Africa - Central

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I. RÉSUMÉ

Le gouvernement rwandais a procédé à la réinstallation de centaines de milliers de réfugiés tutsi rentrés au pays après des décennies d'exil, quatre années de guerre et un génocide, en 1994, qui coûta la vie à au moins un demi million de Tutsi à l'intérieur du pays. Le présent rapport n'est pas consacré à la réinstallation, généralement bien appréciée, de ces réfugiés, mais bien à un autre processus, moins connu, qui a pris place dans l'ombre de la réinstallation et qui a donné lieu à la violation des droits de dizaines de milliers de citoyens rwandais.

Le treize décembre 1996, le Conseil des ministres du Rwanda adoptait une Politique nationale de l'habitat imposant à tous les Rwandais habitant des maisons dispersées d'aller s'installer dans des "villages" créés par les autorités et appelés imidugudu (au singulier, umudugudu). Conçue sans aucune forme de consultation populaire préalable ni intervention de l'assemblée parlementaire, cette politique allait bouleverser la manière de vivre d'environ quatre-vingt quatorze pour cent de la population. Pendant les quatre années qui suivirent, le gouvernement rwandais procéda au déplacement de centaines de milliers de personnes vers les imidugudu, dont un nombre important contre leur gré.

A l'origine, le gouvernement adopta cette politique dans le but d'arriver à divers objectifs de développement économique à long terme, énoncés plusieurs années auparavant par le Front Patriotique Rwandais. Par la suite, cependant, il affirma que ce plan avait pour but de résoudre la crise du logement provoquée par le retour des réfugiés au Rwanda. Lorsque les agences internationales et les pays donateurs se lancèrent dans des activités destinées à aider les rapatriés à se loger, le gouvernement ordonna que toutes les nouvelles constructions soient réalisées dans des sites désignés par les autorités. Des centaines de milliers de Rwandais sans logement, dont une majorité de rapatriés tutsi, mais aussi des rescapés du génocide et d'autres victimes du conflit, acceptèrent de bon gré d'aller vivre dans des imidugudu.

Au même moment, sans tambours ni trompettes, certaines autorités locales commencèrent à ordonner à des ruraux possédant un logement, tant hutu que tutsi, de déménager pour aller s'installer dans un umudugudu. Dans certains cas, les populations furent même obligées de démolir leurs maisons avant de se rendre sur le site désigné. Par la suite, des responsables nationaux de haut rang affirmèrent ne jamais avoir autorisé le recours à des méthodes coercitives, mais ils n'ignoraient pas que certaines autorités locales recouraient aux menaces et à la force pour obliger les populations à déménager. Les autorités félicitèrent d'ailleurs les communes dans lesquelles le transfert vers les imidugudu avait été rapide et accordèrent même une promotion au préfet de Kibungo, la région dans laquelle la politique fut mise en _uvre avec le plus de rigueur.

Le processus de réorganisation de la vie rurale fut d'abord mis en _uvre dans l'est du pays, où les rapatriés étaient les plus nombreux et où la question de la propriété foncière risquait de s'envenimer et de donner lieu à des conflits. Plus tard, après la répression d'une insurrection dans le nord-ouest, les militaires et les autorités locales appliquèrent la politique dans cette région du pays, prétendant que le regroupement des personnes dans les imidugudu était nécessaire pour assurer leur sécurité.

Dans plusieurs cas, des Rwandais qui avaient publiquement critiqué les regroupements forcés ou refusé d'obéir et de démolir leur maison furent arrêtés ou durent payer une amende.

Les premiers à s'installer dans les sites gouvernementaux, souvent des rapatriés tutsi ou des rescapés du génocide, purent obtenir des maisons achevées, habitables immédiatement, ou reçurent des matériaux de construction offerts par les agences d'aide étrangères. Ceux qui arrivèrent plus tard, généralement des Hutu et des Tutsi forcés de quitter des maisons solides, ne reçurent quasiment aucune assistance. Beaucoup ne disposaient pas des ressources nécessaires pour construire des maisons et se fabriquèrent des abris précaires, faits de branches, d'herbes, de feuilles ou de bâches en plastique. Certains d'entre eux vécurent dans de tels abris pendant deux ans ou plus. Selon des informations réunies, fin 1999, par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le gouvernement rwandais, plus d'un demi million de personnes résidant dans les imidugudu vivaient à l'époque dans un abri ou une maison non-terminée.

Ceux qui souffrirent le plus des relogements forcés furent sans aucun doute les femmes et enfants chefs de famille.

Dans de nombreuses communautés, les responsables locaux mirent en _uvre la politique de l'habitat en établissant des imidugudu sur des terres confisquées à des cultivateurs, sans que ceux-ci, dans la plupart des cas, ne reçoivent la moindre indemnisation. Les sites furent souvent choisis sans consulter la population.

Les autorités locales non seulement établirent les imidugudu mais elles fournirent également des terres à des rapatriés tutsi qui, rentrant d'exil, n'en possédaient pas. Dans certaines régions des préfectures de Kibungo, d'Umutara et de Kigali-rural, ils obligèrent des propriétaires à partager leurs terres avec les nouveaux arrivants. Là aussi, les autorités prirent des décisions sans consulter la population. Ceux qui furent forcés de céder ainsi une partie de leurs terres ne furent généralement pas indemnisés. D'autres, qui refusèrent de se soumettre, furent punis d'emprisonnement. Les autorités saisirent également des terres pour les donner ensuite à des responsables politiques, des officiers militaires et d'autres, y compris descommerçants, ou autorisèrent certaines personnalités à confisquer purement et simplement les terres qu'elles souhaitaient s'approprier. De tels actes avaient officiellement pour but de permettre la création de grandes exploitations agricoles supposées contribuer au développement de l'économie locale et nationale.

Dans le cadre de la mise en _uvre de sa Politique nationale de l'habitat, le gouvernement rwandais a violé les droits de dizaines de milliers de citoyens :

    · En les obligeant à résider ailleurs que là où ils le souhaitaient ;
    · En intervenant de manière arbitraire et illégale sur leurs domiciles ;
    · En les obligeant à démolir ou à céder leur propriété sans respecter les règles de droit et sans les indemniser ;
    · En punissant ceux qui critiquaient cette politique ;
    · En ne fournissant aucune possibilité de recours à tous ceux dont les droits étaient violés.

A l'époque où les autorités commencèrent à mettre en _uvre leur politique, la communauté internationale se sentait encore terriblement coupable de n'avoir rien fait pour stopper le génocide. Soucieux de se racheter en finançant le relogement des sans abris, les gouvernements donateurs, agences de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et les organisations non-gouvernmentales (ONG) investirent plusieurs dizaines de millions de dollars et des ressources humaines conséquentes dans des programmes de construction. La plupart des acteurs impliqués dans cet effort international étaient conscients du fait que les programmes de construction de logements qu'ils soutenaient étaient associés à un programme de déplacement des populations rurales donnant lieu à de multiples exactions et violations des droits humains. Dans un premier temps, ils abordèrent ce problème dans leurs discussions avec le gouvernement mais le sujet fut abandonné lorsqu'il apparût, assez tôt, que le gouvernement rwandais avait décidé de mener à bien sa politique, coûte que coûte. Il fallut en fait attendre deux ans, parfois trois, pour voir la plupart des donateurs remettre en question le manque de participation de la population au programme et les abus qui en avaient résulté.

Dans le courant de l'année 2000, le gouvernement rwandais, en réaction aux critiques de la communauté internationale, au manque de fonds ou à l'opposition interne, ralentissait la mise en _uvre de la politique de l'habitat. Le déplacement final de l'ensemble des ruraux n'était cependant aucunement remis en question et fin 2000, les autorités procédaient encore au regroupement forcé de certaines populations de la préfecture de Cyangugu, au sud-ouest.

Le présent rapport est basé sur des informations recueillies sur le terrain dans dix des douze préfectures du Rwanda (Butare, Byumba, Cyangugu, Gisenyi, Gitarama, Kibungo, Kigali, Kigali-rural, Ruhengeri et Umutara) ainsi que sur des entretiens avec divers représentants du gouvernement rwandais, le personnel de plusieurs ambassades à Kigali et des membres d'agences internationales et d'ONG. Les auteurs ont également examiné divers documents provenant du gouvernement rwandais, de l'ONU et de diverses autres sources diplomatiques.

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