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Rapport Mondial 2002

L'Algérie

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Vue d'ensemble sur la situation des droits de l'Homme
La possibilité de surveiller les droits de l'Homme
Le rôle de la communauté internationale

VUE D'ENSEMBLE SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME

La violence politique endémique qui oppose depuis dix ans les forces de sécurité et les groupes armés se réclamant des mouvements islamistes a fait cette année plus de mille cinq cents morts. S'il est vrai que le nombre de victimes recensées a diminué par rapport au milieu des années quatre-vingt-dix, ce chiffre dément les déclarations officielles qui qualifiaient la violence de "résiduelle". Outre les membres des forces de sécurité et les militants tués dans des affrontements et des embuscades, des centaines de civils ont été aveuglément massacrés dans leurs foyers, à des barrages routiers et dans des lieux publics.

Cette année a également été marquée par les premières manifestations populaires de masse depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence en 1992. Ces manifestations ont surtout eu lieu dans la région majoritairement berbère de Kabylie. Selon des organisations non-gouvernementales locales, les émeutes auraient fait plus de quatre-vingt dix morts, victimes pour la plupart des tirs des forces de sécurité.

En matière de libertés publiques, l'Algérie présente un bilan inégal. Alors que certaines grandes manifestations antigouvernementales ont été autorisées, d'autres ont été interdites, voire brutalement dispersées. Les amendements au Code pénal ont menacé la liberté de la presse, mais les journaux privés n'en ont pas moins continué à critiquer jour après jour le président Abdelaziz Bouteflika.

Les auteurs de graves atteintes aux droits de l'Homme commises par toutes les parties impliquées dans un conflit qui a coûté la vie à plus de cent mille personnes ont largement bénéficié du climat d'impunité généralisée. La loi de 1999 sur la "concorde civile", proposant l'amnistie ou la clémence aux "repentis" - combattants armés prêts à se rendre - n'a pas suffi à mettre un terme aux violences politiques. La déclaration du président Bouteflika qui, en février, laissait entendre que la proposition d'amnistie valait toujours en dépit de l'expiration du délai d'application de la loi, n'a apparemment donné lieu qu'à très peu de nouvelles redditions. En juin, la violence a monté d'un cran et s'est étendue à des régions qui avaient été relativement épargnées au cours de ces dernières années.

La plupart de ces violences ont été attribuées à deux groupes armés qui ont refusé l'amnistie : le Groupe islamique armé (GIA) et le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Selon les informations disponibles, souvent fragmentaires, le GIA a aveuglément et systématiquement massacré des civils, tandis que le GSPC a souvent pris pour cible des membres des forces de sécurité et des milices appuyées par l'État, mais a également assassiné des civils. Il a souvent été difficile d'établir clairement la responsabilité de ces massacres, car les assaillants ont généralement réussi à prendre la fuite sans être appréhendés et ont rarement revendiqué leurs actes ou expliqué leurs motivations.

Les gouvernorats (wilayas) de Tipasa, Médea, Chlef et Mascara ont été particulièrement touchés et au sud de la capitale, la région de la Mitidja a connu une recrudescence des attentats. Ainsi, le 10 février un groupe non identifié d'hommes armés a abattu quatre familles vivant dans un bidonville des environs de la ville de Berrouaghia. Les vingt-six victimes étaient pour la plupart des femmes et des enfants. Le 12 août, lors de l'une des nombreuses attaques perpétrées par des hommes qui avaient dressé des barrages sur des routes nationales, dix-sept passagers ont été tués par des hommes en armes, vêtus d'uniformes militaires, dans la wilaya de Mascara. Le 26 septembre, dans la ville de Larbaa, des assaillants ont fait irruption dans un mariage, massacrant, selon des rapports publiés dans la presse privée algérienne, treize invités et neuf autres personnes qui se trouvaient sur leur chemin. La terreur a poussé des milliers d'Algériens vers les zones plus urbanisées offrant une sécurité relative mais imposant également des conditions de vie économique et sociale difficiles.

Selon les déclarations du gouvernement au cours de l'année 2001, quelque six mille combattants s'étaient livrés aux autorités depuis juillet 1999, date de promulgation de la loi de concorde civile. En janvier 2000, les membres de deux groupes armés qui avaient formellement accepté la reddition ont bénéficié d'une amnistie de jure. Les autres candidats à l'amnistie ont dû avouer leurs actes passés à des comités de probation contrôlés par l'État. Ces institutions étaient chargées d'enquêter sur les repentis et de statuer sur une éventuelle exonération de poursuites judiciaires ou sur une réduction de peine, pour ceux qui étaient soupçonnés de crimes graves. Dans la pratique, à en croire les associations de défense des droits des victimes, les comités de probation ont eu tendance à exonérer les repentis après un examen rapide de leur cas. Les assassins présumés auraient ainsi pu rentrer chez eux en toute impunité, bien que la loi de concorde civile prévoie que les personnes responsables de meurtres ou de viols ne peuvent prétendre à être entendues par les comités de probation ni bénéficier d'une peine réduite.

En mai, Ali Benflis, le Premier ministre algérien, a assuré à la parlementaire européenne Hélène Flautre que quelque quatre cents repentis feraient l'objet de poursuites judiciaires, mais aucun organisme indépendant n'a été en mesure de vérifier ce chiffre, les séances à huis clos des comités de probation étant fermées aux victimes, à leurs familles et au public. A supposer qu'il soit exact, ce chiffre de quatre cents poursuites judiciaires ne représenterait que 7 % de l'ensemble des combattants qui se seraient livrés aux autorités.

Les manifestations de rue qui ont commencé le 21 avril et se sont poursuivies sporadiquement pendant plusieurs mois auraient coûté la vie à plus de quatre-vingt dix Algériens. Ces manifestations ont été déclenchées par le décès, le 20 avril, de Guermah Massinissa, un lycéen berbère touché deux jours plus tôt par une rafale de pistolet-mitrailleur alors qu'il était en détention dans un poste de gendarmerie. Les jeunes du village ont réfuté la version des gendarmes, selon laquelle le coup serait parti accidentellement, et ont affirmé que depuis plusieurs mois les gendarmes harcelaient de plus en plus la population locale.

Bon nombre de manifestations organisées en Kabylie ont été pacifiques, mais dans certains cas, les manifestants ont jeté des cocktails Molotov et des pierres aux forces de l'ordre et endommagé des bâtiments et des biens publics, ainsi que des commerces privés. Pendant la première semaine d'émeutes, qui fut la plus meurtrière, les gendarmes ont, à plusieurs reprises, tiré sans sommation à balles réelles sur les manifestants. Selon de nombreux témoins oculaires, ils ont également passé à tabac des blessés et d'autres personnes étrangères aux manifestations.

Les revendications des manifestants portaient, entre autres choses, sur la reconnaissance de la langue et de l'identité culturelle berbères et sur le retrait des gendarmes de la région. En juin, ces émeutes se sont étendues aux autres régions, alimentées par le mécontentement des populations locales face à la corruption, au chômage et aux problèmes de l'attribution de logements publics.

Le 30 avril, le président Bouteflika a annoncé l'ouverture d'une enquête sur ces événements. Le 2 mai, il a nommé un juriste respecté, Mohand Issad, à la tête de la Commission d'enquête. Le rapport préliminaire de la Commission d'enquête, publié trois mois plus tard, tranchait favorablement sur les précédentes enquêtes commanditées par le gouvernement qui soit relevaient de la mascarade, soit n'étaient jamais rendues publiques. La Commission a établi que les gendarmes avaient "nourri et entretenu l'événement [par des] tirs à balles réelles, pillages, saccages, provocations de toutes sortes, propos obscènes et passages à tabac." Elle concluait que l'argument de l'autodéfense ne pouvait justifier les tirs des gendarmes qui ont tué cinquante civils et en ont blessé 218 autres entre le 22 avril et le 28 avril. Le rapport souligne également qu'au cours de cette période, un membre des forces de sécurité est mort d'électrocution, et que de nombreux autres ont été blessés.

Le rapport préliminaire de la Commission d'enquête n'a toutefois identifié aucun gendarme ni officier coupable d'avoir recouru à une force excessive ayant entraîné la mort. Me. Issad s'est engagé à reprendre l'enquête en août, mais les dernières conclusions n'avaient pas été rendues publiques à l'heure où nous mettions sous presse.

Peu après l'allocution du président Bouteflika, le 30 avril, les forces de sécurité ont commencé à limiter l'usage des tirs à balles réelles. Les autorités ont par ailleurs muté un grand nombre de soldats soupçonnés de comportements violents et ont déployé des unités anti-émeutes utilisant des gaz lacrymogènes plutôt que des balles réelles.

Ces facteurs ont contribué à limiter le nombre de victimes malgré la multiplication et la propagation des émeutes tout au long des mois de mai et de juin. Les 21 et 31 mai, de grandes manifestations se sont déroulées, tout d'abord à Tizi-Ouzou, puis à Alger. Mais le 14 juin, une marche dominée par les Berbères et réunissant près de cinq cent mille personnes dans la capitale a dégénéré en pillages de magasins et en affrontements entre la police, les manifestants et la jeunesse locale, faisant quatre morts et plus de trois cents blessés. Sur les centaines d'individus placés en garde à vue par la police, beaucoup n'ont pu donner de leurs nouvelles pendant plusieurs jours; tous ont néanmoins été par la suite relâchés.

Le 18 juin, le président Bouteflika a interdit toute manifestation à Alger "jusqu'à nouvel ordre". La police s'est massivement déployée dans la ville et sur toutes les artères routières venant de Kabylie pour dissuader les manifestants et a ainsi empêché des défilés préalablement annoncés le 5 juillet, le 8 août et le 5 octobre.

Le 3 octobre, le Premier ministre Ali Benflis a rencontré les représentants de la communauté berbère et a annoncé que le président Bouteflika avait promis un train de mesures, prévoyant notamment un amendement à la Constitution visant à donner à la langue berbère, le tamazight, le statut de langue nationale; l'indemnisation des victimes des émeutes; l'engagement de poursuites judiciaires contre les auteurs de crimes et de meurtres pendant les affrontements et la restructuration des forces de sécurité dans les régions de Kabylie où des abus avaient eu lieu. En octobre, on ne disposait d'aucune information fiable sur les poursuites engagées à l'encontre des membres des forces de sécurité responsables d'abus pendant les manifestations, bien que certaines rumeurs non confirmées aient fait état d'arrestations.

La télévision et la radio nationales, contrôlées par l'État, ont continué à relayer le point de vue officiel, ignorant généralement les grandes manifestations et les massacres qui n'ont été couverts que par les chaînes européennes et arabes que l'on pouvait capter en Algérie. La télévision n'a pratiquement pas donné voix au chapitre aux dirigeants de l'opposition politique, mis à part lors de la transmission des débats parlementaires. La presse privée a en revanche souvent critiqué les initiatives du gouvernement, publiant les récits de témoins oculaires de la répression des manifestations par la gendarmerie et s'interrogeant publiquement sur l'avenir politique du président Bouteflika. Ces journaux se sont néanmoins autocensurés sur la question du rôle de l'armée dans le paysage politique. En juin, El-Watan et el-Khabar sont devenus les premiers quotidiens nationaux à imprimer une partie de leur tirage quotidien dans une imprimerie privée, se libérant ainsi de la pression éditoriale qu'exerce indirectement le quasi-monopole de l'État sur l'imprimerie. Les révisions du Code pénal entrées en vigueur en juillet ont toutefois allongé les peines de prison et augmenté les amendes pour diffamation ou outrage au président, aux institutions ou aux représentants de l'État. Les autorités ont justifié ces amendements comme étant nécessaires pour "préserver la dignité de l'État et protéger les libertés individuelles et collectives". A l'heure où nous mettions sous presse, aucun journaliste n'avait encore été inculpé au titre de ces nouveaux amendements, qui réfrénaient également les discours des imams des mosquées en portant à cinq ans la peine maximale pour prédications "susceptibles de porter atteinte à la cohésion de la société." Les journalistes étrangers se sont vus tantôt délivrer et tantôt refuser sans explication leur visa d'entrée sur le territoire algérien. Les spécialistes de l'Algérie des journaux parisiens Libération et Le Monde n'ont pas été autorisés à pénétrer dans le pays pendant une bonne partie de l'année.

L'usage d'Internet a continué de se développer avec la baisse des tarifs de connexion et la multiplication des cybercafés. Aucun rapport ne fait état de sites bloqués, bien que la réglementation en vigueur impose aux prestataires de services Internet "d'assurer une surveillance constante du contenu des serveurs accessibles à [leurs] abonnés pour empêcher l'accès à des informations contraires à l'ordre public ou à la morale." Au début 2001, la police de la ville de Boufarik a ordonné aux exploitants d'un cybercafé de soumettre régulièrement une liste des noms de leurs clients et de signaler toute activité qui pouvait leur paraître subversive ou immorale. Aucun progrès n'a été fait pour localiser ou élucider le sort des milliers d'Algériens "enlevés" par les forces de sécurité, essentiellement entre 1994 et 1996. Bien qu'il n'y ait eu en 2001 aucun nouveau cas de détention par les forces de sécurité, suivie de disparition prolongée, plusieurs familles se sont manifestées pour signaler des disparitions remontant aux années quatre-vingt-dix. L'Association nationale des familles de disparus a pour sa part déclaré qu'elle avait enregistré plus de sept mille cas avérés de disparition.

Dans un discours du 9 octobre, le président Bouteflika a demandé aux familles des "disparus" de "faire confiance à l'administration" et de ne rien faire qui "puisse ternir l'image du pays ou des Algériens". Les représentants du gouvernement ont continué à fournir des statistiques sur les affaires que le gouvernement affirme avoir "élucidées", sans jamais ou presque donner la moindre information utile aux familles. Par exemple, dans son rapport publié en juin, la parlementaire européenne Hélène Flautre signale que le ministre de la Justice Ahmed Ouyahia lui a déclaré que sur les trois mille dossiers de disparition traités par la justice, "la clarté a été faite sur mille cas : 833 [disparus] étaient des maquisards, quatre-vingt-treize ont été abattus, quatre-vingt-deux sont détenus, soixante-quatorze sont rentrés chez eux et sept repentis bénéficient de la grâce amnistiante de la Concorde civile."

Les autorités n'ont cependant fourni aux familles aucun élément concret prouvant que certains des disparus avaient rejoint les groupes armés. Sur les milliers de membres des groupes armés qui se sont rendus ces dernières années, on n'a retrouvé pratiquement aucun "disparu". Ces repentis n'auraient pas quant à eux fourni la moindre information corroborant l'hypothèse du gouvernement, selon laquelle de nombreuses personnes présumées "disparues" étaient à leurs côtés dans le maquis.

Il n'y a par ailleurs eu aucun progrès pour retrouver des individus figurant parmi les milliers de civils algériens présumés enlevés ces dernières années par les groupes armés. Très peu de familles ont eu la moindre nouvelle de leurs parents enlevés, malgré la découverte ces dernières années de plusieurs charniers censés être liés au conflit, et la reddition de plusieurs milliers de militants, dont certains auraient pu être au courant des enlèvements.

Selon les avocats des droits de l'Homme, les forces de sécurité ont continué à torturer les détenus soupçonnés d'avoir participé aux actions des groupes armés ou d'en avoir eu connaissance. Par rapport aux années précédentes, les signalements de cas de torture ont néanmoins diminué au même titre que le nombre d'arrestations motivées par des raisons sécuritaires.

En février, Habib Souaïdia, ancien officier de l'armée algérienne, a publié à Paris La Sale Guerre, ouvrage qui constitue à ce jour le réquisitoire le plus détaillé sur le comportement de l'armée. M. Souaïdia y décrit les méthodes de torture et d'exécution sommaire qui auraient été employées par les unités anti-terroristes à l'encontre des islamistes présumés ainsi que d'autres abus auxquels il affirme avoir assisté, entre 1993 et 1995. Les responsables algériens ont considéré que La Sale Guerre s'inscrivait dans une campagne visant à salir le gouvernement.

Le 25 avril, un juge parisien a lancé un nouveau défi à l'impunité en ouvrant une instruction sur les plaintes déposées contre Khaled Nezzar par des Algériens vivant aujourd'hui à l'étranger et affirmant qu'eux-mêmes ou des membres de leur famille avaient été torturés au début des années quatre-vingt-dix, à l'époque où M. Nezzar était ministre de la Défense. M. Nezzar, qui était de passage en France pour la publication de ses mémoires, a écourté son séjour et a quitté le pays le soir même, dans un avion privé. Lors de certains procès, dont certains abordaient des questions politiques sensibles, les juges ont dirigé les débats avec sérieux et impartialité, mais d'autres ont été entachés d'irrégularités. Ainsi, le 12 avril, au terme d'une procédure expédiée en une journée, Fouad Boulemia a été inculpé et condamné à mort pour le meurtre, en novembre 1999, d'Abdelkader Hachani, qui était à l'époque le plus important dirigeant du Front Islamique du Salut (FIS) en liberté. M. Boulemia a expliqué au juge qu'il avait été contraint, sous la torture, de signer des "aveux" sur lesquels il souhaitait désormais revenir, mais le tribunal n'a pas accédé à sa demande. L'accusé n'a été interrogé ni par son avocat, ni par le parquet. A l'heure où nous rédigions ce rapport, il était toujours en prison.

Dans une autre affaire, la journaliste Faouzia Ababsa, rédactrice en chef du quotidien francophone L'Authentique, a été accusée de diffamation le 11 juillet bien qu'elle n'ait pas été avisée de la date du procès qui s'est déroulé en son absence. Elle a été condamnée à six mois de prison avec sursis et à une amende.

Au cours des agressions aveugles perpétrées contre les civils, les groupes armés ont enlevé et violé des jeunes filles et des femmes, lorsqu'ils ne les ont pas massacrées sur place. Les associations de défense des droits des femmes ont dénoncé l'absence de services de soutien pour les victimes de viols.

Le problème global des violences sexistes a été exacerbé par des agressions contre des femmes vivant seules, commises par des foules d'hommes n'ayant apparemment aucun rapport avec les groupes armés. Au soir du 13 juillet, plus d'une centaine d'hommes s'en sont pris à un quartier de la ville pétrolière d'Hassi Messaoud. Alors que d'autres habitants ont été épargnés, les femmes migrantes ont été expulsées de chez elles, battues, frappées au gourdin, poignardées et violées. Ces agressions se sont poursuivies jusque tard dans la nuit, malgré l'étroite surveillance dont la ville fait l'objet de la part des forces de sécurité. Le 9 octobre, El-Watan rapportait que sur trente-huit hommes appréhendés pour voies de fait, viol et autres délits, vingt-neuf avaient été placés en détention préventive. Selon une version des faits, les agresseurs étaient des gens de la ville qui expliquaient leur geste par les "mœurs légères" dont ils accusaient les femmes. Vers la fin octobre, des groupes d'hommes ont organisé à deux reprises des descentes dans un quartier de la ville orientale de Tebessa, où des femmes vivaient seules, agressant trois femmes dans le premier cas, et pillant les maisons dans le second. Arrêtés par la police, les agresseurs ont prétendu avoir agi dans un souci "anti-débauche".

Le Code de la famille de 1984, extrêmement discriminatoire, n'a pas été modifié. Le 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale de la femme, le président Bouteflika a qualifié le code de "discriminatoire" et reconnu qu'il était "contraire dans certaines de ses dispositions à l'esprit de l'islam". Mais ni lui ni l'Assemblée nationale n'ont pris la moindre initiative pour amender les articles qui privilégient les hommes pour tout ce qui touche au mariage, au divorce, à l'héritage et à la garde des enfants.

Le 9 octobre, l'Algérie a ratifié a Convention de 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, qui entrera en vigueur dans le pays le 11 avril 2002.

LA POSSIBILITE DE SURVEILLER LES DROITS DE L'HOMME

Les associations de défense des droits de l'Homme et des droits des victimes, les avocats et certains partis politiques ont collecté des informations et exercé des pressions en faveur de la défense des droits. Le principal obstacle à l'établissement de preuves des atteintes aux droits fondamentaux semblait tenir à la crainte qu'éprouvent les victimes et leurs familles à témoigner, particulièrement parmi les populations rurales durement touchées par les violences politiques.

La police a généralement toléré les sit-in régulièrement organisés par les familles de "disparus" devant les bâtiments publics, mais les a parfois dispersés. Le 19 septembre, un défilé des familles a été empêché à Relizane, au prétexte qu'il n'avait pas fait l'objet d'une autorisation préalable.

Mohamed Smaïn, porte-parole du bureau de l'association indépendante qu'est la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH) de Relizane, a été appréhendé le 23 février et détenu pendant deux jours après avoir fait l'objet d'une plainte en diffamation déposée par Hadj Fergane, ancien maire et chef de la milice de la ville, que M. Smaïn avait accusé d'avoir commis une série d'enlèvements et d'exécutions extrajudiciaires. M. Smaïn s'est vu confisquer ses papiers d'identité et interdire tout déplacement sans autorisation du tribunal. Le 28 octobre, alors que l'affaire était encore en cours, la gendarmerie a sommé verbalement M. Smaïn de "s'abstenir de franchir les limites géographiques de la commune, en application du contrôle judiciaire dont il est toujours l'objet." Ses papiers ne lui avaient pas été restitués. En novembre, M. Smaïn a néanmoins eu gain de cause dans un autre procès au terme duquel le tribunal de Relizane a condamné M. Fergane à six mois de prison pour diffamation à l'encontre de M. Smaïn.

L'Association nationale des familles de disparus est restée active, bien que les autorités n'aient pas donné suite à sa demande de reconnaissance légale. En septembre, une autre association de familles de "disparus", SOS Disparus, a ouvert son siège national au centre d'Alger, créant ainsi le premier bureau exclusivement consacré à ce problème.

Contrairement à ce qui s'était passé en 2000, Human Rights Watch, Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) n'ont pas été autorisés à travailler sur le terrain en Algérie pendant les dix premiers mois de 2001. Cependant, l'association française de défense de la liberté d'expression, Reporters sans Frontières, s'est rendue dans le pays en janvier pour enquêter sur cinq journalistes algériens portés disparus.

Le gouvernement a persisté dans son refus d'accéder aux demandes de missions qu'effectuent depuis longtemps les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la torture et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ainsi que le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a effectué ses quatrième et cinquième visites de prisons depuis 1999, et a pu avoir des entretiens privés avec des détenus. Son accord avec les autorités excluait néanmoins la visite des sites administrés par les ministères de la Défense ou de l'Intérieur.

En mars, le pouvoir a dissout l'Observatoire national des droits de l'Homme, institution créée neuf ans plus tôt. Cet organisme devait rendre compte de ses activités au président et était jugé inefficace par la plupart des victimes des abus commis par le gouvernement ayant eu recours à son aide. Cet organisme a été remplacé en octobre par la Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection des droits de l'Homme (CNCPPDH).

LE ROLE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

L'Union européenne
Les pays de l'UE ont obtenu de l'Algérie 20% de leur consommation de gaz naturel et lui ont acheté 70 % de l'ensemble de ses biens d'exportation. Les négociations sur un accord bilatéral d'association entre l'UE et l'Algérie se sont poursuivies, et l'UE a financé des petits programmes de soutien à la presse privée, de formation de la police à la médecine légiste et de sensibilisation aux droits de l'Homme.

Le 16 juin, le Conseil de l'Europe, regroupant les chefs d'État des pays membres de l'UE, a exhorté "tous les responsables algériens" à "agir pour mettre un terme aux affrontements et à la violence qui règnent actuellement" et a appelé les autorités à "lancer une initiative politique en vue de résoudre la crise par un dialogue entre tous les Algériens." Cette déclaration réaffirmait l'appui de l'UE "aux réformes politiques, économiques et sociales nécessaires pour restaurer la paix, la stabilité et la prospérité."

Les droits de l'Homme ont été abordés lors des réunions ministérielles de la "troïka" qui se sont tenues en Algérie le 24 avril. (La "troïka" regroupe les représentants actuels de la présidence de l'Union européenne, de la Commission européenne et du Haut Représentant pour la politique étrangère et la sécurité commune). Les Européens ont soumis une liste d'une trentaine de cas de "disparitions" exigeant que toute la lumière soit faite sur ces affaires. Anna Lindh, ancienne ministre suédoise des Affaires étrangères (qui présidait à l'époque l'UE), a déclaré que l'Union européenne "prend très au sérieux" les affaires de "disparitions", d'arrestations arbitraires et de torture. Elle a également exprimé des inquiétudes sur les amendements au Code pénal envisagés qui risquent de restreindre la liberté de la presse.

Dans une résolution adoptée le 18 janvier, le Parlement européen condamnait toute forme de violence contre les civils en Algérie et engageait le gouvernement à coopérer avec le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Une résolution adoptée le 17 mai dénonçait le massacre des manifestants et demandait que soient mieux respectés les droits culturels et linguistiques des Berbères. Dans sa déclaration du 29 mars à la Commission des Nations Unies sur les droits de l'Homme, le représentant de l'UE a engagé l'Algérie à autoriser les visites des rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits de l'Homme.

France
La France a été le premier client à l'import de l'Algérie et accueille désormais la plus importante communauté algérienne à l'étranger. L'assistance de la France à l'Algérie s'est essentiellement concrétisée sous forme de crédits à l'achat de biens d'exportation français.

Dans le cadre du conflit qui déchire l'Algérie depuis 1992, la France a observé une certaine réserve quant aux atteintes aux droits de l'Homme commises par le gouvernement contre des islamistes présumés. En 2001, Paris a toutefois haussé le ton après que les forces de sécurité ont tué une cinquantaine de manifestants en Kabylie au cours de la dernière semaine d'avril. Les Kabyles (Berbères) constituent une part importante de la communauté algérienne établie en France et bénéficient d'une bonne organisation politique. Le 2 mai, le ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a précisé que la France ne pouvait rester silencieuse sur "la violence et la répression" et a appelé à un "dialogue politique." Le 19 juin, il a déclaré que les revendications du peuple algérien pour de "vrais changements" étaient "profondément légitimes." Dans une interview publiée dans Le Monde du 11 juillet, M. Védrine a balayé d'un revers de la main les accusations du président Bouteflika et d'autres personnalités, attribuant les récentes émeutes aux ingérences étrangères : "Le pouvoir algérien sait très bien que c'est totalement faux, que cette contestation résulte de problèmes internes," a-t-il déclaré.

Sur les autres affaires de droits de l'Homme, la France s'est montrée plus discrète. M. Védrine, le ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant et la secrétaire d'État au Tourisme, Michelle Demessine se sont rendus à Alger en février et n'ont à cette occasion fait aucune déclaration publique sur les droits de l'Homme.

Les États-Unis
Bien que l'Algérie n'ait jamais été considérée par les Etats Unis comme un pays prioritaire dans la région, elle a bénéficié de plus d'égards que de coutume en 2001. Les réunions bilatérales ont permis de soulever certaines inquiétudes en matière de droits de l'Homme, mais ce thème est resté loin derrière les questions de coopération anti-terroriste, d'investissements privés américains et de résolution du conflit du Sahara-Occidental.

Ce sont là une partie des sujets abordés lors du sommet du 12 juillet à Washington entre le président George W. Bush et son homologue algérien, événement qui signait la première rencontre des deux chefs d'État depuis l'interruption du processus électoral en Algérie par un coup d'État militaire, en 1992. M. Bush aurait engagé M. Bouteflika à améliorer la situation des droits de l'Homme, mais la Maison-Blanche n'a fait aucun commentaire public sur ce thème.

Le rapprochement entre les deux pays avait été amorcé avant même le sommet : en février, Carlton W. Fulford, commandant adjoint des forces américaines en Europe, a reçu en Allemagne le général Mohamed Lamari, chef d'état-major de l'armée algérienne, impliquée dans de graves atteintes aux droits de l'Homme.

Après les attentats du 11 septembre à New York et Washington, l'Algérie aurait, selon des rapports de presse, communiqué aux autorités américaines une liste de trois cent cinquante Algériens vivant à l'étranger et censés entretenir des liens avec Oussama Ben Laden, ainsi qu'une liste de militants islamistes présumés vivant en Algérie. Le Département d'État et le Conseil pour la sécurité nationale (CSN) ont refusé de commenter ces rapports de presse à Human Rights Watch.

Les intérêts américains en matière de coopération antiterroriste ont sans aucun doute constitué un facteur explicatif de la décision de M. Bush de recevoir à nouveau le président Bouteflika à Washington le 5 novembre. Les États-Unis n'ont fait aucune déclaration publique sur les thèmes abordés par les deux chefs d'État. Mais le 9 novembre, un responsable du Conseil pour la sécurité nationale a confié à Human Rights Watch que l'Algérie avait demandé aux États-Unis "de se montrer plus disposés" à concéder des licences d'exportation aux sociétés d'armement privées. Il a ajouté que les États-Unis maintenaient leur approche "prudente" et n'étaient pas revenus sur leur refus de vendre du matériel de vision nocturne - matériel que l'Algérie convoite depuis longtemps pour ses unités de contre-insurrection. L'Algérie n'a reçu des États-Unis qu'une aide directe minimale. Cependant, la banque d'import-export, contrôlée par le gouvernement américain, qui accorde des prêts et des garanties visant à favoriser les investissements américains à l'étranger, a déclaré avoir renforcé sa présence en Algérie lors de l'exercice budgétaire clos au 30 septembre, avec des investissements d'une valeur de près de 2 milliards de dollars, niveau qu'elle n'avait jusqu'alors atteint au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qu'en Arabie Saoudite. Les investissements américains privés en Algérie représentaient un total de près de 4 milliards de dollars, presque intégralement placés dans le secteur de l'énergie.

En novembre 2000, Harold Koh, Secrétaire adjoint du président Clinton aux droits de l'Homme, à la Démocratie et au Travail, s'est rendu pour la première fois en Algérie. Ses commentaires publics sur l'état des droits de l'Homme dans le pays ont été très généraux et succincts. Depuis la visite de M. Koh, le gouvernement américain n'a fait aucune déclaration publique de haut niveau sur les droits de l'Homme, mis à part le chapitre très documenté consacré à l'Algérie dans le Rapport par pays sur les pratiques des droits de l'Homme publié par le Département d'État.


Human Rights Watch / Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale établie en 1978 dans le but d'observer et de promouvoir les droits humains internationalement reconnus en Afrique, dans les Amériques, en Asie, au Moyen-Orient et parmi les signataires des accords d'Helsinki. L'organisation est financée par des contributions de personnes privées et de fondations à travers le monde. Human Rights Watch n'accepte pas de contribution directe ou indirecte de la part de gouvernements. Kenneth Roth est le directeur exécutif et Jonathan Fanton est le président du conseil. Sa division Moyen-Orient a été créée en 1989 pour surveiller et promouvoir le respect des droits de l'Homme internationalement reconnus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Hanny Megally est directeur exécutif.