Rapports de Human Rights Watch

Résumé

Les attaques violentes des milices dans l’est du Tchad ont fait plus de 300 morts en fin 2006, principalement dans le sud-est rural le long de la frontière entre le Tchad et le Soudan. Des enfants ont été pris pour cible et tués, des femmes ont été violées et des villages ont été pillés et incendiés, ce qui a provoqué le déplacement de plus de 17 000 civils pour le seul mois de novembre. La plupart des attaques ont été menées par des milices ethniques, et la plupart des victimes appartenaient à des groupes ethniques non arabes, avec cependant des exceptions importantes. Pendant ce temps, les milices et les mouvements rebelles soudanais basés dans la région ont été coupables de recrutement et d’utilisation d’enfants soldats. Ces abus constituent de graves violations du droit humanitaire international.

Trois types de violence mènent l’est tchadien vers un désastre humanitaire et une crise des droits humains : premièrement, le conflit armé interne entre le gouvernement tchadien et les groupes rebelles, deuxièmement, les attaques transfrontalières des milices contre les civils, et troisièmement, la violence intercommunautaire.

Le gouvernement tchadien a consacré des ressources financières et militaires importantes à l’anéantissement des mouvements rebelles antigouvernementaux. Cela s’est fait en grande partie au prix de la protection des civils, en particulier dans les zones rurales à l’est du pays où les attaques des milices et la violence intercommunautaire sont devenues monnaie courante. Les forces de sécurité tchadiennes n’ont pas réussi à empêcher les raids transfrontaliers des milices dites « Janjawid » lancés depuis le Soudan sur les villages de l’est tchadien. Elles n’ont pas pu ou n’ont pas voulu contrôler les activités des groupes armés coupables d’abus à l’intérieur de leurs frontières. Il n’y a pas eu d’enquêtes sur les meurtres, les cas de viols ou autres formes d’exactions. Les auteurs de crimes graves jouissent d’une impunité totale.

Du fait de l’incapacité du gouvernement à imposer l’ordre et à poursuivre les coupables en justice, les civils dans la zone frontalière instable ont été forcés d’assurer eux-mêmes leur propre protection en organisant des groupes d’autodéfense et en des alliances sécuritaires avec des milices voisines, habituellement sur la base de facteurs ethniques. Dans certains cas, ces milices communautaires ont été formées, organisées et approvisionnées par les groupes rebelles soudanais qui opèrent dans l’est tchadien, avec le soutien et l’appui du gouvernement tchadien.

Human Rights Watch a reçu des informations fiables selon lesquelles les forces de sécurité exploitent les différences ethniques dans d’autres parties du Tchad et provoquent des violences intercommunautaires avec l’objectif à court terme d’acquérir un avantage stratégique dans la lutte contre les rebelles. Les forces de sècurité distribueraient des armes aux adversaires traditionnels de certains groupes ethniques qui sont associés aux mouvements rebelles tchadiens. Human Rights Watch craint fort que les forces de sécurité tchadiennes n’utilisent des tactiques similaires dans l’est du Tchad dans le but d’affaiblir les mouvements rebelles tchadiens, dont beaucoup sont des confédérations de milices basées sur des facteurs ethniques.

Les groupes ethniques dans l’est du Tchad ont été polarisés par la nature sectaire des violences récentes, au cours desquelles les raids des milices ont tendance à contourner les villages arabes, même dans des zones frontalières durement touchées qui sont en grande partie abandonnées à cause de l’insécurité. Avec les armes et les munitions qui se déversent sur la région et les communautés de plus en plus militarisées, l’est du Tchad est au bord de violences intercommunautaires importantes.

Bien que l’environnement sécuritaire soit difficile, il faut instamment accoître la présence internationale au Tchad pour empêcher la situation de se détériorer davantage. Une détérioration des résultats désastreux non seulement pour les civils au Tchad, mais aussi pour ceux d’une vaste région comprenant le Darfour et le nord-est de la République Centre Africaine. La présence internationale proposée au Tchad devrait inclure du personnel militaire ainsi que des représentants du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour contrôler, enquêter et rendre publiques les violations des droits humains liés à deux aspects de la crise tchadienne : le conflit politique interne et la pénétration du conflit du Darfour dans la vie des communautés de l’est du Tchad.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait autoriser la présence internationale de personnel militaire et d’observateurs des droits humains le long de la frontière Tchad/Soudan pour empêcher d’autres attaques contre les civils, pour contrôler les forces actives sociales et politiques complexes qui contribuent à la violence intercommunautaire, pour apporter des informations essentielles sur les questions de droits humains qui sont actuellement ignorées, pour soutenir les efforts visant à protéger les civils, et pour tenir informées les futures réactions internationales et des Nations Unies à la crise dans l’est tchadien. De plus, une présence internationale pourrait contrôler l’embargo sur les armes au Darfour ainsi que les mouvements des groupes armés dans la zone frontalière.

Le Conseil de Sécurité devrait aussi demander au gouvernement soudanais de cesser son soutien aux groupes armés commettant des abus à l’encontre des civils, et demander au gouvernement du Tchad de cesser son soutien aux factions rebelles du Darfour et aux groupes armés coupables d’attaques contre des civils, de recrutement et d’utilisation d’enfants soldats et autres atteintes aux droits humains. Le gouvernement du Tchad doit entreprendre une action urgente pour restaurer la loi et l’ordre, par exemple en menant des enquêtes impartiales et des démarches pour traduire en justice les coupables.