Africa - Central

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CHIFFRES

Rapatriés ayant fui le Rwanda en 1959-1973

Le gouvernement rwandais a souvent présenté la politique de l'habitat comme une réaction à une crise du logement qualifiée de démesurée. Il est vrai qu'à la fin 1996, des centaines de milliers de personnes étaient à la recherche d'un logement, mais les autorités ont parfois exagéré la gravité de la situation. Dans l'un de ses discours (voir plus bas), le Président Kagame affirma ainsi que quatre millions de personnes devaient être relogées. Une estimation réaliste du nombre de sans abri est nécessaire si l'on souhaite comprendre le contexte dans lequel s'est inscrite l'action du gouvernement et juger de la validité des arguments qu'il a avancés pour justifier le déplacement des populations vers les imidugudu.

Le gouvernement affirme que près de 800 000 rapatriés de la première vague -ceux qui ont quitté le pays entre 1959 et 1973- sont revenus au Rwanda, presque tous avant fin 1996-début 1997. Les autorités évaluent à 600 000 le nombre de Rwandais revenus au pays, en 1994. Ce chiffre n'est basé sur aucune procédure officielle de comptabilisation. A ce chiffre, il faut ajouter 175 000 personnes comptabilisées par le HCR en 1995 et 1996, et 21 000 pour la période 1997-1999, ce qui donne un total de 796 000 à la fin de 1999, chiffre que l'on arrondit généralement à 800 000.259

Cependant, des experts du Fonds des Nations Unies pour la Population et des démographes du Bureau National de la Population, un organisme gouvernemental rwandais, qui préparaient une étude socio-démographique, à la fin de 1996, affirmèrent que leur travail "corroborerait l'opinion selon laquelle une certaine surestimation du nombre des anciens réfugiés [c'est-à-dire ceux ayant quitté le pays entre 1959 et 1973] pouvait s'être produite."260 Ce commentaire n'attira pas grande attention, ce qui ne peut que surprendre lorsque l'on sait que des millions de dollars d'aide ont été accordés, sur la base de ces chiffres. Selon l'étude, 5,2 pour cent seulement des Rwandais se trouvant sur le territoire national à la fin de 1996, c'est-à-dire 321 000 personnes, affirmaient être nés à l'étranger. En plus de ces personnes, la catégorie des "anciens réfugiés" inclut également ceux qui sont nés au Rwanda, sont devenus réfugiés et sont ensuite revenus au pays. Malheureusement, les démographes n'ont pas publié de statistiques concernant cette partie de la population, bien qu'il soit possible qu'ils aient eu en leur possession ce type de données.261

Les statistiques portant sur le nombre de Rwandais vivant hors du pays, juste avant la guerre, semblent cependant confirmer que le nombre "d'anciens réfugiés" était loin d'atteindre 796 000. Selon des informations provenant du HCR, 379 000 réfugiés rwandais se trouvaient à l'étranger, en 1990. En 1992, le nombre total de Rwandais vivant dans les pays voisins du Rwanda, en ce y compris les personnes officiellement considérées comme des réfugiés (et donc comptabilisées par le HCR) et tous les autres, était d'environ 600 000. Même si chacune de ces 600 000 personnes avait décidé de rentrer au pays, il aurait encore manqué 200 000 personnes pour arriver au total habituellement cité de 800 000 rapatriés.262

Il apparaît donc que l'estimation de 800 000 personnes doit être considérée avec un certain scepticisme tant que le gouvernement n'aura pas réalisé un recensement fiable de la population et déterminé combien de ceux aujourd'hui installés au Rwanda étaient des réfugiés, entre 1959 et 1973.

Les résidents des imidugudu

Il est important de savoir combien de personnes résident dans des imidugudu, de manière à pouvoir évaluer l'impact que ce programme a sur la population rwandaise. Obtenir des chiffres fiables est cependant difficile. Fin 1999, une étude réalisée par le PNUD et le gouvernement rwandais estimait que 177 000 maisons neuves avaient été construites dans les imidugudu et que 134 024 d'entre elles étaient occupées.263

Il est possible que ces chiffres aient été exagérés. Le HCR, principal fournisseur d'aide, a directement et indirectement participé à la construction de 85 000 logements.264 Le PNUD a, lui, contribué à la construction de vingt pour cent de toutes les maisons bâties, ce qui indique que le nombre total de celles-ci serait d'environ 108 000.265 A ceci s'ajoutent certains projets financés directement, dans le cadre de relations bilatérales. Si l'on tient compte du fait que certaines constructions ont été réalisées en dehors des sites de réinstallation, on peut estimer à 100 000 le nombre total de logements construits et occupés dans les imidugudu.

L'étude réalisée conjointement par le PNUD et le gouvernement rwandais concluait également que 117 000 familles installées dans les imidugudu vivaient dans des maisons non-terminées ou des abris recouverts de plastique ou d'herbes. Il faut noter que ce total ne tient pas compte des nombreux mal logés de la préfecture de Ruhengeri. L'insécurité qui y régnait au moment de la réalisation de l'étude avait en effet empêché ses auteurs d'y collecter des données. Fin 1999, par exemple, environ 14 500 familles habitant la commune de Kinigi s'étaient installées dans les imidugudu et la plupart d'entre elles devaient se contenter d'abris provisoires.266 Sur la base de ces différentes statistiques, on peut estimer qu'un minimum de 125 000 familles installées dans les imidugudu ne disposaient pas d'un logement convenable.267

Si l'on estime à 100 000 le nombre de familles vivant dans des maisons terminées et à 125 000 le nombre de celles devant se contenter de logements de fortune, il apparaît que le nombre total de familles réinstallées dans les imidugudu, à la fin 1999 est d'environ 225 000. Si l'on se base sur la conclusion de l'étude socio-démographique de 1996, qui fixe à 4,8 le nombre moyen de personnes composant une famille rwandaise, on peut conclure qu'un minimum de 1 080 000 personnes vivaient dans les sites gouvernementaux, à l'époque.268 Un nombre inconnu d'autres personnes, certainement plusieurs milliers, les rejoignirent l'année suivante.

Un expert de la vie rurale a calculé, sur la base d'autres données, qu'un peu moins d'un million de personnes avaient déménagé vers les imidugudu.269

Les données disponibles n'étant pas absolument fiables, il est aujourd'hui impossible de déterminer avec précision le nombre exact de Rwandais installés dans les sites de réinstallation et encore plus impossible de savoir combien d'entre eux s'y trouvent contre leur gré. Les chiffres que nous fournissons donnent cependant une idée assez claire de l'ampleur du phénomène. Au moins plusieurs centaines de milliers de personnes ont emménagé dans les imidugudu, au moins plusieurs dizaines de milliers d'entre elles ont été déplacées contre leur gré et beaucoup de ces dernières ont dû, sous la contrainte, démolir leurs maisons avant de partir.

259 République du Rwanda et Fonds des Nations Unies pour la Population, Enquête Socio-Démographique 1996, p. 31; Gouvernement du Rwanda, Ministère des Terres, de la Réinstallation, et de la Protection de l'Environnement, "Thematic Consultation," p. 2.

260 République du Rwanda et Fonds des Nations Unies pour la Population, Enquête Socio-Démographique 1996, p. 31.

261 Le rapport fait référence à des données portant sur une "résidence préalable" à l'étranger, mais ne publie pas ces données. République du Rwanda et Fonds des Nations Unies pour la Population, Enquête Socio-Démographique 1996, p. 31. Contacté dans le but d'obtenir des informations supplémentaires sur ce sujet, l'expert étranger ayant collaboré au projet a répondu qu'il s'agissait là de données "sensibles".

262 André Guichaoua, "Vers Deux Générations de Réfugiés Rwandais," pp. 341 et 343, dans André Guichaoua, Les Crises Politiques au Burundi et au Rwanda (Lille : Université des Sciences et Technologies de Lille, 1995). Voir également HCR, Refugees and Others of Concern to UNHCR 1999 Statistical Overview, Tableau 11.7.

263 PNUD, Rapport, pp. 6-8.

264 CCA Working Paper n° 3, note p. 3. Voir plus bas pour un examen des statistiques du HCR.

265 Human Rights Watch, entretien, Kigali, 15 août 2000.

266 PNUD, Rapport, p.8 ; Human Rights Watch, entretien, Kinigi, Ruhengeri, 19 novembre 1999 ; Gouvernement du Rwanda, "Thematic Consultation," p. 2.

267 Il s'agit là d'un chiffre minimum. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les différentes estimations du gouvernement. En janvier 2000, il affirmait que 625 000 personnes (125 000 familles) avaient quitté les camps pour les imidugudu dans les préfectures du nord-ouest et que 163 000 d'entre elles (32 600 familles) vivaient dans des maisons terminées, ce qui signifie que 462 000 personnes (92 400 familles) vivaient dans des abris provisoires à Ruhengeri et Gisenyi. Selon les estimations de novembre 1999, Gisenyi ne représentait que 3 100 familles de ce total. CCA, Document de Travail N° 3, pp. 8, 10.

268 République du Rwanda et Fonds des Nations Unies pour la Population, Enquête Socio-Démographique 1996, p. 41. La distribution des personnes par catégorie (logement terminé, non-terminé, abri) aura certainement évolué, les données ayant été collectées à la fin de 1999, mais ceci n'aura pas affecté le nombre total de résidents.

269 Human Rights Watch, entretien téléphonique, Kigali, 11 septembre 2000.

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