Africa - West

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PERSONNES DÉPLACÉES AU KENYA: LES VIOLENCES ETHNIQUES ENCOURAGÉES PAR L'ÉTAT (37)

Fin 1991, les pressions nationales et internationales exercées en vue d'obtenir plus de liberté politique et de garantir le respect des droits de l'Homme au Kenya forçaient le Président Daniel arap Moi à légaliser un système politique pluripartite. En août 1991, un mouvement pro-démocratique kényan exigeait que soit mis fin au monopole politique du K.A.N.U., au pouvoir dans le pays depuis l'indépendance, en 1963. Le Président Moi, cependant, affirmait qu'un système à plusieurs partis mettrait en danger la stabilité de l'état en provoquant des polarisations de type ethnique. Fin 1992, lorsque les premières élections pluripartites furent organisées, il apparut de façon évidente que les faits lui avaient donné raison. A cette époque, les partis politiques kényans étaient en effet fortement divisés et définis en fonction de considérations ethniques. Des affrontements tribaux avaient eu lieu dans la partie occidentale du pays, provoquant la mort de centaines de personnes et en forçant des dizaines de milliers d'autres à fuir. La plupart des victimes provenaient d'ethnies généralement considérées comme favorables à l'opposition. En 1993, Human Rights Watch/Afrique estimait à 1.500 le nombre de victimes et à 300.000 celui des personnes déplacées. Les violences avaient opposé la petite tribu des Kalenjin (dont fait partie le Président Moi), alliée aux Maasai, (38) et les ethnies plus peuplées Kikuyu, Luhya et Luo. (39) Le Kenya, jusqu'alors un des états les plus stables de la région, était à cette époque au bord de la guerre civile.

Le gouvernement Moi tira profit du flou qui, depuis la fin de l'époque coloniale, régnait dans le pays dans le domaine de la propriété foncière et des baux. Les autorités coloniales avaient en effet, à l'époque, expulsé les ethnies pastorales installées dans la région de la Vallée du Rift et réquisitionné leurs terres au bénéfice des colons britanniques. Après l'indépendance de 1963, on décida de laisser s'installer sur ces terres les ouvriers agricoles qui, pour des salaires de misère, avaient travaillé dans les exploitations des colons.

Après l'indépendance, le Kenya devint de facto un pays à parti unique (le K.A.N.U.), suite à la dissolution volontaire de l'Union Démocratique Africaine du Kenya (K.A.D.U.), (40) qui défendait le régionalisme ethnique, et du Parti Populaire Africain. Sous le Président Jomo Kenyatta, la politique du K.A.N.U. fut marqué par un fort nationalisme Kikuyu. Le problème de la propriété foncière ne fut jamais réellement abordé. Les intérêts des colons britanniques furent préservés et aucun effort ne fut fait afin de régler le différend opposant les ethnies pastorales expulsées de la Vallée du Rift et les tribus d'agriculteurs qui, après l'indépendance, s'installèrent dans cette région. Conséquence de cette situation, des espaces cultivables gigantesques, parmi les plus fertiles du pays, continuèrent à être la propriété des anciens colons britanniques. Certains d'entre eux souhaitant vendre leurs exploitations, des programmes de règlement foncier furent mis en place, en collaboration avec le nouveau gouvernement, afin d'aider les anciens employés des colons à acheter -seuls ou de manière collective- les terres ainsi mises en vente.

Les Kikuyu, à la différence des Maasai et des Kalenjin, qui vivent de l'élevage, pratiquent l'agriculture depuis toujours. Nombre d'entre eux ont donc saisi la chance qu'on leur offrait de devenir propriétaires de terres agricoles. Pendant les années 1960 et 1970, de nombreux Kikuyus, encouragés et aidés par le Président Kenyatta, Kikuyu lui aussi, achetèrent les terres des anciens colons et, quittant la Province du Centre surpeuplée, s'installèrent dans la région de la Vallée du Rift. Ces fermes furent au centre des violences "ethniques" qui éclatèrent pendant les années 1990. Les instigateurs desdites violences se servirent des revendications foncières des uns et des autres pour provoquer des affrontements entre certains groupes ethniques.

En 1978, Kenyatta décède. Le Vice-Président Moi lui succède et, tout comme Kenyatta l'avait fait pour son ethnie Kikuyu, il utilise le pouvoir qui est le sien pour faire bénéficier les Kalenjin d'avantages totalement disproportionnés. Des Kalenjin, ainsi d'ailleurs que des Maasai, leur alliés, sont nommés à des postes clé de l'administration locale et nationale. En 1982, Moi amende la constitution et fait du Kenya un pays à parti unique, coupant ainsi l'herbe sous le pied de plusieurs hommes politiques qui, mécontents de la sévérité croissante du régime Moi, avaient décidé d'enregistrer officiellement la création d'un nouveau parti. Un coup d'état manqué, quelques mois plus tard, donnait lieu à des mesures de répression à l'encontre de tous les opposants potentiels.

En 1990, la répression avait provoqué un vigoureux mouvement de soutien à la mise en place d'un système pluripartite. En août 1991, l'opposition formait une coalition appelée "Forum pour la Restauration de la Démocratie" (F.O.R.D.) et exigeait la fin du système à parti unique. En novembre 1991, le groupe consultatif de donneurs d'aide bilatérale réagissait en suspendant temporairement le paiement d'une somme de plus de 1 milliard de dollars, destinés à l'origine à soutenir notamment la balance des paiements du Kenya. Notons que cette décision fut prise sur base de considérations relatives à l'économie, la gouvernance et les droits de l'Homme. Un mois plus tard, l'article 2(a) de la Constitution kényane, qui interdisait les partis d'opposition, était abrogé.

La campagne en faveur d'une démocratie pluripartite prit de plus en plus d'ampleur et se transforma rapidement en une véritable campagne électorale. Au même moment, des violences opposant divers groupes ethniques éclatèrent, notamment dans les Provinces de la Vallée du Rift, de Nyanza et la Province de l'Ouest, c'est-à-dire au coeur des highlands blancs de l'époque coloniale. Les premiers "affrontements tribaux," comme on les appela, éclatèrent en octobre 1991 sur la frontière entre les trois provinces et s'étendirent rapidement vers les districts voisins. En décembre 1991, lorsque le parlement abrogea la disposition constitutionnelle qui faisait du Kenya un état à parti unique, les violences avaient touché de nombreuses régions de l'ouest du Kenya et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes.

Les récits faits par des témoins oculaires sont notamment similaires. Des bandes de "guerriers Kalenjin" armés attaquaient les fermes des Luo, Luhya et Kikuyu -principaux partisans du F.O.R.D.-, détruisant les habitations, forçant les occupants à fuir et tuant ceux qui tentaient de résister. Les agresseurs portaient généralement des t-shirts rouges ou noirs, avaient sur le visage des peintures à base de glaises similaires à celles que portent les candidats à l'initiation et étaient armés d'arc et de flèches traditionnels ou de pangas (machettes). Dans presque tous les cas, les attaques étaient l'oeuvre de groupes organisés. Des Kalenjin installés dans ces régions ont à de nombreuses reprises affirmé que des étrangers étaient venus les enjoindre à se battre et leur avaient fait savoir que des Kikuyus se préparaient à les attaquer. Ces mêmes étrangers leur avaient promis que les terres de ceux qu'ils attaqueraient leur appartiendraient. Les contre-attaques Kikuyu, Luhya ou Luo étaient elles plutôt désorganisées et ne provoquaient qu'en de rares occasions la fuite des personnes assaillies. La plupart des personnes déplacées étaient membres des ethnies Kikuyu, Luhya et Luo.

Bien qu'il semble que les premiers affrontements furent le résultat d'un simple litige "foncier" entre des membres des ethnies Luo et Kalenjin, la violence devint rapidement très liée au contenu et à la dimension ethnique du débat politique en cours au niveau national. Le F.O.R.D., favorable au multipartisme, était dominé tant au niveau de sa direction que de sa base par les Kikuyu, les Luo et, dans une moindre mesure, les Luhya. La coalition, bien que composée en partie de membres d'autres ethnies et ayant pour principal objectif de lutter contre les abus de pouvoir du Président Moi, attira vers elle de nombreuses personnes en jouant sur le ressentiment d'une partie de la population, furieuse de voir les Kalenjin (l'ethnie du Président) et leurs alliés Maasai exercer une telle influence sur le gouvernement. Moi, pour sa part, affirma que les appels au multipartisme n'étaient rien d'autre qu'un mouvement anti-Kalenjin et tira profit des craintes que le retour au pouvoir des Kikuyu, économiquement dominants, provoquait au sein des minorités ethniques. En même temps, il faisait savoir à tous qu'étant donné la nature multiethnique du Kenya un système politique pluripartite donnerait inévitablement lieu à des divisions ethniques et à des violences.

Les hommes politiques Kalenjin et Maasai, faisant preuve de beaucoup d'opportunisme, ranimèrent l'idée du majimboïsme (régionalisme ethnique), lancée par le K.A.D.U. lors de l'indépendance du pays. Les politiciens K.A.N.U. proches de Moi virent le majimboïsme comme un moyen de contrer les appels au multipartisme. Sous le couvert d'un appel à l'autonomie régionale, diverses personnalités politiques de premier plan exigèrent que soient expulsés de force tous les groupes ethniques installés dans la région de la Vallée du Rift, à l'exception des ethnies -Kalenjin, Maasai, Turkana et Samburu- qui y vivaient avant l'arrivée des colons. Plusieurs manifestations majimboïstes furent ainsi organisées, appelant les "étrangers" de la Vallée du Rift à repartir vers leur "patrie" (41) et demandant aux "véritables" résidents de lutter contre des complots destinés à éliminer de la région tous les peuples indigènes. Alors que de nombreux kényans n'étaient pas à priori opposés au régionalisme en tant que tel, beaucoup d'entre eux considérèrent cependant que le but de ces appels était de purement et simplement provoquer des expulsions ethniques.

Bien que la violence était clairement lié à l'émergence du multipartisme et se nourrissait de tensions ethniques bien enracinées, il devint rapidement évident que les affrontements qui éclatèrent à partir de la fin de l'année 1991, loin d'être dus à une quelconque concurrence entre partis ethniquement divisés, furent provoqués de manière délibérée par des membres du gouvernement. Peu de temps après les premiers affrontements, des rumeurs allant dans ce sens commencèrent à circuler. Certains s'intéressèrent de près à ces rumeurs et, en avril 1992, le Conseil National des Eglises du Kenya (C.N.E.K.), une coalition d'églises protestantes fortement impliquée dans diverses activités d'aide aux victimes, rendit public un rapport mettant en cause des officiels gouvernementaux de haut-rang. Le rapport concluait que: "Ces affrontements étaient et sont politiquement motivés...afin d'arriver par la violence à un résultat qui n'a pu être atteint sur la scène politique, à savoir imposer de force le majimboïsme au peuple kényan." (42) Par la suite, un autre rapport, publié par une coalition de groupes en juin 1992, affirmait que les attaques étaient organisées par un commandement central, étaient souvent réalisées en présence de membres de l'administration locale et d'officiers de sécurité, et que les guerriers arrêtés étaient souvent remis en liberté de manière inconditionnelle. (43)

Le Président Moi, soumis à la pression de plus en plus forte des groupes d'opposition et d'église, fut finalement forcé d'autoriser que soit menée une enquête officielle. En septembre 1992, la commission d'enquête parlementaire chargée de cette tâche rendait public un rapport particulièrement critique confirmant la plupart des allégations émises précédemment. Le fait qu'une commission composée uniquement de membres du K.A.N.U., puisque formée avant les élections, se prononce comme elle l'a fait est particulièrement significatif. Le rapport concluait, en effet, que les attaques avaient été orchestrées par des politiciens Kalenjin et Maasai proches du Président et, notamment, par le Vice-Président et certains membres du parlement. Le rapport, qu'on appela par la suite rapport Kiliku, du nom du Président de la commission d'enquête, affirmait qu'il existait des preuves permettant de démontrer que les "guerriers Kalenjin" responsables des attaques avaient reçu de leurs commanditaires de l'argent pour chaque personne tuée ou chaque maison brûlée. Des véhicules officiels avaient également été utilisés afin de transporter les guerriers. Le rapport demandait que "des mesures appropriées soient prises à l'encontre des officiels de l'administration ayant encouragé ou participé, directement ou indirectement, aux affrontements." (44) Le rapport ne fut pas adopté par le parlement et le gouvernement ne fit rien pour mettre en oeuvre les recommandations des commissaires.

L'année 1992, pendant laquelle l'opposition se prépara aux élections, fut marquée par une multiplication du nombre d'affrontements sanglants. Les affrontements perdirent de leur intensité pendant les derniers mois de l'année, lorsque les regards de la communauté internationale se tournèrent vers le Kenya et les élections qui allaient y être organisées. Celles-ci eurent finalement lieu le 29 décembre 1992 et furent remportées par le K.A.N.U. (45) Le parti victorieux ne remporta cependant que 36 pour cent des voix et dut son succès en grande partie à la manipulation par le gouvernement du processus électoral et à la scission -sutout pour des raisons ethniques- du F.O.R.D. en deux partis, le F.O.R.D.-Kenya et le F.O.R.D.-Asili, auquel s'ajouta un groupe dissident issu du K.A.N.U., le Parti Démocratique (P.D.). (46)

Beaucoup s'attendaient à ce que les affrontements cessent après la victoire électorale de Moi. Le calme revint effectivement dans certaines zones, mais des affrontements continuèrent à éclater de manière périodique en 1993 et 1994. Dans certaines régions, les personnes qui étaient rentrées chez elles après avoir été forcées de fuir furent attaqués une seconde et même, dans certains cas, une troisième fois. En avril 1993, un rapport fut produit par un groupe qui, à l'origine, avait pour tâche de contrôler les élections. Le document non seulement confirmait la complicité et le rôle d'instigateur joué par le gouvernement dans les violences, mais apportait également des éléments d'information relatifs à des attaques perpétrées après les élections. (47) L'annonce, fin 1993, de la mise en oeuvre du programme conjoint P.N.U.D./Gouvernement du Kenya fit renaître l'espoir chez tous ceux qui attendaient que cessent les violences et que les déplacés soient enfin autorisés à rentrer chez eux. De nouveaux affrontements violents éclatèrent cependant en 1994 dans la région de Burnt Forest et de Molo. En 1994, la plupart des victimes étaient membres de l'ethnie Kikuyu.

Ceux dont la vie avait été détruite par les tueries et les destructions se réfugiaient auprès de leur famille, dans les églises, près de bâtiments abandonnés, de camps de fortune ou des marchés. Les lieux où les personnes déplacées se sont réfugiées, pendant plusieurs années pour certains d'entre eux, ont souvent été des endroits surpeuplés, insalubres et inadaptés. Beaucoup de ces personnes n'avaient d'autre recours que de construire des abris faits de cartons et de bâches plastiques et étaient forcées de dormir à la belle étoile. Les repas étaient souvent préparés dans des conditions d'hygiène déplorables, ce qui provoqua divers problèmes de santé (crises de malaria, diarrhées et pneumonies). Les conditions de vie empiraient encore au moment de la saison des pluies. Souvent, les officiels des gouvernements locaux minimisèrent l'insécurité réelle à laquelle étaient confrontées les populations déplacées et dispersèrent les victimes sans leur fournir l'aide et la sécurité qui leur auraient permis de rentrer chez elles.

Les enfants, qui représentaient environ 75 pour cent des déplacés, furent profondément affectés par ces événements. Beaucoup d'entre eux virent mourir des membres de leur famille et, dans certains cas, furent eux même blessés. Nombre d'entre eux se comportent aujourd'hui de manière agressive ou font des cauchemars très régulièrement. Leur éducation a été stoppée, dans certains cas définitivement. Les écoles de fortune que tentaient de créer parents et volontaires, dans les camps, furent souvent fermées par les autorités locales qui, ainsi, privèrent ces enfants de toute chance d'avoir accès à une éducation digne de ce nom. (48)

Une étude réalisée dans un camp et portant sur la situation des femmes montra que beaucoup d'entre elles avaient été victimes de viols et de diverses formes d'agressions sexuelles pendant les affrontements. On découvrit aussi que les déplacements exacerbaient les inégalités entre hommes et femmes. Les femmes déplacées étaient victimes de "viols, mauvais traitements de la part du mari, maladies sexuellement transmissibles, pauvreté, manipulation, faim, peur, colère, anxiété, traumatismes, abattement, déshumanisation, excès de travail et fatigue physique." (49) Le rapport notait également que les femmes prenaient souvent le risque de retourner chez elles, pour cultiver leur terre, alors que les hommes s'y refusaient par crainte d'être tués, qu'elles mangeaient généralement très peu, préférant nourrir leurs maris et enfants, et qu'elles faisaient souvent des fausses couches ou souffraient de complications pendant leur grossesse, à cause d'un régime alimentaire inadapté et de conditions de vie extrêmement précaires.

Certains affirment que ce chapitre de l'histoire du Kenya fait partie du passé et que le gouvernement a abandonné sa politique de persécution ethnique. Ils oublient les milliers de victimes qui, totalement démunies, continuent à errer dans le pays. Si le gouvernement Moi a cessé de fomenter les violences ethniques, c'est parce que cette stratégie n'est plus politiquement opportune et apparaît comme moins nécessaire que dans le passé. La politique de persécution et de violence ethnique a rendu de grands services au gouvernement. Même s'il a finalement dû accepter une présence internationale et renoncer à expulser de la Vallée du Rift l'ensemble des membres de certaines ethnies, le gouvernement n'a qu'en partie dévié de sa ligne de conduite originale et a en grande partie atteint les objectifs qu'il s'était fixés en 1991, lorsqu'éclatèrent les premières violences.



37. Une grande partie des informations présentées dans ce chapitre ont été publiées précédemment par Human Rights Watch/Afrique dans Divide and Rule: State-Sponsored Ethnic Violence in Kenya (New York: Human Rights Watch, Novembre 1993); Human Rights Watch/Afrique, "Multipartyism Betrayed in Kenya: Continuing Rural Violence and Restrictions on Freedom of Speech and Assembly," A Human Rights Watch Short Report, vol.6, n 5, juillet 1994; Human Rights Watch, Playing the Communal Card: Communal Violence and Human Rights (New York: Human Rights Watch, avril 1995), pp.97-112; et Human Rights Watch/Afrique, "Kenya: Old Habits Die Hard: Rights Abuses Follow Renewed Foreign Aid Commitments," A Human Rights Watch Short Report, vol. 7, n 6, juillet 1995.

38. Les Kalenjin, qui représentent environ 11 pour cent de la population kényane, se composent d'un certain nombre de groupes de langues nilotiques qui partageant des traditions culturelles similaires. A l'époque précoloniale, les Kalenjin vivaient principalement de l'élevage et les différents sous-groupes n'avaient entre eux que de rares liens politiques. Le sentiment d'une identité "kalenjin" commune naquit en réaction aux politiques des colons britanniques et se renforça après l'indépendance. Le Président Moi est un Kalenjin. Les Maasai pratiquent eux aussi des langues nilotiques et sont des éleveurs qui, à l'origine, faisaient paître leurs troupeaux dans une zone extrêmement vaste mais furent par la suite forcés de se contenter d'une réserve située le long de la frontière avec le Tanganyika (Tanzanie). La distinction entre éleveurs et agriculteurs est théorique plus que pratique: la plupart des groupes pratiquent l'agriculture mixte.

39. Les Kikuyu sont l'un des principaux groupes ethniques du Kenya (21 pour cent de la population). De langue bantoue, ils ont été le groupe sur lequel la colonisation a eu l'impact le plus immédiat et le plus drastique: perte de leurs terres et accès rapide à l'éducation et donc à l'influence politique. Les Luo (13 pour cent de la population) parlent eux une langue nilotique plus proche de celles pratiquées par les Kalenjin que les Kikuyu. Ils vivent dans la région contiguë au lac Victoria. Les Luhya, installés dans leur majorité à l'ouest du pays, représentent 14 pour cent de la population et se composent également de plusieurs sous-ethnies qui firent l'objet d'un regroupement pendant la période coloniale.

40. L'Union Démocratique Africaine Kényanne (Kenya African Democratic Union, K.A.D.U.), dont était le leader celui qui allait devenir Président du Kenya, Daniel arap Moi, était un parti de minorités ethniques (notamment les Kalenjin et les Maasai) qui revendiquait la propriété des terres exploitées par les colons britanniques. Le K.A.D.U. défendait une philosophie politique basée sur le régionalisme ("majimboism" en Kiswahili) et sur l'attribution de compétences substantielles en matière de prise de décisions à des régions semi-autonomes. Le gouvernement central, quant à lui, devait jouer un rôle fédéral limité et bien défini. Le majimboïsme était vu comme l'unique option politique permettant de sauvegarder les droits des groupes minoritaires. Convaincue que ses intérêts seraient mieux servis si elle soutenait le K.A.D.U., la communauté britannique lui apporta un soutien financier dans sa lutte contre le K.A.N.U. Le K.A.N.U. finit par gagner une élection organisée juste avant l'indépendance, avec une majorité significative, et s'engagea à protéger les intérêts des anciens colons.

41. République du Kenya, Report of the Parliamentary Select Committee to Investigate the Ethnic Clashes in Western and other parts of Kenya, (Nairobi: Government Printer, Septembre 1992), pp.8-9.

42. The Cursed Arrow: Organized Violence Against Democracy in Kenya (Nairobi: C.N.E.K., avril 1992), p.1.

43. Interparties Symposium I Task Force Report, Nairobi, 11 juin 1992.

44. Report of the Parliamentary Select Committee to Investigate the Ethnic Clashes in Western and Other Parts of Kenya, (Republic of Kenya: Government Printer, Septembre 1992), p.82.

45. Bien de nombreux doutes furent émis quant à la régularité des élections, les observateurs internationaux conclurent que "malgré le fait que le processus électoral ne puisse être qualifié de totalement libre et régulier... nous estimons que les résultats, dans de nombreux cas, reflètent, même imparfaitement, la volonté du peuple." The Presidential, Parliamentary and Civic Elections in Kenya: The Report of the Commonwealth Observer Group (London: Commonwealth Secretariat, 1993), p.40.

46. Le F.O.R.D.-K, relativement multiethnique, était cependant dominé par les Luo, Luhya et les membres d'autres groupes plus petits. Pendant l'année 1993, des divisions survinrent entre les Luo et les autres membres du parti. Le F.O.R.D.-Asili et le Parti Démocratique étaient considérés comme des partis Kikuyus, divisés sur des bases régionales.

47. Courting Disaster: A Report on the Continuing Terror, Violence and Destruction in the Rift Valley, Nyanza and Western Provinces of Kenya (Nairobi: National Election Monitoring Unit (NEMU), 29 avril 1993).

48. Human Rights Watch/Afrique, Divide and Rule, pp.80-83.

49. Naomi W. Gathirwa et Christine Mpaka, "Reproductive and Psycho-Social Needs of Displaced Women in Kenya," U.N.I.F.E.M. et UNICEF, Reproductive and Mental Health Issues of Women and Girls Under Situations of War and Conflict in Africa: Proceedings of an Expert Group Consultation, (Nairobi: Regal Press, Novembre 1994), p. 49. Voir également, Dr. Naomi Gathirwa, "Report on the Psycho-social Needs of the Displaced Women in Maella and Thessalia Camps: Field Visit by the FIDA Team from July 25-30, 1994", Nairobi, Août 1994; et Human Rights Watch/Projet des Droits des Femmes, The Human Rights Watch Global Report on Women's Human Rights, (New York: Human Rights Watch, Août 1995), pp.100-140.

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