Rapports de Human Rights Watch

Les groupes estudiantins à Bouaké sous contrôle rebelle

Depuis le déclenchement de la guerre civile en septembre 2002 jusqu’en mars 2006, l’université de Bouaké, la capitale des rebelles, était officiellement fermée. Bien que la plupart des étudiants aient fui pour trouver une relative sécurité à Abidjan, le campus de Bouaké était surveillé par un petit groupe d’étudiants vivant sur place, dont certains s’étaient autoproclamés « Comité des étudiants ».200 Les étudiants parvenaient à survivre avec le produit de la vente de glaces et quelques dons des soldats français, et cherchaient à empêcher que la petite bibliothèque du campus soit la proie de pillards.201

Étudiant tenant une chemise devant l’université de Bouaké en mars 2006. © 2006 AFP

Lorsque le campus a officiellement rouvert ses portes en mars 2006, l’AGEECI, le groupement étudiant rival persécuté par la FESCI dans la partie sud du pays pour ses supposés liens avec la rébellion, 202 a entrepris de recruter et de mener d’autres activités associatives sur le campus de Bouaké. Des frictions ont vu le jour entre l’AGEECI et le Comité des étudiants, débouchant sur une confrontation particulièrement violente en août 2006, lorsqu’un membre du Comité étudiant a été touché d’une balle dans la poitrine mais a survécu à ses blessures, et que plusieurs autres membres du Comité ont été blessés à coups de machette.203 Les membres de l’AGEECI appréhendés suite à l’incident d’août 2006 prétendent avoir été accusés d’être des « espions de Gbagbo » sur la chaîne de télévision des Forces Nouvelles.204

L’affrontement survenu en mai 2007 entre les membres du Comité d’étudiants et d’autres étudiants, notamment quelques membres de l’AGEECI, était dû au fait que les membres du Comité d’étudiants avaient tenté d’établir une liste des étudiants remplissant les conditions pour bénéficier d’un programme d’aide financière.205

Les versions des deux camps étant contradictoires, il est difficile de déterminer sur cette base qui est responsable des incidents violents de 2006 et 2007. Il est toutefois clair que dans les deux épisodes où les Forces Nouvelles sont intervenus, ils n’ont arrêté que des membres de l’AGEECI et d’autres étudiants n’appartenant pas au Comité, en dépit du fait que des membres du Comité des étudiants étaient également impliqués dans les violences.206

Les membres de l’AGEECI interrogés par Human Rights Watch affirment que les difficultés qu’ils rencontrent avec les Forces Nouvelles proviennent de leur refus de prendre des positions publiques en faveur des rebelles. L’un des membres a relevé que, « Les Forces Nouvelles veulent des jeunes qui répondent à leurs besoins juste comme la FESCI le fait pour Gbagbo dans le sud ».207 Bien que le président du Comité des étudiants soutienne que son organisation est apolitique, un administrateur des Forces Nouvelles interrogé par Human Rights Watch a reconnu que ce Comité était « en phase » avec les rebelles des Forces Nouvelles.208 Lors d’un entretien avec Human Rights Watch, un fonctionnaire de la division droits de l’homme de l’ONUCI a dénoncé ce qu’il a qualifié de « discrimination flagrante » en faveur du Comité des étudiants et a accusé les Forces Nouvelles de chercher à créer une sorte de « FESCI-FN » pour appuyer leur politique.209

Personne ne sait vraiment ce qui arrivera au Comité des étudiants lorsque le pays sera uni et que des groupes tels que la FESCI et l’AGEECI chercheront à restaurer une présence officielle et organiseront des activités associatives. Un étudiant interrogé par Human Rights Watch a exprimé des craintes quant à l’avenir du campus de Bouaké une fois que le pays sera réuni :

Je suis inquiet du sort de l’université ici. Il y a plusieurs groupes d’étudiants qui veulent exister en même temps mais je ne pense pas qu’ils veulent ou savent comment exister ensemble. Chaque association veut le contrôle total du campus et leur méthode est de s’imposer par la violence. Il m’est difficile d’imaginer deux associations coexistant pacifiquement sur le même campus en Côte d’Ivoire. Et les syndicats estudiantins en Afrique ne sont jamais libres. À un certain niveau, elles sont toujours contrôlés par des partis politiques qui les utilisent pour arriver à leurs fins.210




200 Entretiens de Human Rights Watch avec des étudiants, Bouaké, 28 et 29 août 2007.

201 Ibid.

202 Voir Meurtre, agressions et actes de torture commis contre d’autres étudiants, infra.

203 Entretiens de Human Rights Watch avec des étudiants et un fonctionnaire de l’ONUCI, Bouaké, 27, 28 et 29 août 2007.

204 Entretiens de Human Rights Watch avec des étudiants, Bouaké, 28 et 29 août 2007.

205 Après que le ministre de l’enseignement supérieur eut annoncé des bourses d’études pour les étudiants de Bouaké, les membres du Comité des étudiants ont dressé une liste de 500 étudiants qui, selon eux, remplissaient les conditions d’octroi de cette aide, et ont présenté ladite liste au Centre Régional des Œuvres Universitaires (CROU), laissant quelque 1 500 étudiants sans assistance. Selon les étudiants interrogés par Human Rights Watch, la liste comprenait tous les membres du Comité et leurs proches amis. Le 21 mai 2007, un groupe d’étudiants a défilé devant le Centre Régional des Œuvres Universitaires en guise de protestation, ce qui a provoqué un violent affrontement avec les membres du Comité. Dix-sept contestataires, mais aucun membre du Comité, ont été arrêtés par les Forces Nouvelles. Ils ont été libérés peu de temps après. Suite aux pressions des autorités des Forces Nouvelles, les membres du Comité sont revenus sur leur décision et ont accepté que l’argent soit partagé équitablement entre tous les étudiants de Bouaké. Entretiens de Human Rights Watch avec des étudiants, un fonctionnaire de l’ONUCI et André Ouattara, administrateur des Forces Nouvelles, Bouaké, 27, 28 et 29 août 2007.

206 Entretiens de Human Rights Watch avec des étudiants et un fonctionnaire de l’ONUCI, Bouaké, 27, 28 et 29 août 2007.

207 Entretien de Human Rights Watch avec un membre de l’AGEECI, Bouaké, 28 août 2007. En ce qui concerne l’AGEECI, les responsables des Forces Nouvelles interrogés par Human Rights Watch soulignent que toute activité syndicale, étudiante ou autre est interdite sur leur territoire depuis mai 2006. Entretiens de Human Rights Watch, Bouaké, 28 et 29 août 2007. Les étudiants détracteurs soulignent toutefois que cette interdiction est purement et simplement un outil utilisé par les Forces Nouvelles pour restreindre les activités des groupes qui ne soutiennent pas ouvertement leurs intérêts (comme l’AGEECI) tout en permettant à d’autres de continuer à fonctionner (comme le Comité des étudiants). Contrairement à l’AGEECI qui est officiellement reconnue comme syndicat par le Ministère de l’Intérieur dans le sud, le Comité des étudiants ne dispose pas du statut officiel d’association.

208 Entretien de Human Rights Watch avec Moussa Konaté, président du Comité des étudiants, et André Ouattara, administrateur des Forces Nouvelles, Bouaké, 29 août 2007.

209 Entretien de Human Rights Watch, Bouaké, 27 août 2007.

210 Entretien de Human Rights Watch, Bouaké, 29 août 2007.