Africa - West

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RÉSUMÉ

Depuis sa formation en 2000, le groupe rebelle des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD) a été fortement dépendant du soutien logistique et parfois militaire de la Guinée. La collaboration entre le LURD et certains secteurs de l'armée guinéenne contribuent désormais directement à la violation des droits des Libériens à se mettre en sécurité et à rechercher protection contre diverses formes d'abus, dans leur propre pays et dans le pays d'asile. Depuis mars 2002, des centaines - peut-être des milliers - de civils libériens qui avaient cherché refuge en Guinée pour échapper aux violations massives des droits humains auxquelles les exposait la poursuite de la guerre au Libéria ont été empêchés d'entrer en Guinée ou refoulés à la frontière par l'armée guinéenne, en contravention avec les règles du droit international sur les réfugiés. Une enquête de Human Rights Watch en Guinée en août 2002 a montré que les responsables militaires guinéens agissaient souvent en étroite collaboration avec le LURD, qui étaient autorisé à opérer librement en territoire guinéen et transitait fréquemment par les villes frontalières de Guinée. Après avoir été interceptés par l'armée guinéenne, les réfugiés sélectionnés pour le retour se voyaient renvoyés au Libéria et ont souvent été physiquement remis aux commandants du LURD, en violation du droit international humanitaire et des lois sur les réfugiés qui interdisent le retour forcé, ou refoulement, d'individus vers des situations où leur vie ou leur liberté seraient menacées.

Selon de nombreux témoignages recueillis par Human Rights Watch, ces réfugiés, généralement des hommes et des garçons, ont été forcés par les rebelles de porter leurs marchandises telles du riz, du sel, des pièces de voitures, des armes et des munitions, jusqu'aux bases rebelles au Libéria. Une fois de retour au Libéria, certains de ces civils ont été recrutés de force pour le service militaire au sein du LURD. Si les hommes ont trouvé le moyen de contourner les barrages de l'armée guinéenne et du LURD, un nombre croissant de femmes et d'enfants, parfois âgés de dix ans et séparés par la force de leurs parents, ont été emmenés par le LURD. Les rebelles du LURD ont également empêché de nombreux civils libériens de chercher asile en Guinée ou les ont obligés à payer ou à travailler pendant plusieurs jours pour eux afin de « gagner » leur liberté de mouvement.

Selon des informations rassemblées en août 2002, l'armée guinéenne et les autorités civiles de ce pays ont régulièrement bloqué l'accès des membres du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et des autres organisations humanitaires à la région frontalière de Guinée où se produisaient les refoulements, arguant qu'ils y seraient en danger. Les employés du HCR et d'autres organisations travaillant dans les camps de réfugiés et en Guinée ont remarqué avec inquiétude que seul un petit nombre d'hommes et de garçons de plus de quatorze ans1 arrivaient dans leurs camps. Ils ont craint que beaucoup d'hommes aient été recrutés de force par l'un ou l'autre camp, se soient cachés pour échapper au recrutement et à d'autres abus, ou aient été tués.

De nombreux Libériens qui tentaient de fuir en Guinée au cours de l'année écoulée ont été victimes de crimes de guerre et autres violations des droits humains, à la fois de la part des forces gouvernementales libériennes et de celle du LURD. En outre, tous ceux que Human Rights Watch a interrogés ont décrit des conditions de vie extrêmement difficiles au Libéria, avec un accès très réduit à la nourriture et aux médicaments. La plupart ont vu leurs vivres et leurs biens volés par les combattants des deux côtés ; de plus en plus, nombre d'entre eux ont été tentés de fuir en raison de la faim, autant que pour leur sécurité. Des centaines d'enfants ont été séparés de leurs parents alors qu'ils fuyaient le Libéria et vivent actuellement dans des camps de réfugiés en Guinée. Les personnels humanitaires ont remarqué un fort taux de malnutrition et de maladie parmi les nouveaux arrivants dans les camps qui ont été nombreux à être envoyés directement, dès leur arrivée en Guinée, dans des centres de renutrition ou à l'hôpital.

Outre le refoulement des réfugiés par l'armée guinéenne et le LURD, Human Rights Watch est gravement préoccupé par la présence de combattants armés du LURD dans le plus grand camp de réfugiés de Guinée, Kouankan. La présence de ces combattants a affecté la nature civile du camp mais surtout menace la sécurité de dizaines de milliers de réfugiés. A Kouankan, les rebelles du LURD, en uniformes et parfois en armes, circulent librement dans et autour du camp où ils sont nombreux à avoir de la famille. Human Rights Watch a collecté des informations dignes de foi selon lesquelles les rebelles du LURD intimident et menacent les réfugiés dans le camp de Kouankan et, parfois, recrutent hommes et garçons parmi les réfiugiés. Human Rights Watch a également recueilli des informations sur des adolescentes enlevées de force dans le camp par les éléments du LURD qui s'en servent pour avoir des relations sexuelles et les renvoient au camp ensuite. Tandis que le personnel des agences humaniatires était systématiquement arrêté et prié de présenter ses accréditations aux barrages militaires à l'entrée de Kouankan, les combattants du LURD passaient sans encombre.

Au moment de notre visite, la politique de la Guinée sur l'ouverture ou non de la frontière aux réfugiés du Libéria était peu claire et laissée à l'interprétation des autorités militaires et civiles locales. Par exemple, lors d'une rencontre avec Human Rights Watch, le HCR a indiqué que, depuis 2001, les frontières de la Guinée étaient officiellement fermées mais, qu'en pratique, les personnes « vulnérables » - femmes, enfants et vieillards - étaient autorisées à passer. Le président de l'organisme officiel chargé des réfugiés, le Bureau national pour la coordination des réfugiés, (BNCR) assurait que les frontières étaient ouvertes et que tous les civils cherchant refuge pouvaient les franchir librement. En réalité, la situation changeait nettement d'une région à l'autre : aux points de franchissement de la frontière, la décision semblait revenir aux autorités locales, militaires et civiles, parfois après consultation avec les rebelles du LURD. Dans certaines régions, à Ouet-Kama et à Tekoulo dans la préfecture de Macenta, de nombreux réfugiés ont été systématiquement renvoyés au Libéria; dans d'autres, comme à Koyama et Fassankoni dans la préfecture de Nzerekore, ils étaient autorisés à passer et même protégés des rebelles du LURD et de l'hostilité de la population. Dans la plupart des régions, les réfugiés ont été régulièrement dépouillés de leurs biens et/ou ont dû payer des pots-de-vin aux responsables guinéens. Le nombre de ceux renvoyés au Libéria, ou refoulés, a semblé aussi dépendre des besoins du LURD en porteurs pour remporter des marchandises au Libéria ; ainsi, les réfugiés qui se présentaient à la frontière guinéenne en même temps qu'un camion transportant des armes ou des vivres couraient un plus grand risque d'être obligés de faire demi-tour.

Si la présence d'éléments militaires parmi les réfugiés libériens nouvellement arrivés peut poser de légitimes problèmes de sécurité aux autorités guinéennes, il semble qu'il y ait eu peu d'efforts de la part de ces autorités pour effectuer leurs propres interogatoires ou leur propre tri de ces réfugiés. A la place, le procédé de tri utilisé par les forces guinéennes - déshabiller les hommes pour chercher les tatouages ou autres marques d'appartenance tribale présumant de leur passé militaire - n'offrait certainement pas les garanties des procédés en bonne et due forme et s'est traduit par des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi que par des passages à tabac, pour nombre de réfugiés libériens. Après avoir été détenus sans charge dans des lieux de détention officieux ou des prisons locales pendant des jours, voire des semaines et même des mois, la plupart des détenus ont dû payer pour retrouver l'air libre. Dans plusieurs cas, le HCR a facilité la libération de réfugiés détenus. La plupart avaient été arrêtée et détenue sur la base d'accusations sans fondement de sympathie pour les forces gouvernementales du Libéria, ou même d'avoir servi dans leurs rangs. Les détenus étaient gardés dans de très mauvaises conditions et certains ont été victimes de mauvais traitements de la part des responsables guinéens.

Les responsables du HCR sont au courant de ces graves violations des droits des réfugiés et des menaces continuelles sur leur protection et ils ont soulevé certains de ces points avec le Gouvernement guinéen ; mais Human Rights Watch est convaincu, au terme de ses recherches en Guinée et des entretiens avec le HCR sur place, que les mesures prises jusqu'à présent par cette organisme des Nations Unies pour répondre à ces problèmes ont été inappropriées et inefficaces et que ces graves violations de la protection des réfugiés pouvaient et devaient être abordées de manière plus ferme avec les autorités de Guinée. Les principes fondamentaux qui régissent les opérations du HCR - dont l'accès sans restriction aux réfugiés, le non-refoulement et la préservation de la nature civile des camps de réfugiés - ont été régulièrement violés par les autorités de Guinée sous les yeux même du HCR et des agences humanitaires internationales. Human Rights Watch faisait déjà état de ses inquiétudes dans son rapport publié en juillet 2001, Danger persistant pour les réfugiés : L'inquiétude sur la protection des réfugiés en Guinée demeure, apportant les preuves des abus contre les réfugiés sierra-léonais et libériens en Guinée à la fin 2000 et au début 2001.

Human Rights Watch appelle le Gouvernement de Guinée à prendre des mesures immédiates pour assurer que tous les civils libériens cherchant refuge en Guinée seront autorisés à entrer dans le pays et que les représentants du HCR se verront garantir un accès sans restriction aux zones frontalières. Le HCR devrait appeler publiquement les autorités guinéennes à adopter une politique sécuritaire qui ne viole pas les droits des réfugiés et tenir les dirigeants des forces de l'ordre responsables de tout abus perpétré contre les réfugiés.

1 Human Rights Watch utilise la définition du mot "enfant" donnée par la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire une personne de moins de dix-huit ans. Les termes "fille" ou "garçon" sont également conformes à la Convention.

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