Africa - West

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COMMENT LE LURD A EMPÊCHÉ LES CIVILS DE QUITTER LE PAYS

Depuis au moins mai 2002, les commandants du LURD responsables des zones-clé du Libéria et de la frontière avec la Guinée ont paru régulièrement refuser aux civils désespérés le droit de quitter le Libéria pour chercher refuge en Guinée. Ceci semble faire partie d'une politique délibérée qui a été clairement exposée aux civils arrêtés à un barrage rebelle ou pris alors qu'ils fuyaient. Les réfugiés ont raconté qu'ils se faufilaient pendant la nuit, se faisaient passer pour des commerçants emportant leurs marchandises en Sierra Leone ou en Guinée, ou qu'ils payaient des commandants et des combattants du LURD gardant les nombreux barrages établis dans les zones sous contrôle rebelle. Les civils sont généralement dépossédés de leurs biens pour vouloir fuir les régions contrôlées par le LURD.

Le barrage dressé près de la petite ville libérienne de Nyandemolahun - la dernière avant de traverser la rivière Makona qui marque la frontière avec la Guinée - était particulièrement connu. Là, les civils étaient presque toujours obligés de se mettre en rang avant d'être soumis à un interrogatoire sur leurs raisons de quitter le Libéria ; certains ont été battus par les membres du LURD. Beaucoup ont raconté qu'ils ont été bloqués à Nyandemolahun pendant près de deux semaines. Presque tous les civils ont raconté avoir payé un droit de passage de 50 à 150 dollars libérien (environ 33 à 39 dollars américains). Les civils qui n'avaient pas d'argent sont restés à Nyandemolahun jusqu'à ce qu'ils puissent payer d'une façon ou d'une autre, généralement en travail forcé. D'autres ont préféré attendre, dans l'espoir de retrouver un membre de leur famille emmené ailleurs. Une femme de trente-cinq ans qui s'était enfuie du village de Mawolotown début juillet a raconté ce qu'elle a vécu :

Nous en avions assez. Nous étions environ une cinquantaine de mon village qui avons monté un plan pour fuir tôt un matin. Quand le LURD nous a demandés où nous allions, nous leur avons dit que nous nous rendions en Guinée pour y vendre de l'huile de palme et acheter du riz. Je n'avais rien, sinon ils se seraient méfiés. Certaines personnes avaient des balluchons. Ils les ont arrêtées et leur ont dit que si elles voulaient partir, elles devaient le faire les mains vides. On m'a dit plus tard qu'ils leur avaient pris tout ce qui avait de la valeur. A Nyandemolahun, ils ont pris mon huile mais après que j'ai payé payé cinquante dollars libériens (33 dollars US), j'ai finalement pu traverser (la frontière). On a laissé des centaines de personnes qui attendaient. Certaines attendaient le retour de leurs fils ou de leurs maris, d'autres n'avaient pas la chance d'avoir assez d'argent.

Une fillette de douze ans qui avait été séparée de sa mère durant les combats a raconté ce qu'elle a vécu à Nyandemolahun:

On est venu en Guinée à cause des tueries et des incendies. Les enfants tombaient malades et mourraient dans le bush. Nous avions peur de revenir en ville. Nous nous sommes rendus à Nyandemolahun. Je me trouvais dans une grand groupe. Là, des soldats ont harcelé une femme et lui ont tout pris. Ils étaient habillés tout en noir et portaient des armes. Ils étaient environ une vingtaine. Ils ont dit qu'ils étaient l'ULIMO (i.e. : le LURD). Je les ai entendus se saluer les uns les autres. Leurs commandants s'appelaient Komba Blackie et Général Dekko.

On nous a rassemblés et appelés. Nous sommes partis quand on nous a dit qu'on pouvait y aller. Ils ont fouillé dans nos affaires et ont pris ce qui nous appartenait. Ils giflaient les gens, les battaient, leur donnaient des coups de pied. Ils ont emmené des jeunes gens, une dizaine âgés de treize, quatorze, quinze ans et plus. Un garçon nommé Mole se trouvaient parmi ceux qui ont été emmenés. Ils ont demandé de l'argent et giflaient et frappaient ceux qui refusaient. On a dit aux garçons qui avaient été mis à l'écart qu'on les amenait à Kolahun, comme soldats. Général Dekko donnait les ordres. J'ai dormi sur place pendant deux nuit. La première nuit, il n'y a plus eu de coups. Ils nous demandaient seulement : « Pourquoi abandonnez-vous votre terre ? »

Une autre femme qui a également pris la fuit début juillet 2002 a expliqué le décret du commandant du LURD responsable de Nyandemolahun empêchant les civils de chercher refuge :

Quand nous sommes arrivés à Nyandemolahun le 11 juillet, le commandant du LURD appelé Tarko nous a appelés tous ensemble. Nous étions une centaine et les rebelles étaient environ cinquante. Nous étions désespérés, les gens étaient malades, ils avaient faim. Certains avaient perdu leurs enfants ou les maris avec la guerre. Il nous a fait aligner et a commencé à nous faire la lecture. Il a dit : « Aucun civil ne sera autorisé à devenir un réfugié. Qui va nous aider après vous ? Et vous ne pouvez pas emporter de vêtements parce que ça voudrait dire que nous ne comptons pas revenir. » J'ai été retenue pendant une semaine mais après avoir rassemblé cinquante dollars libériens (33 dollars US), j'ai pu traverser.

Des hommes et des garçons en âge de combattre ont raconté qu'ils avaient été empêchés de quitter le pays et contraints de rejoindre les rangs des combattants rebelles. Les témoins ont décrit comment les hommes et les garçons étaient sortis par la force du groupe au barrage de Nyandemolahun et envoyés à l'entrainement pour combattre ou pour travailler comme porteurs. Deux témoins, qui sont passés par Nyandemolahun en juillet, ont raconté ce qu'ils ont vu :

Le commandant Tarko était responsable ce jour-là. Nous étions tous rassemblés pour qu'il puisse nous parler. A ce moment là, les combats étaient violents autour de Kolahun et de Fasawulu. Il nous a dit que nous ne pouvions pas partir, s'est tourné vers les hommes et les garçons et leur a dit : « Nous voulons que vous nous rejoigniez tous et que vous vous battiez ». Il leur a demandé de se porter volontaires. Très peu d'entre eux l'ont fait et les autres ont été tout simplement obligés. Ils ont rassemblé au moins cinquante hommes et garçons - âgés de treize à quarante-cinq ans - et les ont fait monter dans un camion bleu. Il a dit qu'il les emmenait à Voinjama pour les entraîner.

Le jour où j'étais à Nyandemolahun, j'ai vu le commandant Diabate emmener une dizaine de jeunes gens - certains avaient seize ans, d'autres vingt ou vingt-cinq ans. Le LURD leur a donné ordre de porter des balluchons qui avaient été volés à d'autres gens et de se mettre en marche. Que pouvaient-ils faire... il y avait plus de trente rebelles. Les épouses, les mères et les soeurs ont commencé à pleurer et à supplier les rebelles de les laisser, mais le commandant leur a juste dit qu'il les emmenait pour en faire des soldats.

Quand les hommes et les garçons ont commencé à contourner les barrages établis, les forces du LURD ont de plus en plus compté sur les femmes et les enfants, essentiellement les adolescents, pour le portage. Une fille de seize ans, originaire de Sosomalahun et qui est arrivée en Guinée à la mi-août 2002, a raconté ce qu'il lui est arrivé :

J'ai passé trois jours à Nyandemolahun et j'ai dû payer 300 dollars libériens (198 dollars US) pour pouvoir passer. Il y avait une centaine de personnes qui attendaient de traverser, presque toutes des femmes et des enfants. Chaque jour, les rebelles prenaient des gens qui devaient porter leurs marchandises de Nyandemolahun jusqu'à Kolahun. Il n'y avait pas beaucoup d'hommes ni de garçon ; ils n'osaient plus venir. Ils ont trouvé d'autres routes et d'autres endroits pour traverser. Chaque jour, le LURD emmenait deux ou trois jeunes, surtout des garçons mais aussi des filles. Le nombre de ceux qu'ils emmenaient dépendait de leur besoin en « main-d'_uvre. » Vers le 12 août, un commandant rebelle est arrivé à pied de Guinée avec trois enfants qui portaient des chargements sur leur tête. Je connaissais deux d'entre eux, Armadi (treize ans) et Fatu (douze ans). Ils avaient traversé en Guinée quelques jours auparavant. Ils pleuraient et suppliaient le rebelle de les laisser partir. Le rebelle râlait après un autre qui s'était enfui entre la Guinée et Nyandemolahun alors il est venu et il a emmené une autre fille (d'environ treize ans) qui était en train de cuisiner avec sa mère. Il lui a donné quelque chose à porter et l'a emmenée avec les trois autres. On ne les a pas revus depuis.

Depuis juillet 2002 environ, les commandants du LURD vivant à Kolahun ont institué un système de « laissez-passer » qui renforce leur contrôle sur les civils vivant dans leur zone. Obtenir un laissez-passer dépendait du bon vouloir du commandant du LURD et supposait généralement qu'on l'ait payé si le civil était malade, ou qu'on l'avait « gagné » grâce au travail forcé. Après que les réfugiés avaient traversé la frontière et étaient arrivés à Ouet-Kama, les officiers guinéens leur demandaient leur laissez-passer du LURD et semblaient les reconnaître comme valables.

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