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XI. FEMMES, ENFANTS, ET PERSONNES ÂGÉES

Dans les imidugudu, un nombre important de chefs de famille sont des personnes qui proviennent des couches les plus vulnérables de la société. Selon une étude, cinquante-neuf pour cent sont des femmes, cinq pour cent ont moins de vingt ans et sept pour cent ont plus de soixante ans.223 Défavorisées, beaucoup de ces personnes étaient sans logement et se trouvaient dans l'incapacité de se procurer des terres. Elles acceptèrent donc d'aller s'installer dans les imidugudu, espérant y trouver un logement. Parmi ces personnes vulnérables, on trouvait un certain nombre de veuves qui craignaient pour leur sécurité et étaient donc heureuses de pouvoir vivre au sein d'un groupe.224

D'autres femmes, enfants et personnes âgées avaient des maisons et auraient préféré continuer à y vivre, mais beaucoup ne disposaient pas des moyens économiques ou politiques qui leur auraient permis de résister aux pressions des autorités. Ces personnes acceptèrent également de déménager rapidement.

L'obligation de déménager posa de nombreux problèmes aux personnes vulnérables qui n'avaient ni la force, ni les ressources pour construire de nouvelles maisons. Dans beaucoup d'imidugudu, ce sont aujourd'hui les familles avec, à leur tête, une femme ou un enfant qui occupent les pires logements. Dans un cas précis, une famille de cinq, avec pour chef de famille une femme, vit dans un blindé minuscule, de quatre mètres sur un mètre vingt. La fille aînée de la famille est enceinte et devra vivre et élever son enfant dans ce même lieu. Le toit du blindé est fait de feuilles de bananier, mal fixées, que les coups de vent soulèvent sans cesse et qui laissent passer la pluie quand une tempête éclate. La chef de famille a expliqué qu'au moment de son arrivée sur le site, les résidents qui avaient pu construire les murs de leur maisons avaient reçu des tôles pour le toit. Ceux qui, comme elle, n'avaient même pas les moyens de construire une simple maison de bois et d'argile durent se résigner à vivre dans des blindés et y sont toujours.225

Une veuve originaire de la commune de Kinigi démolit sa maison et s'installa ensuite avec ses trois enfants dans l'umudugudu. Elle avait démonté son toit et l'avait emmené, mais il se révéla trop vieux et en trop mauvais état pour la protéger de la pluie. Elle l'utilisa donc comme mur et recouvrit le tout d'une bâche en plastique, en guise de toit. Elle doit aujourd'hui marcher plus de trois kilomètres pour aller chercher de l'eau. Elle dit qu'elle aurait préféré rester chez elle, près de son champ, mais que les autorités ne lui ont pas laissé le choix. Elle estime qu'elle ne peut rien changer à sa situation et qu'elle va donc continuer à vivre dans les mêmes conditions. Elle ne croit pas avoir un jour les moyens de se construire une maison solide et affirme s'être résignée à vivre sous une bâche de plastique, pour le restant de ses jours.226

Dans la commune de Rutonde (Kibungo), une femme chef de ménage avait convaincu ses proches de mettre en commun leurs maigres ressources pour pouvoir construire une maison pour sa mère qui est veuve et âgée. Peu de temps après la fin des travaux, la veuve recevait l'ordre d'aller s'installer dans un umudugudu. Sa fille raconte :

Cette politique d'imidugudu a causé tellement de problèmes pour ma famille, je suis vraiment en colère... Notre maison a été complètement détruite pendant le génocide. Après, nous avons travaillé très dur pour la reconstruire. Nous nous sommes vraiment serré la ceinture... Après, nous avons dû la démolir. Je n'ai même pas de maison pour moi et mes enfants. Et je dois utiliser toutes mes ressources pour construire une autre maison pour ma mère, dans l'umudugudu.227

A Ruhengeri, une organisation locale venait de terminer la construction de maisons pour des veuves, dans la commune de Cyeru, lorsqu'on ordonna aux femmes de les démolir et de s'installer dans l'umudugudu, où elles vivent dans des blindés recouverts de feuilles de bananier.228

Les femmes chefs de famille représentent des cibles faciles pour les autorités locales qui cherchent à se procurer des terres destinées à d'autres. Une veuve âgée, avec six enfants à charge, a ainsi dû donner toutes ses terres à des rapatriés qui affirmaient en être les anciens propriétaires. Elle raconte :

Je travaille pour d'autres, pour pouvoir manger. Si quelqu'un a du travail, n'importe qui, je le fais. Imaginez, une femme avec six enfants à nourrir, sans champs, et qui doit supplier qu'on lui donne du travail, alors qu'elle avait des terres... Je ne reçois aucune aide. Nous n'avons pas reçu de tôles pour le toit. La maison est mal construite et il pleut à l'intérieur.

Elle poursuit :

Une femme n'a pas droit à la justice si elle a un conflit avec un homme. Nous avons dû accepter... La plupart de ceux qui ont dû rendre les champs [aux rapatriés] étaient des veuves. Je sais que mes quatre voisins [qui ont abandonné leurs terres] étaient des veuves.229

Lorsque les autorités de la commune de Muhazi (Kibungo) s'approprièrent des terrains afin de les donner aux sans terres, ils saisirent la quasi-totalité des terres d'une veuve qui s'était plainte, à plusieurs reprises mais sans succès, d'être victime de harcèlement sexuel de la part du frère d'une autorité locale. Lorsqu'elle vit que les autorités locales avaient planté des piquets autour de sa maison, ne lui laissant aucune parcelle à cultiver, elle se plaignit à nouveau, sans qu'on ne l'écoute. "A moins que vous n'ayez de l'argent pour payer des pots-de-vin," déclara-t-elle, "vous n'arrivez à rien."230

Dans la commune de Musasa, les autorités saisirent presque toutes les terres d'une femme âgée et les divisèrent en petites parcelles, supposées faire partie d'un umudugudu. Le projet fut ensuite suspendu et elle fut autorisée à recommencer à cultiver une partie de ses terres. Une autorité locale s'est depuis appropriée le reste, pour son usage personnel et elle n'a pu convaincre la commune d'intervenir pour que ses terres lui soient rendues.231

Les femmes qui construisent leurs nouvelles maisons ont souvent besoin d'aide, ce qui les place à la merci des hommes. Une militante des droits des femmes explique : "Par exemple, une femme a besoin d'aide pour transporter le bois qui sert à la construction. L'homme l'aide et revient le soir en demandant une 'compensation.'"232

Les autorités locales, généralement en charge de la distribution de l'aide, insistèrent parfois pour que les femmes accordent certaines faveurs en échange des matériaux qui leur étaient destinés.233 Une femme de Rutonde, dont le mari a été tué pendant le génocide, repoussa les avances sexuelles d'une autorité locale qui se vengea en refusant de lui fournir des tôles pour son toit. Elle raconte :

Ma maison a été détruite pendant la guerre, mais je suis revenue et j'ai essayé de la réparer. Un peu plus tard, on m'a dit que je devais m'installer dans l'umudugudu et je l'ai fait. Ils devaient me donner une plaque de tôle pour le toit, mais je n'ai rien reçu... Lorsque vous avez un problème, d'autres problèmes suivent. Vous voyez comme mes enfants sont malades. Ils ont des plaies sur la tête. Je ne sais pas si c'est la malnutrition. Je n'ai même pas d'argent pour acheter du savon... Il y a un proverbe en kinyarwanda qui dit : "La pluie tombe sur tout le monde, mais certains sont plus mouillés que d'autres". Ils ont aidé tout le monde mais moi, qui suis membre de la communauté, ils ne m'ont rien donné.234

Une militante des droits des femmes fut scandalisée d'apprendre que les autorités locales exigeaient des faveurs sexuelles en échange des matériaux de toiture destinés aux veuves, à Kibungo, où sa famille résidait. Elle raconte: "Au moment de la distribution des matériaux, les autorités ont donné des tôles à leurs amis et pas aux personnes vulnérables. Si une veuve voulait en obtenir, le conseiller venait le soir la "photographier" -c'est ce qu'ils disaient, "photographier"-, vous savez, prendre son image."235 A Kibungo, une veuve rescapée du génocide parlait ainsi de la vulnérabilité des femmes : "Nous sommes des veuves, partout ! Les autorités, ce sont des hommes."236

Une fois installées dans l'umudugudu, les célibataires mères d'enfants en bas âge trouvent particulièrement incommode le fait de devoir parcourir de longues distances pour se rendre dans leurs champs ou pour aller chercher du bois et de l'eau. Chaque jour, elles affrontent le même problème et doivent soit emmener leurs enfants aux champs soit trouver un moyen d'assurer leur sécurité si elles les laissent chez elles.237

Les enfants chefs de ménage vivent également des situations difficiles, les autorités pouvant facilement saisir leurs biens. A Rusumo (Kibungo), un jeune et frêle garçon de treize ans s'occupe de ses deux frères, de douze et huit ans et de sa grand-mère. L'argent manque et aucun des enfants ne va donc à l'école. Les parents ont été tués pendant la guerre et leurs terres ont été saisies par les autorités qui voulaient y implanter un umudugudu. En échange, les enfants ont reçu un champ, qui se trouve à plus de onze kilomètres de l'endroit où ils vivent. Pendant la saison, le jeune garçon de treize ans fait chaque jour, à pied, le voyage jusqu'à son champ et s'occupe de ses plantations, s'il lui reste du temps et de l'énergie. La famille vit dans un petit blindé où l'on ne trouve aucun meuble, juste quelques nattes faites d'herbe qui servent de couvertures.238

Les personnes âgées souffrent également beaucoup des conséquences de leur déménagement vers les imidugudu. Dans une cellule d'une commune de Ruhengeri, sept des douze personnes qui durent démolir leur maison avaient plus de soixante ans. L'une d'elles était une femme de quatre-vingts ans. Dans une autre cellule de la même commune, la moitié des cultivateurs dont les plantations furent détruites lorsque l'on prépara un site de construction avaient plus de soixante ans.239

Dans certains cas, les autorités locales prirent l'initiative d'organiser les résidents pour qu'ils aident les plus faibles et les personnes âgées. Dans d'autres, des organisations humanitaires ou religieuses réunirent des ouvriers qui aidèrent à la construction des maisons. Cependant, étant donné le manque de ressources dans la plupart des imidugudu, les plus nécessiteux ne purent recevoir qu'une aide ponctuelle et symbolique.240

223 ADL, Étude, p.28.

224 Human Rights Watch, entretien, Gisumu, Cyangugu, 16 mai 2000.

225 Human Rights Watch, entretien, Nyarubuye, Kibungo, 30 octobre 2000.

226 Human Rights Watch, entretien, Kinigi, Ruhengeri, 19 novembre 1999.

227 Human Rights Watch, entretien, Rutonde, Kibungo, 14 mars 2000.

228 Human Rights Watch, entretien, Ruhengeri, 7 décembre 1999.

229 Human Rights Watch, entretien, Cyimbogo, Cyangugu, 16 mai 1999.

230 Human Rights Watch, entretien, Muhazi, Kibungo, 30 novembre 1999.

231 Human Rights Watch, entretien, Musasa, Kigali-rural, 7 novembre 2000.

232 Human Rights Watch, entretien, Rwamagana, Kibungo, 24 novembre 1999.

233 "Rien ne sera blanc comme neige," Imvaho Nshya, N° 129, 26 juillet - 1er août 1999.

234 Human Rights Watch, entretien, Rutonde, Kibungo, 14 mars 2000.

235 Human Rights Watch, entretien, Rwamagana, Kibungo, 14 mars 1999.

236 Human Rights Watch, entretien, Muhazi, Kibungo, 25 novembre 1999.

237 Human Rights Watch, entretiens et observations, Cyimbogo, Cyangugu, 16 mai 2000.

238 Human Rights Watch, entretien, Rusumo, Kibungo, 29 octobre 2000.

239 Human Rights Watch, entretien, Kigali, mai 2000.

240 Human Rights Watch, entretiens, Rutonde et Muhazi, Kibungo, 15 avril 1999 ; Cyimbogo, Cyangugu, 16 mai 2000.

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