Africa - West

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INTRODUCTION

Le virus de l'immunodéficience humaine et le syndrome d'immunodéficience acquise (VIH/SIDA) représentent un désastre national pour les habitants du Kenya, enfants et adultes confondus. On estime que le Kenya est placé au neuvième rang mondial en matière de prévalence du VIH avec environ 14 pour cent de la population adulte infectés. Environ un million d'orphelins dans le pays représentent seulement une fraction des enfants affectés par le SIDA. Ceux-ci incluent les enfants qui ont dû abandonner l'école pour s'occuper d'un parent malade, ceux vivant dans des familles qui prennent en charge des orphelins et ceux qui ont dû se mettre à travailler pour remplacer le salaire d'un parent malade.

Comme maladie mondiale, le VIH/SIDA se rapproche de la peste bubonique du Moyen Age par les millions de vies qu'il a fauchées. A ce jour, 22 millions de personnes sont mortes du SIDA mais plus de 36 millions sont infectées : ceci signifie que le pire reste à venir. En Afrique où son impact est le plus durement ressenti, les ravages sans précédent causés par le VIH/SIDA ont entraîné une détérioration du revenu national et du revenu des ménages, des accrocs dans le filet de sécurité que représente la famille élargie et l'apparition de millions d'orphelins. Si de nombreuses personnes travaillant à combattre cette maladie estiment que trop peu a été fait contre le SIDA et trop tardivement, le VIH/SIDA est maintenant l'objet d'une considérable attention mondiale dans la presse internationale, les enceintes traitant de politique internationale et la communauté chargée de l'aide internationale.

Décrit et analysé comme une catastrophe économique et sociale avec des conséquences sur le développement des pays, le VIH/SIDA est beaucoup moins bien compris comme une crise des droits humains même si les droits des personnes vivant avec le SIDA ou exposées au SIDA ont, depuis le début, figuré dans les politiques contre le SIDA. Jonathan Mann, aujourd'hui décédé, qui a dirigé le premier Programme Mondial sur le VIH/SIDA à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu dès les débuts de l'épidémie, l'importance du lien entre VIH/SIDA et droits humains, en particulier pour s'assurer que les personnes à risque ne seraient pas montrées du doigt lorsqu'elles utiliseraient les services de lutte contre le SIDA.2 Certaines déclarations initiales de politiques sur le SIDA faites par l'OMS soulignaient l'importance du combat contre la discrimination à l'encontre des personnes infectées par le VIH.

Au fur et à mesure que l'épidémie prenait de l'ampleur, les politiques nationales dans le monde industrialisé sont parvenues à inclure, de plus en plus, des dispositions explicites contre la discrimination à l'encontre des personnes séropositives et des personnes vivant avec le SIDA ainsi que des dispositions pour protéger le caractère volontaire du dépistage et la confidentialité des résultats. Certains experts en santé publique ont noté que ces politiques sur le VIH/SIDA différaient de celles sur les autres maladies sexuellement transmissibles telles que la syphilis et la gonorrhée, pour lesquelles le dépistage a été obligatoire, à certaines époques, ainsi que l'identification et la localisation des partenaires sexuels requises par la loi.3 Maintenant que le VIH/SIDA constitue une crise aux proportions historiques, certains experts ont suggéré qu'il pourrait être temps de revoir des mesures d'urgence comme le dépistage obligatoire à large échelle, sous certaines conditions.4 Le droit relatif aux droits humains, dont la législation sur les droits des enfants, devrait animer ces importantes discussions de politique de santé publique.

Le travail des organes des Nations Unies, et d'autres, sur SIDA et droits humains a mis l'accent sur le fait que le moteur de l'épidémie, dans de nombreuses régions du monde, est la violence sexuelle et la subordination des femmes et des filles. Ces travaux ont recommandé que des mesures de protection des droits des femmes soient partie intégrante du droit et des politiques sur le SIDA.5 Le Fonds des Nations Unies pour les Femmes (UNIFEM) se fait l'écho du travail de nombreux experts en sciences sociales en affirmant que l'épidémie "n'aurait pas atteint des proportions aussi importantes" si les femmes en Afrique et dans le monde pouvaient refuser des relations sexuelles non désirées et non protégées.6 Les délégués de 45 pays ont récemment approuvé un rapport rédigé pour la Commission des Nations Unies sur le statut des femmes qui concluait : "le manque de pouvoir des femmes et des filles sur leur corps et leur vie sexuelle, soutenu et renforcé par leur inégalité sociale et économique, les expose davantage à l'infection et à la vie avec le VIH/SIDA."7

Sur un autre front relatif aux droits humains, un mouvement issu de la société civile se faisant largement entendre sur la scène mondiale défend actuellement le droit des personnes vivant avec le SIDA dans les pays en développement à bénéficier des mêmes médicaments antirétroviraux largement utilisés dans les riches pays du nord. Une résolution de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies déclarait, en avril 2001, que l'accès aux traitements était un droit pour toutes les personnes atteintes du SIDA et appelait les états à faciliter l'accès "aux produits pharmaceutiques préventifs, curatifs, palliatifs ou aux technologies médicales" utilisés contre la maladie.8

Ces analyses actuelles et essentielles du VIH/SIDA en termes de droits humains n'ont pour la plupart pas centré leur attention sur les enfants affectés par le SIDA et sur les façons dont l'épidémie menace les droits humains des enfants. La situation critique des enfants orphelins à cause du SIDA a été l'objet de nombreux reportages journalistiques et de documentaires mais peu d'études sont disponibles sur les protections en matière de droit et de politique, des droits des enfants en lien avec le VIH/SIDA.

Traditionnellement, les orphelins et autres enfants vulnérables cherchaient soutien et protection auprès de la famille et de la communauté mais ces options sont de moins en moins disponibles dans les pays affectés par le SIDA. Cette détérioration est dans certains cas le résultat direct de la mortalité et d'autres conséquences inhérentes à l'épidémie. Dans d'autres cas, elle est le produit des effets simultanés et combinés du VIH/SIDA et d'une pauvreté drastique. L'absence de ce soutien traditionnellement apporté aux enfants par la famille et la communauté a des implications directes pour l'état. Les circonstances difficiles auxquelles sont confrontés les enfants atteints du SIDA peuvent être atténuées par des protections en matière de droit et de politique et par un soutien de l'état à des services bien définis et bien ciblés. Dans les années à venir, le nombre d'enfants affectés par le SIDA, en Afrique, se chiffrera en dizaines de millions. Les responsabilités de l'état doivent être mieux comprises et il est urgent d'agir sur ce point face à cette menace capitale sur les droits des enfants, sans précédent historique.

Pendant de nombreuses années, la réponse officielle du Kenya au problème du VIH/SIDA a été très faible. Récemment, le gouvernement a pris des mesures agressives pour raviver son combat contre la maladie, notamment en adoptant une législation destinée à faciliter l'importation de médicaments antirétroviraux génériques et meilleur marché et en commençant à baisser les droits de douane sur les préservatifs importés. Dans ce rapport, Human Rights Watch suggère que des mesures tout aussi agressives soient prises par le gouvernement pour assurer la protection des droits des enfants affectés par le VIH/SIDA.

Parce que très souvent le VIH/SIDA appauvrit et isole les enfants qu'il affecte et parce qu'il les prive de la présence de tant de membres de leur famille élargie, ces enfants courent un risque accru de devoir gagner leur vie dans la rue ou dans d'autres situations potentiellement dangereuses. Les enfants affectés par le SIDA sont confrontés à de nombreux obstacles pour continuer à fréquenter l'école et ainsi jouir de leur droit à l'éducation. Dans de nombreux cas, leur droit à hériter des biens de leurs parents leur est dénié, sans scrupule et en toute illégalité. Au Kenya, ils sont rarement en mesure d'intenter une action en justice afin de protéger leur droit à l'héritage. Ces facteurs combinés menacent le droit à la survie et au développement des enfants affectés par le SIDA que le gouvernement a l'obligation de leur garantir "dans toute la mesure du possible" selon la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l'Enfant. Ces problèmes sont aggravés au Kenya par un faible accès, en apparence, des enfants et jeunes adultes à une information adaptée et claire sur le VIH/SIDA. Ceci rend les enfants potentiellement incapables de se protéger contre une transmission du VIH. Les enfants ont droit à la survie ; au développement physique, social et culturel ; à la santé et à l'éducation. Ces droits sont garantis par la Convention relative aux Droits de l'Enfant, par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en particulier l'article 24 et par les Chartes africaines relatives aux droits de l'homme et des peuples et aux droits et au bien-être de l'Enfant, que le Kenya a tous ratifiés.

Le Kenya est loin d'être le seul pays devant renforcer les protections qu'il assure en matière de droits des enfants affectés par le SIDA. Partout dans le monde, les gouvernements ont négligé les conséquences du SIDA sur les enfants et n'ont pas réussi à fournir les protections nécessaires pour que ceux-ci puissent jouir de leur droit à la survie et au développement. Cet échec constitue l'une des crises les plus insidieuses et les plus durables liées à la catastrophe du VIH/SIDA et doit être abordé de façon extrêmement urgente.

1 Entretien conduit par Human Rights Watch, Kibera (Nairobi), 15 mars 2001.

2 Jonathan Mann, "Human rights and AIDS: The future of the pandemic," in Jonathan M. Mann, Sofia Gruskin, Michael A. Grodin et George J. Annas, eds., Health and human rights: A reader (New York et Londres: Routledge, 1999), p. 217.

3 Voir e.g., Kevin M. De Cock, "From Exceptionalism to Normalisation: a Reappraisal of Attitudes and Practice Around HIV Testing," British Medical Journal vol.316 (1998), Police Religieuse. 7127-7133.

4 Voir e.g., Kevin M. De Cock, "Keynote Lecture: Heterogeneity and Public Health in the Global HIV/AIDS Epidemic" (papier présenté à la 8ème Conférence sur les rétro-virus et les infections opportunistes, Chicago, 4 février 2001et John Oywa, "Doctors Plea on AIDS Spread", The Nation (Nairobi), 12 mai 2001. Ce dernier relate les efforts des médecins kenyans pour annuler des directives leur interdisant de révéler leur statut en matière de VIH à leurs patients. Les médecins ont affirmé que les lois sur la confidentialité faisaient obstacle au combat contre l'épidémie de VIH/SIDA.

5 Voir, e.g., le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains et le Programme Conjoint des Nations Unies sur le VIH/SIDA, HIV/AIDS and Human Rights: International Guideline, U.N. Doc. HR/PUB/98/1, 1998, en particulier la directive 8.

6 UNIFEM, "UNAIDS Partners with UNIFEM to Halt Spread of HIV/AIDS among Women and Girls (déclaration de presse), 24 mai 2001.

7 Commission des Nations Unies sur le statut des femmes, "Agreed Conclusions on Women, the Girl Child and HIV/AIDS" (déclaration adoptée à la 45ème session de la Commission, mars 2001).

8 Conseil Economique et Social des Nations Unies. Résolution de la Commission des Droits de l'Homme 2001/33, "Access to medication in the context of pandemics such as HIV/AIDS," U.N. Doc. E/CN.4/RES/2001/33, 20 avril 2001. Adoptée à l'unanimité avec abstention des Etats Unis.

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