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© 2007 Human Rights Watch
Mon fils est parti rejoindre les rebelles quand il avait 14 ans. Un jour, il nest pas rentré de lécole. Je nai rien dormi de toute la nuit. Je me demandais, mais où dort-il ? Est-ce-quil a mangé ? Est-ce-quil a été tué sur la route ? Le matin, jai envoyé ma fille chez ses amis et ils lui ont dit quil était parti rejoindre les rebelles avec lun de ses amis.
Après la bataille de Guéréda [le 1er décembre 2006], mon fils est rentré à la maison. Il est entré dans la maison, il a posé son arme et sa cartouchière, il sest lavé les mais et les pieds et il a fait ses prières. Il pensait quil était devenu un homme mais cétait encore un garçon. Je lui ai demandé où il était allé et il a baissé les yeux et il a ricané comme sil avait honte. Je lui ai demandé : « Pourquoi es-tu parti ? Je ne te crie jamais après. Si tu avais besoin de quelque chose, je te laurais donné. » Il a dit quil était parti parce que des membres de sa famille avaient été tués et quil était obligé de se faire soldat. Jai dit : « Est-ce-que cette arme nest pas trop lourde ? Tu peux à peine la soulever. » Il a répondu : « Elle nest pas lourde. » Jai dit : « Cette arme est si grosse quelle va te déchirer le torse. » Depuis ce jour-là, il nest plus revenu à la maison. Il dit que je parle trop.
Aisha, jeune femme de 38 ans, à Guéréda dont le fils de 14 ans a rejoint les rebelles FUC en 2006.
Lorsque Aisha (nom demprunt) sest entretenue avec Human Rights Watch en mars 2007, elle avait tout lieu de croire que son fils déposerait prochainement les armes et rentrerait à la maison. En effet, le groupe rebelle que son fils avait rejoint, le Front Uni pour le Changement (FUC) avait signé un accord de paix avec le gouvernement tchadien en décembre. La paix cependant, na pas engendré la sécurité et laccord de paix de décembre 2006 a en fait encouragé les rebelles FUC à intensifier leur recrutement. En janvier, Aisha a envoyé son fils de 20 ans récupérer son jeune frère dans les rangs FUC mais ce dernier a également rejoint les rebelles. Elle redoute maintenant davoir perdu ses deux fils au profit dun conflit si vorace en soldats dinfanterie que des garçons et même des filles sont considérés comme des soldats potentiels.
LArmée Nationale Tchadienne (ANT)livrecombat pour vaincre une insurrection rebelle tchadienne. A lautomne 2006, le gouvernement et les rebelles se sont mis à recruter des enfants soldats afin dassurer leur survie militaire. Des enfants de huit ans seulement servent de combattants, de gardes, de cuisiniers, de sentinelles sur les lignes de front du conflit.
Dans certaines régions de lEst du Tchad, les dynamiques politiques du conflit tchadien se mêlent à des tensions inter-ethniques et à une violence localisée. Les enfants qui fuient une insécurité omniprésente rejoignent parfois directement les rangs de groupes paramilitaires tels que le FUC (les forces FUC sont concentrées à Dar Tama, un département situé dans le Nord-Est du Tchad où un climat généralisé dinsécurité a donné lieu à de violentes attaques contre les civils). En décembre 2006, le gouvernement tchadien sest réconcilié avec le FUC, lun des groupes rebelles qui lui est le plus farouchement hostile. Cependant, en acceptant de fournir au gouvernement beaucoup plus de soldats quil nen avait dans ses rangs, le FUC a été obligé de se livrer à dagressives manuvres de recrutement. Linsécurité à Dar Tama a continué de contraindre de nombreux enfants à chercher refuge dans les rangs FUC, notamment de jeunes écoliers. Mais au même moment, en recrutant activement, notamment en promettant de largent, le FUC a attiré des enfants dans ses rangs. Human Rights Watch na pas la preuve que le FUC poursuit actuellement sa politique de recrutement denfants mais des filles et des garçons continuent de servir dans les rangs FUC et certains enfants ont été utilisés comme combattants et ont livré bataille aux côtés de soldats adultes.
Depuis mai 2007, le gouvernement tchadien et le FUC coopèrent avec le Fonds des Nations Unies pour lEnfance (UNICEF) à identifier et démobiliser les enfants soldats présents dans leurs rangs. Si ceci mérite dêtre salué, il est également légitime de sinterroger sur la façon dont lengagement affirmé du gouvernement en faveur de tels efforts se traduit sur le terrain. Des entretiens avec des commandants de lANT indiquent que le personnel militaire tchadien pourrait tenter dexclure des enfants du processus de démobilisation. Dans ce contexte, il est probablement utile de souligner que sur les 413 enfants démobilisés des installations militaires du gouvernement tchadien depuis mai, tous étaient danciens combattants FUC. Le Ministère de la défense tchadien a promis à lUNICEF un accès aux installations militaires tchadiennes mais lUNICEF na pu se rendre que dans une seule base militaire depuis mai. Au moment de la rédaction de ce rapport, lUNICEF navait pas obtenu lautorisation de visiter les deux autres sites.
Human Rights Watch estime que la démobilisation actuellement en cours ne peut être considérée comme complète que si elle est appliquée de façon cohérente et mise en uvre à travers tout lappareil militaire tchadien, notamment dans les forces paramilitaires agissant pour le compte du gouvernement tchadien, comme les forces dautodéfense villageoises et les groupes rebelles soudanais. Toutes les installations militaires doivent devenir accessibles et les responsables internationaux en charge de la protection de lenfance doivent être en mesure daller inspecter sur le terrain toutes les bases militaires tchadiennes et tous les camps militaires, notamment dans les régions traversées par des lignes de front et chez les groupes armés affiliés au gouvernement tchadien, de façon formelle ou informelle. En dépit des programmes de réhabilitation et de réinsertion spécifiquement conçus pour répondre aux besoins des enfants, les enfants soldats démobilisés courent le risque indéniable dêtre recrutés de nouveau tant que la loi de la force armée demeure celle en vigueur dans lEst du Tchad.
La France a pris la tête des pays exerçant des pressions sur le gouvernement tchadien pour quil démobilise les enfants soldats présents dans ses rangs mais dautres pays ayant un intérêt au Tchad, en particulier ceux qui coopèrent militairement avec le Tchad, comme les Etats unis, doivent faire des efforts similaires pour que soient respectés le droit international humanitaire et les droits humains au Tchad, notamment la démobilisation immédiate des enfants soldats.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a proposé quune mission de protection des Nations unies soit déployée dans lEst du Tchad mais cette proposition sest heurtée à lopposition constante des responsables du gouvernement tchadien. Une mission internationale de protection des civils dans lEst du Tchad représenterait un pas significatif vers linstauration de la sécurité dans des zones violentes et instables où des enfants ont été recrutés par des groupes armés et où ils continuent de remplir des rôles que le droit international réserve aux adultes.
juillet 2007
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