Africa - West

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IX. LA REPONSE INTERNATIONALE

A partir de l'année 1994, la communauté internationale a contribué à créer et à perpétuer les problèmes à l'Est du Congo en ne s'occupant que des besoins humanitaires et en ignorant les problèmes politiques et militaires plus complexes posés par les camps de réfugiés. Pourtant conscients que les autorités responsables du génocide au Rwanda contrôlaient les camps et que les soldats et les milices utilisaient ceux-ci comme bases pour effectuer des raids au Rwanda, les pays donateurs ont malgré tout continué à les appuyer. En dépit des appels lancés par le HCR, les groupes humanitaires et les organisations des droits de l'Homme, ils ont refusé d'investir les ressources nécessaires pour séparer les éléments armés des vrais réfugiés ou pour réinstaller les camps plus loin de la frontière rwandaise. La seule solution qu'ils ont offerte, partiellement efficace et seulement pour le court terme, a été de financer les soldats des FAZ affectés provisoirement au service du HCR.

Peu après avoir pris le pouvoir à Kigali en juillet 1994, les autorités rwandaises ont insisté pour que les réfugiés soient rapatriés et les camps démantelés, insistance qui s'est intensifiée en 1996 à mesure que les incursions à partir du Zaïre augmentaient en nombre et en importance. Face à des avertissements d'une telle clarté, la communauté internationale n'a pourtant pas agi pour désamorcer la situation.

Lorsque l'AFDL a attaqué les camps, la communauté internationale s'est une fois de plus simplement préoccupée des problèmes humanitaires, facilitant les rapatriements et la fourniture de l'aide humanitaire. Elle a passé un mois à préparer une force militaire multinationale pour garantir la sécurité des réfugiés et des membres des organisations humanitaires mais a ensuite abandonné le plan après que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont décidé de ne pas envoyer de troupes de combat.

Ayant renoncé à une intervention armée, la communauté internationale s'est vue réduite à déplorer à maintes reprises les attaques de l'AFDL contre les réfugiés et l'obstruction faite à l'aide humanitaire, soit par l'AFDL, soit par le gouvernement zaïrois. Face aux compte-rendus de massacres, elle s'est tout au plus lancée dans des protestations publiques et dans la diplomatie privée, tout cela semblant tout aussi inefficace. Même après que le rapporteur spécial de l'ONU sur le Zaïre, Roberto Garretón, a eu avancé des preuves que des massacres avaient bien eu lieu dans son rapport du 2 avril 1997 à la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, l'ONU a proposé une enquête plus approfondie mais n'est nullement intervenue pour prévenir de nouveaux carnages, comme celui qui a eu lieu au Sud de Kisangani entre la mi-avril et la fin avril 97 et à Mbandaka le 13 mai 1997.
Déchirés entre leur souci de préserver la stabilité et l'intégrité territoriale du Congo et leur souhait de voir le problème des réfugiés se résoudre, les Etats-Unis ont longtemps gardé le silence sur les massacres et éludé d'importantes questions telles que le nombre de réfugiés au Congo après novembre 1996 et le rôle des troupes rwandaises dans les forces de l'AFDL. Ce genre de position semblait indiquer un soutien à l'AFDL, conclusion solidement renforcée par les révélations de l'aide militaire américaine au Rwanda. Un nombre important de nations africaines ont également appuyé Kabila et ont minimisé ou nié les accusations de crimes contre l'humanité lancées à l'encontre de ses troupes.

Après avoir monté une première initiative visant à établir les responsabilités par le biais d'une enquête de l'ONU, le Secrétaire général et d'autres ont flanché, permettant à Kabila d'opposer son veto à Garretón comme chef des enquêteurs. Plus récemment, les Etats-Unis, l'Union Européenne et le Secrétaire général semblaient prêts à faire preuve de fermeté face aux réponses évasives de Kabila, attitude qui, si elle est maintenue, pourrait rompre le cycle de violence et d'impunité. Les partisans africains de Kabila ne se sont cependant pas joints à ce nouvel effort visant à demander des comptes aux responsables.

Les Etats-Unis

Les responsables politiques américains ont vu dans les camps de réfugiés une menace pour la stabilité dans la région. Bien que les Etats-Unis eux-mêmes n'étaient pas disposés à recourir à la force pour démanteler les camps, le Département de la Défense avait décidé dès août 1995 de ne pas s'opposer à une telle action menée par le Rwanda, pourvu que l'opération soit "propre", c'est-à-dire que les pertes civiles soient limitées123 . En août 1996, Kagame a informé des responsables du Département d'Etat que le Rwanda était prêt à démanteler les camps si personne d'autre ne le faisait et selon lui, les Etats-Unis ont pris "la bonne décision en le laissant agir"124 .

Alors qu'il devenait clair que les attaques de l'AFDL avaient causé une nouvelle crise humanitaire, les Etats-Unis ont en fin de compte accepté de se joindre à la force multinationale autorisée par le Conseil de Sécurité de l'ONU, qui devait apporter de l'aide aux réfugiés et leur faciliter le retour au pays. Mais dans les jours qui ont suivi la décision, les attaques menées par les forces de Kabila ont précipité le retour au pays de centaines de milliers de réfugiés, ouvrant par là-même un débat entre différents acteurs -gouvernements, ONU et ONG - à propos du nombre de Rwandais qui restaient au Congo. D'après un haut fonctionnaire de l'administration, depuis le début de la crise, les Etats-Unis ont utilisé les dernières technologies en matière de reconnaissance par satellite et par avion pour évaluer chaque jour, et plus tard chaque semaine, le nombre de réfugiés et leur localisation. Ces informations ont été transmises au moins au HCR, ce qui pourrait laisser supposer qu'elles sont également arrivées dans d'autres mains125 . Lors d'un briefing en novembre 1996 à Kigali, des responsables de l'ambassade américaine ont dit à des représentants d'ONG que les données recueillies au moyen de la reconnaissance aérienne ne montraient aucune trace des centaines de milliers de disparus. Peu après, les responsables ont reconnu que cette évaluation était erronée car elle se basait sur des données relatives à une petite partie de la région seulement126 . Dans une déclaration ultérieure qui se faisait largement l'écho de la position officielle rwandaise, l'ambassadeur américain à Kigali a avancé que les réfugiés qui se trouvaient encore au Zaïre n'étaient que "des dizaines de milliers"127 . A la séance du 4 décembre 1996 devant le Sous-Comité des Opérations Internationales et des Droits de l'Homme de la Chambre, les responsables américains ont finalement reconnu qu'il restait entre 200.000 et 400.000 Rwandais au Congo, estimation qui rejoint plus ou moins celle des ONG humanitaires travaillant sur le terrain et du HCR, pour lesquels ce chiffre s'élève à entre 400.000 et 450.000128 .

Le débat sur le nombre de réfugiés a fourni un prétexte pour retarder l'envoi de la force, comme l'ont souligné des observateurs critiques tels que les députés Lee Hamilton et Christopher Smith. Lors de la séance du 4 décembre, Hamilton a déclaré :

"Je comprends bien que nous ne disposions pas de toutes les informations que nous voulons, on n'a jamais toutes les informations que l'on veut... Il faut toujours opérer à partir d'informations imparfaites..."129 .

Le temps que l'on tombe d'accord sur le fait que 200.000 personnes au minimum avaient encore besoin d'aide humanitaire, les Etats-Unis, suivis du Royaume-Uni et du Canada, avaient déjà conclu qu'une force multinationale n'était pas le meilleur moyen de fournir cette aide, signant par là-même son arrêt de mort130 .

Pendant toute cette période, les gouvernements rwandais et ougandais n'ont cessé de démentir que leurs soldats combattaient au Congo, déclaration trompeuse que les Etats-Unis n'ont pas mise en doute publiquement. Comme d'autres en Europe, les Etats-Unis savaient dès le départ que le Rwanda et l'Ouganda avaient envoyé chacun au moins 1.000 soldats pour appuyer Kabila mais pendant des mois, ils ont continué à soutenir que l'AFDL était une force purement congolaise131 . En février 1997, le Chef de Mission Adjoint de l'ambassade à Kigali a dit à HRW / FIDH qu'il "n'existait absolument aucune preuve" que les troupes rwandaises étaient présentes au Congo132 . Seul l'ambassadeur américain à Kinshasa, particulièrement soucieux de l'intégrité territoriale du Congo, a rompu les rangs en dénonçant une invasion rwandaise en janvier 1997. A peu près en même temps, Washington et Paris ont penché pour une reconnaissance de la réalité en priant le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi de rester en dehors du conflit. Le 17 mars, le porte-parole du Département d'Etat a finalement admis que les Etats-Unis restaient "préoccupés par l'afflux d'informations" qui arrivaient concernant l'assistance rwandaise, ougandaise et burundaise à l'AFDL133 . Quelques jours plus tard, un haut responsable du Département d'Etat a confirmé à HRW / FIDH que les troupes rwandaises jouaient un rôle important dans le conflit au Congo134 .

A la séance du 4 décembre 1996, l'Ambassadeur Richard Bogosian a dit au Congrès que les Etats-Unis étaient "préoccupés" par les récits de violations des droits de l'homme commises par les rebelles. Il a ajouté que les Etats-Unis avaient soulevé la question avec les gouvernements d'Ouganda et du Rwanda. Reconnaissant implicitement le rôle qu'ils ont joué dans les exactions, il a déclaré que les Etats-Unis avaient envoyé des instructions "les priant de faire preuve de retenue...."135 .

L'étendue du soutien politique, économique et militaire apporté par les Etats-Unis au Rwanda a soulevé la question de savoir si cet appui avait également bénéficié à l'AFDL. Interrogés précisément sur cette possibilité par le Député Smith le 4 décembre, les responsables de l'administration ont minimisé l'importance de l'aide militaire américaine au Rwanda. Vincent Kern, Secrétaire Adjoint à la Défense a décrit ces programmes militaires comme étant "les plus modérés, les plus inoffensifs et les plus gentils" de l'entraînement militaire, ne comprenant pas d'instruction pour les situations de combat et "n'ayant rien à voir avec le type d'entraînement militaire de base qui serait donné à Fort Bragg; un entraînement d'officier ou ce genre de choses."136 .

Lors d'une séance du Comité des Relations Internationales de la Chambre le 16 juillet 1997, le témoignage de Physicians for Human Rights a cependant soulevé de nouvelles questions tant à propos des massacres au Congo qu'à propos de la présence militaire américaine dans la région. Suite aux questions posées par les membres du Congrès, le Département de la Défense a publié un rapport le 19 août 1997 décrivant en détail un programme de formation comprenant des cours de tir, d'efficacité tactique et de travail en patrouille, la formation des chefs de petites unités et la formation au commandement, une partie du programme étant dirigée par les Forces Spéciales de l'Armée américaine, provenant en fait de Fort Bragg137 .

Lors des séances du 16 juillet, l'Ambassadeur Thomas Pickering, Sous-Secrétaire aux Affaires Politiques, a réitéré la position prise par l'administration lors des sessions de décembre, qualifiant de "troublantes" les violations des droits de l'homme commises au début par le gouvernement de Kabila. ll a également déclaré que des pressions étaient exercées sur les gouvernements des Etats voisins pour qu'ils "usent de leur influence auprès de l'AFDL afin que soit garanti le respect des droits de l'Homme reconnus au niveau international".

En août et en septembre, des journalistes européens, citant les services secrets français et d'autres sources, ont accusé les Etats-Unis d'avoir leurs propres soldats au Congo. Des témoins à Kinshasa et à Goma ont signalé à HRW / FIDH qu'ils avaient vu des soldats américains sur le territoire congolais à différentes reprises entre novembre 1996 et août 1997. Un des témoins qui a une grande expérience militaire a signalé avoir vu des Forces Spéciales de l'Armée américaine en uniforme dans les villages de Walikale et Kanyabayonga au Nord-Kivu les 23 et 24 juillet 1997, apparemment conseillant et entraînant les soldats de l'APR138 . D'autres témoins ont signalé avoir aperçu des soldats américains à Goma en novembre 1996 et accompagnant les troupes ougandaises dans la zone de Ruwenzori au Congo pas plus tard qu'en août 1997139 . De hauts responsables du Conseil National de Sécurité et du Département d'Etat ont nié toute présence militaire américaine au Congo140 .

Ne voulant pas affronter les alliés de Kabila à propos de leur rôle dans les massacres, les Etats-Unis ont adopté une position plus claire à propos de la responsabilité de Kabila lui-même en raison des informations de plus en plus nombreuses sur les massacres perpétrés fin février et début mars 1997. Au début avril, un haut fonctionnaire américain a téléphoné à Kabila pour s'inquiéter des allégations de massacres et du problème d'accès des organisations humanitaires141 . A la fin avril, les Etats-Unis se sont sentis dans l'obligation d'avertir publiquement Kabila que ne pas agir "de façon crédible et humanitaire" pourrait nuire à sa réputation au sein de la communauté internationale142 .

Bien que les Etats-Unis se soient apparemment limités à lancer des avertissements alors qu'avaient lieu les massacres, ils ont ensuite appuyé la mission d'enquête. Lorsque Kabila a refusé la présence de Garretón au sein de l'équipe d'enquêteurs, l'Ambassadeur américain à l'ONU, Bill Richardson, a pourtant joué un rôle important en négociant un arrangement avec Kabila. Confrontés à de plus en plus de preuves de graves atteintes au droit humanitaire international, les responsables du Département d'Etat ont eu un débat acharné pour savoir à quel point les considérations sur les droits de l'Homme devaient influencer la politique adoptée vis-à-vis du nouveau gouvernement de Kabila. En juillet, ils ont décidé que les Etats-Unis ne pouvaient pas accorder d'aide au nouveau gouvernement avant que celui-ci ne coopère avec la mission d'enquête de l'ONU.

Après l'arrivée des enquêteurs à Kinshasa le 24 août, Kabila a posé de nouvelles conditions pour l'enquête, lesquelles sont décrites plus loin dans le chapitre consacré aux Nations Unies. Les responsables américains ont fait preuve d'hésitation et ont entamé un nouveau débat pour savoir si une prise de position ferme sur la question des violations massives des droits de l'Homme conduirait à une plus grande stabilité dans la région, ce qui était en fait leur but ultime. Certains avançaient que cela entraînerait une rupture des relations avec Kabila et éliminerait donc la possibilité d'exercer une influence majeure dans ce pays à l'avenir. D'autres soutenaient qu'acheter la stabilité par le silence était un prix trop élevé à payer et ne ferait au mieux qu'interrompre momentanément les violences dans la région143 . Au 1er octobre, les Etats-Unis semblaient avoir décidé d'insister sur des mesures permettant d'établir les responsabilités dans les massacres et l'Ambassadeur Richardson allait déclarer "que le libre accès de la mission d'enquête n'était pas négociable. Cela devait être un fait." Le même jour, le Chargé de Mission américain pour les Crimes de Guerre, David Scheffer, déclarait que l'aide des Etats-Unis au Congo dépendrait de la façon dont le gouvernement congolais recevrait la mission de l'ONU : "Cette aide dépendra de la coopération avec la mission d'enquête de l'ONU," a déclaré Scheffer, ajoutant que "Kinshasa n'a rien à gagner et beaucoup à perdre si elle continue à faire obstacle à la mission"144 . Egalement le 1er octobre, le porte-parole du Département d'Etat, James Foley, a averti que si Kabila expulsait la mission de l'ONU, "cela constituerait un revers énorme au niveau de l'objectif qui avait été fixé d'établir les responsabilités en Afrique Centrale"145 .

L'Europe et l'Afrique

En novembre 1996, la France et l'Espagne ont proposé une force multinationale pour venir en aide aux réfugiés, initiative que la France a réitérée au début mars 1997 suite à la publication de récits dramatiques de massacres dans la presse française. La longue alliance de la France avec Mobutu et les vastes intérêts politiques français dans la région ont cependant soulevé des questions quant à l'objectif qu'elle poursuivait en demandant une intervention. Les autres gouvernements ont rejeté l'initiative de mars, en dépit du soutien du Secrétaire général de l'ONU. La France a alors reproché aux autres gouvernements "une conspiration du silence" mais en fait, les massacres ont été régulièrement dénoncés par de nombreux responsables des gouvernements européens et de l'ONU, dont le Secrétaire d'Etat belge à la Coopération au Développement, Réginald Moreels, la Commissaire de l'Union Européenne à l'Aide Humanitaire, Emma Bonino, et l'émissaire spécial de l'ONU et de l'OUA, Mahmoud Sahnoun.

Tant Moreels que Sahnoun ont évoqué le génocide rwandais dans leurs déclarations, faisant référence précise au modèle habituel de comportement international : tout comme en 1994, la communauté internationale a parfois dénoncé les massacres sans toutefois agir efficacement pour y mettre fin et ce n'est qu'après les faits qu'elle a demandé des comptes aux parties responsables.

Une fois le gouvernement de Kabila mis en place, certains responsables européens ont semblé prêts à faire passer la reconstruction avant les besoins de justice. Le 28 mai 1997, le Commissaire au Développement européen Joao de Deus Pinheiro a envoyé des signes encourageants à Kabila et en août, deux délégations en visite à Kinshasa, l'une belge conduite par Moreels et l'autre de l'Union européenne, ont toutes deux conclu que le contexte au Congo était largement favorable à la reprise de la coopération. Plus récemment cependant, le 24 septembre 1997, l'Union européenne a adopté une position similaire à celle des Etats-Unis et a déclaré que l'aide au Congo serait subordonnée à la coopération de Kabila avec la mission d'enquête de l'ONU.

Certains pays qui fournissent un soutien militaire à Kabila, notamment le Rwanda, l'Ouganda et l'Angola, se sont vus rejoints par d'autres qui ont offert leurs encouragements au nouveau gouvernement congolais. Le Président sud-africain, Nelson Mandela, a qualifié Kabila de "personnage exceptionnel et de dirigeant dynamique"146 et s'est montré disposé à accepter les affirmations de Kabila comme quoi les accusations de massacres étaient fausses147 . D'autres leaders de la région ont cherché à protéger Kabila des accusations d'atteintes aux droits de l'Homme. Les représentants des Etats africains148 , réunis à Kinshasa à l'invitation du Président de l'Organisation de l'Unité Africaine et Président du Zimbabwe Robert Mugabe, ont exprimé leur soutien à Kabila face aux accusations de massacres. Ils ont dénoncé avec "consternation la campagne persistante de désinformation non fondée menée contre la République Démocratique du Congo" et "ont condamné cette campagne de diffamation ainsi que les pressions injustes exercées sur la République Démocratique du Congo"149 .

Les Nations Unies

Suite aux informations de plus en plus nombreuses concernant des massacres et autres atrocités en provenance des régions du Zaïre occupées par l'AFDL, le 6 mars 1997, le Haut Commissaire aux Droits de l'Homme a demandé que le Rapporteur spécial de l'ONU pour le Zaïre enquête à propos des allégations. Après une courte mission dans la région, le Rapporteur Roberto Garretón a rédigé un rapport préliminaire dans lequel il a identifié plus de quarante lieux de massacres et a recommandé une enquête plus approfondie de la Commission des Droits de l'Homme150 . Ces informations ont amené le Secrétaire général Kofi Annan à dénoncer la cruauté des rebelles et le fait "qu'ils laissaient mourir de faim".

La Commission l'a alors chargé, ainsi que le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et un membre du Groupe de Travail sur les Disparitions, de mener une enquête sur les massacres qui auraient eu lieu depuis septembre 1996. L'équipe a été chargée de présenter son rapport à l'Assemblée Générale (AG) pour le 30 juin et à la Cinquante-Quatrième Session de la Commission en mars/avril 1998151 .

Lorsque la mission, accompagnée d'experts en médecine légale, est arrivée dans la région au début mai, Kabila a refusé que le chef de la mission, Garretón, entre au Congo, apparemment pour se venger du rapport que celui-ci avait rédigé antérieurement. Après un bref bras de fer psychologique, la mission a quitté la région mais a préparé un rapport basé sur les sources déjà à sa disposition.

Lors de deux rencontres séparées au début juin, le Secrétaire général Annan et l'Ambassadeur Richardson ont obtenu l'accord de Kabila pour que la mission de l'ONU puisse commencer dans les trente jours. Dans son communiqué de presse du 9 juin 1997, l'ONU a laissé entendre que la mission d'enquête serait celle nommée par la Commission. Mais des sources tant au sein de l'administration américaine que de l'ONU ont dit à Human Rights Watch que Kabila avait reçu la garantie que Garretón ne serait pas à la tête de l'enquête152 .

La mission dirigée par Garretón, connue sous le nom de Mission d'Enquête Conjointe de la Commission des Droits de l'Homme, a publié un rapport en date du 2 juillet 1997 faisant état que quelques-uns des massacres dénoncés pouvaient constituer des actes de génocide (para. 80). Il concluait en disant que "des indications fiables permettent de croire que des personnes appartenant à l'une ou l'autre des parties au conflit... ont probablement commis de graves violations du droit humanitaire international, et en particulier de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949" et que "de tels crimes semblent être suffisamment massifs et systématiques pour être qualifiés de crimes contre l'humanité" (para. 95)153 .

Bien que la mission n'ait pas pu visiter les lieux de massacres au Congo, ses conclusions ne pouvaient pas être ignorées et appelaient à un complément d'enquête. Le 8 juillet, le Secrétaire général a été autorisé par le Conseil de sécurité à mettre sur pied une mission d'enquête sous sa propre autorité. Cependant, il a fallu un mois pour que la mission soit réellement mise sur pied, se composant de Atsu Koffi Amega du Togo, Andrew Chigovera du Zimbabwe et Reed Brody des Etats-Unis, secondés d'une équipe d'experts en médecine légale et de spécialistes en matière de droits de l'Homme.

La mission était à peine arrivée depuis quelques jours à Kinshasa, le gouvernement congolais a posé de nouvelles conditions pour son travail. Dans une lettre du 27 août, le Ministre de la Reconstruction, Etienne-Richard Mbaya et le Ministre de la Coopération Internationale, Thomas Kanza, ont insisté pour que : (1) le président togolais de la mission, M. Atsu-Koffi Amega, soit remplacé par quelqu'un provenant d'un pays neutre _ faisant apparemment allusion aux relations étroites que le Togo entretenait avec le précédent gouvernement zaïrois de l'ex-Président Mobutu Sese Seko; (2) la mission ne soit pas accompagnée de personnel de sécurité de l'ONU non armé; et (3) la mission de l'ONU soit menée conjointement avec une enquête parallèle proposée par l'Organisation de l'Unité Africaine.

Le Secrétaire général a rejeté les conditions supplémentaires le 29 août et a donné à Kabila jusqu'au 2 septembre à midi pour confirmer que l'équipe pourrait commencer son travail154 . Le Ministre des Affaires Etrangères, Bizima Karaha, a donné une garantie formelle au téléphone mais le Secrétaire général aurait insisté sur une confirmation écrite du Chef de l'Etat.

La lettre de Kabila est enfin arrivée le 6 septembre155 . Elle communiquait que la mission pouvait commencer son travail mais soulignait que l'enquête devait être "limitée dans le temps et l'espace", c'est-à-dire jusqu'à la période précédant le 17 mai, date à laquelle Kabila a pris le pouvoir, et à la partie Est du pays. En outre, le gouvernement insistait pour que sa propre équipe participe à l'enquête.

Ayant alors déjà passé trois semaines à Kinshasa sans avoir pu réaliser son travail, la mission a décidé de tester les promesses du gouvernement. Quelques-uns des membres se sont rendus dans un camp de réfugiés au Congo-Brazzaville et, le 13 septembre, ils ont tenté d'acheter des billets d'avion pour Mbandaka, dans la partie nord-ouest du pays, où un massacre aurait eu lieu en mai. L'agence de voyages a refusé de vendre les billets, expliquant qu'elle agissait conformément aux instructions du gouvernement. Pendant ce temps, le gouvernement présentait à l'ONU une demande de budget d'1,7 million de dollars pour couvrir les frais de sa propre mission d'accompagnement des enquêteurs, y compris un per diem de 700$ par jour pour chaque membre congolais.

Le 16 septembre, le Ministre Mbaya, nommé chef de liaison du gouvernement pour les relations avec la mission, a invité les membres de la mission à une réunion qui s'est avérée être un événement médiatique avec des journalistes et cinq caméras de télévision. Le ministre a informé la mission qu'elle n'était pas autorisée à se rendre à Mbandaka et qui plus est, qu'elle ne devait pas essayer de s'y rendre. Le ministre a également lu un communiqué de presse dans lequel il a réitéré toutes les objections et demandes déjà exprimées par le gouvernement, y compris celles concernant le temps, l'espace et le budget.

Le Secrétaire général Annan et l'Ambassadeur Richardson ont continué à faire des déclarations publiques, mettant la pression sur Kabila pour le forcer à coopérer. L'Ambassadeur Richardson a déclaré récemment :

    "Nous voulions vraiment lui accorder le bénéfice du doute et l'aider, mais lorsqu'il apparaît que son gouvernement tourne le dos à d'importants engagements internationaux pris vis-à-vis de la communauté internationale, il ne nous laisse pas grand choix"156 .

Suite à une série de contacts directs et téléphoniques entre le Secrétaire général et des membres du gouvernement congolais, le 1er octobre 1997, le Secrétaire général a décidé de rappeler les responsables de la mission au siège de l'ONU à New York pour consultation. Les experts légistes et en matière de droits de l'Homme sont encore à Kinshasa à l'heure où sont écrites ces lignes.

Après le génocide rwandais, la communauté internationale a insisté sur le fait qu'il devait y avoir une justice pour les victimes. Elle a rencontré beaucoup de problèmes financiers et logistiques en essayant de tenir cet engagement mais ses efforts ont été facilités parce que les responsables des crimes étaient dans la position des perdants. L'AFDL ayant été victorieuse, les acteurs internationaux voient leur engagement envers la justice compliqué du fait qu'ils souhaitent assurer de bonnes relations à l'avenir avec des autorités qui pourraient bien être accusées de graves violations du droit international. Il reste à voir s'ils se rendront compte que faire preuve de fermeté en demandant justice ne signifie pas ignorer les objectifs de stabilité et de prospérité de la région mais que c'est là le meilleur moyen d'atteindre ces objectifs.






123 Notes de HRW / FIDH, août 1995.

124 John Pomfret, Washington Post, 9 juillet 1997.

125 Entretiens téléphoniques de HRW / FIDH dont un avec un haut responsable de l'administration, 3 octobre 1997.

126 Entretien téléphonique de HRW / FIDH, Londres, 6 octobre; Chris Mc Greal, "Officials Play Numbers With Missing Refugees," The Guardian, 25 novembre 1996.

127 Refugees International, "Refugees International Demands Recall of U.S. Envoy from Kigali," 21 novembre 1996, novembre 1997.

128 Conversation avec le Haut Commissaire Adjoint du HCR, Kinshasa, décembre 1997.

129 Séance du Sous-Comité des Opérations Internationales et des Droits de l'Homme du Comité des Relations Internationales de la Chambre des Représentants, 4 décembre 1996.

130 HRW / FIDH, "Attaqués de Toutes Parts," page 13.

131 Entretien téléphonique de HRW / FIDH, Washington, 29 octobre 1996; James Rupert et Thomas W. Lippman, "U.S. Stance on Zaire Draws Foreign Fire," Washington Post, 15 mars 1997.

132 Entretien de HRW / FIDH, Kigali, 12 février 1997.

133 Reuter, "U.S. Troubled by Reports of Aid to Zaire Rebels", 17 mars 1997.

134 Entretien de HRW / FIDH, Washington, 20 mars 1997.

135 Séance du Comité des Relations Internationales de la Chambre américaine des Représentants, 4 décembre 1996.

136 Ibid.

137 Ce rapport a été rédigé suite à une demande de Benjamin A. Gilman, Président du Comité des Relations Internationales de la Chambre américaine des Représentants.

138 Témoignage recueilli par HRW / FIDH au Congo, août 1997; un rapport du Département de la Défense du 19 août ainsi que les déclarations faites le même mois par l'ambassadeur américain au Rwanda ont confirmé que des Forces Spéciales de l'Armée américaine étaient engagées dans un programme d'entraînement dans le camp militaire de Gako au Rwanda en août.

139 Témoignages recueillis par HRW / FIDH à Kinshasa et Goma, août 1997; cette période correspond au moment où les Forces Spéciales de l'Armée américaine dirigeaient des programmes d'entraînement pour l'African Crisis Response Initiative pas loin de là, à Fort Portal, Ouganda.

140 Entretien de HRW / FIDH à Washington, 8 et 9 septembre 1997.

141 Entretien téléphonique de HRW / FIDH, Washington, 2 avril 1997.

142 Reuters, "Annan and the United States Warn Zairean Rebels," 24 avril 1997.

143 Entretiens de HRW / FIDH, Washington, 8 et 9 septembre 1997.

144 "U.S. Withholds Congo Aid," dépêche d'Associated Press, 24 septembre 1997.

145 Dépêche de l'AFP, "U.S. Warns Kabila Aid at Stake over Human Rights Probe," 1 octobre 1997.

146 Dépêche de Sapa-dpa, Harare, 21 mai 1997.

147 Integrated Regional Information Network, Emergency Update 235, 26 août 1997.

148 Etaient présents à la réunion les représentants des pays suivants : Angola, République Centrafricaine, Congo, Erythrée, Ethiopie, Gabon, Mozambique, Namibie, Rwanda, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Zambie, Zimbabwe. IRIN, "DRC: joint Communique of the Kinshasa Meeting 20 July 1997."

149 Ibid.

150 E/CN.4/1997/6/Add.2

151 Résolution de la Commission des Droits de l'Homme 1997/58, para. 6.

152 La déclaration du 9 juin 1997 dans laquelle Ralph Zacklin, Chargé de Mission du Haut Commissariat/Centre des Droits de l'Homme, s'est réjoui de l'accord entre l'ONU et Laurent Kabila, mentionnait, entre autres, que les membres de la Mission d'Enquête Conjointe de la Commission avaient été informés des faits nouveaux; HR/97/35.

153 A/51/942. [traduction non officielle]

154 Lettre du 29 août 1997 du Secrétaire-général Kofi Annan au Président Laurent-Désiré Kabila.

155 Lettre du 6 septembre 1997 de Laurent-Désiré Kabila adressée au Secrétaire-général.

156 Editorial, "Cloud Over Congo", Washington Post, septembre 1997.

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