Rapports de Human Rights Watch

 Le recours aux enfants soldats par les groupes armés dans l’est du Tchad

Au cours de ses missions de recherche réalisées dans l’est du Tchad en 2006, Human Rights Watch a pu observer des enfants qui ont été recrutés dans des groupes armés, à savoir les forces armées tchadiennes, les mouvements rebelles soudanais et les milices Tora Boro.202 Ceci constitue une violation directe du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (connu généralement sous le nom de Protocole sur les enfants soldats), dont le Tchad est un Etat partie.203 Celui-ci fixe  à dix-huit ans l’âge minimum pour la participation directe aux hostilités, pour le recrutement obligatoire et pour tout recrutement ou utilisation dans les hostilités par des groupes armés irréguliers.204

En novembre 2006, Human Rights Watch a remarqué deux soldats au-dessous de la limite d’âge en compagnie de deux commandants de terrain du MJE à Bahai, Tchad. Les deux commandants les ont présentés comme leurs enfants, mais ils ont refusé de donner leur âge. Ils ont dit qu’ils pensaient que les enfants seraient plus en sécurité à leurs côtés, en uniforme, dans les mouvements rebelles, qu’ils ne le seraient dans leur région d’origine au Darfour.205

Parmi les troupes Tora Boro de Hisseine Bechir Hisseine, qui comptent une centaine de combattants, Human Rights Watch a remarqué quatre enfants, qui ont été présentés comme ayant 11, 13, 15 et 16 ans. Les enfants soldats remarqués par Human Rights Watch en compagnie des forces rebelles soudanaises et de l’ANT dans l’est du Tchad étaient habituellement non armés, mais le garçon de 11 ans était équipé d’un fusil automatique Galil en état de fonctionnement, du type utilisé par l’ANT. Petit pour son âge, le rebelle de 11 ans était en général assis sur les genoux de quelqu’un au cours des déplacements à bord des véhicules bondés des rebelles. D’après un homme Dajo de 42 ans appartenant à l’unité de Bechir, le rôle de cet enfant soldat dans la milice était de faire le thé au campement, et d’être éclaireur dans les situations de combat.

« Si on entend dire qu’il y a des Janjawid dans le wadi, nous pouvons envoyer les petits pour voir si c’est vrai ou pas, » a dit le soldat. « Comme c’est un enfant, ils ne le tueront pas s’ils le voient. Aussi, si quelqu’un est blessé pendant le combat, [l’enfant soldat] peut sortir le chercher. Si quelqu’un est tué et son arme est par terre, bien sûr je m’attendrai à ce qu’ils l’utilisent comme n’importe qui d’autre. »206

Du fait de leur immaturité et de leur manque d’expérience, les enfants soldats subissent plus de pertes que les soldats adultes. Il est évident que les enfants parmi les Tora Bora ont souffert de leur manque d’expérience. Deux enfants soldats de l’unité de Bechir à Adé, l’un de 13 ans et l’autre de 16, ont été tués en septembre en manipulant une grenade autopropulsée.207

Le Protocole sur les enfants soldats oblige les Etats à prendre toutes les mesures possibles pour empêcher l’utilisation et le recrutement des enfants. Le Tchad est également un Etat partie à la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant qui demande que les Etats prennent toutes les mesures pour qu’aucun enfant ne prenne directement part aux hostilités.208 Le Tchad et le Soudan ont tous deux l’obligation, conformément à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, de protéger les enfants contre toutes les violations du droit humanitaire international et de faciliter la réadaptation et la réinsertion sociale des enfants victimes de conflit armé.209 Le recrutement et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans sont définis comme un crime de guerre dans le Statut du Tribunal pénal international. Human Rights Watch n’a connaissance d’aucune mesure prise par les autorités tchadiennes pour empêcher l’utilisation et le recrutement d’enfants soldats par les milices d’autodéfense ou par les mouvement rebelles soudanais alliés basés au Tchad.




202 Dans ce rapport, le mot “enfant” désigne toute personne de moins de 18 ans.

203 Adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 mai 2000, A/RES/54/263 du 25 mai 2000, entré en vigueur le 12 février 2002. Le Tchad a ratifié le Protocole facultatif le 28 août 2002.

204 Article 4 du Protocole facultatif.

205 Entretiens de Human Rights Watch, Bahai, Tchad et Kariari, Soudan, du 31 octobre au 3 novembre 2006.

206 Entretien de Human Rights Watch, soldat d’un groupe d’autodéfense tchadien, Dogdoré, Tchad, 22 novembre 2006.

207 Human Rights Watch, communication confidentielle, 21 novembre 2006.

208 OUA Doc. CAB/LEG/24.9/49 (1990), entrée en vigueur le 29 novembre 1999. Le Tchad a ratifié la Convention en mars 2000. L’Article 22 prévoit : que les Etats parties (i) s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflits armés qui affectent particulièrement les enfants ; (ii) prennent toutes les mesures appropriées pour garantir qu’aucun enfant ne prenne part directement aux hostilités et s’abstiennent en particulier de l’enrôlement des enfants ; (iii) doivent, conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international, protéger la population civile en cas de conflit armé et prendre toutes les mesures possibles pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient de protection et de soins. Ces dispositions s’appliquent aussi aux enfants dans des situations de conflits armés internes, de tensions ou de troubles civils.

209 Convention relative aux droits de l’enfant, Articles 38 et 39, ratifiée par le Soudan le 3 août 1990 et par le Tchad le 2 octobre 1990.