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Les "Ingabo z'Umwaami" ou "Armée du Roi"

Depuis la mi-1999, les autorités rwandaises ont identifié une nouvelle menace, "l'armée du roi". Le Roi (umwaami) Kigeli V Ndahindurwa fut renversé lors de la révolution hutu de 1959 et forcé de s'exiler en 1961. Il résida longtemps au Kenya avant de s'installer récemment dans une banlieue de Washington D.C., où il mène aujourd'hui une vie tranquille. Âgé aujourd'hui de 59 ans, il a nié tout lien avec la résistance armée et affirmé qu'il ne retournerait au Rwanda que si une majorité de rwandais souhaitait voir la monarchie restaurée dans le pays et exprimait ce désir, par exemple par le biais d'un référendum national.11

Le Général Kagame a affirmé que le roi était le bienvenu en tant que citoyen privé mais a menacé de réagir avec vigueur si certains décidaient d'avoir recours aux armes pour le replacer au sommet de l'état. Selon un article publié dans la presse rwandaise en décembre 1999, Kagame a affirmé, en parlant d'une possible "armée du roi", que "quiconque tentant de s'imposer par les armes mourra... Nous sommes prêts."12

Entre le 15 et 20 novembre 1999, les autorités locales de Nyamirambo, une section de la capitale du pays, Kigali, ont arrêté plus de deux cent jeunes accusés d'être membres de "l'armée du roi". Les jeunes furent arrêtés dans les rues, alors que, selon les forces de l'ordre, ils attendaient, l'arrivée de véhicules censés les emmener vers des lieux où ils devaient recevoir une formation militaire. Ils furent détenus pendant deux jours à la prison locale et ensuite remis au Département d'Intelligence Militaire qui, selon des informations ensuite rendues publiques, les relâcha après qu'ils aient eu confessé des crimes non-spécifiés.13

A la différence d'autres groupes d'opposition exclusivement liés à la communauté hutu, les monarchistes comptent parmi leurs rangs tant des hutu que des tutsi. Kigeri Ndahindurwa est un tutsi, mais la coutume veut que le roi représente tous les rwandais et non uniquement ceux de son groupe ethnique. La plupart des tutsi qui aujourd'hui soutiennent le roi sont des rescapés du génocide qui estiment que le gouvernement actuel ne répond pas de manière adéquate à leurs demandes de justice et d'assistance. Ils déplorent l'inefficacité des poursuites judiciaires entreprises à l'encontre des génocidaires et la prospérité de nombreux responsables gouvernementaux, enrichis par la corruption, qui contraste avec la misère extrême dont souffrent de nombreux rescapés du génocide, particulièrement les veuves et les orphelins. De plus en plus d'entre eux doutent de la sincérité du gouvernement lorsque celui-ci tente de justifier ses opérations militaires en arguant de la nécessité de les protéger d'un possible nouveau génocide. D'autres tutsi, revenus au pays après un exil au Burundi ou au Congo, ont vu leurs espoirs d'ascension sociale et de progrès économique réduits à néant par la priorité accordée à leurs compatriotes revenus d'Ouganda. Certains soldats tutsi de l'APR, y compris des rescapés du génocide et d'autres venus du Burundi et du Congo, affirment qu'ils ne souhaitent pas se battre au Congo et préféreraient qu'une solution négociée au conflit soit trouvée, même si cela implique d'arriver à un compromis avec les insurgés.14

La nature multiethnique du clan des monarchistes pose un défi énorme aux autorités qui, dans le passé, avaient toujours pu discréditer les groupes d'opposition en affirmant qu'ils étaient composés exclusivement de hutu et comptaient parmi leurs rangs des personnes ayant participé au génocide. Aujourd'hui, le FPR et le gouvernement font l'objet de nombreuses critiques parce qu'ils sont dominés par les tutsi. Bien qu'ils continuent à parler de partage du pouvoir entre groupes ethniques, de nationalisme et de réconciliation, ils ont progressivement exclu tous les leaders hutu qui, dans le passé, avaient occupé des postes de pouvoir. Depuis le début de l'année, le FPR et ses alliés politiques ont man_uvré pour remplacer le premier ministre Pierre-Célestin Rwigema par Bernard Makuza. Bien que tous deux soient hutu et fassent partie du même parti politique, le Mouvement Républicain Démocrate (MRD), Rwigema bénéficie d'une véritable légitimité populaire, qu'il a d'ailleurs continué à faire croître pendant ses cinq années au pouvoir. Makuza, de retour au pays après avoir été ambassadeur a l'étranger, ne dispose manifestement pas d'une base populaire similaire. De la même manière, le FPR, avec l'aide de l'Assemblée Nationale, obligea en mars le Président Pasteur Bizimungu à démissionner. Monsieur Bizimungu est le seul hutu à jamais avoir été membre, au niveau le plus élevé, de la direction du FPR et ce, depuis les premiers jours de celui-ci. Après une brève période d'indécision, la Cour Suprême du Rwanda a nommé le Général Kagame président par intérim, en remplacement de Bizimungu. Le gouvernement et l'assemblée ont ensuite décidé, conjointement, de confirmer Kagame dans ses fonctions jusqu'à la fin de la période de transition. L'autre candidat à la présidence, lui aussi tutsi, était Charles Murigande, actuel secrétaire général du FPR.

11 Entretien avec le Roi Kigeri V Ndahindurwa, émis par la BBC le 28 février 2000.

12 "More Students Leave for Exile," Rwanda Newsline, n° 05, 24 décembre 1999 - 2 janvier 2000, p. 32.

13 Kinyamateka, n° 1540, novembre, II, 1999, p. 4.

14 Interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, 27 mars 2000.

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