Rapport Mondial 2001
(les événements de l'an 2000)

Extrait sur l'Algérie

Evolution des droits de l'homme

L'initiative de la «concorde civile» du Président Abd al-Aziz Bouteflika, qui avait pour but de mettre fin à la violence politique qui a ravagé le pays au cours de ces dix dernières années, n'a été que partiellement couronnée de succès. Bien que la violence soit aujourd'hui moins intense que dans le passé, les attaques brutales et sans discernement à l'encontre de civils et les affrontements entre les forces gouvernementales et les groupes armés continuent de coûter la vie à environ 200 personnes par mois. Très peu de coupables ont été arrêtés et poursuivis en justice. La sécurité publique s'est généralement améliorée, tout particulièrement dans les grandes villes, ce qui a abouti à moins d'arrestations arbitraires, de «disparitions» et de torture, mais le manque de progrès dans la résolution de milliers de cas de «disparitions» reste un point sombre de la situation des droits de l'homme en Algérie. Le gouvernement n'a pas non plus réussi à introduire des réformes pour empêcher une possible résurgence de violations systématiques des droits de l'homme par les forces de sécurité.

La loi de la concorde civile, adoptée en juillet 1999 et qui a remporté une majorité écrasante lors d'un référendum national organisé en septembre 1999, définissait comme date butoir le 13 janvier 2000 pour que les partisans des groupes armés se rendent aux autorités. La loi accordait l'immunité aux poursuites aux personnes qui se présentaient spontanément aux autorités et qui n'étaient pas coupables d'actes «ayant entraîné mort d'homme ou infirmité permanente, viol ou qui n'a pas utilisé des explosifs en des lieux publics ou fréquentés par le public». Pour de tels actes, la loi a sensiblement réduit les peines pour des personnes reconnues responsables. En principe, les personnes qui souhaitaient bénéficier de cette loi devait déposer les armes et avouer tous leurs actes aux autorités. Selon des fonctionnaires, le sursis et la réduction de peine prévus par la loi devenaient applicables lorsque les aveux avaient été vérifiés par les bureaux de sécurité locaux et nationaux.

La question de savoir s'il fallait ou non accepter les termes de la loi de la concorde civile aurait créé des dissensions considérables au sein des groupes armés, en particulier l'Armée Islamique du Salut (AIS), qui, en pratique, observait un cessez-le-feu avec l'armée depuis octobre 1997. Certains auraient insisté sur des termes mentionnant le rôle politique du Front Islamique du Salut (FIS), interdit depuis 1992. Le 22 novembre 1999, Abdelkader Hachani, un membre important du FIS en liberté, était assassiné à Alger. En décembre 1999, les autorités ont annoncé l'arrestation du présumé coupable mais, en octobre 2000, aucune information relative à l'enquête sur le meurtre n'avait encore été publiée.

Le 10 janvier, trois jours avant la fin de la période de grâce de six mois prévue par la loi de la concorde civile, le Président Bouteflika a publié un décret qui accordait une «grâce amnistiante» aux «personnes ayant appartenu a des organisations qui ont volontairement et spontanément décidé de mettre fin aux actes de violence et se sont mises à l'entière disposition de l'état et dont les noms figurent en annexe à l'original du présent décret» - c'est-à-dire l'AIS. Le décret exemptait toutes les personnes couvertes de toute déclaration des actes qu'elles avaient commis et de l'emprisonnement ou de toute autre sanction. Le décret les exemptait également de la privation pour dix ans de leurs droits civils et politiques, tels que le droit de vote ou de se présenter aux élections, qui avaient été appliquée à des personnes « repenties » dans les termes de la concorde civile. En fait, il s'agissait d'une amnistie visant à couvrir les crimes même les plus odieux. Le lendemain, 11 janvier, la Ligue Islamique de la Daâwa et du Djihad (LIDD), qui s'était séparée du Groupe Islamique Armé (GIA) et qui, avec l'AIS, avait observé le cessez-le-feu avec l'armée, s'est également dissoute conformément aux termes de la grâce.

Des branches du GIA dirigées par Antar Zouabri et le groupe salafiste pour la prédication et le djihad, dirigé par Hassan Hattab, ont dénoncé l'ouverture du Président Bouteflika et ont continué à attaquer des civils, des postes de sécurité et des patrouilles militaires.

Le gouvernement a revendiqué le large soutien de la loi de la concorde civile par le public, en mentionnant le référendum de septembre 1999. Pourtant, la loi ne contenait aucune disposition relative à la transparence ou à l'implication dans la procédure des victimes des crimes ou la population en générale. Beaucoup d'Algériens, les plus expressifs étant des groupes représentant les familles des victimes des attaques des groupes armés, affirment que les enquêtes sur les «repentis» - les personnes amnistiées par la loi - étaient sommaires et que beaucoup étaient pardonnés avant que la véracité et la minutie de leurs aveux n'aient pu être établies. Ils soutenaient également que la grâce du 10 janvier violait l'esprit de la loi de la concorde civile en amnistiant même les crimes les plus graves et permettaient aux coupables de meurtres et de viols de retourner dans les communautés qu'ils avaient terrorisées auparavant.

Des informations précises sur la mise en vigueur de la loi et le nombre de personnes qui en ont bénéficié ont été difficiles à obtenir et sont souvent contradictoires, ce qui reflète le manque de transparence officielle. Les rapports de la presse algérienne et française suggèrent que quelques 1.500 combattants se sont rendus conformément à la loi et estiment que l'amnistie du 10 janvier a couvert au maximum entre deux et trois mille adhérents de l'AIS. Le quotidien d'Alger El Watan, qui mentionnait des sources proches des services de sécurité, déclarait que neuf cents personnes étaient toujours avec les groupes armés et opéraient en petites unités loin des principales régions peuplées. Le 20 janvier, au cours d'une conférence de presse, le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni a affirmé que « quatre-vingt pour cent des terroristes » avaient déposé les armes. Toutefois, lorsqu'on lui a demandé comment on en était arrivé à ce chiffre, il a répondu «je ne peux vous donner les chiffres pour la simple raison que l'identification et le recensement sont en cours». En mai, des fonctionnaires du Ministère de la Justice ont déclaré à Human Rights Watch que le nombre total de personnes ayant bénéficié de la concorde civile et de la grâce du 10 janvier s'élevait à 5.600 et que 330 d'entre elles purgeaient des peines réduites pour crimes de violence. Murad Zoughir, le procureur public de la wilaya (province) d'Alger, a déclaré à Human Rights Watch que le comité de probation qu'il dirigeait avait traité environ cent cas de « repentis », 30 ayant été condamnés à des peines de prison, 40 disculpés, 15 mis sous probation et 15 faisant encore l'objet d'une enquête. Le fait que le gouvernement n'ait pas fourni d'informations précises sur les personnes ayant bénéficié de la loi de la concorde civile ou de la grâce amnistiante, sur les crimes qu'ils ont avoués ou desquels ils ont été accusés et la disposition de leur cas a considérablement éveillé les soupçons que les coupables de graves abus étaient disculpés et recevaient l'immunité après un examen sommaire et sans vraiment devoir assumer leurs responsabilités.

Il n'y a pratiquement pas eu de progrès dans les efforts pour résoudre quelques 4.000 cas documentés de supposées «disparitions» survenues précédemment et étant entre les mains des responsables de la sécurité. Cette année, des avocats algériens spécialisés en droits de l'homme et des organisations de proches ont continué à recevoir et à documenter d'autres cas. Dans une interview accordée au Middle East Insight, un bimensuel édité à Washington, le Président Bouteflika a déclaré « En ce qui concerne les personnes disparues, la justice algérienne n'épargne aucun effort, dans le respect de la loi, pour résoudre les cas totalement appuyés par des preuves «vérifiées». Toutefois, en réponse aux demandes répétées de Human Rights Watch en mai, ainsi qu'aux demandes d'autres organisations internationales et de familles des « disparus », les représentants du gouvernement ont refusé de fournir des noms ou des informations sur les cas qu'ils disaient avoir résolus.

Les informations limitées transmises par différents ministres et sources officielles étaient incohérentes et le gouvernement ne fait aucun effort apparent pour réconcilier les différences évidentes entre les cas. Au cours de la conférence de presse du 20 janvier, le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni a déclaré que de 2.600 à 2.700 des 4.600 plaintes pour «disparitions» connues par son ministère avaient été «élucidés». «Il s'agit de personnes ayant rejoint les maquis, soit d'autres qui ont été abattues par leurs compères, soit d'individus incarcérés, soit encore de personnes présentes dans les cantonnements de l'AIS». Le 21 mai, le ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, a déclaré au quotidien gouvernemental El Moudjahid que son ministère avait ouvert les dossiers de 3.019 personnes disparues et qu'un grand nombre de ces personnes étaient en fait dans les rangs des groupes «terroristes», alors que deux cents étaient saines et sauves, en prison ou faisaient partie des bénéficiaires de la loi de la concorde civile.

Les représentants du Ministère de la Justice ont déclaré à Human Rights Watch que parmi ces 3.019 cas, 833 personnes étaient recherchées par les forces de sécurité, quatre-vingt treize avaient été tuées dans des affrontements avec les forces de sécurité, quatre-vingt-deux étaient détenues, neuf avaient été tuées dans des affrontements avec les groupes armés, quarante-neuf avaient été libérées et «beaucoup ont rejoint les terroristes» et soixante-quatorze avaient regagné leur domicile. Human Rights Watch a demandé les noms des personnes faisant partie d'une des catégories mentionnées pour déterminer jusqu'à quel point ces informations correspondaient à celles rassemblées par les avocats et les groupes de défense des droits de l'homme. Les représentants ont refusé de les donner car «l'enquête était toujours en cours».

En mai, Kamel Rezzag-Bara, président de l'Observatoire National des Droits de l'Homme (ONDH), organisme qui dépend de l' État, a affirmé à Human Rights Watch que l'ONDH avait ouvert 4.146 dossiers de disparitions, 70 pour cent desquels remontaient à 1993-1995 et aucun n'était plus récent que 1998. Il a refusé de fournir la liste des noms des personnes disparues en insistant sur le fait que «ce ne serait pas utile» mais a résumé oralement plusieurs cas de personnes supposées avoir disparu qui auraient été tuées lors d'affrontements avec les forces de sécurité ou avaient regagné leur domicile.

En mai, un représentant du Ministère de l'Intérieur a déclaré à Human Rights Watch que le problème des trois mille personnes qui seraient portées disparues pour une population qui s'élève actuellement à trente millions d'habitants n'avait rien à voir avec la guerre d'indépendance au cours de laquelle quelques cinquante mille personnes, pour une population de neuf millions d'habitants, avaient disparus, ce qui reflète le manque de sérieux avec lequel les responsables du ministère ont traité le problème des disparitions.

Des femmes, tout comme des hommes et des enfants, sont encore tuées par les groupes armés. La presse algérienne, qui reflète les estimations officielles, déclare que 2.600 femmes ont été victime d'agressions sexuelles ou ont été violées pendant le conflit, principalement entre 1995 et 1998 mais les estimations de certaines militantes des droits de la femme parlent de 5.000 cas. Lors d'une réunion avec Human Rights Watch en mai, les représentants du gouvernement ont souligné que le taux élevé de femmes engagées dans des professions médicales ou légales était un indicateur de l'égalité sexuelle mais ils ont été incapables de prouver un quelconque progrès dans le cadre du Code de la Famille discriminatoire de 1984 qui institutionnalise le statut inégal de la femme dans des questions de statut personnel, de mariage, de divorce, de propriété et d'héritage. Lors d'une conférence organisée en mars 2000 par plusieurs groupes de défense des droits de la femme, le Président Bouteflika a affirmé que les changements des droits de la femme devaient prendre en considération les croyances et traditions sociales.

Plusieurs individus ont été arrêtés par les forces de sécurité et n'ont pu avoir aucun contact avec l'extérieur, au moins un d'entre eux n'avait pas encore été localisé à la fin octobre 2000. El Hadj M'lik, âgé de soixante-treize ans, a été arrêté à son domicile au centre d'Alger le soir du 13 avril, quelques heures après avoir reçu la visite de responsables de la sécurité qui recherchaient son fils. Sa famille a déclaré qu'à la mi-septembre elle n'avait encore eu aucun contact avec lui et que les autorités ne leur avait pas dit où il était.

Ali Mebroukine, professeur de droit à l'Ecole Nationale d'Administration d'Alger et ancien Conseiller du Président Liamine Zeroual, a été arrêté à Alger le 27 mai alors qu'il revenait de Paris. Selon Algeria-Interface, un site web d'information basé à Paris, sa femme l'a vu une fois à la mi-juin lorsque la police est venue avec lui pour effectuer une perquisition à son domicile où elle a saisi des documents. Plus tard, son épouse, Insaf, a été emmenée dans un endroit tenu secret, a été interrogée et ensuite libérée après avoir reçu l'instruction de «ne pas faire de remous» au sujet de son mari. Le 28 juin, le juge d'instruction militaire qui était en charge de l'affaire a confirmé à l'avocat d'Ali Mebroukine qu'il était détenu à la prison militaire de Blida, mais n'a pas divulgué les charges ou d'autres informations au sujet de cette détention.

En mai, des fonctionnaires du Ministère de la Justice ont assuré à Human Rights Watch que le gouvernement prenait au sérieux les allégations d'abus des droits de l'homme commis par des représentants du gouvernement et ont affirmé que, depuis 1992, 348 personnes associées aux forces de sécurité, y compris les membres de milices d'«autodéfense» (groupes de légitime défense, GLD) organisées et armées par le Ministère de l'Intérieur, avaient été poursuivies pour abus des droits de l'homme. Ils ont déclaré que 179 de 348 cas concernaient des abus physiques et quinze une détention arbitraire ou la torture. Les représentants ont toutefois refusé de révéler des noms ou d'autres détails tout en notant qu'on comptait parmi ces personnes plusieurs officiers de police punis pour leur participation à un incident qui avait fait la une des journaux en décembre 1999 dans la ville de Dellys où, après l'explosion d'une bombe, les autorités ont rassemblé sans aucune discrimination une centaine de personnes et ont battu bon nombre d'entre elles. Des fonctionnaires ont informé Human Rights Watch qu'aucune poursuite n'avait encore eu lieu mais que deux maires et des leaders de GLD de la région de Relizane avaient été brièvement détenus en avril 1998 parce qu'ils auraient organisé une série d'enlèvements et d'exécutions, même si cette affaire est encore «en cours d'enquête».

Il semblerait que les autorités fassent peu d'efforts pour lancer un processus efficace garantissant qu'une expertise médico-légale soit entreprise pour aider à identifier les victimes d'homicide et les suspects et donc pour déterminer si parmi les corps enterrés dans des tombes anonymes se trouvaient des personnes «portées disparus» alors qu'elles étaient tenues en garde à vue par les forces de sécurité au cours des années précédentes. En avril, à l'occasion d'une visite au Canada, le Président Bouteflika aurait écarté la question d'enquêtes crédibles et indépendantes sur les responsables des «disparitions» et des massacres en Algérie en les qualifiant de «coquetterie intellectuelle».

Le gouvernement a maintenu l'état d'urgence proclamé en 1992 et a empêché à plusieurs reprises les rassemblements publics de groupes de défense des droits de l'homme ainsi que la critique de ses politiques. Le 22 mars, par exemple, la police d'Oran a dispersé par la force une manifestation de parents de «disparus» et a ensuite accusé plusieurs femmes d'avoir participé à une réunion non autorisée dans un lieu public. Le 25 juin, la police s'est heurtée à des manifestants lors d'un rassemblement non autorisé à Alger organisé pour commémorer le deuxième anniversaire du meurtre de Lounes Matoub, chanteur kabyle et militant des droits de l'homme.

Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ont déclaré à Human Rights Watch que les politiques gouvernementales limitaient leur droit à la liberté d'association. L'Association Nationale des Familles de Disparus (ANFD) a organisé des manifestations toutes les semaines devant les bureaux de l'ONDH pour demander que le gouvernement fournisse des informations sur leurs proches portés disparus mais n'a pas réussi à obtenir une autorisation officielle de fonctionner. L'Association des Familles de Disparus de Constantine a connu le même problème et a indiqué que les autorités étaient intervenues à plusieurs occasions lors de manifestations qu'elle organisait habituellement devant les bureaux du gouvernement. Ali Mrabet, l'un des fondateurs de Sumoud (Ténacité), qui recommande que l'on enquête sur les meurtres et les enlèvements, a affirmé que le Ministère de l'Intérieur ignorait depuis trois ans la demande d'enregistrement sans laquelle le groupe ne peut obtenir l'autorisation de se réunir ou d'ouvrir un compte bancaire. De la même façon, le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), une organisation nationale de jeunes, a présenté les documents réunis au cours de ces dernières années qui témoignaient des nombreux refus des autorités locales d'accepter leurs demandes pour organiser des réunions, des conférences, des expositions ou pour projeter des films à Alger et à Tizi Ouzou. Le Secrétaire Général du RAJ, Hakim Addad, a informé Human Rights Watch que les autorités ont continué a interdire des rassemblements du RAJ ou d'autres organisations, même si elles ne le faisaient plus par écrit.

L'engagement du gouvernement envers la liberté d'association a été remis en question en raison de sa réaction aux efforts entrepris en décembre 1999 pour enregistrer un nouveau parti politique, le Mouvement fidélité et justice (WAFA), sous la direction de l'ancien ministre des Affaires étrangères, candidat à la présidence de 1999, Ahmed Taleb Ibrahimi. Certains considéraient le WAFA comme une branche du FIS, qui avait été interdit. La législation relative aux partis politiques laissait au gouvernement soixante jours pour rejeter la demande du WAFA, ce qu'il n'a pas fait. Toutefois, le ministre de l'Intérieur a refusé de publier une notification de l'enregistrement du parti au Journal Officiel, procédure qui requiert sa signature, sans laquelle le parti ne pouvait obtenir les autorisations pour se réunir et organiser des conférences. Le 10 mai, le ministre a déclaré qu'il ne serait pas celui qui signerait la décision de rétablir le parti interdit. En juillet, la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LADDH) et la Ligue Algérienne des Droits de l'Homme (LADH) ont toutes interpellé le gouvernement pour qu'il enregistre le WAFA conformément à la loi. Or le chef de l'ONDH, Rezzag-Bara, a affirmé à Human Rights Watch que le WAFA n'avait pas besoin d'une réponse officielle pour fonctionner.

Le leader du FIS, Abbasi Madani, a été assigné à résidence et le numéro deux du parti, Ali Belhadj, a été maintenu en prison et pouvait recevoir des visites de membres de sa famille. Dans une interview publiée le 13 septembre par le journal pan-arabe, Al-Hayat, le Président Bouteflika a répondu à une question relative à son statut: «Le FIS avait été démantelé par ordonnance du tribunal avant que je n'arrive au pouvoir. La nouvelle constitution ne prévoit pas en aucun cas l'existence du FIS. Donc, ne m'en parlez pas car, pour moi, le FIS n'existe pas». Il a indiqué qu'Ali Belhadj «n'avait jamais été détenu dans d'aussi bonnes conditions» et que «si Ali Belhadj désavoue tous ceux qui recourent à la violence, alors je l'aiderai.»

La presse écrite privée algérienne a couvert de nombreuses questions politiques délicates de façon critique, même si certains points comme le rôle politique de la direction militaire restent tabous. Les articles de presse sur les opérations de sécurité continuent à ne compter presque exclusivement que sur les sources officielles et décrivent des raids et des conflits qui ont entraîné la mort de « terroristes » anonymes mais rarement leur arrestation. Aucun journaliste n'a été persécuté pour avoir publié des informations sur «la sécurité» mais Reporters Sans Frontières (RSF) a révélé que plusieurs éditeurs faisaient l'objet de procès en diffamation, y compris ceux entamés par des officiers de l'armée ou des directeurs de sociétés d'état. La suspension de l'hebdomadaire indépendant La Nation a été maintenue, prétendument pour défaut de paiement de factures dues à la Société d'Impression d'Alger (SIA), l'une des imprimeries de l'état qui, de fait, monopolise la presse écrite. Selon RSF, qui a effectué une visite en Algérie en juin, les directeurs de plusieurs journaux suspendus en 1992 ont été incapables d'obtenir l'autorisation officielle nécessaire requise par les imprimeries d'état pour reprendre la publication. Les moyens de radiodiffusion restent le monopole du gouvernement. Les journalistes qui travaillent pour le quotidien Libération à Paris et Radio France Internationale n'ont pu obtenir des visas pour se rendre en Algérie que juste avant la visite d'état du Président Bouteflika à Paris en juin. (Voir ci-dessous.)

Défense des Droits de l'Homme

En mars, le gouvernement a invité quatre organisations internationales des droits de l'homme à visiter le pays après avoir interdit ces visites pendant plusieurs années. Human Rights Watch, Amnesty International, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) et RSF ont visité le pays à l'occasion de missions, chacune d'une durée de dix jours, en mai et en juin. Amnesty International et RSF ont indiqué par la suite avoir eu la possibilité de se déplacer dans le pays sans restriction. Le FIDH a toutefois «déplore vivement  la surveillance permanente et étroite» dont il dit avoir fait l'objet ainsi que «la désinformation et les attaques infondées qu'elle a eu à subir constamment de la part de certains organes de la presse privée dite indépendante». La délégation de Human Rights Watch a pu voyager librement et a rencontré des fonctionnaires, des juristes, des organisations non-gouvernementales, des victimes et des familles de victimes d'abus commis par le gouvernement et des groupes armés.

Le gouvernement a ignoré les demandes de visite du pays présentées par les rapporteurs spéciaux des Nations-unies sur la torture et les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Des représentants du ministère des Affaires étrangères et le chef de l'ONDH, Rezzag-Bara, ont indiqué à Human Rights Watch que l'Algérie considérait les rapporteurs comme des «mécanismes accessoires». Ils soutenaient que des rapports officiels aux Comités des Droits de l'Homme des Nations Unies et à d'autres organes du traité, ainsi que la coopération avec des organisations internationales de défense des droits de l'homme, libéraient suffisamment le pays de ses obligations par rapport aux mécanismes de défense des droits de l'homme des Nations-unies.

Plusieurs avocats et d'autres défenseurs des droits de l'homme ont continué à rassembler des documents sur les abus et les organisations de défense des droits des femmes et des victimes ont été très actives. Le gouvernement a toutefois imposé des limites aux activités de certains groupes (voir ci-dessus) et des militants se sont plaints auprès de Human Rights Watch de ce que les autorités ne donnaient pas souvent de réponse lorsqu'ils demandaient des enquêtes ou des informations sur certains cas.

Le 27 mai, les forces de sécurité ont arrêté Mohamed Smaïn, responsable du bureau du LADDH de Relizane, après qu'il ait tenté de recueillir des preuves sur une tombe liée à l'affaire des deux anciens maires impliqués dans des meurtres de masse commis dans la région (voir ci-dessus). Il a été libéré le lendemain mais les autorités ont confisqué la bande vidéo filmée sur les lieux en question. Rachid Mesli, un avocat spécialisé en droits de l'homme a été libéré de prison en juin 1999 après y avoir passé à quelques jours près la totalité des trois ans auxquels il avait été condamné pour une histoire montée de toutes pièces. En juin, il avait été interpellé à l'aéroport et interrogé lors de son retour de Genève où il avait participé à une réunion sur l'avenir de l'Algérie. Rachid Mesli a quitté l'Algérie avec sa famille en août et a demandé l'asile politique en Suisse. Il a déclaré à Human Rights Watch qu'après son retour de Genève, la surveillance de ses activités s'est intensifiée et que quelqu'un qu'il connaissait en prison avait été torturé afin de lui soutirer, entre autres, des informations préjudiciables sur Rachid Mesli, conduisant ce dernier à craindre l'arrestation et le retour en détention.

Le Comité International de la Croix-Rouge, après une absence de sept ans, a effectué des visites dans les prisons en octobre et novembre 1999 et en mars et mai 2000, ce qui lui a permis de voir 17 lieux de détention administrés par le Ministère de la Justice et de rencontrer 763 prisonniers choisis par ses soins. Toutefois, le comité n'a pas pu parler à des personnes qui pourraient avoir été détenues dans des casernes militaires ou des installations de la police.

Le rôle de la Communauté Internationale

L'Union européenne

Les états de l'Union européenne ont publiquement soutenu ce que les dirigeants politiques qualifient de politiques de réconciliation du Président Bouteflika mais ont peu parlé des violations des droits de l'homme ou du problème de l'impunité. Une «troïka» ministérielle de l'UE comprenant le ministre des Affaires étrangères Chris Patten, le Haut Représentant de la Politique étrangère et de Sécurité commune, Javier Solana, et le ministre finlandais des Affaires étrangères, Tarja Halonen, ont visité Alger en novembre 1999. Un cinquième tour de négociations de l'Accord d'Association UE-Algérie a eu lieu en juillet mais aucun signe porte à croire qu'un accord final soit proche.

Pour sa première visite présidentielle, le Président Bouteflika s'est rendu en Italie en novembre 1999. Selon Radio Alger, il a répondu à une question posée lors d'une conférence de presse sur les enquêtes portant sur la responsabilité des meurtres que «la politique est une chose, l'histoire en est une autre. Je suis aujourd'hui en train d'éteindre un incendie et je m'attaque à des questions politiques tout en donnant la priorité au présent». Il s'est rendu en France en juin 2000. Il s'agissait de la première visite officielle effectuée par un chef d'état algérien depuis 17 ans et seulement de la seconde depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962. La France a donné un accord de principe pour un échange de créances contre capital qui transformerait une petite partie de la dette de l'Algérie s'élevant à 3.4 milliards de dollars US -- 400 millions de francs français ($58 millions US)--en investissements privés de sociétés françaises. L'an dernier, des navires de guerre français et italiens ont effectué des visites officielles en Algérie.

Au cours de la visite à Alger du Premier Ministre espagnol, José Maria Aznar, le quotidien espagnol El País a indiqué que Madrid était disposé à voir d'un oeil favorable la demande algérienne d'aide pour la formation de ses forces de sécurité. Le journal a par ailleurs communiqué que l'Algérie avait aussi demandé qu'une action soit entreprise contre les «intégristes» islamistes résidant en Espagne.

Le Qatar a confirmé les rapports de presse britanniques de juillet révélant que l'équivalent de 4.6£ millions ($6.65 millions US) en «équipement militaire britannique» qu'il avait acheté était destiné à l'Algérie. Le bon de commande du Qatar adressé à BAe (anciennement British Aerospace) spécifiait que, conformément aux ordres de son dirigeant, Shaikh Hamad bin Khalifah Al Thani, le Qatar transmettrait librement l'équipement au titre de «cadeaux» aux services armés de l'état algérien. Cet équipement comprenait des véhicules de déploiement rapide Landrover Defender et des appareils de vision nocturne.

Selon une étude du Service de Recherche du Congrès des Etats-Unis sur les transferts d'armes publiée en août, l'Algérie a reçu l'équivalent de 600 millions $US en armes de pays européens autres que le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Italie au cours de la période 1996-1999. A la même époque, la Russie a envoyé pour 400 millions $US et la Chine pour 100 millions $US en armes à l'Algérie.

Etats-Unis

Les Etats-Unis ont soutenu tranquillement mais publiquement les initiatives politiques du Président Bouteflika et ses efforts de privatisation d'une économie dominée par l'Etat. En janvier dernier, dans ses commentaires sur la loi de la concorde civile, l'Ambassadeur Cameron Hume a révélé au Chicago Tribune que «les Algériens sont ceux qui doivent pardonner et oublier. Tout pays doit trouver sa propre voie. Nous avons permis aux peuples de l'Irlande du Nord, de la Turquie et de l'Afrique du Sud de le faire». Et il a ajouté : «si cela (la loi et le pardon) fonctionne pour eux, je le respecterai». Toutefois, il n'a pas clairement indiqué que des délits graves, comme les crimes contre l'humanité, ne devraient pas être couverts par une amnistie. Cameron Hume a été cité dans le quotidien algérien El Watan le 21 juin de la façon suivante : «les Etats-Unis sont dans la meilleure position pour encourager des changements positifs en Algérie avec et non pas en concurrence contre ses alliés européens».

Les signes d'un intérêt économique croissant porté par les Etats-Unis à l'Algérie se reflètent dans les visites effectuées à Alger par des banques internationales établies aux USA et des sociétés d'investissements telles que la Chase Manhattan en juin 2000, mois au cours duquel le Sous-secrétaire d'Etat à la Trésorerie Stuart Eizenstat s'y est également rendu. Les investissements américains privés en Algérie ont été estimés comme se situant entre $3.5 et 4 milliards US, presque entièrement en prospection et production de gaz et de pétrole. Bon nombre de ces investissements ont bénéficié de l'appui de la Banque Import-Export américaine dont le président, James Harmon, a visité Alger en décembre 1999 et dont la couverture en Algérie, de l'ordre de 1.6 milliards de dollars, était de loin la plus grande dans un pays du Moyen-Orient ou du nord de l'Afrique.

Après la visite de James Harmon, la banque a annoncé qu'elle avait annulé l'ancien plafond de 2 milliards de dollars US pour les financements d'importation et d'exportation en Algérie. Selon les rapports de la presse algérienne, Stuart Eizenstat a indiqué aux représentants algériens et aux dirigeants des entreprises que les investissements américains privés en dehors des industries hydrocarbures dépendraient de la création d'une zone nord-africaine de libre échange avec la Tunisie et le Maroc.

Les Etats-Unis ont également établi des relations militaires plus étroites avec l'Algérie. Des officiers militaires de haut niveau ont effectué plusieurs visites après celle du Vice-Amiral Daniel Murphy, commandant de la Sixième Flotte de la Marine américaine, en septembre 1999. Le 24 avril, l'Amiral Charles Abbot, commandant en second des forces armées en Europe, a rencontré le Président Bouteflika et le chef de l'armée, le Major-Général Mohamed Lamari, et ils auraient parlé à cette occasion de l'établissement d'un programme militaire conjoint permanent.

Le Major-Général Randall Schmidt, directeur des opérations aérospatiales de la U.S. Air Force en Europe, a rencontré des représentants de la défense et de l'armée algérienne en juillet dernier à Alger.

Dans ses commentaires de la remarque du Président Bouteflika sur les droits de l'homme lors d'une réunion de cabinet en mars, le sous-Secrétaire d'Etat adjoint Ronald Neumann a écrit à l'Ambassadeur algérien Idriss Jazairy le 24 mars pour lui affirmer qu'il soutenait la «détermination» du Président «à renforcer les mecanismes qui garantissent les droits des individus en détention et en détention préventive» et ses propositions de renforcement du «contrôle par le biais de la brigade d'enquête criminelle et judiciaire des services de police». La lettre a été publié dans l'édition du 7 mai du quotidien gouvernemental El Moudjahid.

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