Réaction à la nomination dun nouveau Premier ministreLe 27 janvier 2007, dans un accord tripartite signé par le gouvernement guinéen, les syndicats ayant appelé à la grève, et le Conseil National du Patronat ,109 le Président Conté a accepté de déléguer des pouvoirs à un nouveau Premier ministre de consensus, qui, pour la première fois dans lhistoire de la Guinée, serait à la tête du gouvernement.110 De plus, le gouvernement a accepté de prendre des mesures pour réduire le prix du riz et du carburant ; dinterdire lexportation de produits alimentaires, de la pêche, forestiers et pétroliers ; de permettre aux poursuites judiciaires entamées contre ceux qui « pillent léconomie nationale » de continuer sans obstruction ; et détablir une commission denquête pour examiner les exactions commises pendant la grève. En retour, les syndicats ont suspendu la grève, et plusieurs semaines de calme inquiet ont suivi, tandis que les affaires et les activités reprenaient dans tout le pays, et que les Guinéens attendaient de voir qui le Président Conté allait nommer comme Premier ministre, chef du gouvernement. La fragile trêve allait être de courte durée. Les jours passant, les dirigeants syndicaux se sont lassés dattendre une nomination et ont menacé de reprendre la grève le 12 février si personne nétait nommé. Le 9 février, au lieu dun Premier ministre de « consensus », le Président Conté désignait un membre de longue date de son cabinet, Eugène Camara, qui occupait alors les fonctions de ministre dEtat aux affaires présidentielles. Cette nomination a été largement perçue comme une trahison de laccord passé par Conté avec les syndicats, et a provoqué une réponse immédiate et violente des manifestants. Un manifestant sest souvenu davoir entendu lannonce :
Attisée par la nomination, une violente agitation a enflammé le pays. Human Rights Watch a interrogé 36 victimes ainsi quun témoin du chaos et des brutalités qui ont eu lieu au cours des deux semaines qui ont suivi ; une sélection de ces récits est proposée ci-dessous. En lespace dà peine une nuit, ce qui avait commencé comme une grève générale organisée à la mi janvier sest transformé en une insurrection générale et un chaos dans lequel des émeutiers attaquaient les installations gouvernementales, pillaient les domiciles privés des représentants du gouvernement et de larmée (y compris une maison appartenant au Président Vieira de la Guinée-Bissau voisine), brûlaient des pneus et, dans un quartier au moins, échangeaient des coups de feu avec les forces de sécurité.112 Dans certains quartiers, des individus ont profité du chaos pour voler leurs concitoyens à des postes de contrôle temporaires.113 Des émeutiers ont attaqué et dévalisé des postes de police et de gendarmerie, ainsi que des domiciles privés de membres de larmée, semparant en même temps dun grand nombre darmes.114 Au cours dune de ces attaques à Conakry, un soldat a été battu à mort. Un témoin a décrit le chaos qui régnait dans le quartier de Hamdallaye à Conakry :
Lagitation attisée par la nomination dEugène Camara ne sest pas limitée à Conakry. Au cours du week-end qui a suivi la nomination de Camara, des affrontements entre civils et forces de sécurité ont été signalés dans tout le pays, dans des capitales préfectorales comme Kankan, Kissidougou, Faranah, Labé, Nzérékoré et Kindia. A Kankan, les émeutiers auraient attaqué la prison municipale et auraient relâché des prisonniers117 et un soldat aurait été lynché par une foule après quil ait tiré sur les manifestants, tuant deux personnes.118 A Kindia, daprès des informations, des manifestants ont pillé le bureau du gouverneur local et les forces de sécurité ont alors tiré sur la foule, tuant sept personnes.119 En tout, 22 civils au moins ont été tués dans les jours qui ont immédiatement suivi la nomination dEugène Camara.120 Dans un communiqué, le Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) a condamné les violences et les destructions occasionnées par les émeutiers. Dans une déclaration séparée, les syndicats ont appelé à une reprise de la grève à partir du lundi 12 février. Cependant, il est apparu que les syndicats et la société civile nétaient plus capables de contrôler les masses de jeunes en colère. Interrogée sur les raisons pour lesquelles les émeutiers navaient pas attendu que les syndicats réactivent la grève et organisent une manifestation pacifique, recourant au lieu de cela à des violences spontanées et des destructions de propriété, une personne a répondu à Human Rights Watch : « La population a dépassé les syndicats. Nous ne les suivions plus. Cétait plutôt à eux de nous suivre. Et nous navions pas besoin de lordre des syndicats pour savoir quEugène Camara nétait pas acceptable. »121 Le dimanche 11 février, un message SMS anonyme a été largement diffusé de téléphone portable à téléphone portable :
Le lundi 12 février, des jeunes de Hamdallaye, Bambeto et dautres quartiers des banlieues de Conakry se sont mobilisés dans lintention de marcher vers le centre ville. Le long du chemin, ils ont lancé des pierres et se sont affrontés avec des membres des forces de sécurité, dont la police et larmée. Après sêtre approchés du rond point de Hamdallaye, autour duquel étaient massées dimportantes forces de sécurité, ils ont été dispersés par les forces de sécurité qui lançaient des gaz lacrymogènes et tiraient en lair, avant de tourner leurs fusils vers la foule. Des victimes et des témoins interrogés par Human Rights Watch ont décrit les morts de plusieurs manifestants au cours de ces événements. Un témoin qui a participé à la marche a décrit les événements de cette journée :
Des manifestants ont été interceptés avant de parvenir au rond-point de Hamdallaye. Un témoin a dit à Human Rights Watch que son groupe avait été obligé de fuir avant datteindre Hamdallaye quand un groupe de Bérets rouges était arrivé dans un camion et avait tiré dans la foule, tuant son ami de 26 ans.124 109Laccord a été signé au nom du gouvernement guinéen par le ministre dEtat pour léconomie et les finances alors en fonction, Madikaba Camara. Les signatures syndicales sont celles de Hadja Rabiatou Serah Diallo, pour la CNTG, Ibrahima Fofana, pour lUSTG, El Hadj Yamodou Toure pour lONSLG, et Abdoulaye Balde, pour lUDTG. El Hadj Youssouf Diallo a signé au nom de lAssociation Nationale des Employeurs. 110 La constitution guinéenne prévoit une présidence forte et ne fait aucune mention de la fonction de Premier ministre. Les précédents premiers ministres sous le régime du Président Conté nétaient pas chef de gouvernement et nexercaient aucune pouvoir exécutif réel. Au titre de laccord tripartite, le Président Conté a accepté de déléguer une partie de son pouvoir par décret présidentiel et lettre de nomination à un "Premier ministre comme chef du gouvernement." Des observateurs ont noté quun tel accord noffre pas une base ferme pour une gouvernance stable, et que seul un amendement de la constitution peut garantir les pouvoirs du nouveau Premier ministre comme chef du gouvernement. Voir, International Crisis Group, "Guinea: Change or Chaos," Africa Report N°121, 14 février 2007. Le dernier Premier ministre guinéen, Cellou Dalein Diallo, avait été limogé par le Président Conté le 5 avril 2006 après que celui-ci se soit opposé à Mamadou Sylla (le riche homme daffaires libéré de prison par Conté en décembre 2006) et au ministre des affaires présidentielles alors en fonction, Fodé Bangoura. 111 Entretien de Human Rights Watch avec un manifestant, Conakry, 19 mars 2007. 112 Entretiens de Human Rights Watch avec des témoins oculaires, Conakry, février et mars 2007. 113 Entretiens de Human Rights Watch avec des témoins oculaires, Conakry, février et mars 2007. 114Entretiens de Human Rights Watch avec des manifestants, des leaders communautaires et des responsables militaires, Conakry, 14, 16 et 17 mars 2007. Daprès le chef de la garde présidentielle de Guinée, pas plus dune centaine darmes ont été volées par des civils. Entretien de Human Rights Watch avec le Colonel Mouniè Donzo, commandant du BASP, Conakry, 16 mars 2007. Human Rights Watch a conduit des entretiens avec des habitants et des leaders communautaires dans les banlieues de Conakry, qui ont reconnu que des citoyens sétaient emparés darmes. Un leader communautaire a expliqué à Human Rights Watch que : Durant les incidents de février, nous navons pas eu vraiment de problèmes, mais nous nous sommes protégés. Nous avons dressé des barrières à lentrée du quartier et le long de la route. Et oui, nous avions des armes. Janvier nous a montré que les pierres nétaient pas suffisantes pour nous défendre. Et larmée savait en fait quelle ne devait pas venir ici. Nous nous sommes même déplacés plutôt librement pendant létat de siège. Entretien de Human Rights Watch avec un leader communautaire, Conakry, 17 mars 2007. 115 Tiken Jah Fakoly est une star du reggae ivoirienne populaire connu pour ses paroles ouvertement critiques des politiciens et de la corruption. Sa chanson Quitte le pouvoir, est devenue un hymne pour de nombreux jeunes Guinéens pendant la grève. Entretiens de Human Rights Watch avec des manifestants, Conakry, Janvier et février 2007. 116Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur de 32 ans et leader du quartier, Conakry, 19 mars 2007. 117 Guinea: New Clashes Follow PM Appointment, 11 février 2007, http://www.irinnews.org/report.aspx?ReportId=70091 (consulté le 4 avril 2007). 118"Twelve Die in Guinea Violence," Agence France-Presse, 11 février 2007. 119Renewed calls for strike in Guinea after 18 die in clashes, Agence France-Presse, 11 février 2007. 120Guinée : Les forces de sécurité commettent des exactions contre la population au nom de la loi martiale, Communiqué de presse de Human Rights Watch, 15 février 2007, http://hrw.org/english/docs/2007/02/15/Guinea15350.htm. 121Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur de 32 ans et leader du quartier, 19 mars 2007. 122Entretiens de Human Rights Watch avec des manifestants, 19 mars 2007. Un manifestant avait conservé une copie du SMS sur son téléphone et la montrée à Human Rights Watch. 123Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 16 mars 2007. 124Entretien de Human Rights Watch avec un témoin oculaire, Conakry, 15 mars 2007. |