Africa - West

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V. REACTION INTERNATIONALE


La Communauté de Développement de l'Afrique Australe, l'Organisation de l'Unité Africaine, l'Union Européenne et les Nations Unies
En août, peu de temps après le début des hostilités, la Communauté de développement de l'Afrique Australe (SADC) a consenti des efforts pour tenter de jouer un rôle de médiateur et de trouver une solution pacifique aux conflits de la RDC lors d'une série de sommets régionaux. Les préoccupations relatives aux droits de l'homme n'étaient pas au centre de ces sommets et n'étaient pas reprises dans le plan issu de ce processus comme une base qui permettrait de résoudre les conflits. L'absence de ces droits du processus de négociation et de garanties que les leaders politiques et militaires seraient tenus responsables des abus commis durant les conflits ont fait redouter que les négociations ne servent à leur éviter d'assumer leurs actes et à encourager la culture de l'impunité en Afrique centrale. Même si l'Union européenne a menacé de réduire l'aide aux États impliqués dans le conflit s'ils n'atteignaient pas un compris, le respect des droits de l'homme par les armées des pays bénéficiaires de l'aide de l'UE n'était pas clairement mentionné comme la condition à remplir pour éviter une suspension de l'aide.

L'initiative de paix de la SADC a été sérieusement compromise par un désaccord interne entre le Zimbabwe, l'Angola, la Namibie -qui sont intervenus militairement au nom du gouvernement congolais- et l'Afrique du sud et la présidence de la SADC, qui ont constamment poussé pour arriver à une résolution politique du conflit. L'Afrique du sud s'est d'abord opposée à une intervention militaire de la SADC dans les affaires congolaises avant de la considérer plus tard comme légitime. (108) Le conflit armé a anéanti l'alliance régionale qui soutenait la rébellion du Président Kabila il y a moins de deux ans et retourne maintenant l'Angola et le Zimbabwe contre leurs anciens alliés, le Ruanda et l'Ouganda, qui soutiennent les rebelles.

Des séries de rencontres régionales successives ont échoué, principalement en raison du refus catégorique du président Kabila de négocier face à face avec le Rassemblement rebelle congolais pour la démocratie. Un autre obstacle majeur aux négociations a été le refus persistent du Ruanda, jusqu'au début du mois de novembre, de s'impliquer directement dans le conflit. Le Ruanda et l'Ouganda ont soutenu la demande des rebelles de participer à toutes les négociations de paix, faute de quoi, selon une menace du RCD, ils ne se sentiraient pas liés par un accord de cessez-le-feu. Les rencontres de la SADC étaient coordonnées par un comité régional de chefs d'état présidé par la Zambie et soutenu par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et les Nations unies. L'OUA et les Nations unies, ainsi que d'autres membres éminents de la communauté internationale, ont décidé de ne pas jouer un rôle trop actif et on laissé le comité de la SADC prendre la direction des opérations.

L'Organisation de l'unité africaine a également échoué dans sa tentative de résoudre le conflit. La France, l'OUA et les Nations unies ont essayé d'organiser un "pré-cessez-le-feu" entre les principaux acteurs du conflit lors du 20ème sommet France - Afrique, tenu à Paris à la fin du mois de novembre. Un accord formel très attendu n'a une fois de plus pas pu se concrétiser lors du sommet sur le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits de l'OUA, organisé à Agiotage le 17 décembre. La rencontre, qui devait durer deux jours, a été ajournée après douze heures en raison du manque de coordination et d'efficacité des efforts de médiation de l'OUA.

Le 31 août, le Conseil de sécurité des Nations unies a émis une déclaration présidentielle pour exprimer son état d'alerte à l'égard de la situation critique des civils du pays et pousser les parties en cause à respecter et protéger les droits de l'homme et à se conformer au droit humanitaire. La déclaration demandait également un cessez-le-feu, le retrait des forces étrangères et l'ouverture d'un dialogue politique dans le but de mettre fin à la guerre au Congo. Dans une déclaration du 11 décembre, le conseil a réitéré sa demande d'une résolution pacifique du conflit au Congo et a affirmé qu'il envisagerait la "participation active des Nations unies" pour y instaurer un cessez-le-feu effectif ainsi que pour résoudre le conflit de façon politique. Le conseil a également condamné les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire et a instamment demandé que l'aide humanitaire puisse atteindre sans restriction les personnes déplacées en raison de la guerre.

La dissolution de l'étroite alliance qui existait entre le Ruanda et le Congo a poussé ce dernier à revoir ses relations avec les Nations unies. Le 11 janvier, Léonard Okitundu, le ministre des droits de l'homme de la RDC, a, dans une lettre, invité Roberto Garretón, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme au Congo à retourner au pays et a promis qu'il "pourrait y enquêter en toute liberté et transparence" sur la situation des droits de l'homme. Monsieur Garretón a donc planifié une visite au Congo du 16 au 23 février 1999. Désigné par une résolution de 1994 de la Commission des droits de l'homme, Monsieur Garretón n'avait effectivement plus la permission d'entrer dans le pays depuis 1997 en raison de la franchise des rapports qu'ils avaient rédigés sur la situations des droits de l'homme sous le Président Kabila et sur les massacres des réfugiés hutus lors de la guerre de 1996-1997, qui avait permis à Kabila de s'emparer du pouvoir. Okitundu a également affirmé que le gouvernement avait prévu de créer une commission nationale d'enquête sur les massacres et a répété que le pays était prêt à coopérer à une nouvelle enquête des Nations unies sur les massacres, une promesse faite à plusieurs reprises par les fonctionnaires de la RDC depuis le début des hostilités avec le Ruanda et qui reflétait un évident changement d'attitude. Jusqu'au mois d'août 1998, le gouvernement de Kabila avait immanquablement bloqué les tentatives des Nations unies d'enquêter sur ces massacres. Jusqu'à présent, l'échec de la communauté internationale à mener à bien cette mission et à punir les coupables a contribué à la culture de l'impunité se développant dans cette région. 

L'Union Européenne
L'UE a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face à la crise au Congo, ainsi que son adhésion rhétorique aux droits de l'homme, mais ni ses déclarations ni les missions conduites par ses envoyés spéciaux n'ont eu un quelconque impact visible. Toutefois, les représentants de l'UE ont adopté une position de plus en plus publique selon laquelle ils menacent de lier les programmes d'aide de l'Union à l'actuelle crise au Congo. En septembre, Jacques Sauter, président de la Commission européenne, a déclaré que l'Union européenne devrait revoir ses programmes d'assistance pour garantir que l'aide ne soit pas utilisée pour attiser le conflit. (109) En novembre, lors de la visite à Bruxelles du Président Kabila, Joao de Deus Pinheiro, Commissaire européen au développement, a clairement établi que la reprise de l'aide au développement fournie par l'Union européenne dépendrait de conditions préalables telles que l'instauration de l'autorité de la loi et d'un processus de démocratisation. (110)

Une décision plus forte menaçant directement l'aide de l'UE au pays impliqués dans la crise du Congo a été prise en décembre et apparaît dans une déclaration émise lors d'une rencontre à Kampala du groupe consultatif du Club de Paris: "Si on ne cherche pas activement à trouver une solution, il pourrait être de plus en plus difficile pour l'Union européenne de maintenir le niveau d'aide budgétaire actuel allouée aux pays impliqués dans le conflit, s'ils persistent à choisir l'option militaire." La déclaration demandait ensuite un cessez-le-feu immédiat et le lancement d'un processus qui mènerait au retrait de toutes les troupes étrangères. La déclaration de l'UE soulignait également l'implication de l'Ouganda au Congo et reconnaissait ses inquiétudes légitimes quant à la sécurité le long de ses frontières avec le Congo. Elle se poursuivait de la manière suivante: "il n'est pas certain que la présence et l'activité militaire jusqu'à 700 kilomètres des frontières ougandaises servent seulement cet objectif." (111)

Les États-Unis
Même si les États-Unis ont à plusieurs reprises demandé un cessez-le-feu et le retrait de toutes les forces étrangères, ses représentants ont manqué plusieurs opportunités de soulever des préoccupations relatives aux violations des droits de l'homme commises par les belligérants et d'exercer sur eux une pression pour qu'ils respectent les standards internationaux en matière de droits de l'homme. L'hésitation des USA à critiquer publiquement les violations commises par les forces du RCD et les forces armées de ses alliés, le gouvernement du Ruanda et de l'Ouganda, ont alimenté la sensation générale que leur politique est orientée de façon à favoriser ces parties, particulièrement parce que c'est sur ces dernières que les USA ont le plus d'emprise et d'influence directes. Malheureusement, même la délégation des USA dirigée par Susan Rice, la Vice-secrétaire d'état aux affaires africaines, qui a visité la région de la fin du mois d'octobre au début du mois de novembre 1998, n'a pas réussi à transmettre un message public clair concernant la nécessité que les deux parties respectent les droits de l'homme fondamentaux et tiennent les coupables des violations pour responsables de leurs actes.

La politique des USA à l'égard du gouvernement congolais a été considérablement plus vigoureuse. La condamnation des arrestations et du massacre des tutsis, la propagation de la haine à la radio et la possibilité d'un nouveau génocide figuraient au centre des déclarations des USA, tout comme les appels lancés au gouvernement de Kabila d'entamer une transition vers une démocratie participative et inclusive. Plus récemment, les USA ont également insisté sur leur préoccupation à l'égard d'informations révélant que Kabila recrutait des membres de l'ancien FAR et des Interahamwes et ont condamné "toute collaboration ou coopération avec ces individus ou avec les politiques génocidaires qu'ils adoptent." (112)

Quant aux forces rebelles, les déclarations des USA se sont limitées à leur demander de respecter les droits de l'homme et la sécurité des travailleurs humanitaires. En 1998, aucune mention ne fut faite des massacres ou exécutions sommaires et arbitraires, comme le massacre de Kasika, ou des pratiques rebelles d'arrestations arbitraires, de détentions illégales, de "disparitions" ou de meurtres des supposés opposants à leurs politiques. Toutefois, le 7 janvier 1999, le Département d'état américain a fait une déclaration dans laquelle il s'inquiétait d'articles de presse relatifs à un massacre de civils commis par les forces du RCD entre le 30 décembre et le 1 janvier - il est évident que, sans nommer la localité, référence était faite au massacre de Makabola - et demandait aux rebelles de permettre à des enquêteurs indépendants de se rendre sur les lieux.

Les messages envoyés par l'administration de Bill Clinton étaient particulièrement confus à la mi-octobre, lorsque les USA ont maintenu un programme international de formation et éducation militaires (IMET) pour les soldats ruandais même après que les autres pays africains qui devaient y participé se soient désistés. 

Même si le contenu du programme ne prêtait pas à controverse, il se centrait cependant sur l'administration militaire et la décision des USA de poursuivre la formation militaire d'une des parties au conflit du Congo, accusée d'avoir participé aux atrocités commises contre des civils, n'a finalement servi qu'à réduire la crédibilité de la politique américaine.

Par rapport à leur principale préoccupation pour le génocide commis dans la région, l'administration des USA a fréquemment manqué des opportunités de condamner d'autres exemples de crimes contre l'humanité. En tant qu'Ambassadeur détaché en charges des questions relatives aux crimes de guerre, David Scheffer a reconnu, dans un discours prononcé le 10 septembre, que "l'histoire... nous enseigne que nous devons être prêts à répondre à des situations de meurtres, de viols ou d'autres abus généralisés ou systématiques - et que tous méritent les mêmes condamnations morales, les mêmes poursuites criminelles et les mêmes efforts pour les éviter et les punir que les génocides. Des crimes contre l'humanité peuvent être commis - et ont été commis - dans des situations où le génocide ne correspond pas à la définition que nous lui donnons. Nous ne pouvons pas en sous-estimer l'importance." (113) Les décideurs politiques américains n'ont pas accordé assez d'importance à la reconnaissance d'un problème plus large de crimes contre l'humanité commis dans la région.

Au delà de ces considérations politiques, l'aide des USA au Congo reste soumise à des limites légales, et tout d'abord aux amendements Brooke et Faircloth. (114) Cependant, en décembre 1998, sous le contrôle du Bureau du département d'état des initiatives de transition, les USA ont rouvert deux des trois bureaux régionaux (celui de Kananga et de Lubumbashi; celui de Bukavu, à l'est, est resté fermé) qui avaient été fermés lors de l'éclatement de la crise au début du mois d'août. L'objectif des bureaux régionaux a été revu et il consiste à soutenir la société civile et à aider à remplir les conditions qui rendraient possible une transition viable vers la démocratie.




108.  "Mandela: une intervention militaire au Congo est justifiée," Reuters, 3 septembre 1998.

109.  "Selon Jacques Sauter, l'aide le l'UE devrait être refusée aux belligérants, " Agence France Presse, 6 septembre 1998.

110.  Agence Europe, "UE/Congo: Monsieur Pinheiro spécifie les conditions à remplir pour que l'UE coopère et soutienne à nouveau financièrement le Congo," Bruxelles, 27 novembre 1998.

111.  "L'UE menace de réduire l'aide aux pays ayant des troupes en RDC," Agence France Presse, 9 décembre 1998.

112.  "Les États-Unis préoccupés par les Mouvements de réfugiés ruandais," déclaration de James Rubin, porte-parole, Ministère d'État des USA, 13 novembre 1998.

113.  L'Ambassadeur détaché David J. Sheffer fait part de ses remarques sur la reconnaissance et la prévention des génocides lors de la convention sur les génocides à l'Holocauste Museum, Washington D.C., 10 décembre 1998.

114.  L'amendement Brooke interdit aux USA d'aider des pays à payer les arriérés de leur dette. La section 575 de la loi d'appropriation de l'aide étrangère de 1999, connue sous le nom d'amendement Faircloth, stipule qu'aucun fonds ne peuvent être alloués au gouvernement central du Congo jusqu'à ce que le Président affirme au Congrès que le gouvernement central: 1) enquête et poursuit les responsables de violations des droits de l'homme commises au Congo et 2) travaille à une transition crédible vers la démocratie. Une aide peut être fournie pour promouvoir la démocratie et l'autorité de la loi dans le cadre d'un programme de transition.