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Le retour forcé des rwandais ayant fui à l'étranger

Il semble que le départ de Sebarenzi, le 22 janvier 2000, ait poussé les autorités à rechercher les autres rwandais ayant fui le pays et à les forcer à revenir. L'une des personnes ainsi recherchées est un soldat de quarante ans, Innocent Byabagamba, que Sebarenzi aurait aidé à quitter le Rwanda quelques mois plus tôt. Byabagamba, rescapé du génocide et titulaire d'un diplôme universitaire en chimie, a rejoint les rangs de l'APR et servi au sein de la division de sécurité externe du ministère de la défense. A l'origine fervent supporter du FPR, ce qu'il considéra comme des erreurs politiques a peu à peu miné sa confiance envers le parti. Un des ses proches déclara: "C'est un homme de Dieu et il ne supportait pas ce qui était en train de se passer. Il avait vu les injustices et décidé de dire la vérité."24 Byabagamba fit connaître ses opinions à plusieurs officiers de l'APR et apprit, un vendredi de septembre 1999, qu'il allait être assassiné deux jours plus tard. Il quitta le pays et se réfugia alors au Burundi. Selon plusieurs sources, entre huit et dix autres soldats s'enfuirent avec lui.25

Aux alentours du deux février 2000, Byabagamba a été arrêté à Bujumbura, au Burundi. Personne n'a pu déterminer avec précision si les soldats qui procédèrent à son arrestation étaient rwandais ou burundais. Il fut emmené au Bureau Spécial de Recherche (BSR) de Bujumbura. De là, des soldats rwandais l'emmenèrent de force au Rwanda, le 4 ou le 5 février, et il fut emprisonné au Bureau de Renseignement Militaire, le DMI. Il semble qu'il ait été torturé au Burundi, au Rwanda après son retour, ou dans les deux pays.

A peu près à la même époque, un homme d'affaires rwandais, Etienne (Toto) Nzaramba, basé au Burundi, fut arrêté au Rwanda par des soldats en civil. Ils lui ordonnèrent de les aider à retrouver François Rubeka, un civil rwandais vivant au Burundi. Lorsque Nzaramba nia savoir comment localiser Rubeka, les soldats le passèrent à tabac et le torturèrent à l'électricité. Deux jours plus tard, ils l'emmenèrent au Burundi en hélicoptère et trouvèrent Rubeka. Trois soldats rwandais emmenèrent alors Rubeka et Nzaramba au BSR où ils torturèrent Rubeka jusqu'à ce qu'il signe une confession par laquelle il admettait que lui-même, Sebarenzi, Byabagamba, le chanteur Sankara et plusieurs autres collaboraient avec le roi Kigeli Ndahindurwa, dans le but de renverser le gouvernement rwandais. Rubeka et Nzaramba furent eux aussi emmenés contre leur gré au Rwanda et emprisonnés par des hommes du service de renseignement militaire. Un autre civil, Janvier Rugema, fut lui aussi enlevé au Burundi et emmené contre son gré au Rwanda par les autorités rwandaises. Nzaramba a aujourd'hui été relâché, mais Byabagamba a été inculpé de désertion et les deux autres de complicité.26

Benjamin Rutabana, un ancien soldat de l'APR, et le sous-lieutenant Bertin Murera, officier des services secrets, furent également arrêtés par des soldats rwandais, en Tanzanie, battus et renvoyés contre leur gré au Rwanda. Rutabana, démobilisé après avoir été blessé au combat, était un chanteur extrêmement populaire. Sa chanson la plus connue, "Africa", fustigeait les européens en général et l'église catholique en particulier, leur reprochant d'avoir créé les divisions entre les hutu et les tutsi qui avaient finalement débouché sur le génocide. La chanson reflétait fidèlement l'idéologie du FPR sur la question et la télévision rwandaise en diffusait très régulièrement le vidéo-clip. Elle était tellement indissociable de son auteur qu'Africa devint rapidement le surnom de Rutabana. Juste avant que Sebarenzi ne soit arrêté, Rutabana se mit à craindre pour sa vie et confia à sa famille qu'il était suivi.27

Il semble que le sous-lieutenant Murera ait eu pour mission de tuer Rutabana, mais refusa de le faire parce que les deux hommes avaient combattu ensemble. Tout porte à croire que les deux hommes prirent la fuite ensemble, le 17 janvier. Ils ont d'abord cherché refuge au Burundi, où ils demandèrent le statut de réfugié auprès du Haut Commissariat pour les Réfugiés de l'ONU (HCR). Craignant d'être retrouvés et arrêtés par le FPR, ils ont poursuivi leur route jusqu'en Tanzanie où ils ont à nouveau demandé de se voir accorder le statut de réfugié auprès du HCR et prirent des chambres à l'hôtel Central Community. C'est là qu'ils furent arrêtés, le 4 février, par des hommes affirmant être des policiers rwandais et qui dirent aux autorités tanzaniennes que les deux hommes étaient recherchés pour avoir détroussé et tué un homme d'affaires indien.28 Les rwandais emmenèrent Rutabana et Murera de force au Rwanda. Il semble qu'une fois arrivés à la frontière, les deux détenus portaient des marques de coups.

Gasana Ndoba, président de la Commission Nationale des Droits de l'Homme, porta les cas des cinq hommes à l'attention du Général Kagame et reçut l'autorisation de rendre visite aux détenus. Il semble que grâce à l'intervention de la Commission, les cinq prisonniers aient été transférés du DMI vers des prisons militaires classiques et que leurs dossiers soient en cours de traitement par le système de justice militaire. Il apparaît également que des officiels du HCR suivent l'évolution des affaires des deux détenus, qui avaient demandé le statut de réfugié avant d'être ramenés de force au Rwanda.29

24 Interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, 26 février 2000.

25 Interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, 26 février 2000; Imboni, numéro spécial, février 2000.

26 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 7 mars 2000; interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, 28 février et 16 avril 2000; Imboni, numéro spécial, février 2000.

27 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 11 et 14 février 2000; Imboni, numéro spécial, février 2000.

28 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 11 et 14 février 2000; Imboni, numéro spécial, février 2000.

29 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 28 février et 7 mars 2000.

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