Africa - Central

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IV. LA POLITIQUE NATIONALE DE L'HABITAT

Lors de la réunion du Conseil des ministres du treize décembre 1996, les représentants du FPR décidèrent de donner un coup d'accélérateur au programme de réorganisation de la vie rurale qu'ils avaient défendu depuis les Accords d'Arusha. Malgré les fortes objections de certains ministres, ils firent adopter une Politique nationale de l'habitat qui imposait à tous les habitants des zones rurales de changer leur mode de vie. A l'époque, le pays devait faire face au retour massif de réfugiés mais, comme l'indique le texte de la décision, la politique d'habitat fut adoptée non pas pour gérer les problèmes de logement qui découlaient de ce phénomène mais bien pour résoudre des problèmes plus fondamentaux de distribution des terres et de développement économique.

Le texte adopté par le Conseil des ministres, dans son introduction, insiste sur les problèmes de croissance démographique et de migration urbaine dans le "tiers-monde" et ne mentionne qu'à une seule reprise, à la fin, les "événements tragiques" que sont la guerre et le génocide, les qualifiant de circonstances qui aggravent la crise du logement que connaît le pays. Le document fait vingt-deux pages mais le retour des réfugiés n'est mentionné qu'à une seule reprise, pour expliquer la nécessité de résoudre les problèmes d'habitat. Les Accords d'Arusha, que les autorités présenteront plus tard et de manière erronée comme la base légale de leur politique de regroupement, ne sont pas mentionnés du tout.

Le document affirme que les imidugudu ont pour but d'assurer le développement économique et qu'ils auront plusieurs fonctions :

    · La création d'emplois non-agricoles, qui diminueront la pression sur les terres arables ;
    · Le regroupement de la population, afin de contrebalancer l'habitat dispersé qui rend difficile la sensibilisation de la population ;
    · La résolution du problème de rareté et d'exiguïté des terres arables par le remembrement et par un système des terrasses ;
    · La protection de l'environnement ;
    · La mise en place facile des réseaux de transports et de distribution.17

Il semble que la politique ait été conçue de manière à être mise en _uvre graduellement. Ainsi, le texte mentionne l'établissement par les autorités de marchés et de services, sur les sites choisis, avant que l'on ne tente d'y attirer des résidents. Le texte affirme ensuite que même si des services attractifs sont offerts, les populations ne s'installeront pas spontanément dans les agglomérations construites et qu'il est probable qu'un temps considérable s'écoule avant qu'elles n'acceptent un nouveau système d'habitat et de propriété foncière. Le texte prévoit également la nécessité de verser une indemnisation aux personnes dont les terres seront saisies afin d'y implanter les agglomérations.18

Trois semaines après l'adoption de la politique d'habitat, les autorités rwandaises associait celle-ci à la crise du logement provoquée par le retour des réfugiés. Le deux janvier 1997, le Ministre de l'intérieur et du développement communal ordonnait aux Rwandais de faire preuve "d'entraide mutuelle" et exigeait d'eux qu'ils assistent les sans abris dans la construction de nouvelles maisons. Concrètement, cette aide passait par le recours à la coutume du travail obligatoire pour le bien commun, connue sous le nom d'umuganda. Le ministre en profita également pour interdire de manière explicite aux propriétaires terriens de construire sur leurs terres si celles-ci étaient situées en dehors des imidugudu. Il affirma que les ruraux devaient "habiter à l'écart des champs [qu'ils cultivent]." Il énuméra ensuite les noms de plusieurs groupes qui allaient vivre dans les imidugudu et conclut "(...), bref, tout le monde est obligé d'aller prendre une parcelle dans le village."19

Le neuf janvier 1997, le Ministre des Travaux Publics affirmait que tous les Rwandais allaient recevoir un terrain dans un umudugudu et qu'il était dès lors interdit de construire tout bâtiment en dehors de ces sites. Il donnait ordre aux autorités locales de dresser rapidement une liste de toutes les maisons existant dans la région placée sous leur contrôle afin de garantir qu'aucune nouvelle construction ne serait réalisée à l'extérieur des agglomérations. Il concluait en rendant les différentes autorités travaillant directement avec la population, responsables "d'intégrer dans leurs attributions la sensibilisation au bien fondé de l'habitat groupé"  et de "mobiliser"  la population à y adhérer.20

Par le biais de ces deux décisions, le gouvernement greffait la Politique nationale de l'habitat sur les programmes d'aide destinés aux sans abris. Il allait au-delà des Accords d'Arusha, qui prévoyaient de loger les rapatriés dans des agglomérations créées à cet effet mais ne leur interdisaient aucunement de s'organiser de manière autonome pour construire un logement ailleurs.21 Les autorités interdisaient de fait toute construction en dehors des imidugudu et ceci non seulement aux anciens réfugiés mais à tous les Rwandais.

Imposer que toute nouvelle maison construite le soit dans une agglomération permettait d'accélérer le processus de réorganisation rurale. De la même manière, obtenir des aides internationales destinées au logement allait permettre de financer la mise en _uvre de la politique de l'habitat. Il semble que les responsables gouvernementaux, pour bénéficier plus facilement de tels fonds, aient décidé de présenter la création des imidugudu plus comme une réponse à la crise du logement que comme un programme à long terme de réforme foncière et de développement économique. A la fin du mois de janvier 1997, dans le cadre d'une présentation faite à des bailleurs de fonds, le Ministre de la réhabilitation et de l'intégration sociale, Patrick Mazimhaka, déclarait que les imidugudu allaient permettre de promouvoir la paix et la réconciliation et d'assurer la sécurité.22 Ces objectifs supposés, absents du texte du treize décembre et apparemment révélés pour la première fois à cette occasion, coïncidaient parfaitement avec la logique de "prévention [d'autres conflits]" et de "protection" développée par le HCR pour justifier le soutien apporté au programme de construction de logements.23 Le HCR était et allait continuer à être le principal canal de financement des programmes relatifs au logement.

17 République Rwandaise, Ministère des Travaux Publics, Politique nationale de l'habitat, Décembre 1996, p. 20.

18 Ibidem, pp.17, 21-22.

19 République du Rwanda, Instruction du Ministre de l'Intérieur et du Développement Communal N° 001/97 du 2/1/1997 Relative à l'Entraide Mutuelle, article 4 (a), Journal Officiel de la République Rwandaise, p. 3. Ci-après repris sous l'appellation "République du Rwanda, Instruction. . . Relative à l'Entraide Mutuelle".

20 Instruction Provisoire N° MINITRAPE 01/97 sur l'Habitat, articles 11, 15 et 19, Journal Officiel de la République Rwandaise, p. 6.

21 Protocole d'Accord, articles 3, 4, 13 et 28.

22 Anonyme, "Imidugudu," p. 4.

23 Chantal Laurent et Christian Bugnion, "External Evaluation of the UNHCR Shelter Program in Rwanda, 1994-1999," UNHCR, Reintegration and Local Settlement Section, 2000, pp. ix-xi, 29.

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