Africa - West

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III. LES COMBATTANTS ALIR I AU RWANDA

Données chiffrées

Les plans de promotion de la paix en Afrique Centrale supposent que les combattants rwandais, basés au Congo et hostiles au gouvernement rwandais actuel soient désarmés et démobilisés, tel que cela a été prévu dans les Accords de Lusaka de 1999. Mais les informations sur le nombre et la localisation de ces combattants, tout comme sur leurs intentions, sont jusqu'à ce jour sans cohérence et parfois contradictoires. Une partie de la confusion provient du manque de distinction claire entre l'ALIR, qui opère principalement dans le nord et le sud Kivu, et une autre force qui opère principalement dans le sud Kivu et le Katanga. Le groupe armé du sud comporte des unités qui travaillent de façon rapprochée avec l'armée du gouvernement congolais, les Forces Armées Congolaises et qui pourraient être liées avec un groupe connu sous le nom de Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR).3 Un chef du groupe sud, le Général de Division Augustin Bizimungu commande les opérations pour l'armée congolaise.4 Début septembre, le gouvernement congolais et les FDLR ont coopéré pour rassembler et désarmer environ 3 000 combattants qui ont été remis aux autorités des Nations Unies.

En février 2001, le Président rwandais, Paul Kagame a déclaré publiquement à Washington, DC qu'il pouvait y avoir, basés au Congo, "3 000, 5 000 ou 10 000" combattants hostiles au Rwanda. Après le début des activités militaires de l'ALIR, au Rwanda, en mai, les autorités rwandaises ont commencé à parler de 35 à 40 000 combattants. Début août, le Général James Kabarebe, chef d'Etat-major par intérim des armées, a déclaré qu'une force de 13 000 combattants de l'ALIR avait été "neutralisée" mais que 40 000 autres combattants demeuraient encore plus au sud.5

A peu près au même moment, le Ministre rwandais de la Défense était cité, déclarant que le nombre précédemment avancé de 40 000 était trop faible et qu'environ 100 000 "Interahamwe" (voir plus bas) se massaient dans la province congolaise du Katanga pour marcher sur le Rwanda.6 Il est possible qu'il ait intégré des réfugiés civils dans ce total étonnamment élevé. Au début décembre, des combats s'étaient produits, à petite échelle, au sud ouest du Rwanda mais l'attaque à large échelle annoncée n'avait pas eu lieu.

Les combattants de l'ALIR maintenant aux mains des Rwandais ont déclaré aux enquêteurs de Human Rights Watch que les forces hostiles au gouvernement rwandais s'élevaient entre 30 et 40 000 personnes. Ceci inclut trois brigades de l'ALIR I dans le nord Kivu et une autre dans le sud Kivu qui mises ensemble regroupent entre 15 et 20 000 personnes ainsi qu'une force d'environ 17 000 personnes, plus au sud, dans le Katanga.7

Le gouvernement congolais a déclaré à la commission militaire supervisant la mise en application de l'Accord de Lusaka que seulement 5 000 combattants rwandais se trouvaient en RDC.8

Des diplomates, des experts scientifiques et d'autres observateurs étrangers estiment généralement que le nombre total de combattants rwandais hostiles au gouvernement du Rwanda et basés au Congo est de 15 à 25 000 personnes.9

En juillet, le Lieutenant Colonel Mubaraka Muganga déclarait qu'environ 4 000 combattants avaient passé la frontière avec le Rwanda.10 Les diplomates en poste à Kigali avancent généralement un nombre inférieur variant entre 2 et 3 000 personnes. Sur la base de plusieurs accrochages impliquant des centaines de combattants de l'ALIR et selon les récits de témoins ayant vu un nombre important de combattants se déplacer, il semble probable qu'entre 2 et 4 000 membres de l'ALIR sont arrivés du Congo, depuis la fin mai. Le 13 juin, par exemple, un groupe a traversé à Mukamira, en direction de Karago et de la forêt de Gishwati. Un autre a traversé à Genda alors qu'un troisième groupe s'infiltrait dans la région depuis la forêt de Virunga.11 Un autre groupe important de combattants de l'ALIR se dirigeait apparemment vers le sud, depuis la route de Gataraga, Mutobo (anciennement Mukingo), juste à l'ouest de la ville de Ruhengeri, peu avant le lever du jour, le 25 juin. Des témoins qui se sont trouvés à cet endroit, plus tard dans la matinée de cette même journée ont raconté que l'herbe semblait avoir été piétinée par un troupeau d'éléphants.12

Un nombre considérable de ceux qui sont entrés au Rwanda ont été capturés ou se sont rendus. Le 16 juillet, Radio Rwanda rapportait qu'environ 1320 "infiltrés" subissaient une "rééducation" au "camp de solidarité" de Mudende.13 Le nombre de rebelles sous la garde de l'APR continua à augmenter et en août, le gouvernement ouvrit un second camp de solidarité pour d'autres centaines de rebelles à Nkumba, Ruhengeri. Certains d'entre eux étaient des membres de l'ALIR qui avaient été capturés ou s'étaient rendus, au Congo et qui avaient ensuite été rapatriés au Rwanda par l'APR.14

Le Ministre de la Défense déclarait le 2 août que les forces du gouvernement rwandais avaient tué environ 1 800 combattants depuis mai. Le nombre annoncé de morts, lors d'affrontements individuels, à l'intérieur du Rwanda, pendant cette période de dix semaines est loin d'atteindre ce total mais il est possible que le nombre avancé par le Ministre de la Défense intègre également les forces tuées sur le côté congolais de la frontière.

Evaluer le nombre des membres de l'ALIR, que ce soient ceux qui ont franchi la frontière, ceux qui ont été capturés ou ceux tués au combat est compliqué par la présence des civils qui parfois les accompagnaient. Selon certains témoins des hostilités à Cyanzarwa (anciennement Rwerere), le 5 et 6 juin, deux groups distincts de l'ALIR ont traversé la région, l'un largement ou exclusivement composé de combattants, l'autre incluant un nombre élevé de civils soutenant les combattants, dont un aumônier et un groupe de prière rassemblant des femmes.15 L'ALIR a organisé certains de ces partisans en un groupe civil d'appui appelé main d'_uvre civile (MOC). Lorsque les enquêteurs de Human Rights Watch ont rendu visite à environ 400 membres de l'ALIR emprisonnés au camp de Muhoza, l'un des membres de l'ALIR estimait que sur ce total, soixante personnes étaient des "auxiliaires civils" de l'ALIR et soixante autres, des enfants soldats.16

A la mi-août, l'activité militaire était cantonnée au nord-ouest mais des témoins ont raconté avoir vu des étrangers armés, en apparence des combattants de l'ALIR, dans des régions du centre et du sud ouest du Rwanda, dans les provinces de Gitarama, Kigali-rural et Cyangugu. Début août, le ministre de la Défense annonçait que les troupes du gouvernement rwandais avaient repoussé un groupe avancé de combattants qui se dirigeait vers le sud-ouest du Rwanda mais cette action a apparemment eu lieu du côté congolais de la frontière.17 En septembre, octobre et novembre, d'autres escarmouches se produisirent dans les provinces de Gikongoro et Butare, au Rwanda ainsi que juste de l'autre côté de la frontière, au Burundi et ailleurs dans la province congolaise du sud Kivu.

Composition et organisation de l'ALIR I

Les rebelles rwandais qui s'opposent au gouvernement rwandais en place sont souvent appelés "ex-FAR et Interahamwe" mais cette étiquette n'est pas adaptée à la plupart des combattants de l'ALIR. Les données recueillies par les enquêteurs de Human Rights Watch indiquent que les soldats de l'ancienne armée rwandaise (Forces Armées Rwandaises, FAR) et les membres de la milice Interahamwe qui ont participé au génocide de 1994 ne représentent qu'une minorité de ceux qui s'opposent maintenant au gouvernement rwandais.18 De hautes autorités officielles rwandaises établissent fréquemment une équivalence entre tous les membres de l'opposition armée et les auteurs du génocide qui entendent poursuivre la campagne d'extermination des Tutsi.19 Mais d'autres, sur le terrain, évaluent différemment la situation. Un officier militaire rwandais remarquait que de nombreux combattants de l'ALIR sont des jeunes recrutés depuis 1994. Evoquant ceux capturés par les forces du gouvernement rwandais, il déclarait : "On trouve en fait très peu de membres des véritables Interahamwe ou FAR qui ont été impliqués dans le génocide."20 S'exprimant devant un public, à Ramba, le 30 juin, le Brigadier Général James Kabarabe affirmait que seuls les chefs de l'ALIR étaient d'anciens FAR ou Interahamwe. Les autres, déclara-t-il, sont des enfants ou de jeunes hommes des camps de réfugiés, de "rares" collaborateurs amenés à rejoindre la force plus récemment et des Congolais parlant le kinyarwanda, tous sans lien apparent avec le génocide.21

Les FAR et Interahamwe ont fui avec un million de réfugiés vers le Congo, après la mise en déroute du gouvernement génocidaire par l'APR, en juillet 1994. Lors de la première guerre du Congo, de 1996 à 1997, l'armée du gouvernement rwandais a détruit les bases des ex-FAR et des milices, au Congo ainsi que dans les camps de réfugiés. Après ces attaques, on a perdu la trace de centaines de milliers de personnes. On suppose que beaucoup d'entre elles sont mortes et que d'autres ont trouvé refuge dans la brousse ou dans la forêt. Les forces restantes des FAR se sont réorganisées et ont recruté à la fois parmi les civils dispersés au Congo et parmi les gens résidant au Rwanda, en particulier dans la partie nord-ouest du pays. Ces forces ont lancé une rébellion en 1997 et 1998 qui suscita une répression sans pitié de la part de l'armée rwandaise et produisit une nouvelle vague de réfugiés au Congo. Certains de ceux qui se sont réfugiés au Congo ont aussi, par la suite, rejoint les rangs de l'ALIR.

Bien que les ex-FAR ne forment qu'une partie des forces de l'ALIR, ils détiennent la plupart des positions de commandement, en particulier aux niveaux les plus élevés. Certains des officiers de l'ALIR - notamment ceux commandant les forces plus au sud22 - ont certainement joué des rôles importants dans le génocide de 1994. Le Colonel Pierre Habimana, par exemple, capturé par les forces rwandaises à la mi-juillet, était apparemment membre de la Garde Présidentielle, une unité des FAR largement impliquée dans le meurtre de Tutsi, en 1994. Il nie l'existence d'un génocide et rejette toute responsabilité personnelle pour ses actions à cette époque, déclarant qu'il n'était qu'un "technicien" "défendant le gouvernement ".23 D'autres, tel que le Général Paul Rwarakabije, commandant de l'ALIR, ont servi dans des unités moins impliquées dans les tueries du génocide et ne seraient pas accusés d'actions répréhensibles. Dans l'intérêt tant de la justice que de la définition efficace d'une politique d'action, il est important de se souvenir que toutes les troupes des FAR n'ont pas pris part au génocide.

L'ALIR a copié les structures de commandement des FAR. Des écoles de formation préparaient les candidats aux positions de commandement. Dans l'une de ces écoles, l'Ecole Supérieure Militaire, située dans la forêt à Masisi, les élèves recevaient un enseignement politique et étudiaient la communication sociale ainsi que d'autres matières plus techniques sur des sujets militaires. Plusieurs officiers ont déclaré avoir étudié le droit humanitaire international, l'un pendant cinquante heures, l'autre pendant cent heures. L'un d'eux a déclaré que l'un des cours était dispensé par un civil ayant travaillé pour le Comité International de la Croix Rouge et l'autre, par un instructeur ayant travaillé en Europe.24

Contexte régional et retour au Rwanda

Les combattants de l'ALIR interrogés par les enquêteurs de Human Rights Watch reconnaissent généralement que le gouvernement congolais les a aidés, jusqu'à la fin 2000, par le biais d'aérolargages d'équipement et de munitions. Selon un témoin, de telles livraisons se sont produites en août 1999, près de Goma, en décembre 1999, près de Ngere en Walikale, deux fois en avril 2000 à Masisi et à nouveau, en octobre 2000, à Shabunda. Approximativement au moment de cette dernière livraison, a déclaré le témoin interrogé, le Président Laurent-Désiré Kabila a envoyé deux officiers de l'armée congolaise, dont un capitaine, pour passer deux mois comme officiers de liaison avec l'ALIR I. Selon certains observateurs, Kabila a organisé une réunion en octobre 2000 afin de coordonner l'action entre les différents groupes de combattants rwandais et burundais, en lutte contre les gouvernements de leurs pays respectifs. Lors de cette réunion, la décision fut prise de déplacer le centre de la guerre vers la zone frontière est du Congo. Depuis lors, la communication entre les combattants rwandais et burundais s'est améliorée, en particulier entre les groupes rwandais et les Forces Burundaises pour la Défense de la Démocratie (FDD). La radio a été utilisée et certains avaient probablement recours à des téléphones par liaison satellite.25 Bien que la nature de l'aide apportée par le gouvernement congolais aux forces de l'ALIR, au nord Kivu, depuis la prise de pouvoir par Joseph Kabila ne soit pas claire (si tant est qu'il y ait eu aide), il semble probable que les forces de l'ALIR, au sud Kivu ont continué à recevoir des livraisons d'armes de la part de Kabila junior jusqu'à la mi-2001.26

Les combattants de l'ALIR ont fait le récit d'un certain nombre d'évènements, au cours des années précédentes, où ils ont combattu contre des milices MaiMai, à l'est du Congo, hostiles à leur présence en tant qu'étrangers. Mais au cours des deux dernières années environ, ont-ils déclaré, les forces de l'ALIR ont mis au point des alliances avec les MaiMai contre les troupes du gouvernement rwandais et celles du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le mouvement rebelle soutenu par le Rwanda. Un témoin a déclaré que les forces de l'ALIR n'ont pas exploité les ressources minières locales au Congo parce qu'elles les considéraient comme possessions MaiMai et ne voulaient pas se heurter aux MaiMai sur cette question.27

Peut-être consciente du ravitaillement en armes et des plans pour une offensive à l'est, l'armée rwandaise intensifia ses attaques contre l'ALIR dans ses bastions congolais de Walikale et Rutchuru, durant les mois d'octobre et novembre 2000. En mai 2001, les forces du gouvernement rwandais lancèrent une autre énorme opération de recherche et destruction dans l'est du Congo dans le but de "nettoyer les Kivus".28

Après la mort de Laurent Kabila et l'accession de son fils au pouvoir, celui-ci faisant preuve d'une nouvelle volonté de mise en application des accords de Lusaka, la communauté internationale augmenta la pression exercée sur le jeune président afin qu'il cessât tout appui aux mouvements rebelles burundais et rwandais. Cette nouvelle donne politique combinée aux attaques sans rémission de l'armée rwandaise a contribué à la décision des dirigeants de l'ALIR de rentrer au Rwanda. Selon certains combattants de l'ALIR, cette décision fut plus qu'une simple réaction à ces pressions. Elle reflétait aussi un engagement antérieur de rentrer au Rwanda. Un témoin a déclaré que l'ALIR avait adopté la devise suivante : "Notre pays ou la mort."29

Comportement des combattants de l'ALIR

Selon plusieurs officiers de l'ALIR, ces officiers eux-mêmes ainsi que leurs supérieurs ont donné ordre aux combattants de respecter les règles du droit humanitaire international. Deux d'entre eux avaient une connaissance suffisante de ce droit pour discuter de certaines provisions spécifiques avec les enquêteurs de Human Rights Watch.

L'ALIR possède un système de justice militaire dans lequel chaque brigade dispose d'un parquet et d'un conseil de guerre. L'un des officiers de l'ALIR a déclaré qu'au moins une brigade avait également institué un système de gacaga30, faisant appel à un groupe consultatif de combattants, issus de tous ses rangs. Celui-ci a imposé des sanctions plus clémentes que celles stipulées par le règlement. Ainsi les auteurs de crimes qui auraient normalement été sanctionnés par la peine de mort ont reçu pour peine jusqu'à 300 coups de bâton.31

Des officiers de l'ALIR ont déclaré que la force avait aussi mis au point une série de "commandements" d'inspiration religieuse interdisant, entre autres, les meurtres de civils, les agressions contre les femmes, le vol et l'absorption d'alcool et de drogues. Apparemment, même les mariages légitimes furent interdits pendant la durée du conflit. Les soldats étaient censés suivre ces "commandements" ainsi que d'autres règlements militaires courants et les provisions du droit humanitaire international.

Cibler les civils

Que ce soit par respect du droit humanitaire international, des préceptes religieux ou pour des raisons politiques, les commandants de l'ALIR auraient ordonné aux combattants de ne pas tuer ou blesser des civils. Des adultes et des enfants membres des forces de l'ALIR, interrogés séparément par les enquêteurs de Human Rights Watch, ont unanimement affirmé que les combattants de l'ALIR avaient reçu pour instruction de ne pas faire de mal aux civils. Plusieurs témoins ont fourni des détails sur le moment et le lieu où un tel ordre avait été formulé. Deux témoins ont par exemple déclaré que le Colonel Ndege (un nom de guerre) a formulé cet ordre afin de protéger les civils, lors d'une réunion d'officiers qui s'est tenue le 6 mai, à Masisi. Un autre a déclaré avoir reçu un tel ordre par écrit.32 Des officiers de rang subalterne ont affirmé qu'ils étaient responsables de la transmission de cet ordre à leurs troupes.33

A la mi-août, on rapportait au moins dix meurtres de civils par des combattants de l'ALIR, dans le nord-ouest du Rwanda. Dans l'un des cas, les combattants de l'ALIR auraient riposté aux coups de feu d'une patrouille croisée de nuit, tuant ainsi deux civils. Selon un témoin, ils ont présenté leurs excuses aux survivants quand ils ont appris qu'ils avaient tiré sur des civils.34 Dans plusieurs autres cas, les combattants de l'ALIR ont tué ceux qu'ils accusaient d'avoir prévenu les soldats rwandais de leur présence ou ceux qui refusaient de remettre des biens que les combattants voulaient saisir.35 Le 8 juillet, plusieurs combattants de l'ALIR volèrent deux femmes, une mère et sa fille, et firent feu sur elles, au cours d'un incident qui pourrait être la conséquence d'un ancien conflit local. Les deux femmes ne furent pas sérieusement blessées.36 Le 20 août, des combattants de l'ALIR auraient tué par balle un garde forestier qu'ils auraient croisé sur le volcan Karisimbi. Le garde participait à une patrouille de routine assurant le repérage des gorilles.37

Le 29 juin, le maire du district de Ndiza (anciennes communes de Nyabikenke et Rutobwe) fut touché par balle et le commandant de police qui l'accompagnait, tué. Plusieurs jours plus tard, les autorités locales ont annoncé que deux combattants de l'ALIR, âgés de treize et vingt ans, avaient été capturés et étaient accusés de cette attaque. Selon ces autorités, les deux jeunes ont prétendu que cette fusillade était accidentelle. Ils ont déclaré qu'ils avaient voulu se rendre mais que l'officier de police avait tiré et qu'ils avaient alors riposté. Si cette version s'avérait exacte, ce serait le seul cas, à ce jour, d'attaque des forces de l'ALIR dans la province centrale de Gitarama. Des habitants du coin ont fait remarquer l'absence de signes supplémentaires indiquant la présence de l'ALIR aux abords immédiats de l'incident. Ils ont avancé que la fusillade pouvait être liée à des rivalités remontant à l'élection de responsables locaux, en mars.38

Rien ne permet de soupçonner que le meurtre de l'une ou l'autre des victimes par les combattants de l'ALIR s'est produit à cause de leur appartenance ethnique.

Un témoin a déclaré que des hommes de son unité avaient tué des civils lors d'un raid depuis une base, dans le parc national forestier des volcans Virunga. Quand le groupe est rentré à la base et a fait son rapport à l'officier en chef, deux hommes, le Caporal Savimbi et le Caporal Nirora ont été punis de 100 coups de bâton chacun.39

Les combattants de l'ALIR auraient reçu l'ordre de ne pas commettre de viols. A la mi-août, un seul cas de viol avait été signalé par les combattants de l'ALIR, celui d'une responsable locale dans la partie nord de la province de Ruhengeri.40

Pillage de biens

Les combattants de l'ALIR ont causé de graves dommages aux habitants du nord-ouest, en se livrant à des pillages, en particulier de nourriture, vêtements et médicaments. Plusieurs officiers et combattants de l'ALIR ont avancé qu'on leur avait ordonné de ne pas voler les biens personnels dans les maisons des civils bien qu'ils aient été autorisés à s'approprier les récoltes des champs et tout autre matériel nécessaire à leur subsistance. Si tel fut l'ordre donné, les combattants l'ont violé à maintes reprises, en volant notamment des postes de radio. Dans l'ensemble, les combattants de l'ALIR n'ont pas détruit de biens comme l'avaient parfois fait les rebelles, en 1997 et 1998, en incendiant des bâtiments.

La pratique du pillage a été établie lors de leur premier raid, fin mai, dans le district de Buhomo (anciennement communes de Nkuli et Nyamutera) quand un groupe de soixante-dix combattants a fait irruption de la Forêt Nationale de Virunga pour voler dans les maisons et les magasins. Ils ont capturé des civils, notamment deux enfants âgés de douze et quatorze ans, dans le secteur de Nyarutembe, afin qu'ils servent de guides et pour transporter les marchandises volées. Ils auraient cependant été relâchés le lendemain. Les combattants de l'ALIR se sont heurtés aux soldats du gouvernement rwandais à environ sept miles de l'endroit où ils étaient sortis de la forêt, perdant approximativement la moitié de leur compagnie, dans ce premier combat.41

Le 17 juin, les pillards de l'ALIR ont récolté quatre champs de pommes de terre dans le secteur de Kagano, sans le consentement du propriétaire.42 Selon un habitant du district de Buhoma, les combattants de l'ALIR sont allés dans cette zone, tous les jours, début juillet.

La nuit dernière, ils ont dévalisé Dusabimana Theoneste. Ils lui ont pris son poste de radio et 450 livres de pommes de terre. Ailleurs, ils ont pris 900 livres de pommes de terre et six poulets. Dans la cellule de Rusenge qui borde la forêt, ils sont toujours là-bas. Ils ne frappent même pas aux portes. Ils arrivent à 7 heures du soir. Si vous n'avez pas fini de cuisiner le repas, ils attendent. Ils mangent avec vous et après, ils vont dans une autre maison.43

Depuis la zone boisée des volcans Virunga, leur base initiale, certains groupes se sont déplacés vers le sud, vers la forêt de Gishwati, l'autre importante zone boisée du nord-ouest. Ils se sont généralement déplacés pendant la nuit et tôt le matin mais ils ont parfois osé voyager en plein jour.44 Une fois installés à Gishwati, les combattants ont lancé des raids sur les maisons, les magasins et les champs des environs. Dans la nuit du 6 au 7 juin, par exemple, ils se sont livrés à des pillages dans le district de Nyagisagara (anciennement commune de Kibilira) qui borde Gitarama.45

Des combattants de l'ALIR ont aussi pillé les réserves de trois centres de santé (Nyamutera, Shingiro et Gasiza). Au centre de Shingiro, qui abrite également un centre de nutrition spécialement destiné aux enfants mal nourris, les combattants ont pratiquement tout pris, y compris un lit sur lequel transporter un combattant blessé et le microscope du centre. Ils ont dérobé de l'argent, des vêtements et du linge de lit aux patients de la clinique. Ils ont volé des vêtements et mangé de la nourriture, dans la maison du directeur.46 Au moment de l'attaque sur le centre de santé de Gasiza, le 25 mai, les autorités militaires et civiles savaient, à une heure du matin, que le groupe se dirigeait vers cette région. Cependant, lorsque les combattants ont attaqué simultanément le centre, le bureau du district et le centre commercial à 5 heures du matin, il n'y avait pas suffisamment de soldats disponibles pour assurer la protection du centre de santé. Approximativement une heure après le début de l'attaque, les soldats du gouvernement rwandais sont arrivés sur les lieux avec un blindé et ont commencé à faire feu. Deux civils ont été hospitalisés après avoir été touchés par les tirs du blindé, notamment une femme dont le pied fut réduit en lambeaux.47

Les combattants de l'ALIR ont tenté un raid sur un quatrième centre de santé, celui de Busengo mais en ont été détournés par les soldats du gouvernement rwandais.48 Selon un membre d'une unité avancée de l'ALIR connue sous le nom de Compagnie de Recherche et Action en Profondeur, CRAP, l'un de leurs objectifs était d'obtenir des fournitures et des équipements afin de soigner les malades et les blessés restés dans la forêt, que ce soit au Rwanda ou au Congo. Un autre but était de détruire l'équipement militaire et les véhicules.49

Idéologie et objectifs

Les membres de l'ALIR interrogés par les enquêteurs de Human Rights Watch ont déclaré que l'objectif de leur mouvement était de renverser le gouvernement actuel du Rwanda qu'ils décrivent comme répressif et non respectueux des droits humains. Des récits parus dans la presse se font l'écho de sentiments similaires de la part d'autres combattants de l'ALIR, y compris le chef d'Etat-major, le Colonel Habimana.50 Selon les autorités locales, des tracts de l'ALIR ont été trouvés déclarant que l'ALIR avait l'intention de libérer le pays, mettre fin à la dictature et éliminer l'injustice.51 Plusieurs des combattants maintenant détenus par les Rwandais ont fait remarquer qu'ils avaient espéré gagner l'appui de la population locale mais qu'ils ont, en fait, rencontré des habitants du nord-ouest du Rwanda hostiles à toute reprise du conflit.52

Certains ont exprimé leur objectif politique en termes ethniques. Plusieurs membres de l'ALIR ont parlé de mettre fin à la domination "tutsi" et de "libérer les Hutu."53 Comme l'a déclaré Habimana, "Nous, les Hutus, nous voulons juste récupérer notre pouvoir."54 Mais d'autres ont évité toute référence ethnique. Un officier a déclaré que les chefs de l'ALIR avaient réalisé que tuer sur une base ethnique faisait scandale auprès de la communauté internationale et avaient donc décidé de mettre fin à cette pratique.

Un autre combattant de l'ALIR a attribué le rejet de la haine ethnique aux valeurs chrétiennes qui ont apparemment influencé le mode de pensée d'un nombre important de chefs et combattants de l'ALIR. Selon la presse rwandaise, les chefs de l'ALIR ont donné L'Oracle du Seigneur comme nom de code à la récente opération militaire, au Rwanda.55 Certains des combattants faits prisonniers portaient des rosaires et autres éléments religieux, souvent marqués d'une Bible, d'un fusil d'assaut AK47 et des mots, "Sauvé en Dieu". Plusieurs enfants avec de tels rosaires ont déclaré qu'ils les avaient reçus d'un aumônier de l'ALIR.56 Une carte d'identification militaire prise sur un combattant de l'ALIR fait prisonnier portait un tampon représentant une Bible, un pistolet et une colombe. Le tampon était entouré des mots "justice, foi en Dieu, unité et paix".57 Un aumônier de l'ALIR a déclaré aux enquêteurs de Human Rights Watch qu'il avait lui-même reçu, tout comme d'autres issus de groupes de prières, des devins et des prophètes, des messages spirituels qu'ils avaient communiqués aux chefs militaires après avoir séparé ceux qui émanaient de Dieu et ceux qui provenaient du diable. Il a déclaré que les combattants de l'ALIR croyaient que c'était la volonté de Dieu, pour les réfugiés hutu au Congo, de rentrer chez eux, au Rwanda, à tout prix. Cette affirmation a été confirmée par d'autres, lors d'entretiens individuels.58 Dans une cachette abritant des documents de l'ALIR récupérés par les forces rwandaises, pratiquement la moitié des documents était constituée de prières et chants religieux.59 Certains combattants de l'ALIR appellent leur force l'Armée de Jésus, Ingabo za Yezu en kinyarwanda.

3 Certains combattants de l'ALIR ont déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch que les FDLR sont la voix de l'ALIR, entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001. Mais un porte-parole des FDLR a déclaré à Human Rights Watch, en septembre 2001, que son organisation n'avait aucun lien avec l'ALIR. Ce rapport s'appuie exclusivement sur des informations en provenance des combattants du groupe nord. Par conséquent, ALIR est utilisé tout au long du rapport en référence unique à ce qui est connu comme la Division I de l'ALIR ou ALIR I.

4 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

5 Alex Duval Smith, "Le Rwanda annonce que les Hutus préparent un second génocide", The Independent, 4 août 2001.

6 United Nations Integrated Regional Information Network (IRIN), IRIN-CEA Update, 1,236, 3 août 2001.

7 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin et 9 juillet 2001.

8 Hervé Bar, « Désarmement des groupes armés : une étape complexe du processus du paix, » Agence France Presse, 20 août 2001.

9 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Kigali, 20-22 juin 2001 ; par téléphone, 13 août 2001 ; Arnaud Zartman, "Les hommes politiques congolais choisissent des délégués", Associated Press, 14 août 2001.

10 Mungwarakarama Jean-Pierre, "Félicitations aux habitants de Ruhengeri pour leur rôle dans la préservation de la sécurité", Ingabo, No. 74, juillet 2001.

11 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

12 Entretiens conduits par téléphone par Human Rights Watch, Ruhengeri, 27 et 29 juin 2001

13 Radio Rwanda, journal du soir, 16 juillet 2001.

14 Voice of America, "L'armée rwandaise contrecarre une offensive de rebelles hutu en provenance du Congo," 2 août 2001. Hervé Bar, "Des membres des milices hutu capturés évoquent l'ordre d'infiltrer le Rwanda", Agence France Presse, 4 juin 2001.

15 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin et Kigali, 20 juin 2001.

16 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

17 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin 2001, Kigali, 17 juillet 2001, IRIN-CEA Update, 1,236, 3 août 2001; Agence France Presse, "Au moins quatre civils tués en sept jours par des miliciens hutus rwandais", 12 juillet 2001.

18 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001 et Kigali, 22 juin 2001.

19 Smith, "le Rwanda met en garde contre la préparation d'un second génocide par les Hutus" ; Karl Vick, "Dans un village rwandais, une opposition aux rebelles hutu", The Washington Post, 17 juin 2001.

20 Hervé Bar, "Des membres des milices hutu capturés évoquent l'ordre d'infiltrer le Rwanda", Agence France Press, 4 juin 2001.

21 Hervé Bar, "La victoire par les mots : le Rwanda se renforce contre les ennemis de l'autre côté de la frontière", Agence France Press, 30 juin 2001.

22 En plus du Général de Division Bizimungu mentionné plus haut, le Colonel Tharcisse Renzaho, préfet de la ville de Kigali durant le génocide est associé aux forces dans le sud. Cette force pourrait être responsable de la distribution de tracts, lors de la bataille de Pweto, en 2000, qui qualifiaient les Tutsi de "serpents", terme largement utilisé durant le génocide de 1994. Vick, "Dans un village rwandais, une opposition aux rebelles hutu".

23 Smith, "le Rwanda met en garde contre la préparation d'un second génocide par les Hutus".

24 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin et 9 juillet 2001.

25 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001.

26 Entretien conduit par Human Rights Watch, Kigali, 30 août 2001.

27 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

28 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001.

29 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

30 Gacaca est une pratique traditionnelle communautaire de résolution des conflits. Elle est en train d'être transformée, dans le système rwandais de justice civile, en une hiérarchie de cours de justice élues par le peuple afin de juger les cas de génocide.

31 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

32 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 9 juillet 2001.

33 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001.

34 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin et 9 juillet 2001.

35 Agence France Press, "Au moins quatre civils tués en sept jours par des miliciens hutus rwandais", 12 juillet 2001.

36 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin et 10-11 juillet 2001.

37 IRIN-CEA Update 1250, 23 août 2001.

38 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Kigali, 2 juillet et Ndiza, 3 juillet 2001.

39 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001.

40 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 9 juillet 2001.

41 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 23-24 mai 2001.

42 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin 2001.

43 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 10 juillet 2001.

44 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 23-24 mai 2001.

45 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gisenyi, 7 juin 2001.

46 Entretien conduit par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18 juin 2001.

47 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Cyanzarwe, 24 mai 2001.

48 Entretiens conduits par Human Rights Watch, 9 juillet 2001.

49 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin et 9 juillet 2001.

50 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001 ; Radio Rwanda, Journal du soir, 16 juillet 2001 ; Vick, "Dans un village rwandais, une opposition aux rebelles hutu."

51 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gisenyi, 23 mai 2001.

52 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 23 mai, 19 juin, 9 juillet 2001 ; Vick, "Dans un village rwandais, une opposition aux rebelles hutu ;" Mungwarakarama, "Félicitations aux habitants de Ruhengeri pour leur rôle dans la préservation de la sécurité."

53 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Ruhengeri, 18-19 juin 2001.

54 Smith, "le Rwanda met en garde contre la préparation d'un second génocide par les Hutus".

55 Cyrille Kanamugire, "La mission secrète du PDR-UBUYANJA et de son président Bizimungu," Kinyamateka, no. 1580, juillet 2001.

56 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Gitagata, 23 août 2001 ; Reuters, "L'officier rebelle hutu Peter Habimana capturé déclare que sa force basée au Congo est suffisamment forte pour survivre à ses récentes défaites," 15 juillet 2001.

57 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gisenyi, 24 mai 2001.

58 Entretien Human Rights Watch, Ruhengeri, 19 juin 2001 ; Smith, "le Rwanda met en garde contre la préparation d'un second génocide par les Hutus".

59 Entretien conduit par Human Rights Watch, Kigali, 22 juin 2001.

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