électoral inscrit dans la loi prévoyait l'organisation, entre février et juillet 1997, d'un référendum constitutionnel et de trois scrutins nationaux. Les groupes d'opposition, l'église et diverses O.N.G. mirent rapidement mis en doute la crédibilité du processus électoral, suspectant le Président Mobutu de volontairement brusquer les choses afin d'assurer sa réélection. Le gouvernement, confirmant les pires craintes de la société civile, prétextait alors du conflit dans l'est pour limiter un peu plus l'exercice par le peuple des ses libertés politiques. Confronté aux pressions croissantes de la population, favorable à un règlement négocié du conflit et une relance du processus de transition, le gouvernement zaïrois interdisait à la mi-février toute manifestation publique et introduisait une censure stricte, dans le but de bâillonner les organes de presse privés et publics. La premier trimestre de l'année 1997 fut marqué par une multiplication du nombre d'exactions--arrestations, passages à tabac, humiliations--à l'encontre de journalistes, d'étudiants et de leaders de l'opposition, et ce malgré l'immunité parlementaire dont jouissaient certains d'entre eux.

La situation vécue dans certaines régions stratégiques, tel le Shaba (voir plus bas), illustra à la perfection l'ampleur des abus et de la résistance de l'administration mobutiste à tout changement susceptible de mener à des élections libres. Les violations des droits de l'homme par les militaires et les services de sécurité, devenues quotidiennes, firent planer un doute certain sur la possibilité de voir le droit de vote des citoyens respecté. Plusieurs semaines avant la date du référendum, les commissions électorales ne fonctionnaient pas, toute campagne était interdite et les fonctionnaires nommés par Mobutu mettaient plus que jamais l'accent sur leurs prérogatives en matière d'organisation de scrutin.

Les événements du Shaba permirent également de montrer le rôle crucial que les O.N.G. et les groupes de défense des droits de l'homme avaient joué depuis le début du processus de transition, à la fois au niveau régional et national. Ces groupes ont exercé une pression constante sur les autorités civiles et militaires, récoltant des informations sur les cas de violations des droits de l'homme et exigeant que les coupables soient punis. Ils ont également exigé, sans relâche, que soient mises en place les conditions--définies en 1992--devant assurer une véritable transition vers un système démocratique et organisé des programme d'éducation civique afin de préparer la population aux élections.

A la fin mars, le Président Mobutu et son gouvernement, confronté à un conflit en extension et à d'intenses pressions diplomatiques internationales, demandait l'instauration d'un cessez-le-feu et la formation d'un « conseil national » devant permettre de résoudre la crise. Les efforts de médiation de divers chefs d'état africains, notamment Nelson Mandela et Daniel arap Moi, avaient au départ été dénoncés par Mobutu comme faisant partie d'un complot « anglophone » visant à détruire le Zaïre. Les alliés occidentaux les plus impliqués au Zaïre, la France, la Belgique et les Etats-Unis, capables au milieu des années 1990 d'une courte action concertée, furent incapables de réagir de façon cohérente à la nouvelle crise.

Les populations prises dans le tourbillon de la guerre n'attendent elles qu'une chose: que la paix revienne. Confrontées d'une part à un « libérateur » auquel elles n'accordent aucune confiance et une « force d'occupation » gouvernementale qui profite d'elles depuis plus de vingt ans, elles craignent au plus haut point les conséquences disproportionnées qu'une contre-offensive pourrait avoir sur leurs vies. Le responsable d'une O.N.G. de Goma, soumise aux tirs d'artillerie rebelles et bombardée par des mercenaires à la solde du gouvernement zaïrois, résumait ainsi les craintes de la population: « Le gouvernement parle sans cesse de 'libérer le pays' mais . . . que compte-t-il faire de la population? » (1)

Dans un contexte de défaite militaire de plus en plus probable et d'un possible écroulement complet du mobutisme, les organisations composant la société civile sont aujourd'hui devenues le dernier rempart, malheureusement bien fragile, qui protège le pays de l'anarchie politique et de la désintégration sociale.

Le monde a été fasciné par deux dimensions étroitement liées de la crise zaïroise. D'une part, la crise humanitaire qui remonte au génocide ruandais, et les mouvements massifs de réfugiés qui ont suivi et, d'autre part, le conflit et les bouleversements politiques provoqués par ces divers facteurs et qui aujourd'hui menacent d'atteindre la capitale du Zaïre, Kinshasa. La fuite vers le Zaïre, en 1994, de plus d'un million de ruandais, y compris des membres de l'armée et des milices responsables du génocide, provoqua l'exode de dizaines de milliers de zaïrois et déclencha de nouveaux affrontements ethniques au Zaïre. Un véritable conflit faillit même éclater entre le Zaïre et le Ruanda lorsque ce dernier protesta contre le soutien apporté par son voisin aux ruandais des camps, responsables d'incursions dont le nombre augmenta sensiblement en 1996. En octobre 1996, un nouveau groupe rebelle composé de Banyamulenge--des zaïrois d'origine ruandaise--agissant avec le soutien manifeste du Ruanda, se mit à attaquer les camps de réfugiés. Plus de 600.000 d'entre eux furent ainsi forcés de retourner au Ruanda, plusieurs centaines d'autres milliers de personnes devant fuir vers l'intérieur du Zaïre, sous le contrôle d'anciens militaires de l'armée responsable du génocide.

Dans les mois qui suivirent, ce qui semblait au départ être un conflit impliquant principalement des ruandais et leur compatriotes de nationalité zaïroise prit une dimension résolument zaïroise, chose que peu d'observateurs internationaux avait prévue. Les protestations ruandaises quant aux incursions en provenance du Zaïre furent bientôt remplacées par des protestations zaïroises, portant sur ce que Kinshasa affirmait être une invasion ruandaise et ougandaise. La guerre provoqua rapidement le déplacement de centaines de milliers de civils ruandais et zaïrois qui, ne pouvant être aidés par les organisations humanitaires, furent confrontés à une véritable famine. Les demandes répétées de cessez-le-feu, devant permettre aux organisations d'aide de se rendre auprès des réfugiés, furent ignorées par l'ensemble des parties.

Aujourd'hui, le gouvernement de Mobutu prend eau de toutes parts sans avoir, comme promis, accéléré en aucune manière le processus de démocratisation. Le conflit armé menace de faire disparaître les rares éléments du système de gouvernement qui auraient pu survivre à Mobutu. Le véritable défi pour le Zaïre sera de tenter, si cela s'avère possible, de préserver les rares progrès réalisés depuis 1990 en matière de restauration de l'autorité de la loi et, également, d'espérer que le gouvernement qui émergera de la crise pourra s'en servir pour reconstruire le pays. La possibilité d'organiser des élections, déjà mise à mal par le gouvernement Mobutu/Kengo et son incapacité à mettre en place l'infrastructure et les réformes de base nécessaires, semble aujourd'hui n'être plus qu'une chimère que la guerre se charge de rendre chaque jour un peu plus utopique.

Après la chute, à la mi-mars, de Kisangani, le bastion militaire du centre du Zaïre à partir duquel le gouvernement s'était promis de reconquérir le territoire perdu à l'est, l'opposition armée apparut comme une force capable d'un jour contrôler l'ensemble du pays. La possibilité croissante de voir disparaître un Mobutu--déjà malade--et les vestiges de son gouvernement sans devoir attendre qu'ils ne s'écroulent sous leur propre poids a rendu encore plus incertaine la poursuite d'un processus de transition qui, de toute façon, n'a que très peu préparé le Zaïre à vivre une démocratie soumise à l'autorité de la loi.

Le présent rapport, fruit de missions réalisées au Zaïre par Human Rights Watch en juillet 1996 et en décembre 1996 - janvier 1997, a pour objet d'examiner la dynamique politique interne qui sous-tend les évolutions actuelles, d'analyser l'échec du processus de transition et d'identifier les éléments susceptibles, en cas de résolution du conflit actuel, de servir de base à une véritable transition, et notamment la société civile, qui assurément aura à jouer un rôle important dans la reconstruction du pays.




1. Human Rights Watch/Afrique, interview du responsable d'une organisation de défense des droits de l'homme basée à Goma, janvier 1997.

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