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LES PROBLÈMES DE PROTECTION DANS LE CAMP DE RÉFUGIÉS DE KOUANKAN

La présence fréquente de combattants du LURD et d'armes à l'intérieur du plus grand camp de réfugiés de Guinée, Kouankan, met sérieusement en péril la nature civile du camp, en violation des normes internationales et fait courir des risques aux dizaines de milliers de réfugiés qui y vivent. De nombreux résidents du camp et membres d'organisations humanitaires ont témoigné auprès de Human Rights Watch de la présence de combattants du LURD en armes dans le camp, estimant qu'ils venaient y rendre visite à des parents. Kouankan, situé à seulement 25 ou 28 km de la frontière, compte quelque 34.000 réfugiés, dont à peu près la moitié sont des ressortissants du Libéria installés en Guinée depuis environ 1990. La plupart d'entre eux appartiennent à l'ethnie Mandingue et nombreux sont ceux qui ont des parents appartenant au LURD et qui résident également dans le camp. De nombreux réfugiés ont assuré avoir vu des membres du LURD arpenter les rues du camp avec des grenades et des fusils d'assaut AK-47. Ils ont également été vus à bord de camions entrant et sortant du camp, parfois emplis d'hommes armés et de matériels.

D'autres sources indépendantes, citant des personnels humanitaires, ont assuré que les LURD avaient une présence bien établie dans le camp depuis plusieurs mois et que cet état de fait était connu de ceux vivant ou travaillant dans la zone. Ces personnels ont confirmé que des membres des LURD résident dans le camp parmi la population réfugiée et que jusqu'au moins octobre 2002, ils y maintenaient une forte présence, même s'ils ne faisaient pas un étalage aussi voyant de leurs armes qu'en juillet et août 2002.11

Des réfugiés, en particulier ceux membres de l'ethnie Lorma qui étaient arrivés au cours des semaines précédentes, ont assuré avoir été effrayés et intimidés par la présence des combattants du LURD dans le camp, dont certains les ont directement menacés.

Une opération d'enregistrement par les Nations Unies prévue le 17 août 2002 a été reportée parce que le président du comité des réfugiés, qui passe pour être le porte-parole du LURD dans le camp, désirait un report le plus long possible afin de permettre à des gens dont il affirmait qu'ils n'étaient pas présents de revenir au camp pour s'y faire enregistrer. Plusieurs réfugiés ont assuré avoir reçu des menaces de mort pour les dissuader de participer à l'opération d'enregistrement, sans doute parce qu'un décompte précis aurait pu empêcher le LURD d'avoir accès à la nourriture et au ravitaillement du camp. Un fonctionnaire de 42 ans décrit l'insécurité qu'il a ressentie:

Ici à Kouankan, c'est calme. Les autorités nous traitent bien. Mais les rebelles viennent souvent. Nous les voyons dans le camp, mais nous ne savons pas s'ils y vivent. Parfois, ils circulent dans leurs véhicules, ils vont et viennent sans problèmes. Nous ne voulons rien avoir à faire avec eux. Hier, ils ont dit que s'ils voyaient quiconque avec un bracelet (d'identification de l'ONU) ils le tueraient. Un jour il y a environ deux semaines, je les ai vus, ils étaient dix à quinze, debout dans leur véhicule, en direction de l'école. Ils avaient des armes. Ils avaient les cheveux tressés. Ils ne portaient pas d'uniformes. Nous voulons être dans un endroit où l'on ne voit pas ces gens, qu'ils soient rebelles ou troupes du Gouvernement. Quand nous les voyons, notre esprit revient (au Libéria). Nous les fuyons, mais ils se rapprochent de nous sans cesse.

Un homme de 32 ans qui est arrivé en juin 2002 a réitéré les mêmes remarques :

Ici, nous vivons toujours dans la panique. Les gens que nous avons fuis sont toujours là, nous menacent. Tout peut arriver. Je les ai vus souvent. Ils ne portent pas leur armes ouvertement, seulement autour de la taille. Nous les voyons tout le temps depuis que nous sommes arrivés. Ils sont en contact étroit avec les autorités guinéennes dans le camp et sur la route. Ils jouissent de privilèges. Ils peuvent se déplacer à leur guise.

L'opération de vérification avait été annoncée la veille, par voie d'affiches. Les chefs de famille avaient été prévenus qu'ils devraient se tenir prêts. Les gens du LURD ont circulé dans les rues. Ils disaient: «Nous montrerons qui nous sommes à quiconque ira à la vérification. Nous ne permettrons pas à l'ONU de faire cela. » « Il n'y aura aucune vérification à Kouankan tant que nous y serons. » Ils revendent la nourriture. Ils veulent continuer d'en disposer car cela contribue à la guerre au Libéria. La nourriture que l'ONU apporte ici est utilisée pour alimenter la guerre au Libéria.

Des témoins ont assuré que le LURD continue de recruter des hommes et des garçons dans le camp. Ils ont également décrit comment des recrues qui avaient quitté les lignes de front au Libéria et avaient rejoint sans permission leurs familles dans le camp avaient parfois été rattrapées de force.

Un travailleur humanitaire a assuré que les enlèvements de jeunes filles par le LURD étaient fréquents et qu'elles étaient utilisées comme esclaves sexuelles. Il a décrit le cas de plusieurs jeunes filles de douze et treize ans enceintes à cause de cela.12

Le BNCR et le HCR ont pleinement conscience de l'existence de ces activités militaires dans le camp. Il n'y a qu'une seule entrée pour les véhicules dans Kouankan, qui est en permanence gardée par des militaires guinéens et le BNCR. Les membres du LURD pénétrant dans le camp doivent passer par cette entrée. Les autorités sont donc sans aucun doute informées de leur présence et de leurs mouvements. Un réfugié installé dans le camp depuis 2001 a témoigné:

Kouankan est une base pour les combattants dans laquelle ils recrutent. On voit souvent des militaires. Ces choses là arrivent depuis juillet 2001. C'est un secret de Polichinelle. Vous pouvez voir des combattants avec des armes et des grenades. Ils crient: « Nous sommes prêts au combat. » Ils recrutent chaque fois qu'il y a des attaques au Libéria afin de maintenir leurs positions. J'ai vu cela sept ou huit fois. Ils circulent dans un Toyota Landcruiser camouflé, équipé d'une mitrailleuse. J'ai vu ça en plein jour. Je les ai vus s'emparer de gens. Je l'ai vu plus souvent cette année, spécialement au cours des dernières semaines. Ils enlèvent surtout des hommes et de jeunes garçons, entre quatorze et dix-huit ans et entre vingt et trente ans. Une fois, l'an dernier, j'ai tenté de m'interposer pour sauver un jeune garçon. J'ai été menacé et j'ai dû partir. Ils vous battent si vous tentez de résister. Un garçon saignait de la bouche et du nez. Sa mère pleurait. Il a été pris (c'était vers janvier ou février 2002). Ils les battaient, leur donnaient des coups et les frappaient avec leurs crosses. En juillet 2002 on m'a dit que certains étaient entrés dans le camp et prenaient la nourriture des réfugiés. Il y a eu des bagarres à propos de la nourriture. Un réfugié a été poignardé. Il y a beaucoup de fraude autour de la nourriture. Ils n'ont pas de tickets, mais ils se tiennent aux abords des lieux de distribution. Parfois ils éventrent les sacs avec leurs couteaux. Il y a des partisans du LURD dans le camp. Certaines personnes sont enregistrées avec de faux tickets. Ce sont les « noms fantômes », il y en a beaucoup. Ils sortent la nourriture du camp. Vous pouvez voir où ils la stockent, à l'intérieur du camp, à deux ou trois cents mètres du lieu de distribution. Ils la mettent dans des sacs dans leurs véhicules. Ils font tout cela sous les yeux du BNCR. Les soldats ont leurs bases à l'entrée du camp. Tout le monde peut voir. Quand ils s'emparent de gens, le BNCR est toujours là. Ils sont à toutes les entrées, ils se contentent de regarder.

Un travailleur humanitaire international ne doute pas que le HCR soit au courant des problèmes qui existent dans le camp de Kouankan : « Le HCR les voit. Personne ne les affronte. Ils ne sont pas nombreux mais ont beaucoup d'influence. Pour eux c'est une base. Parfois ils agissent avec la complicité de Guinéens. Le LURD vient dans le camp avec des camions (...) Ils vont et viennent à leur guise. On voit des camions pleins de marchandises quitter le camp. Les personnes chargées de la sécurité à l'entrée ne réagissent pas. »

11 Entretiens téléphonique de Human Rights Watch avec des agences humanitaires travaillant en Guinée, octobre 2002.

12 Entretien téléphonique avec Human Rights Watch, 23 octobre 2002.

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