Africa - West

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RÉSUMÉ

La Côte d'Ivoire fait face à une crise politique qui comporte un risque sérieux de faire plonger le pays dans un type de guerre brutale, bien connue des pays voisins que sont le Libéria et la Sierra Leone. La crise prend ses racines dans des divisions solidement ancrées dans la société ivoirienne et en particulier, dans l'armée, divisions qui ont été délibérément exacerbées par la politique du gouvernement au cours des dernières années. Ceci est à son tour lié à l'incapacité du gouvernement à aborder la question de la violence et des intimidations qui ont entaché les élections présidentielles et élections législatives de la fin 2000. La poursuite de cette spirale infernale pour les droits humains n'est pas inévitable. Mais pour l'empêcher, les deux parties au conflit doivent adopter des politiques très complètes afin de garantir la protection des droits de tous les habitants de la Côte d'Ivoire, quelle que soit leur identité ethnique, religieuse, nationale ou politique. L'impunité dont ont bénéficié, jusqu'à ce jour, les auteurs de violations des droits humains, passées et présentes, doit aussi être abordée.

Le 19 septembre 2002, des divisions dissidentes de l'armée ivoirienne, qui ont depuis adopté le nom de Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) ont pris le contrôle de la ville septentrionale ivoirienne de Korhogo et de la ville de Bouaké, au centre du pays. Des combats ont eu lieu dans plusieurs parties d'Abidjan, la capitale économique mais les troupes gouvernementales ont conservé le contrôle de la ville. Le gouvernement a qualifié ces attaques de tentative de coup. Depuis le 19 septembre, le MPCI a réussi à conserver le contrôle de Korhogo. Bouaké a fait l'objet d'âpres combats mais demeure également sous contrôle du MPCI, tout comme un certain nombre d'autres villes plus petites. Les rebelles ont également pris, puis perdu, la ville de Daloa, au centre du pays. Un cessez-le-feu est officiellement entré en vigueur le 18 octobre et semble être respecté. Des espoirs existent que les efforts de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) puissent conduire à la fin des hostilités et à la résolution des principales questions sous jacentes à cette crise.

Human Rights Watch est préoccupé par le fait que la réponse du gouvernement à la révolte militaire n'a pas été limitée à de légitimes mesures de sécurité mais a plutôt eu tendance, au mieux, à exacerber des divisions qui existaient dans la société ivoirienne et au pire, à promouvoir ou causer des violations des droits humains. Le Président Laurent Gbagbo était absent du pays au moment des attaques. Il est rentré d'Italie le 21 septembre et a prononcé un discours de défi qui a semblé donner le ton des violentes réactions d'hostilité qui ont suivi. Il a déclaré que les « rebelles » semblaient avoir préparé leur assaut grâce à des armes lourdes venues de l'étranger bien qu'il n'ait pas spécifié leur provenance exacte. Il a déclaré : « L'heure du patriotisme a sonné, l'heure du courage a sonné. L'heure de la bataille a sonné. On nous impose une bataille et nous l'amènerons. » Il a déclaré qu'il allait appeler à une manifestation dans les jours qui suivraient afin que chaque habitant de Côte d'Ivoire puisse montrer sa fidélité. « Dans ce pays, nous devons savoir qui est qui et qui veut quoi. Il doit y avoir un camp pour la démocratie et la république et un camp contre la démocratie et la république et la bataille commencera. »1 A ce moment-là, les ambassades occidentales mettaient en garde contre des gangs de partisans du gouvernement, armés de machettes qui parcouraient les rues d'Abidjan.2 Ceci a coïncidé avec le début du rasage brutal de plusieurs quartiers de la ville. Le chef de la communauté burkinabé dans le district Agban d'Abidjan, Ablasse Rimtoumba, a déclaré à l'Associated Press : « C'est une situation terrible. Les gens ne devraient pas nous faire ça. »3

Dans de nombreux cas, les forces de sécurité du gouvernement se sont livrées à de graves violations des droits humains ou ont toléré celles commises par d'autres, notamment des groupes de jeunes, contre des individus considérés comme sympathisants de la rébellion du simple fait de leur appartenance ethnique ou de leur religion. Les membres du MPCI sont majoritairement des Ivoiriens du Nord du pays et des allégations laissent entendre qu'ils ont reçu le soutien des gouvernements du Libéria ou du Burkina Faso ou des deux. La Côte d'Ivoire accueille de nombreux étrangers dont plus de cent mille réfugiés libériens et plus de deux millions de immigres du Burkina Faso. Ceux-ci et d'autres étrangers, ainsi que des Ivoiriens du Nord, ont été, sans distinction, tenus pour responsables de la rébellion, y compris par les porte-parole du gouvernement ou de groupes favorables au gouvernement. En dépit d'un discours conciliateur du Président Gbagbo le 8 octobre, les quartiers essentiellement occupés par des gens du Nord (qui sont surtout des musulmans) ou des étrangers ont continué de subir des raids et les arrestations d'étrangers se sont poursuivies. D'autres personnes ont été arbitrairement arrêtées et tuées en raison de leur affiliation politique ou de leur statut présumé « d'assaillant », un terme utilisé par le gouvernement pour décrire toute personne qu'il perçoit comme soutenant les responsables de l'attaque du 19 septembre. Le terme « terroriste » est également largement utilisé. A la mi-octobre, des personnes en tenues militaires ont tué plusieurs douzaines de civils - des musulmans ivoiriens, des Maliens, des Burkinabés - à Daloa, peu de temps après la reprise du contrôle de la ville par le gouvernement. Face aux critiques internationales, le gouvernement a ordonné une enquête sur ces nombreux tueries.

En réponse aux événements qui ont suivi les attaques du 19 septembre, une mission d'enquête de Human Rights Watch s'est rendue à Abidjan, entre le 6 et le 16 octobre. La délégation a interrogé de nombreuses personnes, victimes de la plus récente série d'agressions pratiquées par le gouvernement ivoirien. Pour des raisons de sécurité, l'équipe n'a pas été en mesure de voyager hors d'Abidjan et n'a donc pas pu enquêter sur les allégations d'abus commis par le MPCI. Par conséquent, l'absence, dans ce rapport, de récits détaillés sur les abus commis par le MPCI ne doit pas être prise comme une indication qu'aucun abus n'a été perpétré ou que Human Rights Watch approuve ceux qui l'ont été. Les allégations d'abus commis par toutes les parties nécessitent de faire l'objet d'enquêtes approfondies le plus tôt possible.

Human Rights Watch appelle le gouvernement de Côte d'Ivoire à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour mettre un terme aux abus décrits dans ce rapport. Il est essentiel que la Côte d'Ivoire honore les engagements pris par le biais des traités internationaux sur les droits humains, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que le gouvernement a ratifiés. La Côte d'Ivoire est également liée par les Conventions de Genève et leurs deux protocoles additionnels.

En particulier, le gouvernement devrait déclarer publiquement que personne ne doit être arrêté ou attaqué sur la base de son identité ethnique, religieuse ou nationale. Il devrait affirmer que toutes les allégations crédibles selon lesquelles des individus ont été impliqués dans des activités criminelles doivent être rapportées à la police et que les personnes concernées bénéficieront de la protection de la loi alors que ces allégations feront l'objet d'une enquête. Les autorités ivoiriennes devraient suspendre de tout service actif tous les membres des forces de sécurité accusés de meurtres illégaux, d'arrestations ou d'extorsions, enquêter sur ces personnes et les traduire en justice le cas échéant. Les autorités ivoiriennes devraient également enquêter sur les civils accusés d'actes identiques et les traduire en justice. Human Rights Watch appelle le MPCI à s'assurer que tous ses combattants ont reçu des instructions pour respecter les droits humains de tous les civils et pour traiter tous les captifs selon le droit humanitaire international.

1 Matthew Tostevin, « Côte d'Ivoire - le leader de la Côte d'Ivoire promet une guerre totale contre les rebelles, » Reuters, 21 septembre 2002.

2 Clar Ni Chonghaile, « Les insurgés tiennent deux villes alors que les maisons brûlent et les divisions ethniques éclatent en Côte d'Ivoire », Associated Press, 21 septembre 2002.

3 Ibid.

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