Africa - West

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APPLICATION DE LA LOI EN CE QUI CONCERNE LA DEVOLUCIÓN ET L'EXPULSIÓN

Les domaines de la loi et du règlement sur l'immigration qui semblent être à l'origine d'une très grande confusion chez les juristes spécialisés dans l'immigration, les organisations humanitaires, les fonctionnaires gouvernementaux et les migrants, sont les notions juridiques d'expulsión et de devolución et les procédures d'application exigées par la loi espagnole. Il n'est donc guère surprenant que nous ayons identifié des inégalités flagrantes dans le traitement de migrants se trouvant dans une situation similaire, selon leur lieu d'arrivée. Nos travaux de recherche indiquent que la prise de décisions mal documentées, non surveillées et arbitraires de la part de certains fonctionnaires est à l'origine de graves violations des droits des migrants.

Devolución
La législation espagnole définit la devolución comme une forme de rapatriement accéléré applicable à deux catégories de migrants; ceux s'étant introduit clandestinement en Espagne (comme les migrants arrivant par patera)28 et les migrants déjà expulsés d'Espagne suite à une procédure classique d'expulsion (c'est-à-dire avec un ordre d'expulsion ).29 La devolución de migrants interceptés alors qu'ils entraient clandestinement en Espagne doit se faire dans les soixante-douze heures, par rapatriement de ces migrants vers leur pays de départ ou le pays de transit30. Ainsi, des migrants tentant d'entrer clandestinement en Espagne via les villes d'Afrique du Nord de Ceuta et de Melilla, le long de la côte andalouse ou à partir des îles Canaries peuvent être, en vertu de la législation espagnole, rapatriés vers le Maroc par devolución. Comme le gouvernement marocain n'autorise généralement pas le rapatriement sur son territoire de ressortissants non marocains, comme des migrants algériens ou d'Afrique subsaharienne, la pratique de la devolución est devenue une procédure d'immigration presque exclusivement réservée au rapatriement vers le Maroc de migrants marocains. Contrairement aux expulsions réalisées dans le cadre de procédures d'expulsion ordinaires, suite auxquelles le migrant est enregistré dans le système d'informations Schengen et ne peut donc espérer une régularisation future31 en Espagne et dans d'autres pays de l'espace Schengen32, les renvois par devolución ne sont pas enregistrés dans cette banque de données. Cette mesure n'a donc pas un effet durable sur la possibilité pour les migrants de régulariser leur situation en Espagne.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont identifié de grandes différences dans la façon dont les autorités appliquent le concept de devolución. Dans un certain nombre de cas, l'application de ce concept ne respectait pas la législation espagnole. Par exemple, ainsi que nous l'avons mentionné ci-dessus, la devolución vise le rapatriement immédiat de migrants entrés clandestinement en Espagne ou ayant déjà reçu un ordre d'expulsion. La législation espagnole n'autorise pas une détention supérieure à soixante-douze heures lorsque les migrants étant entrés clandestinement en Espagne sont soumis à la procédure de devolución.33 Les tribunaux ne peuvent ordonner le transfert de migrants dans des centres d'internement à long terme que lorsqu'une procédure d'expulsion, qui diffère de la procédure de renvoi par devolución sanctionnant une immigration clandestine, a été entamée. Pourtant, un certain nombre de migrants interrogés par Human Rights Watch dans les îles Canaries nous ont montré des ordonnances judiciaires prévoyant leur détention dans des centres d'internement, comme par exemples dans des centres de détention de fortune dans les installations aéroportuaires de Fuerteventura et de Lanzarote, en attendant leur rapatriement par devolución34. Les enquêteurs de Human Rights Watch se sont également aperçus que certains migrants détenus pour une période excédant soixante-douze heurs (période pouvant même aller jusqu'à quarante jours) suite à leur entrée clandestine en Espagne, continuaient d'être renvoyés dans le cadre d'une procédure de devolución35.

A Melilla, l'enquête de Human Rights Watch a identifié d'autres motifs d'inquiétude: il semble en effet que dans cette ville, le rapatriement par devolución s'applique, contrairement aux dispositions légales, à certains migrants présents sur le territoire depuis plus de soixante-douze heures et n'ayant pas reçu précédemment un ordre d'expulsion. Un groupe de migrants a expliqué à Human Rights Watch qu'ils craignaient de se rendre en ville car il arrive que la police arrête des migrants et les renvoie vers le Maroc par devolución, la police espagnole expliquant aux autorités marocaines qu'elle vient d'intercepter ces migrants, lors de leur entrée clandestine en Espagne36. Lorsque nous avons visité Melilla en novembre 2001, nous avons rencontré des groupes de migrants dormant dans des abris de fortune sales, aménagés en dehors du centre de résidence temporaire ouvert par le gouvernement (Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes (CETI) (Centre de résidence temporaire pour immigrés). Ces personnes ne recevaient ni à boire, ni à manger et n'avaient pas accès à des installations sanitaires, ni même à des soins médicaux. Les migrants avec lesquels nous avons discuté-certains avaient des membres de leur famille retenus dans le centre de CETI et se trouvaient à Melilla depuis plus d'un mois-nous ont expliqué qu'ils craignaient de se faire inscrire à Melilla, condition leur donnant accès au centre de résidence car la police risquait de les renvoyer (par devolución) sans leur offrir la possibilité d'être entendus37.

A tout le moins, le manque de clarté et de prédictibilité quant au statut de ces migrants est lourd de conséquences humanitaires. En outre, les récits des migrants laissent supposer que dans certains cas, les autorités appliquent illégalement la procédure de devolución à des migrants séjournant sur le territoire espagnol depuis plus de soixante-douze heures et n'ayant jamais reçu d'ordre expulsion. Ainsi, le Chef de cabinet du bureau du délégué du gouvernement de Melilla a expliqué à Human Rights Watch que la "devolución n'était d'application que dans le cas de migrants ayant déjà été expulsés précédemment (d'Espagne ou d'un autre État membre)"38. Comme la grande majorité des migrants qui arrivent à Melilla, ainsi qu'à Ceuta ou le long de la côte andalouse, ne sont pas en possession de documents d'identité permettant de "tracer" des ordres d'expulsion passés dans le bref laps de temps qui précède généralement leur expulsion, il n'est tout simplement pas possible que des ordres d'expulsion passés puissent être aussi souvent à la base, comme c'est le cas à Melilla, d'une procédure de devolución. Il semble au contraire que les autorités de Melilla aient interprété le concept de devolución de façon à pouvoir rapatrier de grands nombres de migrants, et notamment des Algériens, quelle que soit la durée de leur séjour en Espagne et l'existence - ou non - d'un ordre d'expulsion précédent.

Lorsque Human Rights Watch a rencontré des fonctionnaires au siège de la Police nationale espagnole, Manuel Prieto, Responsable du Département des étrangers et de la délivrance des documents, a confirmé que la devolución devait se faire dans les soixante-douze heures. Il a toutefois fait remarquer que, dans le cas des Algériens, le rapatriement peut se faire plus tard, avec un ordre de devolución "même s'ils ne se trouvent pas dans la rue"39. Nos enquêteurs ont expliqué que certains Algériens se trouvaient sur le territoire espagnol depuis plus d'un mois et ont demandé si ceux-ci pouvaient être renvoyés par devolución, malgré le fait que les autorités avaient connaissance de la durée de leur séjour et de l'absence d'un ordre de devolución ou d'expulsion antérieur. Manuel Prieto leur a répondu que "[l]a loi prévoit deux possibilités: 1) s'ils ne se sont jamais inscrits et que la police ne le sait pas . . . et qu'ils n'ont pas de racines en Espagne et 2) s'ils se trouvent à Ceuta et Melilla, ils n'ont alors pas le droit de se rendre sur la péninsule"40.

Sur la côte andalouse, les enquêteurs de Human Rights Watch ont observé encore une autre approche en matière de devolución. Dans cette région, les migrants appréhendés lors de leur entrée clandestine en Espagne-la devolución serait donc applicable dans ce cas-font l'objet d'une procédure d'expulsion et d'une détention, ordonnée par le tribunal, dans des centres d'internement à long terme. Il n'est donc pas question de devolución. En octobre 2001, Human Rights Watch a interrogé cinq femmes venant des Philippines et douze hommes venant de pays d'Afrique subsaharienne, comme la Sierra Leone et le Nigeria. Tous ces migrants avaient été détenus et transférés au Centre de détention de Capuchinos à Málaga, par décision du tribunal, immédiatement après leur arrivée sur le littoral andalou par patera41. Selon le Bureau du Médiateur, le lancement d'une procédure d'expulsion à l'encontre de ces migrants relève d'une application erronée de la loi espagnole, qui stipule que dans ces cas, le rapatriement doit se faire par devolución42. Certains migrants, détenus illégalement après avoir tenté de rejoindre clandestinement le territoire espagnol par la côte andalouse, ont été libérés par décision du tribunal pour ces motifs43.

En résumé, aux îles Canaries, les migrants ayant reçu un ordre de rapatriement par devolución sont détenus comme s'ils étaient soumis à une procédure d'expulsion, et sont ensuite rapatriés par devolución au terme de la période autorisée de soixante-douze heures. De même, certains migrants arrêtés à Melilla, généralement des Algériens, font l'objet d'un renvoi par devolución, quelle que soit la durée de leur séjour en Espagne et l'existence - ou non - d'un ordre d'expulsion antérieur. Autre variante: des migrants arrivant via la côte andalouse, qui devraient être rapatriés par devolución, se retrouvent détenus dans des centres d'internement et font l'objet d'une procédure d'expulsion. En réalité, il y a peu de véritables différences entre ces groupes de migrants, mis à part leur point d'arrivée en Espagne. Il semble au contraire que s'agissant de certaines catégories de migrants, les autorités locales et régionales improvisent la mise en _uvre des dispositions relatives à la devolución prévues par la loi 8/2000 pour s'attaquer aux dimensions particulières de l'immigration clandestine dans leur ville. Il s'ensuit des décisions erronées et arbitraires qui violent les droits des migrants prévus par le droit espagnol, régional et international.

Expulsión
Les enquêteurs de Human Rights Watch ont également identifié des disparités régionales arbitraires dans l'approche des autorités en matière d'ordres d'expulsion. Cela se fait souvent au détriment des migrants, qui se voient refuser de manière permanente un statut dans le pays, même si un examen de leur situation particulière, s'il avait eu lieu, aurait fourni une base juridique à leur présence en Espagne. En vertu de la loi espagnole, un ordre d'expulsion peut être délivré pour expulser une personne d'Espagne, pour des motifs tels qu'une présence clandestine dans le pays ou une condamnation pour des délits graves. Un ordre d'expulsion peut ainsi être délivré en lieu et place d'une sanction ou d'une amende à des migrants violant certaines lois espagnoles, par exemple en cas de séjour ou de travail illégal en Espagne. Les autorités peuvent également délivrer des ordres d'expulsion à des ressortissants étrangers reconnus coupables de délits sanctionnés par une peine supérieure à un an d'emprisonnement44. Des migrants peuvent être soumis à une détention en attendant la délivrance de l'ordre d'expulsion, lorsque la procédure est en cours, mais ont le droit de faire opposition à cet ordre d'expulsion. Ils ont également le droit à une assistance judiciaire et à des services de traduction et d'interprétation dans le cadre de la procédure d'expulsion. Selon le type d'ordre d'expulsion, les migrants pourront être expulsés du territoire espagnol soit immédiatement, soit dans un délai ne pouvant excéder soixante-douze heures45.

En pratique cependant, l'approche des autorités en matière expulsión varie énormément, au point d'avoir un impact important sur les droits dont jouiront ensuite les migrants. A Ceuta et le long de la côte andalouse plus particulièrement, Human Rights Watch a constaté que les autorités délivraient régulièrement des ordres d'expulsion à des migrants n'ayant selon eux aucun droit de séjourner en Espagne, sans se demander s'ils peuvent en fait être rapatriés dans leur pays d'origine, ou le pays qu'ils ont quitté pour rejoindre l'Espagne. Bon nombre de ces migrants qui ont reçu des ordres d'expulsion ne peuvent pas être rapatriés, soit parce qu'ils ne sont pas en possession de documents de leur pays d'origine soit parce que leur pays d'origine ne les accueillera pas. Dans de tels cas, l'ordre d'expulsion n'est semble t-il délivré que pour donner suite à l'affaire et non pour initier une procédure de rapatriement. Un représentant d'une organisation d'aide aux migrants d'Algeciras nous a décrit un cas typique: "Ces migrants sont détenus au commissariat pendant la période minimale. Ce n'est pas facile. La police n'a rien à leur donner à boire ou à manger. Ils sont gênants. Ils sont donc relâchés dans la rue. Les migrants quittent le commissariat avec cela [l'ordre d'expulsion] et cela s'arrête là"46.

Il apparaît que la Police nationale espagnole de Ceuta lance une procédure d'expulsion à l'encontre de migrants sans papiers venus se faire inscrire au commissariat, démarche nécessaire pour introduire une demande d'asile ou de régularisation ou encore pour se faire héberger dans un centre d'accueil géré par le gouvernement. Ni les fonctionnaires, ni les avocats n'expliquent aux migrants la loi sur les étrangers, ni le fait qu'en s'inscrivant, ils demandent, sans s'en rendre compte, d'être expulsé d'Espagne. Cette pratique semble particulièrement courante lorsque les autorités de Ceuta procède à l'inscription de migrants algériens. Ramon Capdevila, Directeur-adjoint de la délivrance des documents à Police nationale de Ceuta, explique:

      "Ils ne demandent rien. Lorsqu'ils arrivent, ils nous disent simplement: "nous sommes Algériens". Nous savons que leur gouvernement ne les réadmettra pas et que même lorsqu'ils reçoivent un ordre d'expulsion, il ne se passera rien, à moins que l'U.E. ne fasse pression sur l'Algérie. Ils reçoivent donc leur ordre d'expulsion. Nous nous occupons de toutes les démarches administratives pour les expulser. A l'avenir, le gouvernement algérien acceptera peut-être de les réadmettre. Alors, nous les détiendrons avant de les expulser"47.

A Ceuta, l'ordre d'expulsion permet paradoxalement aux migrants de rejoindre la péninsule. Lorsque Human Rights Watch a demandé au délégué gouvernemental de Ceuta les raisons de cette pratique qui consiste à donner automatiquement un ordre d'expulsion aux migrants et les conséquences de cette pratique pour les migrants algériens de la ville, celui-ci a confirmé que c'était là "la stratégie utilisée, car cela leur permet de rejoindre la péninsule [où] ils peuvent faire appel contre la procédure ou tenter de s'installer en Espagne ou poursuivre leur route vers la France ou les pays du Benelux"48. En fait, les migrants et les organisations humanitaires estiment que les autorités espagnoles financent elles-mêmes le transport par ferry des migrants vers la péninsule49.

Même si la délivrance d'ordres d'expulsion à des migrants qui ne peuvent être réadmis dans leur pays d'origine n'a rien d'illégal, cette politique s'avère avoir des conséquences humanitaires inquiétantes. Tout d'abord, un ordre d'expulsion prive les migrants du droit au travail et, une fois qu'ils ont reçu cet ordre, ils ne pourront jamais se faire régulariser en Espagne ou dans un autre pays de l'espace Schengen50. L'approche des autorités de Ceuta mais aussi des autorités de la côte andalouse en matière d'expulsion a pour effet de condamner de très nombreux migrants à une existence illégale en Espagne51. Les autorités de Ceuta justifient cette méthode en soulignant :

". . . qu'ils ne peuvent régulariser ou légitimer les migrants car une telle politique ouvrirait la voie à des afflux encore plus massifs de migrants. Nous devons essayer de ne pas faciliter la régularisation, voire rendre la procédure plus complexe encore, car nous risquons sinon de provoquer des afflux massifs"52.

Dans d'autres parties du Royaume, les autorités ont toutefois adopté une approche différente. Si des immigrés clandestins arrivant à Melilla et dans d'autres régions d'Espagne ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine, ils reçoivent généralement un permis de séjour et de travail, sur la base de l'"exception humanitaire" ou peuvent simplement être autorisés à séjourner clandestinement en Espagne.

En ce qui concerne le traitement des migrants sans papiers sur les îles Canaries, le Médiateur a recommandé qu' :

"[u]ne fois qu'il a été établi que ces citoyens étrangers ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine, la procédure de régularisation devrait être lancée, en vue de leur octroyer à titre exceptionnel un permis de séjour, ainsi qu'un permis de travail, afin qu'ils puissent rester sur l'île ou rejoindre le continent"53.

L'impact de cette délivrance quasi automatique d'ordres d'expulsion pour certaines catégories de migrants de Ceuta et de la côte andalouse est particulièrement inquiétant lorsqu'on sait que beaucoup de migrants n'ont pas conscience de ce que cela implique. Selon une organisation travaillant avec les migrants, "[b]eaucoup se croient dans la légalité avec ce document ! Ils sont venus à plusieurs reprises nous montrer ces documents en disant à Acoge, `Regarde, je suis légal'"54. Aucun des migrants avec lesquels les enquêteurs de Human Rights Watch se sont entretenus n'avaient conscience de l'effet de cet ordre d'expulsion sur leur situation légale en Espagne. Au contraire, tous ont invariablement expliqué que la police leur donnait carte blanche pour le continent et donc la possibilité de travailler55. De nombreux migrants sans papiers interrogés par Human Rights Watch à Ceuta ont déclaré avoir demandé des "permis de travail ", et qu'ils étaient certains de les recevoir bientôt, car c'est ce que la police leur avait dit. D'autres ont expliqué qu'ils avaient fait une demande d'"expulsion", persuadés que cela voulait dire qu'ils pouvaient rejoindre la péninsule56.

Par contre, les migrants de Melilla ont exprimé des inquiétudes quant aux expulsions par la police et le fait que du jour au lendemain , la police pouvait venir avec la liste et soit les conduire sur la péninsule pour expulsión soit les rapatrier directement vers le Maroc par devolución57.

Cette confusion qui règne parmi les migrants au sujet de leur statut et de leurs droits est encore aggravée par l'absence de garanties de procédure, décrites ci-dessous, qui nuisent à l'application par les autorités espagnoles de la loi 8/2000. Privés des services d'information, de traduction et d'assistance judiciaire pourtant requis par la législation espagnole, les migrants acceptent les ordres d'expulsion, renonçant à faire appel et négligeant d'avancer d'autres motifs qui pourraient les autoriser à rester en Espagne, comme la preuve de racines en Espagne, des considérations humanitaires ou le statut de protection de réfugié. A leur tour, nombreux de ces migrants ratent l'occasion qu'ils auraient pu avoir de régulariser leur situation. Cette approche des autorités en matière d' expulsión, à Ceuta et le long de la côtes andalouse, se traduit au final par une grave déformation de la loi espagnole sue l'immigration, créant une importante population d'immigrés clandestins en Espagne.

28 A l'instar d'autres pays situés aux frontières de l'Europe, l'Espagne connaît depuis quelques années une augmentation des mouvements d'immigrés clandestins vers ses côtes, qui arrivent dans des sortes de petits radeaux (pateras). Ces migrants arrivent en Espagne par la côte andalouse, après avoir franchi le détroit de Gibraltar, via les îles Canaries, au départ de la côte africaine.

29 Voir article 58 de la loi 8/2000 (concernant les droits et les libertés des ressortissants étrangers vivant en Espagne et leur intégration sociale) en même temps que la section 5.a, article 138 du règlement d'application de la loi espagnole sur les ressortissants étrangers. Pour en savoir plus sur la législation espagnole en matière d'expulsion, consulter la section "Expulsión" ci-dessous.

30 Cette interprétation a été confirmée par les départements de l'immigration, des étrangers et de la délivrance des documents du ministère de l'Intérieur lors de réunions avec Human Rights Watch. Entretien de Human Rights Watch avec Carlos Guervós, Directeur-adjoint de l'immigration, ministère de l'Intérieur, Madrid, 12 novembre 2001; entretien de Human Rights Watch avec Manuel Prieto, Responsable du Département des étrangers et de la délivrance des documents, avec José García Santalla, Responsable de l'unité centrale des étrangers (Département des étrangers et de la délivrance des documents) et avec Ramón Pérez García, Responsable des statistiques, Police nationale espagnole (au sein du ministère de l'Intérieur), Madrid, 14 novembre 2001. Bien que la législation espagnole ne stipule pas concrètement que la devolución de migrants appréhendés lors du franchissement clandestin de la frontière espagnole doit être exécutée dans les soixante-douze heures de leur arrivée sur le territoire espagnol, le ministère de l'Intérieur et les avocats spécialisés dans les questions de l'immigration ont interprété la loi dans ce sens. Le raisonnement à la base de cette interprétation est le suivant: d'une part, la législation espagnole interdit la détention de tout individu au-delà de soixante-douze heures en l'absence d'un ordre judiciaire et d'autre part, la loi espagnole 8/2000 ne prévoit pas la détention prolongée (supérieure à soixante-douze heures) de cette catégorie de migrants, même par ordre judiciaire. La période de détention de ces migrants ne peut donc excéder soixante-douze heures, délai au cours duquel la devolución doit être exécutée ou le migrant libéré. Pour en savoir plus, consulter la note en bas de page n° 33.

31 Par "régularisation", Human Rights Watch entend la possibilité pour les migrants de légaliser leur situation dans un pays-à titre temporaire ou permanent. De nombreux pays de l'Europe occidentale proposent des "programmes de régularisation" en faveur des migrants sans papiers souhaitant légaliser leur situation. Souvent, ces programmes exigent, par exemple, la présentation de documents prouvant qu'un migrant a séjourné et travaillé dans un pays donné pendant une période déterminée et qu'il/elle a actuellement une offre d'emploi.

32 En 1985, cinq États membres (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas) ont signé un accord en vue de la création d'un espace sans frontières au sein de leurs frontières nationales. Une convention supplémentaire, rédigée et signée le 19 janvier 1990 et entrée en vigueur en 1995, a aboli les frontières intérieures entre les États signataires et a établi une frontière extérieure commune où les contrôles de l'immigration sont réalisés conformément à un ensemble de règles unique. A la fin des années 1990, cette zone sans frontières, "l'espace Schengen " (du nom de la ville où l'accord a été signé), a été étendue à tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande. Une des caractéristiques clés de la mise en place du système Schengen est la création d'un réseau informatique qui permet à tous les commissariats et agents consulaires des États membres "Schengen" d'avoir accès à des données communes. L'introduction dans le Système d'Informations Schengen (SIS) - sur la base d'un refus d'accès à un territoire ou pour l'enregistrement de la délivrance d'un ordre d'expulsion par un État membre - a pour effet d'empêcher à l'avenir l'entrée de ces personnes sur dans ce territoire ainsi que dans les autres pays de l'espace Schengen. Pour en savoir plus : http://europa.eu.int/scadplus/leg/en/lvb/l33020.htm, (à partir du 10 juin 2002).

33 La détention d'un migrant au-delà la période initiale de soixante-douze heures exige une décision du tribunal ordonnant la détention du migrant, ou son internement, dans un centre d'internement officiel (centre de détention prolongée). Etant donné que la législation espagnole ne spécifie pas que les migrants entrés clandestinement en Espagne, et qui sont donc soumis à la procédure de devolución, peuvent être internés, contrairement aux migrants ayant déjà reçu un ordre d'expulsion les obligeant à quitter l'Espagne (migrants pour lesquels la devolución est prévue) ou aux migrants faisant l'objet d'une expulsion sur la base d'une procédure de retorno ou d'expulsión, le ministère de l'Intérieur, les avocats spécialisés dans les questions de l'immigration ainsi que la Cinquième Cour d'Instruction d'Algeciras ont interprété la loi espagnole dans le sens d'une interdiction d'une détention supérieure à soixante-douze heures des migrants faisant l'objet d'une procédure de devolución (pour entrée clandestine en Espagne). Le tribunal d'Algeciras a statué en ces termes:

"Il convient donc de conclure que la mesure d'internement dans le cadre de la procédure de devolución - suite à une entrée clandestine dans le pays (article 58(2)(b)) n'est pas prévue par la loi; nous déclarons donc sans effet la mesure adoptée, et ordonnons la fin de l'internement, sans aucune possibilité de maintien dudit internement, que ce soit par déduction de l'esprit de la loi ou suite à des situations paradoxales pouvant aboutir à cette interprétation, car, conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les procédures judiciaires doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à la protection des droits fondamentaux et il ne fait aucun doute que la mesure d'internement porte atteinte à un droit fondamental".

Voir Cinquième Cour d'Instruction, Algeciras, 31 août 2001; entretien de Human Rights Watch avec Carlos Guervós, Directeur-adjoint de l'immigration, ministère de l'Intérieur, Madrid, 12 novembre 2001; entretien téléphonique de Human Rights Watch avec José Luis Rodríguez, Président de Andalucía Acoge et avocat des migrants au Centre d'internement de Málaga, 17 octobre, 2001; entretien de Human Rights Watch avec Cristina Olmedo, avocate, Red Acoge, Madrid, 11 octobre 2001 et 10 juin 2002; entretien de Human Rights Watch avec Rafael González, avocat des migrants au Centre d'internement de Málaga, 22 octobre 2001; entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Carlos Álava, Directeur juridique, Médecins sans frontières (Espagne), 18 janvier 2002. Voir également l'article 58(5) de la loi 8/2000 (concernant les droits et les libertés des ressortissants étrangers vivant en Espagne et leur intégration sociale), autorisant l'internement de migrants ne pouvant être rapatriés avant la fin de la période initiale de soixante-douze heures, lorsque lesdits migrants ont déjà été précédemment chassés d'Espagne et qu'ils font donc l'objet d'une procédure de devolución

34 Entretien de Human Rights Watch avec des migrants, Las Palmas, 29 octobre-3 novembre 2001.

35 Voir Human Rights Watch, "L'autre visage des îles Canaries: violations des droits des migrants et des demandeurs d'asile", Un Rapport de Human Rights Watch, vol. 14, n° 1 (D), février 2002. Certains migrants arrivant dans les îles Canaries sont détenus sur la base d'un ordre d'expulsion en vertu de la loi sur le retorno (forme de rapatriement). Les migrants détenus sur la base d'une procédure de retorno, procédure qui diffère de la devolución, peuvent être légalement internés, si un juge l'ordonne, après les soixante-douze heures. Voir article 60 de la loi 8/2000 (concernant les droits et les libertés des ressortissants étrangers vivant en Espagne et leur intégration sociale). Alors que certaines autorités des îles Canaries avancent que la devolución devrait être considérée comme un retorno pour légitimer la détention de migrants au-delà de la période initiale de soixante-douze heures, les juges comme les avocats travaillant sur ces îles ont exprimé leur désaccord avec cette interprétation. Entretien de Human Rights Watch à la CEAR (Las Palmas), Las Palmas, 2 novembre 2001. Le Retorno et la devolución sont deux concepts juridiques distincts. Le retorno s'applique aux migrants dont l'entrée en Espagne est refusée (comme dans les aéroports ou à un point de franchissement de frontière où la présence en Espagne de migrants n'est pas considérée comme une présence sur le "territoire"). Au contraire, la devolución s'applique aux migrants qui sont considérés comme se trouvant en Espagne, mais qui font l'objet d'un rapatriement immédiat.

36 Entretiens de Human Rights Watch avec des migrants, CETI, Melilla, 8 novembre 2001.

37 Entretiens de Human Rights Watch avec des migrants algériens en-dehors de la CETI, Melilla, 8 novembre 2001.

38 Entretien de Human Rights Watch avec Rocío Rodríguez Bayón, Chef de cabinet, Bureau du Délégué gouvernemental pour la ville autonome de Melilla, Melilla, 9 novembre 2001.

39 Entretien de Human Rights Watch avec Manuel Prieto, Responsable du Département des étrangers et de la délivrance des documents, José García Santalla, Responsable de l'unité centrale des étrangers (Département des étrangers et de la délivrance ces documents) et avec José Ramón Pérez García, Responsable des statistiques, Police nationale espagnole (au sein du ministère de l'Intérieur), Madrid, 14 novembre 2001.

40 Ibid.

41 Entretiens de Human Rights Watch avec des migrants du Centre d'internement de Capuchinos, Málaga, 22 octobre 2001.

42 Rapport annuel du Médiateur, présenté le 8 octobre 2001 devant le Parlement espagnol, section 3.1.2.4, pp. 65-66. Le rapport du Médiateur explique en outre que l'initiation d'une procédure d'expulsion (aboutissant à la délivrance d'un ordre d'expulsion) sanctionnerait en fin de compte deux fois un acte et que pour beaucoup de ces migrants, l'ordre d'expulsion peut ne jamais avoir de suite, ce qui a "[d]onc comme seul effet pratique.... de faire obstacle à la régularisation de ces personnes via l'autorisation administrative appropriée, les conduisant à vivre dans la marginalité". Ibid.

43 Le 2 septembre 2001, la Cinquième Cour d'Instruction d'Algeciras a libéré trente et un Nigériens détenus depuis quatorze jours dans le Centre d'internement de Capuchinos (Málaga). Leonor García, "Un tribunal déclare illégale la détention d'immigrés arrivant en Pateras," El País, 2 septembre 2001.

44 Voir loi 8/2000, articles 53 et 57.

45 Voir loi 8/2000, articles 63 et 64.

46 Entretien de Human Rights Watch, Algeciras Acoge, Algeciras, 15 octobre 2001. Voir également le Rapport annuel du Médiateur, présenté le 8 octobre 2001 devant le Parlement espagnol, section 3.1.2.4, "Entrée de sans papiers via le littoral andalou," pp. 65-66.

47 Entretien de Human Rights Watch avec Ramón Capdevila, Directeur-adjoint de la délivrance des documents, Police nationale espagnole de Ceuta, Ceuta, 19 octobre 2001.

48 Entretien de Human Rights Watch avec Luis Vicente Moro, Délégué gouvernemental pour la ville autonome de Ceuta, Ceuta, 19 octobre 2001.

49 Entretien de Human Rights Watch avec les Hermanos Franciscanos de Cruz Blanca (Frères franciscains de la Croix-Blanche), Ceuta, 18 octobre 2001; Entretiens de Human Rights Watch avec des migrants, Ceuta, 18-19 octobre, 2001.

50 Voir par exemple, entretien de Human Rights Watch avec Ramón Capdevila, Directeur-adjoint de la délivrance des documents, Police nationale espagnole de Ceuta, Ceuta, 19 octobre 2001, qui explique "dès le moment où ils [les migrants] reçoivent leur document d'expulsion, ils figurent dans SIRINE. Cette liste de personnes non admissibles reprend spécifiquement le nom des personnes ayant reçu un ordre d'expulsion. . . . Par conséquent . . . [elles] n'ont plus la possibilité de régulariser leur situation dans l'espace Schengen". Pour des explications sur le système Schengen, voir la note en bas de page n° 32.

51 Entretien de Human Rights Watch avec Álvaro García, avocat pour Málaga Acoge, Málaga, 22 octobre 2001. M. García travaille avec des migrants le long de la côte andalouse, et notamment avec de nombreux migrants arrivant de Ceuta. Bien qu'un précédent programme de régularisation pour les étrangers en Espagne ait permis à des migrants ayant reçu un ordre d'expulsion de demander l'annulation de cet ordre en vue de régulariser leur situation, cette possibilité ne s'applique pas aux migrants arrivés en Espagne après juin 1999. En particulier, la régularisation qui a eu lieu lorsque le gouvernement a remplacé la loi espagnole 7/85 sur les étrangers par la loi 4/2000, permettant ainsi à tous les migrants pouvant prouver qu'ils étaient arrivés en Espagne avant juin 1999, d'annuler leur ordre d'expulsion. Malgré cette disposition, des organisations madrilènes travaillant avec des migrants ont exprimé leurs inquiétudes quant au fait qu'un certain nombre de leurs clients venant de Ceuta-dont certains habitaient en Espagne depuis plus de cinq ans-ont reçu des ordres d'expulsion qui ne peuvent être annulés et qu'ils ne peuvent donc pas régulariser leur situation. Entretien de Human Rights Watch avec des avocats travaillant pour la CEAR, Madrid, 26 octobre 2001. Les dispositions régissant la procédure de régularisation plus récente-qui a débuté en janvier 2001 suite à un nouvel amendement de la loi sur les étrangers (aboutissant à la loi actuelle, la loi 8/2000)-n'ont pas prévu une clause similaire autorisant les migrants à faire annuler leur ordre d'expulsion pour régulariser leur situation. Se reporter, d'une manière générale, à la loi 8/2000. Entretien de Human Rights Watch avec Arsenio García, avocat, Madrid, 5 novembre 2001; Entretien de Human Rights Watch avec Concha Badillo, Coordinateur juridique, MSF, 26 mars 2002. M. Moro, Délégué gouvernemental à Ceuta, a confirmé les inquiétudes face à la pratique couramment en vigueur à Ceuta, consistant à délivrer des ordres d'expulsion aux migrants, qui les empêche définitivement de régulariser leur situation:

"Il n'y aura plus de régularisations en Espagne. De nombreux immigrés pensent que le gouvernement espagnol modifiera la législation (vu le nombre élevé d'immigrés) dans le sens qui lui convient. La chose la plus probable est que le gouvernement espagnol approuvera, en 2002, un contingentement du nombre d'immigrés autorisés à s'installer en Espagne, le nombre dépendant des demandes des syndicats".

Entretien de Human Rights Watch avec Luis Vicente Moro, Délégué gouvernemental pour la ville autonome de Ceuta, Ceuta, 19 octobre 2001. Les migrants envoyés sur la péninsule avec un ordre d'expulsion se figureront pas parmi les migrants autorisés à introduire une demande dans le cadre de ces contingents. Ibid.

52 Entretien de Human Rights Watch avec Ramón Capdevila, Directeur-adjoint de la délivrance des documents, Police nationale de Ceuta, 19 octobre 2001.

53 Rapport annuel du Médiateur, présenté le 8 octobre 2001 devant le Parlement espagnol, section 3.1.2.3, "Le centre de résidence temporaire pour immigrés (CETI) de Las Palmas," pp. 64-65.

54 Entretien de Human Rights Watch, Algeciras Acoge, Algeciras, 15 octobre 2001.

55 Entretiens de Human Rights Watch avec des migrants, Ceuta, 28 juillet 2001 et 18-19 octobre 2001.

56 Ibid.

57 Entretien de Human Rights Watch avec des migrants au CETI, Melilla, 7 novembre 2001.

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