Rapports de Human Rights Watch

Recommandations détaillées

La France est en position de s’ériger en leader mondial dans l’effort de lutte contre le terrorisme. Ce n’est qu’en défendant  fermement les principes des droits humains dans tous les volets de sa stratégie antiterroriste qu’elle pourra le mieux concrétiser cette promesse de leadership. Nous recommandons vivement au gouvernement français de prendre les mesures suivantes :

Aux Ministères de l’Intérieur et de la Justice

  • Aligner la législation de la France sur les obligations qui lui incombent aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention contre la torture en entreprenant conjointement une réforme législative afin de veiller à ce que tous les recours formés contre les expulsions aient un effet suspensif automatique. Le parlement devrait en particulier :
    • Réformer le Code de justice administrative de façon à rendre automatiquement suspensifs les recours contre les arrêtés ministériels d’expulsion ;
    • Réformer le Code de justice administrative de façon à rendre automatiquement suspensifs les recours contre les arrêtés fixant le pays de destination ;
    • Réformer le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de façon à rendre automatiquement suspensifs tous les recours formés devant la Commission des Recours des Réfugiés, y compris dans les cas liés à la sécurité nationale ;
    • Réformer le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de façon à ce que l’exception qui, pour des raisons de sécurité nationale, frappe l’octroi de la « protection subsidiaire » soit supprimée lorsqu’une personne risque soit la peine de mort, soit la torture ou autres mauvais traitements.

Au Ministère de l’Intérieur

  • Jusqu’à ce que les réformes législatives nécessaires soient  promulguées, adopter une politique visant à surseoir à l’exécution de tous les éloignements jusqu’à ce que tous les recours aient été épuisés, y compris le recours sur le fond.
  • S’abstenir de prendre contact avec des consulats nationaux en vue d’organiser un éloignement (en fait pour vérifier la nationalité ou obtenir des documents de voyage) jusqu’à ce que tous les recours, y compris sur le fond, aient été épuisés. Les consulats nationaux ne devraient jamais être contactés alors que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des Recours des Réfugiés (CRR) procèdent à l’examen des demandes d’asile.
  • Proposer une loi visant à supprimer la procédure d’expulsion accélérée répondant à une  « urgence absolue » afin de veiller à ce que la Commission d’expulsion ait la chance d’examiner toutes les mesures d’éloignement et de présenter son avis.
  • Revoir le système d’arrêtés d’assignation à résidence de façon à ce que ces arrêtés soient émis par un tribunal, à la demande du ministère public, au lieu d’être pris par le ministre de l’intérieur. Prévoir obligatoirement une durée maximale pour les arrêtés. Prévoir par ailleurs un système de réexamens périodiques automatiques des arrêtés d’assignation à résidence afin d’envisager des changements positifs dans les conditions imposées, telles qu’une réinstallation dans la zone de résidence habituelle et l’octroi d’une autorisation de travail.
  • Veiller à ce qu’aucune personne ne soit renvoyée lorsqu’elle risque d’être torturée dans son pays d’origine. Dans les cas où ce risque existe, recourir aux arrêtés d’assignation à résidence, dans la mesure où les conditions imposées ne sont pas strictes au point d’équivaloir à une sanction pénale ou à une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale.
  • L’assignation à résidence ne devrait pas être utilisée simplement pour faciliter la surveillance.
  • Veiller à ce que les arrêtés d’assignation à résidence soient utilisés en tant qu’alternative à l’éloignement pour des motifs de sécurité nationale, lorsque l’intéressé aurait en toute autre circonstance été protégé contre l’éloignement en raison de la durée, de l’intensité et de la stabilité de ses liens sociaux et familiaux en France, et lorsque l’expulsion constitue une ingérence disproportionnée dans le droit du conjoint et des enfants à la vie familiale, dans la mesure où les conditions imposées ne sont pas strictes au point d’équivaloir à une sanction pénale ou à une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale.
  • Veiller à ce que les rapports des services de renseign ement, ou « notes blanches », indiquent correctement les sources et soient divulgués aux avocats qui agissent au nom de toute personne faisant l’objet d’un arrêté administratif d’expulsion. En général, par principe, les rapports devraient révéler les sources et les méthodes utilisées pour recueillir les informations. Dans les cas où les témoins du gouvernement seraient mis en danger si leur identité venait à être révélée, des pseudonymes pourraient être utilisés.

Au Ministère de la Justice

  • Mettre sur pied un groupe de travail chargé d’élaborer des repères juridiques plus précis concernant la matérialité et l’intensité de la menace qui doit se poser à l’égard de la sécurité nationale pour justifier une expulsion, en particulier dans les cas de délits d’expression.

Au Ministère des Affaires étrangères

  • Promouvoir et appuyer un changement législatif de façon à faire en sorte que tous les recours formés devant la CRR contre les décisions négatives de l’OFPRA soient suspensifs.

A l’Assemblée nationale et au Sénat

  • Mettre sur pied une commission parlementaire d’enquête chargée d’examiner les protections procédurales dans les cas d’éloignement pour des raisons de sécurité nationale, mettant particulièrement l’accent sur l’émission de recommandations relatives à la matérialité et à l’intensité de la menace qui justifierait une mesure d’éloignement.
  • Ladite commission devrait explorer des alternatives à l’assignation à résidence qui auraient un impact plus limité sur les droits fondamentaux.

A la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme

  • Charger la sous-commission Questions nationales d’élaborer une recommandation à l’intention du gouvernement sur les protections procédurales appropriées dans les cas d’éloignement pour des motifs de sécurité nationale, mettant particulièrement l’accent sur des recommandations relatives à la matérialité et l’intensité de la menace qui justifierait la mesure d’éloignement.
  • Charger la même sous-commission d’élaborer une recommandation à l’intention du gouvernement sur des alternatives appropriées qui se substitueraient à l’assignation à résidence et auraient un impact plus limité sur les droits fondamentaux.

Les organisations régionales et internationales chargées de contrôler la conformité des politiques antiterroristes avec le droit international des droits humains jouent un rôle capital. Alors que l’Union européenne, par exemple, ne cesse de développer sa stratégie visant à lutter contre la radicalisation violente et le recrutement pour le terrorisme, les autorités des droits humains devraient veiller à ce que le droit international des droits humains, et en particulier les normes relatives aux procédures équitables et à la vie familiale, soient respectés dans toute démarche visant à dégager une approche commune de l’éloignement pour des raisons de sécurité nationale. A cette fin, Human Rights Watch émet les recommandations suivantes :

Au Conseil de l’Europe

  • En ce qui concerne les expulsions basées sur des raisons liées à la sécurité nationale, le Commissaire aux droits de l’homme devrait envisager d’élaborer un avis ou une recommandation sur les meilleures pratiques en conformité avec le droit international des droits de l’homme. Les recommandations du Commissaire devraient orienter tant les États membres pris individuellement que les institutions concernées de l’UE sur le plan des protections procédurales à appliquer dans ces cas ainsi qu’en matière d’alternatives viables à l’éloignement.
  • L’Assemblée parlementaire devrait envisager un rapport de suivi relatif à sa Recommandation 1504 (2001) sur la non-expulsion des immigrés de longue durée et elle devrait en particulier clarifier sa position à propos des « cas tout à fait exceptionnels » dans lesquels elle considère que les expulsions sont acceptables.
  • La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) devrait envisager d’élaborer une recommandation de politique générale sur les limites légitimes au droit à la liberté d’expression et à la protection contre le racisme et la discrimination.

A la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen

  • Elaborer de sa propre initiative un rapport relatif aux éloignements pour des raisons liées à la sécurité nationale, incluant des recommandations spécifiques sur les protections procédurales minimales et les alternatives viables susceptibles de remplacer l’éloignement.

Aux Nations Unies

  • Le Comité contre la torture devrait recommander que la France instaure un recours automatiquement suspensif contre les arrêtés d’expulsion.
  • Les rapporteurs spéciaux sur la liberté d’expression, sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, sur la torture, ainsi que sur le racisme devraient examiner les préoccupations soulevées dans le présent rapport et élaborer des recommandations dans leurs domaines de compétence respectifs, afin de faire en sorte que les violations telles que celles décrites ici ne se reproduisent plus.