Rapports de Human Rights Watch

La Guinée sous la loi martiale

A la suite des violences qui ont explosé après la nomination d’Eugène Camara comme Premier ministre, le Président Conté a signé un décret le soir du 12 février 2007, proclamant « l’état desiège ».125 Non seulement le décret donnait des pouvoirs importants à l’armée, mais aussi il interdisait toutes manifestations et rassemblements publics, et il imposait un couvre-feu de 20 heures par jour.126 Il autorisait aussi l’armée à détenir ou à mettre aux arrêts toute personne considérée comme présentant un danger pour la sécurité publique ; à effectuer des perquisitions dans des propriétés privées à la recherche d’armes et à contrôler sans mandat tous les moyens de communication ; et à exercer des restrictions draconiennes sur les médias.127

Perquisitions maison par maison

A la suite de la proclamation de la loi martiale, l’armée a utilisé ses pouvoirs de perquisition pour aller maison par maison dans les quartiers de Conakry comme Hamdallaye et Bambeto.128 Ces perquisitions avaient prétendument pour but de récupérer les armes volées qui avaient été prises illégalement dans les postes de police et de gendarmerie et les domiciles privés de membres de l’armée, au cours du chaos  qui avait éclaté après la nomination d’Eugène Camara. Cependant, Human Rights Watch a interrogé de nombreuses personnes qui ont allégué qu’au cours de ces perquisitions, les militaires, et surtout les Bérets rouges, s’étaient livrés à des comportements ne présentant pas de justification militaire ou de sécurité possible, comme le vol, les agressions, le meurtre et, dans certains cas isolés, le viol. Une femme de Hamdallaye a décrit la perquisition de sa maison par des soldats le 14 février 2007 :

Ceux qui ont fait ça portaient des tenues de camouflage et des bérets rouges. Quand ils sont arrivés, nous avons tous couru dans nos chambres. J’ai dit à mes enfants [12, 13 ans] de se cacher sous le lit et puis je suis revenue à la porte, que j’avais fermée à clé. Bientôt, ils ont commencé à frapper sur la porte en disant : « Ouvrez espèces de chiens, bâtards, sortez, sortez ! » Ils parlaient en français, en Soussou et un peu en Pulaar.129 Ma porte est plutôt solide et ça leur a pris du temps pour la casser mais ils y sont finalement arrivés. Puis cinq ou six d’entre eux se sont précipités à l’intérieur. Je ne me rappelle pas exactement le nombre ; j’avais si peur que j’avais comme perdu la tête. Quand ils sont entrés, ils étaient vraiment en colère et quand ils m’ont vue me cacher dans la chambre, un m’a attrapée, il m’a jetée contre le mur et il m’a enfoncé son fusil dans le cou. Il était appuyé contre moi et me pressait la tête contre le mur, comme ça les autres pouvaient  s’occuper à dévaliser nos affaires. Ils ont ouvert tous les tiroirs, soulevé les matelas et fini par trouver tout l’argent : 400 000 francs [francs guinéens, environ 67 $ US] cachés dans un matelas, 25 000 francs [francs guinéens, environ 4 $ US] dans un autre endroit et ma montre. Alors que j’étais là debout avec le fusil contre mon cou, mon voile est tombé, exposant mon corps, mais il ne m’a pas touchée. Pendant que tout ça se passait, je n’arrêtais pas de dire : « Pardon, s’il vous plaît…Allah, Allah. » Quand les autres ont eu fini, il m’a laissée aller et puis m’a frappée fort sur le bras avec son fusil.130

Un homme d’affaires du même quartier a dit à Human Rights Watch que le matin du 14 février, un groupe de soldats avaient tiré avec leurs fusils à son portail d’entrée, fait irruption dans sa maison, et volé sa famille sous la menace des armes, emportant de l’argent, des bijoux, et des équipements électroniques pour une valeur totale d’environ 20 000 $.131 Un diplomate étranger a dit à Human Rights Watch que le 13 février, sa maison avait été  envahie par la force et dévalisée par un groupe de huit Bérets rouges, qui avaient volé trois téléphones portables et avaient battu son neveu avec une matraque devant lui et devant un capitaine des Bérets rouges.132

Une autre victime interrogée par Human Rights Watch rapporte que le 13 février elle a été attrapée par deux soldats Bérets rouges alors qu’elle faisait cuire du riz pour sa famille et qu’elle a été violée :

Ce matin-là, nous avions entendu des coups de feu partout, aussi presque tout le monde était enfermé dans les maisons, mais j’ai pensé que parce que je suis une femme, je pouvais rester dehors à faire cuire mon riz sans être inquiétée par les soldats. Pourtant, entre midi et une heure à peu près, deux soldats ont fait irruption dans la cour. Ils portaient des bérets rouges et des uniformes verts, et ils étaient armés de fusils. Ils étaient jeunes, moins de trente ans. Ils m’ont dit de leur donner de l’argent, mais j’ai expliqué que je n’en avais pas.  Alors un des deux m’a dit : « Vous êtes ceux qui s’opposent au gouvernement. Cette fois, on va vous tuer tous. » Je pouvais entendre d’autres soldats à proximité qui tapaient aux portes des voisins et qui tiraient des coups de feu en l’air. Je leur ai offert mon riz s’ils voulaient bien me laisser tranquille, mais ils ont dit : « On s’en fiche du riz. Nous en avons déjà. » A ce moment-là, l’un deux m’a frappée à la base du cou avec la crosse de son fusil et il m’a  plié le bras dans le dos pour me pousser dans une pièce à côté. A l’intérieur, l’un des deux m’a frappée et m’a  jetée sur le lit. Ils m’ont dit de me déshabiller et un des deux a tiré avec son fusil à travers la fenêtre pour me faire peur. Puis un des deux m’a arraché mon voile tandis que l’autre m‘écartait les jambes. Un des deux m’a violée pendant que l’autre gardait la porte. Quand le premier a fini, le deuxième est venu et le premier a fait le garde. Avant que le deuxième ait fini, j’avais presque perdu connaissance. J’étais terrifiée, mais à certain moment je voulais juste mourir. J’étais épuisée de peur et j’étais sure qu’ils me tueraient quand ils auraient fini. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils ont tiré en l’air trois fois avant de s’en aller. Après qu’ils soient partis, j’ai continué à hurler jusqu’à ce que les voisins arrivent, et ils sont immédiatement aller dire à l’imam à côté ce qui s’était passé. L’imam est allé jusqu’à la grande route où un camion militaire était stationné. Il a dit au soldat  responsable : « Maintenant ils violent même nos filles ! » Mais le soldat a dit : « On s’en fiche. »133

La victime de viol a dit à Human Rights Watch que sa famille avait signalé l’incident à un membre des Bérets rouges, qui était venu à leur maison pour enquêter :

Le Béret rouge qui est venu a dit qu’ils faisaient des inspections dans le quartier parce qu’il y avait des gens portant des uniformes militaires qui passaient en faisant de vilaines choses, mais qui n’étaient pas des membres de l’armée. Pourtant, je ne crois pas à cette explication parce que mes voisins ont vu les soldats qui ont envahi notre quartier arriver ce jour-là dans un véhicule militaire sur la grande route, pas très loin de ma maison. Ils ne peuvent pas prétendre que des criminels ont volé des uniformes militaires et des véhicules militaires.134

Un autre cas au moins de viol par des membres des forces de sécurité semble s’être produit pendant l’état de siège dans le même quartier.135

Couvre-feu

Le couvre-feu imposé par le décret de loi martiale du 12 février 2007 autorisait à l’origine la circulation seulement entre 4 heures et 8 heures de l’après-midi, mais il a été assoupli à partir du 14 février pour permettre la circulation entre midi et 6 heures du soir.136 Les heures changeantes de couvre-feu pendant les premiers jours sous la loi martiale semblent avoir créé des confusions chez beaucoup de témoins  interrogés par Human Rights Watch, les plaçant potentiellement dans une position dangereuse vis-à-vis des forces de sécurité. Bien que le décret de loi martiale ne disait rien sur les sanctions si on était trouvé dehors pendant le couvre-feu, en pratique les conséquences pour ceux qui étaient trouvés dehors pouvaient être graves. Un homme souffrant de paralysie d’une jambe a dit à Human Rights Watch qu’il avait été battu par les Bérets rouges après qu’ils l’aient trouvé dehors pendant le couvre-feu, après que tous ses voisins aient pu s’échapper à pied.137 Human Rights Watch a interrogé deux victimes, des jeunes filles de 13 et 18 ans, qui rapportent qu’elles se sont fait tirer dessus par les forces de sécurité le 13 février à environ 3h30 de l’après-midi.138

D’autres victimes interrogées par Human Rights Watch rapportent s’être fait tirer dessus par les forces de sécurité alors même qu’elles étaient dehors pendant les heures de circulation autorisées. Une victime, un garçon de 13 ans, a raconté s’être fait tirer dessus par la police le 15 février à quatre heures de l’après-midi environ :

Nous étions six garçons assis sur les rochers à l’extérieur de la maison donnant sur la grande route. Trois garçons avaient mon âge, mais les autres étaient nos petits frères. Nous racontions des histoires sur nos récents voyages au village. Chaque jour nous étions sortis à la même heure après la fin du couvre-feu, pour sortir après être restés dans la maison toute la journée.  Il n’y avait pas beaucoup de gens dehors, mais il y avait quelques personnes qui pompaient de l’eau. Ça faisait longtemps que nous étions assis là dehors quand nous avons vu une Mercedes bleue qui descendait la route venant de Bambeto.139 Il n’y avait pas d’autre voiture sur la route. Un des garçons de mon groupe a crié : « Les soldats dans cette voiture nous visent ! » Je me suis levé pour courir, mais à ce moment-là deux d’entre nous ont été touchés, moi et mon cousin  Mamadou. La balle m’a touché au bras gauche.140

D’autres témoins  rapportent que les militaires semblaient moins intéressés par le fait qu’ils circulent pendant ou en dehors du couvre-feu que par leur voler leurs objets de valeur. Deux témoins, chauffeurs d’un camion poids lourd se rendant à Conakry depuis N’zérékoré et transportant de grandes quantités d’huile de palme, ont raconté à Human Rights Watch qu’ils avaient été attaqués et volés par deux groupes de soldats, tant pendant qu’en dehors du couvre-feu, le 13 février. Les soldats les ont autorisés à quitter Coyah, distant de Conakry de 90 kilomètres, à 4 heures de l’après-midi :

A 7h  du soir à peu près, nous sommes arrivés au rond point de Cosa à Conakry, et j’ai vu un poste de contrôle de soldats en tenues de camouflage avec des casques de camouflage qui m’ont ordonné de m’arrêter. Leur camionnette pick-up blanche était garée à côté d’eux. Quelques-uns m’ont dit qu’ils allaient saisir mon camion et l’emmener au camp militaire. Ils m’ont dit que je devais leur donner 500 000 francs [francs guinéens, environ 83 $ US]. Au bout de quelques minutes, je leur ai donné l’argent, les 500 000 francs. Je savais que s’ils m’emmenaient au camp je perdrais la marchandise et peut-être le camion, alors je suppose que c’était un petit prix à payer. Après que je leur ai donné les 500 000 francs,  ils m’ont ordonné de leur donner cinq jerricans [25 litres chacun] d’huile de palme, ce que j’ai fait. A ce moment-là, un quatre-quatre Nissan Pajero qui passait s’est arrêté et les soldats ont chargé l’huile de palme dans le véhicule. Je n’ai pas vu si le chauffeur était un soldat, mais j’ai remarqué que l’immatriculation commençait par « VA »,  ce qui est le début des plaques d’immatriculation officielles.141 Puis trois des soldats ont dit qu’ils allaient monter dans le camion pour m’escorter pendant un kilomètre jusqu’au parking. Ils ont dit qu’ils voulaient me protéger contre d’autres mauvais soldats qui pourraient vouloir me voler. Cependant, après deux ou trois cents mètres sur la route, ils m’ont ordonné de m’arrêter, pointant leurs fusils sur moi, et m’ont ordonné de leur donner le reste de mon argent et encore de l’huile de palme. Je leur ai donné 200 000 francs de plus [francs guinéens, environ 33 $ US] et trois jerricans d’huile de palme de plus, et à ce moment-là l’un d’eux m’a poussé avec son fusil et m’a ordonné de descendre du camion. Puis les deux autres ont fouillé dans la cabine du camion et ils ont volé mon téléphone portable et encore 100 000 francs [francs guinéens, environ 17 $ US]. Après ça, ils ont tiré en l’air plusieurs fois et m’ont dit d’aller au garage. Entre-temps, l’heure du couvre-feu était passée, aussi mes deux assistants et moi nous avons décidé de passer la nuit dans le camion. Mais nos problèmes n’étaient pas finis !142

Le chauffeur et son assistant ont expliqué à Human Rights Watch qu’aux environs de minuit encore un autre groupe de soldats s’était approché du camion, avait ordonné aux deux assistants du chauffeur de leur donner 20 jerricans d’huile de palme, et puis avaient tiré un seul coup à bout pourtant, touchant au cou un des assistants, Ibrahim Bah, avant de repartir. Mr. Bah est mort quelques minutes plus tard.143

Balles perdues et tirs imprudents

Au cours des six semaines de crise, les forces de sécurité ont tiré en l’air une quantité innombrable de balles en tentant de disperser les foules. Dans de nombreux cas, les forces de sécurité ont tiré des balles en l’air même quand il n’y avait pas de foules visibles à disperser, vraisemblablement en tentant d’effrayer les manifestants pour qu’ils restent chez eux.144 Située sur une étroite péninsule, la terre à Conakry est rare, et la ville est très densément peuplée. Il était donc entièrement prévisible que beaucoup des balles tirées en l’air toucheraient des cibles  involontaires quand elles retomberaient  sur terre.

Human Rights Watch a interrogé plusieurs victimes de balles perdues, comme cet enseignant dans une école coranique âgé de 34 ans qui rapporte qu’une balle a percé le toit de sa maison et l’a touché au sein gauche alors qu’il dormait, le 17 janvier.145 Une autre victime a dit à Human Rights Watch qu’elle avait été blessée par une balle perdue qui avait pénétré dans son dos alors qu’elle était penchée pour laver des vêtements, le 13 février. Elle était enceinte de six mois à ce moment-là.146 A Conakry, la mère d’un enfant de 4 ans a dit à Human Rights Watch que le 13 février elle s’était réveillée en se rendant compte qu’une balle avait percé son toit et avait frappé son enfant à la jambe.147 Un homme de la banlieue de Matoto à Conakry a décrit comment sa nièce de 4 ans était morte à cause d’une balle perdue :

Le 23 janvier, j’étais assis sur le porche. Ma nièce a traversé la cour  en courant vers une autre maison. A peu près à mi chemin, nous l’avons vue tomber. D’abord, nous n’avons rien compris. Nous pensions qu’elle avait une crise ou quelque chose. Mais quand nous lui avons soulevé la tête, nous avons vu du sang partout sur le sol. Il y avait un trou sur le dessus de sa tête et nous avons réalisé que c’était une balle perdue.148 

D’autres victimes interrogées par Human Rights Watch ont été blessées par ce qu’on ne peut décrire que comme des tirs imprudents et incontrôlés. Une victime, une mère de 41 ans, a raconté comment, le 14 février, elle a couru dans sa maison avec ses enfants quand elle a vu un groupe de six à huit Bérets rouges qui s’approchaient :

Quand nous avons été à l’intérieur, les Bérets rouges ont commencé à frapper la porte avec leurs fusils, en nous ordonnant à tous d’ouvrir les portes. L’un d’eux m’a crié : « Ouvrez cette porte ou je vous tuerai tous. » J’avais peur et j’ai dit : « Ne tirez pas. J’ai des enfants ici dedans. Ne tirez pas, laissez-moi ouvrir. » La porte de ma maison a quatre serrures différentes, alors ça prend du temps pour les ouvrir toutes. Je suppose que ça a mis en colère le Béret rouge, parce que pendant que j’ouvrais les serrures, il a tiré à travers ma porte et la balle m’a écorché le pied droit.149

Dans un autre exemple de tir imprudent, deux victimes de tirs ont décrit la façon dont le 11 février, des membres des forces de sécurité dans une camionnette pick-up blanche roulant à l’avant d’un convoi qui passait, et dont elles ont pensé qu’il s’agissait du cortège présidentiel, ont tiré dans tous les sens en traversant la commune de Ratoma à Conakry, vraisemblablement dans le but de dégager la route d’éventuels manifestants avant l’arrivée du cortège motorisé. Les deux victimes ont dit à Human Rights Watch qu’elles avaient reçu des balles alors qu’elles étaient en train de boire le thé dans un restaurant situé derrière un grand conteneur métallique, à cinq mètres environ de la grande route.150

Intimidation et arrestation de journalistes

Immédiatement avant et après la déclaration de la loi martiale, les journalistes interrogés par Human Rights Watch rapportent qu’ils ont été menacés, agressés, arrêtés et battus par les agents gouvernementaux, en particulier les Bérets rouges, tandis qu’ils tentaient de rendre compte des nouvelles.

Les nouvelles stations de radio privées de Guinée,151 semblent avoir été particulièrement désignées aux exactions des militaires. Dans l’après-midi du 12 février 2007, deux des stations de radio privées les plus populaires de Guinée ont été assiégées par les Bérets rouges. Les témoins  interrogés par Human Rights Watch ont décrit une attaque contre le studio de FM Liberté par un groupe de 10 Bérets rouges qui ont dévalisé la station, prenant les ordinateurs et les jetant par terre, coupant les câbles avec des couteaux et fracassant d’autres équipements avec des chaises.152 Deux des employés de la station ont été arrêtés et détenus pendant trois jours dans une prison militaire avant d’être relâchés.153 L’un d’eux a dit à Human Rights Watch que les Bérets rouges l’avait battu, frappé à coups de pieds, lui avaient craché dessus et brûlé le cou avec une cigarette.154 Les deux employés ont dit à Human Rights Watch que les Bérets rouges les accusaient « d’inciter la population à la rébellion. » Les employés de FM Liberté ont rapporté qu’avant leur arrestation ils recevaient des appels téléphoniques en direct de la part de leurs journalistes situés autour de Conakry et qui rendaient compte des conditions régnant dans leur zone.  FM Liberté n’a recommencé à diffuser qu’à la fin du mois de mars 2007.

Une seconde station de radio privée, Radio Familia, a déclaré avoir reçu un appel anonyme ce jour-là, conseillant aux employés de quitter la station :

Ce jour-là, vers 11h du matin, nous diffusions un programme avec des appels d’auditeurs. Le thème était : « Que pensez-vous du pillage par la population ? Est-ce cela la solution ? » Il y avait diverses opinions exprimées par les gens qui appelaient. Certains disaient que ce n’était pas la meilleure méthode, parce que nous avons tous besoin de ce qui est cassé. D’autres, la majorité, regrettaient le pillage, mais disaient que c’était la faute du gouvernement. Vers 11h45, j’ai reçu un appel m’informant que FM Liberté avait été dévalisé par la garde présidentielle. J’étais paniqué. J’ai essayé d’appeler le directeur de FM Liberté, mais je n’ai pas eu de réponse. Puis j’ai reçu un appel anonyme de quelqu’un qui disait que je devais sortir de la station et que j’étais en danger. Je lui ai dit que je ne pouvais pas laisser mes employés seuls à la station et il a dit : « C’est de votre vie qu’il est question. Des soldats ont été envoyés à FM Liberté et vous êtes les suivants. » Après cet appel, mes employés m’ont dit que nous devions fermer la station. Alors nous nous sommes mis en action dans la panique, démontant les équipements électroniques et les fourrant dans des boites en carton que nous avons cachées de notre mieux. Nous avons éteint l’émetteur et arrêté la transmission. Peu après, une vingtaine de Bérets rouges sont arrivés et ont pris place autour du bâtiment en dessous. Je les entendais qui tiraient en l’air. Je suis sorti sur le balcon et j’ai regardé en bas vers les Bérets rouges. L’un d’eux a crié : « C’est vous qui mettez le feu au pays, vous allez voir ! » Puis ils ont encore tiré en l’air. Les soldats sont restés une dizaine de minutes avant de s’en aller. Plus tard un membre des Bérets rouges m’a dit que si nous n’avions pas arrêté de transmettre, ça n’aurait pas été bon pour nous ce jour-là.155

Radio Familia n’a recommencé à transmettre que plusieurs jours après que l’état de siège ait pris fin. Dans les semaines qui ont suivi, Radio Familia rapporte que le Conseil National de la Communication (CNC), l’organe régulateur indépendant des médias en Guinée, avait accusé la station de discuter de sujets étrangers au domaine d’une station de radio communautaire et avait menacé de révoquer sa licence.156 Radio Familia maintient que cette couverture de la grève est pertinente pour la communauté qu’elle sert.157

En plus des stations de radio privées, des correspondants des médias d’information locaux aussi bien qu’internationaux ont dit à Human Rights Watch avoir été harcelés à l’aéroport de Conakry, alors qu’ils essayaient de couvrir l’arrivée de différents présidents étrangers venus en Guinée pour tenter de servir de médiateur dans la crise.158 Un correspondant de médias internationaux a dit à Human Rights Watch que pendant l’état de siège, un groupe de Bérets rouges était venu et avait tiré sur le mur en face de sa maison, dans ce qu’il a perçu comme une tentative d’intimidation.159

Même après la fin de la crise de la loi martiale, les Bérets rouges ont continué à harceler et maltraiter des journalistes. Un journaliste appartenant à une des stations de radio privées de Guinée a déclaré à Human Rights Watch que le 13 mars 2007 un Béret rouge l’avait frappé et avait tenté de l’empêcher de couvrir l’arrivée du Président Wade du Sénégal, en lui disant : « Seule RTG [média d’Etat] est autorisée ici. »160 Le 27 mars 2007, un membre de la garde présidentielle aurait attaqué un journaliste employé par un journal privé et aurait endommagé son appareil photo. Le journaliste était allé au siège du parti au pouvoir, le PUP, pour couvrir une conférence de presse, et aurait essayé de prendre une photo du Président Conté tandis qu’il prenait la parole lors de la conférence.161

Résolution de la crise de la loi martiale

Aux termes de l’article 74 de la constitution guinéenne, si le président peut déclarer un état de siège d’une durée allant jusqu’à 12 jours, toute prolongation au-delà de 12 jours doit être approuvée par l’Assemblée Nationale.162 Peu avant le 23 février, date d’expiration de l’état de siège, le Président Conté a demandé à l’Assemblée Nationale de le prolonger ; à la radio d’Etat, le Général Kerfalla Camara, chef de l’armée guinéenne, a ordonné aux citoyens guinéens de reprendre le travail, mettant l’armée dans une situation de conflit possible avec les syndicats.163 De façon surprenante cependant, l’Assemblée Nationale —composée presque entièrement de membres du parti au pouvoir, le PUP,164 et considérée habituellement comme manquant d’indépendance par rapport à la branche exécutive du gouvernement—  a voté unanimement contre la prolongation.165 Pour expliquer ce vote historique, un député du PUP a dit à Human Rights Watch qu’il avait estimé que l’état de siège n’était simplement plus nécessaire pour empêcher le vandalisme.166 Avec l’effondrement du soutien dans ses propres rangs, et les rumeurs de mécontentement et de schisme dans  l’armée,167 Conté a accepté de nommer un nouveau Premier ministre choisi dans une courte liste qui lui avait été remise par les syndicats quelques jours plus tard. Le 27 février, Lansana Kouyaté, un diplomate, et l’un des noms proposés par le syndicat, était nommé Premier ministre. Peu après, les syndicats « suspendaient » la grève une fois encore.168




125 Aux termes de l’Article 74 de la constitution guinéenne, le président peut proclamer un “état de siège” en envoyant une notification au président de l’Assemblée Nationale et à la Cour Suprême. “ La loi No 91/016/CTRN du 23 décembre 1991, relative aux états d’urgence et aux états de siège,” prévoit qu’un “état de siège” peut être proclamé en cas de “péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.” Sous l’Article 16 de la loi no 91/016/CTRN, quand une telle déclaration est faite, “les pouvoirs normalement conférés aux autorités civiles pour le maintien de l’ordre public sont transférés aux autorités militaires.” Sous la plupart des juridictions de droit d’Etat, un “état de siège” serait appelé “loi martiale.” Inversement, “loi martiale” est un terme qui n’existe pas dans la nomenclature du droit guinéen. Entretien de Human Rights Watch avec le président de l’Ordre des avocats guinéen, Boubakar Sow, Conakry, 16 mars 2007.

126 Le couvre-feu, qui à l’origine permettait la circulation seulement entre 4 heures et 8 heures du soir, a été ultérieurement assoupli en deux étapes, jusqu’à ce que la circulation soit autorisée 12 heures par jour.

127Aux termes de ce décret, l’armée était autorisée “à prendre toute mesure appropriée pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature, ainsi que des programmes télévisés et radiodiffusés…”

128Souvent comptés parmi les “quartiers chauds” de Conakry, Hamdallaye et Bambeto sont souvent considérés aussi bien par les habitants que par ceux qui n’y habitent pas comme des foyers de l’opposition politique. Ces deux quartiers et d’autres “quartiers chauds” ont eu tendance à fournir une forte participation aux défilés, rassemblements, et autres activités liées à la grève tout au long des six semaines de crise.

129Les Peuls, connus aussi sous le nom de Fulani, représentent le groupe ethnique le plus important en Guinée, soit environ 40 pour cent de la population, et ils sont le groupe tehnique dominant en Moyenne Guinée. La majorité des habitants dans certaines des banlieues de Conakry qui ont été les plus durement touchées par les forces de sécurité au cours des six semaines de crise, comme Hamdallaye et Dar-Es-Salam, sont Peul. La langue des Peuls est appelée le Pulaar. Soussou est le nom d’un groupe ethnique et aussi celui d’une langue qui dominent dans les régions côtières de Basse Guinée.

130 Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 16 mars 2007.

131 Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 16 mars 2007.

132Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 17 mars 2007.

133Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Conakry, 14 mars 2007.

134 Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Conakry, 14 mars 2007. Le gouvernement guinéen continue de maintenir que des criminels habillés comme des soldats ont commis des exactions contre des civils pendant les troubles. Saliou Samb, “Guinea Hunts Army ‘Imposters’ Who Robbed Civilians,” Reuters, 21 mars 2007.

135Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants du quartier, Conakry, 14 mars 2007.

136Le 19 février, le couvre-feu a été encore assoupli, permettant la circulation entre 6 heures du matin et 6 heures du soir.

137 Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 14 mars 2007.

138Entretiens de Human Rights Watch avec des victimes et des témoins oculaires, 1er mars 2007.

139 Un quartier des banlieues éloignées de Conakry.

140Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 14 mars 2007.

141 “VA” signifieVéhicule Administratif. Beaucoup de Guinéens plaisantent en disant que cela signifie en réalité Voleur Autorisé

142Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur de camion et un apprenti conducteur, Conakry, 16 mars 2007.

143 Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur de camion et un apprenti conducteur, Conakry, 16 mars 2007. Human Rights Watch a vu une photo de l’assistant qui a été tué et une blessure entrée/sortie depuis le cou jusqu’au menton, était clairement visible.

144 Entretiens de Human Rights Watch avec de multiples témoins oculaires, Conakry, Janvier, février et mars 2007.

145 Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Conakry, 29 janvier 2007.

146Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Conakry, 15 mars 2007. La victime a montré à Human Rights Watch une radio sur laquelle une balle logée entre les côtes, à 2 ou 3 centimètres de son épine dorsale, était clairement visible. Selon la victime, son docteur lui a dit qu’il ne pouvait pas opérer tant que son bébé n’était pas né.

147Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 16 mars 2007. Après trois tentatives, le personnel médical a pu finalement trouver et extraire la balle.

148 Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 6 février 2007.

149 Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 16 mars 2007.

150Entretien de Human Rights Watch avec des victimes, Conakry, 15 mars 2007.

151Pour plus d’information sur la création des premières stations de radio privées en Guinée, voir ci-dessus, Intimidation des médias pendant les premières semaines de la grève et autres restrictions sur les communications.

152Entretiens de Human Rights Watch avec des journalistes, Conakry, 15 et 16 mars 2007.

153Entretiens de Human Rights Watch avec des journalistes, Conakry, 15 et 16 mars 2007.

154 Entretiens de Human Rights Watch avec des journalistes, Conakry, 15 mars 2007.

155Entretien de Human Rights Watch avec un journaliste, Conakry, 14 mars 2007.

156 Entretien de Human Rights Watch avec un journaliste de Radio Familia, Conakry, 14 mars 2007.

157Entretien de Human Rights Watch avec un journaliste de Radio Familia, Conakry, 14 mars 2007.

158 Entretiens de Human Rights Watch avec des correspondants des médias d’information locaux et internationaux, Conakry, 15 et 16 février 2007.

159Entretien de Human Rights Watch avec un correspondant de médias d’information internationaux, Conakry, 16 février 2007.

160Entretien de Human Rights Watch avec un journaliste, Conakry, 14 mars 2007. Human Rights Watch a également écouté un enregistrement de la déclaration du soldat.

161 “Guinea: Journalist Attacked By Presidential Guard, Party Supporters,” Media Foundation for West Africa, communiqué de presse, 30 mars 2007.

162 Constitution de la République de Guinée (la Loi Fondamentale), Titre V, Article 74.

163 Saliou Samb, “Guinea on Edge After Army Orders End to Grève,” Reuters, 24 février 2007.

164 Sur 114 membres, 95 sont membresdu PUP. Entretien de Human Rights Watch avec un membre de l’Assemblée Nationale, Conakry, 17 mars 2007.

165Entretien de Human Rights Watch avec un membre de l’Assemblée Nationale, Conakry, 17 mars 2007. C’était la première fois que l’Assemblée Nationale rejetait une initiative de Conté.

166Entretien de Human Rights Watch avec un membre de l’Assemblée Nationale, Conakry, 17 mars 2007.

167Au cours de la même période, un tract a circulé au sein de l’armée menaçant qu’une “situation malheureuse” puisse survenir si des augmentations de salaire et de promotion n’étaient pas accordées aux membres de l’armée. Le tract distribué était intitulé “Alerte Pacifique, négligence des sous-officiers et hommes du rang dans les nominations,” et faisait allusion aux événements de 1996, lorsque des réclamations pour de meilleurs salaires avaient engendré une mutinerie et une tentative de coup d’état qui avaient détruit les bureaux présidentiels et tué plusieurs dizaines de Guinéens.

168Entretien de Human Rights Watch avec un dirigeant syndical, Conakry, 15 mars 2007.