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Les insurgés ou Abacengezi

A la fin de 1998, l'APR avait réussi à repousser les insurgés, généralement appelés Abacengezi, au-delà de la frontière avec le Congo. Elle continua cependant à affirmer qu'ils représentaient une menace majeure pour le pays et qu'une présence rwandaise au Congo devait par conséquent être maintenue.

Après une année de calme relatif, plusieurs groupes de rebelles sont réapparus au nord-ouest du Rwanda, dans les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, à la fin de 1999. Ils réquisitionnèrent les réserves en nourriture de fermiers dans la commune de Nkuli, et de brefs et courts affrontements les opposèrent à l'APR dans les communes de Kidaho et de Nyamutera.

Aucune offensive majeure ne fut lancée jusqu'au 23 décembre. Ce jour-là, cependant, un groupe d'assaillants armés tua trente et un civils tutsi, dont beaucoup de femmes et d'enfants, et en blessa quatre autres à Tamira, dans la commune de Gisenyi. Vêtus d'uniformes militaires, les assaillants arrivèrent sur place aux alentours de dix heures du soir et rencontrèrent une patrouille de securité composée de deux résidents de Tamira. Ils tuèrent l'un des deux hommes. Et alors que l'autre prenait la fuite, ils se mirent à attaquer des maisons situées dans la partie sud-est de l'agglomération.3 Ils s'en prirent aux trois premières rangées de maisons, mais ne pénétrèrent pas dans toutes les habitations. Arrivés face aux maisons choisies, ils appelèrent les résidents par leur nom et exigèrent que la porte leur soit ouverte. Certains refusant de s'exécuter, les assaillants pénétrèrent alors de force. L'une des maisons visées était celle de Monsieur Butera, un officiel local portant le titre de "responsable" et dont le mandat couvrait Tamira et une partie de la zone environnante. Parmi les autres victimes se trouvaient le chef de l'agglomération et le trésorier d'une coopérative agricole locale.4

Arrivés au domicile de Jean-Damascene Ntaganda, le chef de l'agglomération, les assaillants défoncèrent la porte et firent feu sur la mère de Ntaganda et sur trois de ses enfants. Ils pénétrèrent dans la deuxième pièce de la petite maison et tirèrent sur Ntaganda et sa femme. Seul Ntaganda et un de ses enfants survécurent. Dans une autre petite maison, une femme paralysée par la terreur et cachée derrière une chaise entendit deux assaillants débattre du sort qu'ils allaient réserver à son bébé de trois mois, Jacques Shyaka. L'un des hommes hésitait à tuer le nourrisson mais l'exécuta cependant après que l'autre lui ait dit "Tue-le." Dans une autre maison, les insurgés tuèrent Monsieur Nsindiro, sa femme et leurs quatre enfants, âgés de quatre à quatorze ans.5

Toutes les victimes furent tuées à bout portant et une grenade fut lancée dans l'une des maisons.6 En l'espace de quinze à vingt minutes, les assaillants attaquèrent quinze maisons. Un coup de sifflet retentit et ils prirent la fuite. Faisant route vers la frontière, ils capturèrent deux gardiens de troupeaux et les emmenèrent avec eux, peut-être pour qu'ils leur servent de guides. Ils les relâchèrent un peu plus tard.7

Les autorités locales, tant civiles que militaires, ainsi que les résidents de Tamira affirmèrent que les assaillants étaient des abacengezi et venaient de l'autre côté de la frontière, qui n'est qu'à une heure de marche de Tamira. Le fait que des assaillants provenant du Congo connaissaient les noms de leurs victimes est difficile à expliquer. Certaines victimes ont affirmé qu'ils devaient avoir des complices au sein de l'agglomération. D'autres pensent que ce sont les hutu des communautés environnantes qui leur ont fourni ces informations.8

Les soldats de deux postes militaires situés à un peu de moins de deux kilomètres de Tamira et qui, apparemment, entendirent les coups de feu qui marquèrent le début de l'attaque, n'arrivèrent sur place en véhicule que trente à quarante minutes plus tard, dix ou quinze minutes après que les assaillants aient pris la fuite. Ils semble que les soldats aient suivi la piste des tueurs le lendemain matin et localisé leur camp, dans la forêt qui borde la frontière. Selon un officier de l'APR, ils tuèrent quatre des hommes trouvés dans le camp et poursuivirent les autres dans la forêt.9

Toutes les victimes sont des tutsi qui avaient émigré depuis le Congo voisin après la constitution du nouveau gouvernement FPR en 1994. Environ quarante des 222 familles de l'agglomération sont composées de tutsi qui ont survécu au génocide rwandais, mais aucune de ces familles ne fut attaquée. De nombreux résidents de Tamira ont des maris, des frères et des fils qui servent au sein de l'APR, un fait qui rend encore plus incompréhensible le fait que l'agglomération ait été si mal protégée par l'armée.10

3 Le terme agglomération doit être ici compris comme désignant un ensemble d'habitations précaires et d'abris construits récemment et où résident des rwandais originaires d'autres régions du Rwanda et de l'extérieur, dont certains déplacés de force par le gouvernement rwandais.

4 Interviews réalisées par Human Rights Watch, communes de Nkuli et de Mutura, 13 et 31 janvier 2000; Gisenyi, 14 janvier 2000 et commune de Mutura, 24 février 2000.

5 Interviews réalisées par Human Rights Watch, secteur de Tamira, commune de Mutura, 13 janvier et 24 février 2000.

6 Des douilles ont été retrouvées après l'attaque et analysées. Le calibre de l'une d'elles (5.56x45mm) correspond à celui des cartouches utilisées par les armes des forces de l'OTAN, comme le M16. Le calibre d'une autre douille (7.62x39mm) correspond lui à celui des cartouches utilisées par les troupes du pacte de Varsovie (armées elles d'AK47). L'origine des cartouches n'a pu être déterminée avec précision, mais l'une d'elles ou les deux pourraient provenir d'Albanie. Analyse réalisée par la Division Armes de Human Rights Watch.

7 Interviews réalisées par Human Rights Watch, commune de Mutura, 13 et 31 janvier 2000, 3 mars 2000.

8 Interviews réalisées par Human Rights Watch, commune de Mutura, 13 janvier 2000.

9 Todd Pitman, "Rwandan Insurgents Spark Fear with New Massacre," Reuters, 28 décembre 2000.

10 Interviews réalisées par Human Rights Watch, communes de Nkuli et de Mutura, 13 et 31 janvier 2000.

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