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La presse réduite au silence

Le départ de Sebarenzi provoqua de nombreux commentaires dans la presse et à la radio. Ainsi, Deo Mushaidi, rédacteur en chef du magazine Imboni et à l'époque président de l'Association Rwandaise des Journalistes, décida de publier un numéro spécial sur le sujet. Mushaidi, pour expliquer pourquoi il avait décidé d'aborder avec autant de franchise un thème aussi sensible, fit référence à une déclaration du Général Kagame qui appelait les journalistes à être "audacieux" lorsqu'ils travaillaient dans l'intérêt de leur pays. Mushaidi exprima l'espoir que l'accusation faite à Sebarenzi de faire partie de "l'armée du roi" ne devienne pas l'équivalent moderne de l'étiquette d'ibyitso, "complice du FPR", que l'ancien gouvernement collait à tous les dissidents dont il souhaitait se défaire. Mushaidi aborda également le thème de la fuite des Rwandais vers d'autres pays et la contribution supposé de Sebarenzi à ce phénomène. Ainsi, il a écrit:

Dès que le contenu de l'édition spéciale d'Imboni fut connu, le magazine devint introuvable.18 L'audace dont a fait preuve Mushaidi au nom de l'intérêt national, imité d'ailleurs en cela par un de ses collègues, Jason Muhayimana, provoqua une réaction extrêmement hostile de la part des membres d'une task force du FPR qui se réunit à la mi-mars pour en discuter. Après cette réunion, des amis bien informés des deux journalistes leur conseillèrent d'opter eux aussi pour l'exil. Rapidement, Mushaidi fut relevé de ses fonctions de président de l'association des journalistes, ce qui ne fit que renforcer le message. Mushaidi, un tutsi revenu au Rwanda après un exil au Burundi, et Muhayimana, lui aussi tutsi mais élevéau Rwanda, quittèrent le pays le premier week-end d'avril. Peu de temps après, les autorités rwandaises les accusèrent de "détournement de fonds" et émirent des mandats d'arrêt à leur encontre.19

Au début du mois d'avril, on apprit qu'un autre journaliste travaillant pour Imboni, Jean-Claude Nkubito, craignant de revenir à Kigali, avait décidé de rester à Nairobi, où il avait participé à une conférence. Segahutu Murashi, premier propriétaire et rédacteur en chef d'Imboni et, plus récemment, ambassadeur du Rwanda en Ouganda, se vit refuser le droit d'exercer ses fonctions de nouveau membre de l'Assemblée Nationale, les autorités souhaitant examiner le rôle qu'il avait joué dans la publication de l'article sur Sebarenzi. Le forum des partis politiques justifia cette décision en parlant des "déclarations calomnieuses et obscènes publiées dans le magazine d'information Imboni, qui salissent le gouvernement et pardonnent des pratiques telles que la profanation et le viol..."20

Dans le cadre de la campagne censée leur garantir un traitement favorable par la presse, les autorités ont également rencontré deux journalistes de Rwanda Newsline, Shyaka Kanuma et Ibra Asuman Bisiika, et les ont questionnés quant à certains de leurs articles dans lesquels ils avaient critiqué le Général Kagame.21

Un journaliste français travaillant pour l'Agence France Presse avait lui écrit un article sur les divisions existant au sein de la communauté tutsi, dans lequel il citait Sebarenzi. Le 7 avril 2000, accompagné d'un autre journaliste français, on lui refusa l'entrée à une cérémonie commémorant le sixième anniversaire du génocide. On leur fit savoir que leurs accréditations avaient été révoquées et qu'il était possible qu'on leur demande de quitter le pays. Après que des protestations aient été émises par des diplomates et d'autres journalistes de la presse internationale, les autorités leur permirent de rester mais leur firent savoir que les articles qu'ils écriraient sur le Rwanda seraient examinés très minutieusement.22

A plusieurs autres reprises, les autorités ont exprimé leur désapprobation vis-à-vis de certains rwandais suspectés d'avoir fourni à des étrangers des informations critiquant le gouvernement. Dans certains cas, des avertissements ont été transmis, de manière discrète et privée. Dans un des cas, un officiel a critiqué l'Association de Défense des Droits de l'Homme et des Libertés Publiques pour avoir publié un rapport sur la villagisation qui pourrait valoir à ce programme de se voir critiqué par des observateurs étrangers. En février dernier, les autorités ont également détenu pendant une brève période un rwandais qui avait envoyé à l'étranger un courrier électronique contenant des informations critiquant les autorités.23

17 Deo Mushaidi, "Où nous conduisent-ils? Le renversement et l'exil de Sebarenzi", Imboni, numéro spécial, février 2000, pp. 2-3.

18 Interview réalisée par Human Rights Watch, 29 février 2000.

19 Interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, 3 avril 2000.

20 British Broadcasting Corporation, citant des informations rendues publiques le 3 avril par l'agence de presse rwandaise RNA, 5 avril 2000.

21 British Broadcasting Corporation, citant des informations rendues publiques le 3 avril par l'agence de presse rwandaise RNA, 5 avril 2000.

22 Interviews téléphoniques réalisées par Human Rights Watch, 10 avril 2000.

23 Interviews téléphoniques réalisées par Human Rights Watch, 10 mars 2000.

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