Rapports de Human Rights Watch

VI. Conditions d’incarcération 

Le Burundi compte 11 prisons dans dix de ses 17 provinces et plus de cent cachots communaux et de la police dans tout le pays.68 Selon le Directeur Général des Affaires Pénitentiaires, au 31 décembre 2006, le système carcéral burundais tournait à plus du double de sa capacité, la prison centrale de Mpimba à Bujumbura, la plus grande de toutes, accueillant plus de trois fois la capacité prévue initialement. Sur un total de 8 336 prisonniers dans tout le pays, 401 étaient des mineurs âgés de 13 à 18 ans.69 Plus de 300 enfants sont actuellement des prévenus. Seuls 83 ont été condamnés.70

Il n’existe pas de prisons séparées pour les enfants et pendant la journée, ils se mêlent aux prisonniers adultes. Les prévenus sont logés avec les condamnés.

Sept provinces ne disposent pas d’établissements pénitentiaires, faisant peser un fardeau plus lourd encore sur les prisonniers de ces provinces qui se retrouvent en prison.71 Incarcérés loin de leur famille, ils ont rarement des visiteurs et ne reçoivent pas en cadeau les éventuels repas et vêtements sur lesquels peuvent compter les autres détenus pour compléter les maigres rations fournies par les prisons. Ce manque de soutien moral et matériel pèse particulièrement lourd sur les enfants emprisonnés loin de chez eux.

Tous les centres de détention du Burundi sont extrêmement surpeuplés. Selon un enfant emprisonné en 2005, à l’époque il partageait une chambre pour mineurs avec un autre garçon et un adulte. A la mi-2006, il partageait la même pièce avec 17 autres garçons.72

Les filles en prison

Les chercheurs de Human Rights Watch ont vu peu de filles dans les prisons. Sur les 136 enfants détenus à la prison centrale de Bujumbura le 12 février 2007, seuls six étaient des filles et il semble que la proportion soit similaire dans les autres prisons. Au total, Human Rights Watch a eu des entretiens avec sept filles au cours de ses recherches. Les filles étaient souvent accusées des mêmes crimes que les garçons, notamment de vol, mais qui plus est, plusieurs étaient accusées d’infanticide suite au décès de leurs nouveaux-nés. Les filles et les détenues adultes logent dans les mêmes prisons que les hommes et les garçons (à l’exception de la seule prison pour femmes située dans la province de Ngozi) et elles ne sont généralement pas séparées d’eux pendant la journée. Bien que des efforts soient consentis pour séparer hommes et femmes, la mixité des prisonniers expose les filles et les femmes à des agressions sexuelles. Des agressions ont effectivement eu lieu, débouchant parfois sur une grossesse chez les prisonnières. Les filles vivent généralement dans les mêmes piètres conditions que les garçons au niveau du logement, de la nourriture et du manque d’éducation. Bien que cela dépasse le cadre du présent rapport, il faut souligner qu’au 31 décembre 2006, on recensait 58 bébés dans les prisons burundaises.  Les détenues sont autorisées à garder leurs enfants auprès d’elles, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de cinq ans environ. (Données sur les filles émanant des observations et entretiens réalisés par Human Rights Watch dans les prisons du Burundi en mai, juin et août 2006.)



Les prisons fournissent des repas mais pas beaucoup plus. La plupart des prisonniers s’organisent pour répondre à leurs besoins matériels, par exemple au niveau des matelas, des couvertures et des ustensiles de cuisine. Ils n’ont souvent pas de vêtements de rechange. Il n’existe aucune possibilité d’éducation formelle et, dans la plupart des prisons, aucune activité n’est organisée, hormis des services religieux à la chapelle.73

La plupart des prisons du Burundi sont organisées autour d’une grande cour rectangulaire avec des chambres de taille variable disposées sur trois côtés de ce préau.74 La majorité de ces établissements ont une petite salle commune utilisée pour les services religieux et pour les cours informels donnés par les prisonniers adultes instruits. Toutes les prisons disposent au moins d’un robinet d’eau mais, dans certains cas, il ne fonctionne que pendant un nombre limité d’heures. Chaque prison compte une cuisine commune mais la plupart des prisonniers cuisinent et réchauffent leurs propres repas, les préaux étant alors envahis d’une épaisse fumée noire qui empêche tout le voisinage de respirer. Des directeurs de prison ont déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils reconnaissaient que l’inhalation de fumée pouvait nuire à la santé des prisonniers.75

A l’intérieur de la prison, un prisonnier adulte est choisi par chaque directeur d’établissement pour gérer la plupart des aspects de la vie. Connu sous le nom de « Général », ce prisonnier est de facto le dirigeant suprême de la population de la prison ainsi que le représentant des détenus. Il y a également des chefs dans chaque chambre, choisis habituellement par les occupants de la chambre mais à l’occasion, ils sont désignés par le Général.76 Ces personnes exercent un énorme contrôle sur les conditions de vie des autres prisonniers car c’est le Général qui distribue les tâches à faire dans chaque chambre et éventuellement, il punit les prisonniers pour mauvaise conduite, tandis que le chef de chambre est souvent chargé de distribuer les rations de nourriture et de récolter de l’argent pour acheter des ampoules électriques, des bougies ou d’autres produits. Les chefs peuvent contrôler l’accès aux privilèges, par exemple un espace convoité pour dormir, et ils peuvent vendre ces privilèges aux autres.

Dans certaines prisons visitées en 2006, les enfants plus âgés étaient chefs de chambre dans le quartier des mineurs mais dans d’autres cas, ce sont des adultes qui remplissaient ce rôle.77 Jean-Claude K. a été choisi par d’autres garçons pour être chef de chambre lorsqu’il avait 16 ans. Il en a aujourd’hui 20. Il a continué à assumer le rôle de chef de chambre des mineurs bien qu’il soit devenu adulte. Jean-Claude K. a expliqué :

Je suis responsable de la fermeture du quartier des mineurs à 22 heures et de l’ouverture du quartier à 6 heures du matin. Lorsqu’un nouveau mineur arrive, nous lui demandons de l’argent pour payer des choses comme des ampoules électriques. S’il n’a pas d’argent, nous le laissons entrer mais nous attendons que quelqu’un lui rende visite et alors nous demandons l’argent.78

Violation du droit à la dignité et à l’hygiène

En raison de la forte surpopulation carcérale, certains enfants n’ont pas l’espace suffisant ou adéquat pour dormir. A la prison de Ruyigi, Jean-Bosco S.  a confié aux chercheurs de Human Rights Watch : « C’est très difficile de dormir car nous sommes environ 27 dans une seule pièce. Certains doivent rester assis toute la nuit ».79 Dans au moins six prisons visitées par les chercheurs de Human Rights Watch en 2006, les enfants n’avaient pas d’argent pour « acheter » le droit à de meilleures conditions pour dormir.80 Certains avaient été forcés de dormir en dehors de la chambre des mineurs, dans le préau.81

A la prison de Muyinga, Ferdinand S., un orphelin, a raconté qu’il était forcé de dormir dehors, dans la cour, avec quelque 13 autres mineurs, car il ne disposait pas des 2 000 FBU (2$) nécessaires pour se payer une place à l’intérieur de la chambre des mineurs. « Je n’ai pas de couverture ni de matelas mais j’ai une veste militaire que j’utilise pour me couvrir », a expliqué Ferdinand S.82 Dans la même prison, Pascal N. a confié qu’il était parvenu à négocier le prix de 500 FBU (0,5$) pour dormir à même le sol en béton dans la chambre des mineurs, où se trouvaient environ neuf autres enfants. Il a fabriqué un matelas à partir de sacs en plastique remplis d’herbe. Il avait pu verser l’argent uniquement parce que son père le lui avait apporté lors d’une visite.83

Dans la prison de Bubanza, les enfants ont expliqué qu’ils devaient payer 1 000 FBU (1$) pour dormir sur un matelas naturel rempli d’herbe dans la chambre des mineurs, mais pour 5 000 FBU (5$), ils pouvaient dormir sur les lits faits de planches de bois surélevées. « Il y a 13 enfants dans ma chambre », a décrit Gabriel M., accusé d’avoir volé une chèvre à un voisin. « Il y en a cinq qui peuvent se permettre de dormir sur les planches et les autres, nous dormons par terre ».84 A la prison de Ngozi, les enfants ont dit qu’il y avait des lits vides dans la chambre des mineurs mais selon Benoît N., « on ne peut pas y toucher si on ne verse pas d’argent ». 85

Certains enfants ont acheté des matelas aux prisonniers qui étaient sur le point d’être libérés. Dans les prisons visitées par les chercheurs de Human Rights Watch, les prix variaient de l’une à l’autre mais dans tous les cas, le montant était beaucoup plus élevé que ce que la plupart des enfants pouvaient se permettre de payer. Plusieurs ont dit qu’ils avaient vendu une partie ou la totalité de leur ration quotidienne de nourriture afin de s’assurer une place pour dormir dans les chambres réservées aux enfants.86

Les chercheurs de Human Rights Watch ont trouvé au moins un point d’eau disponible dans toutes les prisons visitées mais dans bon nombre de pièces où dormaient les enfants, ils n’ont pas trouvé d’eau disponible. Une fois que les portes sont fermées au moment du couvre-feu, les enfants qui se trouvent dans ces pièces ne peuvent plus avoir d’eau à boire. Plusieurs ont demandé aux chercheurs de Human Rights Watch des bouteilles ou un seau pour qu’ils puissent aller chercher de l’eau et se faire une réserve pour boire pendant la nuit.87

Dans toutes les prisons visitées par les chercheurs de Human Rights Watch, les enfants ont montré aux chercheurs qu’ils présentaient sur le corps des piqûres de punaises et des éruptions cutanées, conséquences probables du manque d’hygiène.88  Ceux qui dormaient dehors, mais également beaucoup de ceux qui dormaient à l’intérieur des bâtiments, étaient exposés aux piqûres de moustiques, situation qui augmentait la probabilité de contracter la malaria. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a fourni aux prisons des moustiquaires mais certains enfants ont dit qu’ils les avaient vendues pour acheter de la nourriture.

Le CICR effectue régulièrement des visites dans les prisons et les cachots dans tout le pays mais il n’assure pas les secours d’urgence et ne fournit pas de soins médicaux directs aux prisonniers. Les représentants du CICR travaillent en collaboration avec les infirmiers des prisons afin de promouvoir et de préserver des conditions acceptables dans ces lieux de détention et ils attirent l’attention des autorités pénitentiaires sur certains cas particuliers qu’ils ont découverts. En 2006, le CICR a payé les factures pour les traitements achetés par les pharmacies situées dans les prisons, assurant ainsi un accès aux médicaments pour les prisonniers. Ce programme a pris fin en décembre 2006 et aujourd’hui, cela relève de la responsabilité de l’administration pénitentiaire.89 Celle-ci doit également couvrir les soins médicaux des prisonniers blessés ou gravement malades, ce qui implique l’envoi de ces détenus dans un hôpital local. Human Rights Watch a relevé un cas en 2006 où un ex-combattant des FNL, âgé de seize ans, avait été blessé par balle à la hanche l’année précédente, lors d’une escarmouche avec les forces gouvernementales. Il n’avait jamais été soigné pour sa blessure et présentait des signes d’infection s’étendant de la hanche au genou et à la partie inférieure de la jambe.90 Son opération a finalement été payée par une organisation non gouvernementale (ONG) locale.

Absence de séparation avec les adultes

Sous la pression des ONG réclamant le respect du droit international et de la constitution burundaise en ce qui concerne les quartiers séparés pour les enfants, les autorités pénitentiaires du pays ont commencé, il y a quelques années, à installer des quartiers séparés pour les mineurs dans la plupart des prisons.91 Dans chacune des dix prisons visitées par les chercheurs de Human Rights Watch en 2006, une pièce au moins était désignée comme étant une chambre de mineurs, mais la nuit, la séparation n’était pas toujours appliquée.

Pendant la journée, soit environ de 6 heures du matin à 17 heures, dans la plupart des prisons, les enfants sont en contact avec les prisonniers adultes, ce qui les expose aux exactions. Les enfants ont souvent confié aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils avaient peur des prisonniers adultes. Daniel N., en attente de son procès pour avoir volé des haricots verts à son voisin il y a deux ans, a raconté que dernièrement, un prisonnier adulte l’avait frappé avec un grand morceau de bois. « Il était ivre et en colère lorsqu’il m’a frappé et il est devenu vraiment agressif. J’ai simplement essayé de m’échapper mais il m’a frappé et un morceau de bois m’est rentré dans l’œil », a-t-il expliqué.92 Les chercheurs de Human Rights Watch ont constaté que son œil était injecté de sang et infecté et une infirmière itinérante a confirmé la nature de ses blessures.

Certains enfants ont raconté qu’ils étaient passés maîtres dans l’art d’éviter la confrontation et de garder les choses pour eux. Innocent N., 16 ans, a expliqué, « Les adultes cherchent parfois à nous faire des choses. Quand on mange, ils viennent près de nous et nous frappent ou volent notre nourriture. Je pense qu’en nous frappant, ils se sentent mieux ». 93 Gaspard N., un garçon de 15 ans accusé de vol et ex-enfant soldat [dans les FNL], a confié à Human Rights Watch:

Certains adultes sont vraiment méchants avec nous ici. Les grands criminels, on doit simplement ne pas s’en approcher, si on peut. Ceux qui sont condamnés à mort, ils nous menacent parfois. Ils ne nous font pas de mal tous les jours mais ils ne peuvent pas s’empêcher de nous frapper .94

Même après l’établissement de quartiers séparés, les autorités pénitentiaires ont continué, en certaines circonstances et pour diverses raisons, de permettre aux adultes de partager la chambre avec les enfants.

En 2006, à la prison de Bubanza, il était impossible que tous les enfants dorment dans des quartiers séparés en raison du manque d’espace. Une seule pièce était exclusivement réservée aux enfants mais une autre chambre accueillait à la fois des adultes et des enfants. Lambert N., autrefois enfant soldat dans les rangs des FNL, a expliqué que lorsqu’il était arrivé à la prison, il avait demandé de dormir dans la chambre des mineurs mais « le Général » lui avait dit qu’il n’y avait pas de place et qu’il devrait attendre.95 Depuis lors, il a eu 18 ans.

A la prison de Ruyigi, le directeur a déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch qu’il avait installé quelques-uns des adultes les plus âgés dans le quartier des enfants afin de les guider et de les surveiller. « J’ai mis cinq hommes plus âgés dans la chambre des mineurs. De cette façon, ils ont l’image du père présente à leurs côtés en prison», a-t-il expliqué.96

Dans une autre prison, Raphaël N., 15 ans, a raconté aux chercheurs de Human Rights Watch qu’il avait avoué avoir participé à un complot tramé par trois adultes pour tuer son père. En raison de la gravité du délit, on l’a installé dans le quartier des adultes, dans la même pièce que d’autres accusés dans la même affaire. Après avoir témoigné au tribunal contre les adultes, ces derniers ont menacé de le tuer pendant la nuit. Lorsque Raphaël a parlé des menaces aux autorités pénitentiaires, il a été transféré dans la chambre des mineurs.97

A la prison de Muramvya, Patrick H., accusé de tentative d’évasion, a été envoyé par « le Général » dans le quartier des adultes. Patrick a confié aux chercheurs de Human Rights Watch qu’il était souvent harcelé par les prisonniers adultes et qu’il était obligé de laver leur linge pour éviter d’avoir des problèmes avec eux.98

A la différence des cas susmentionnés où les autorités pénitentiaires étaient au courant et autorisaient le partage des quartiers, il y avait d’autres cas où les autorités ignoraient que les adultes se rendaient sans permission dans le quartier des enfants. A la prison de Rutana, des enfants ont déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch que de temps à autre, un adulte s’introduisait furtivement dans la chambre des mineurs juste avant le couvre-feu et qu’il passait la nuit à solliciter les garçons pour avoir des rapports sexuels avec eux. Lorsque les chercheurs ont soulevé cette question auprès d’un administrateur de la prison, ce dernier a dit qu’il n’était pas conscient du problème mais qu’il mènerait une enquête à ce propos.99

Même dans les prisons où les enfants dorment séparément, ils doivent parfois partager les toilettes et les douches avec les adultes. A Ruyigi, le directeur de la prison a informé les chercheurs de Human Rights Watch que les prisonniers de sexe masculin étaient enfermés dans leur quartier de 11h30 à 14 h afin de permettre aux détenues d’utiliser la seule douche de la prison. Mais aux dires des enfants, aucun arrangement de ce type n’existait pour permettre aux enfants d’utiliser séparément les sanitaires.100 « Il n’y a pas de douches ni de toilettes séparées pour nous, les enfants », a dénoncé Jean-Bosco S. « Ca craint pour les enfants quand les adultes sont aux toilettes. Je vérifie pour voir qui s’y trouve avant d’aller prendre ma douche ».101

Violence sexuelle et prostitution

Alors même que les rapports sexuels entre hommes consentants sont considérés par la société burundaise comme étant inacceptables, des dizaines d’enfants prisonniers ont pourtant parlé d’activités sexuelles forcées ou contraintes, notamment entre hommes et garçons, à la prison.102 Dans chaque prison visitée par Human Rights Watch, au moins quelques enfants ont dit qu’un prisonnier adulte leur avait offert de l’argent, de la nourriture, de l’alcool ou de la drogue en échange de services sexuels ou qu’ils connaissaient quelqu’un qui avait accepté de l’argent ou d’autres avantages en échange de ce genre de services. Emmanuel H. a déclaré que deux prisonniers adultes de la prison de Bururi étaient connus pour donner de la marijuana aux garçons contre des services sexuels. Il a affirmé que les autorités pénitentiaires étaient au courant mais qu’elles ne punissaient pas les auteurs de ces actes.103

Un garçon de 15 ans, accusé d’avoir volé du manioc dans un champ, a confié aux chercheurs de Human Rights Watch que deux prisonniers étaient venus le trouver pour avoir des rapports sexuels avec lui. « J’ai vraiment besoin d’une assiette et d’une casserole pour pouvoir manger mais je ne veux pas avoir de rapports sexuels pour ces choses-là, parce que ce n’est pas bien ».104

Abdoul N., un garçon de 16 ans qui a été condamné à dix ans de prison pour viol, a expliqué:

Lorsque les prisonniers adultes reçoivent un peu d’argent, ils viennent nous trouver pour avoir des relations sexuelles. Ils essaient de nous attirer avec eux dans les douches ou dans les endroits autour de la chapelle. Je sais que ce n’est pas bien, donc je n’accepte pas, mais il y en a d’autres qui le font. Quand on les attrape, on envoie le mineur dormir chez les adultes pendant quelques jours.105

Certains garçons ont raconté aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils connaissaient des cas où des garçons avaient été violés. Néanmoins, très peu ont admis avoir eux-mêmes été victimes de viol. Adolphe M., qui purge actuellement une peine de cinq ans d’emprisonnement pour avoir volé 150$, a dit aux chercheurs de Human Rights Watch qu’il avait été violé trois fois à la prison de Rutana lorsqu’il avait 17 ans. Il a confié:

La première fois, j’étais sous la douche, qui était très petite. Un adulte est entré. Il m’a pris de force. Il était beaucoup plus grand que moi. Je ne pouvais donc rien faire et j’avais mal. J’avais trop peur et j’étais trop honteux pour en parler à qui que ce soit, et il a continué à s’en prendre à moi. Je n’en ai jamais parlé à personne au sein de l’administration de la prison. J’ai encore mal aux reins et au ventre. Je vais beaucoup à la diarrhée.106

Interrogés à propos du problème de la violence sexuelle et de la prostitution dans les prisons, tant l’ancien que l’actuel Directeur Général des Affaires Pénitentiaires ont admis avoir conscience de ces problèmes et ils ont déclaré qu’ils ne connaissaient aucun cas où quelqu’un avait été poursuivi pour viol ou pour racolage sur mineurs pendant son incarcération.107

Nourriture insuffisante et nutrition inadaptée

A l’image de trop de Burundais, les enfants emprisonnés ont dit aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils avaient faim. La nourriture fournie aux enfants dans les prisons du pays est insuffisante tant sur le plan de la quantité calorifique que de la valeur nutritionnelle. Vu que l’adolescence correspond à un moment crucial de la croissance, il s’agit d’un problème particulièrement grave.108 Les enfants mal nourris pendant ces années de développement ne pourront jamais pallier les effets de longues périodes de malnutrition.

Le problème de l’alimentation est tout particulièrement grave dans les cachots communaux et de la police où les autorités ne nourrissent pas les détenus. La famille et les amis sont censés apporter à manger aux personnes détenues dans ces endroits mais beaucoup de prévenus sont gravement sous-alimentés, surtout s’ils passent une longue période au cachot.109 Les orphelins et les enfants de la rue, qui ne peuvent compter sur aucune aide familiale, survivent généralement grâce aux repas que partagent avec eux d’autres détenus ou grâce aux aliments qu’apportent à l’occasion des groupes religieux ou des ONG. Adrien N., 16 ans et accusé de viol, a passé deux semaines au cachot sans nourriture. Lorsqu’un policier l’a fait venir pour un interrogatoire, il était trop épuisé pour répondre. « Je lui ai dit qu’il valait mieux me tuer que de me renvoyer [en cellule] sans manger », a dit Adrien.110

Une fois transféré en prison, les enfants reçoivent les mêmes rations alimentaires que les adultes, soit 350 grammes de haricots et 350 grammes de farine de manioc par jour.111 Ils sont également censés recevoir des petites rations de sel et d’huile de palme mais d’après les enfants interrogés, ces aliments sont rarement distribués. Certains enfants ont déclaré qu’à l’occasion, ils n’avaient absolument rien eu à manger car les prisonniers responsables de la distribution n’avaient pas réparti correctement la nourriture ou s’étaient servi plus que leur part.112 Les prisonniers peuvent recevoir des aliments supplémentaires ou autres provisions de la famille ou des amis qui leur rendent visite, mais parmi les enfants interrogés, peu avaient la chance de pouvoir compter sur ce type d’extra.

Aux dires des prisonniers, les haricots sont habituellement insuffisamment cuits et devraient cuire davantage pour être digestes. La farine de manioc doit également être cuite pour être mangée. Cuire les aliments signifie qu’il faut avoir ou emprunter une casserole et trouver du charbon de bois ou des morceaux de bois comme combustible. Plusieurs enfants ont expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils travaillaient pour des prisonniers adultes, par exemple ils cuisaient leurs aliments et lavaient leurs vêtements, et en retour, ils pouvaient utiliser leurs casseroles et une partie de leur combustible.113

Juvenal C., 14 ans, avait récemment été libéré de la prison centrale lorsqu’il s’est entretenu avec nous. Son histoire est un exemple typique des conditions vécues par de nombreux enfants que Human Rights Watch a interrogés. Il nous a confié : « J’avais des problèmes de vertige et j’étais tout le temps fatigué à cause du manque de nourriture en prison. Je restais simplement assis par terre et je me sentais atrocement mal. Je ne recevais pas toujours la même ration que les autres. Je devais vendre une partie de ma nourriture pour pouvoir cuire le reste ».114

Manque d’accès à l’éducation

Lors de la campagne présidentielle de 2005, le candidat Pierre Nkurunziza avait promis la gratuité de l’enseignement primaire pour tous les enfants burundais.115 Une fois élu, il a tenu cette promesse pour l’ensemble de la population, bien que cela ait entraîné de sérieux problèmes logistiques, le système étant mis à rude épreuve avec l’arrivée d’un nombre impressionnant de nouveaux étudiants.116 Salué pour cette importante réforme,117 le Président Nkurunziza n’a malheureusement pas offert les mêmes chances aux enfants se trouvant en prison. Tous les enfants ont droit à l’éducation, notamment à l’enseignement primaire gratuit.118

Selon les informations fournies par les 136 enfants qui étaient incarcérés à la prison centrale de Mpimba début février 2007, avant leur arrestation seuls neuf d’entre eux avaient poursuivi leur scolarité au-delà de la sixième année primaire. Vingt pour cent n’avaient absolument jamais été à l’école.119 Bon nombre d’enfants interrogés par les chercheurs de Human Rights Watch ont exprimé le vif souhait d’apprendre quelque chose pendant leur emprisonnement. Incapables de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille en gagnant de l’argent, les enfants considèrent que ce temps passé en prison est le moment d’apprendre. Mais les prisons n’offrent aucune possibilité d’éducation formelle. Dans certains établissements, des prisonniers adultes ont organisé des cours informels de lecture, de mathématiques et de français.

Un garçon de 13 ans incarcéré à la prison de Gitega a dit qu’il avait demandé à des adultes de lui enseigner ce qu’ils avaient appris à l’école. Il n’avait jamais été scolarisé car depuis son plus jeune âge, il avait travaillé comme gardien de troupeau pour un salaire de 4 000 FBU (4$) par mois. Il a trouvé un prisonnier disposé à lui apprendre à lire la Bible, ce qui ne satisfaisait pas l’enfant. Il a expliqué : « Je veux apprendre à écrire mais il veut seulement m’enseigner la parole de Dieu ».120




68 La province de Ngozi a deux prisons, l’une pour hommes, l’autre pour femmes. Il s’agit de la seule prison de femmes de tout le pays.

69 Bien que cela dépasse le cadre du présent rapport, il convient de signaler qu’il y a de nombreux bébés dans les prisons du Burundi. Les détenues sont autorisées à garder leurs enfants auprès d’elles jusqu’à ce que l’enfant ait environ cinq ans. Au 31 décembre 2006, on recensait 58 bébés dans les onze prisons du Burundi.

70 Statistiques fournies par le Directeur Général des Affaires Pénitentiaires, Bujumbura, Burundi, 30 janvier 2007.

71 C’est le cas de Cibitoke, Makamba, Cankuzo, Karuzi, Kirundo, Kayanza, et Mwaro. Bien que la Province de Bujumbura Rural ne dispose pas de prison séparée, la prison centrale de Bujumbura est très proche.

72 Entretien de Human Rights Watch avec Athanase N., prison de Muramvya, 17 août 2006.

73 La description donnée dans ce paragraphe se base sur les visites effectuées dans dix prisons du Burundi en mai, juin et août 2006.

74 Les prisons les plus grandes, à savoir la prison centrale de Mpimba à Bujumbura et la prison de Rumonge  dans la province de Bururi, ont plus qu’un seul préau et elles disposent de couloirs avec des chambres. Ces prisons sont construites pour héberger 800 prisonniers mais au 31 décembre 2006, elles en accueillaient respectivement 2 789 et 1 286.

75 Entretiens de Human Rights Watch, visites dans dix prisons du Burundi, en mai, juin et août 2006.

76 Visites de Human Rights Watch dans dix prisons du Burundi, en mai, juin et août 2006. Entretien de Human Rights Watch avec Pierre-Claver Mbonimpa, 23 février 2007.

77 Visites de Human Rights Watch dans dix prisons du Burundi, en mai, juin et août 2006.

78 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Claude K, Mpimba, 12 juin 2006.

79 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Bosco S., prison de Ruyigi, 25 mai 2006.

80 Entretiens de Human Rights Watch, prison centrale de Mpimba, 16 mai, 12 et 15 juin 2006; prison de Ngozi, 6 juin 2006; prison de Bubanza, 13 juin 2006; prison de Muyinga, 8-9 juin 2006; prison de Muramvya, 17 août 2006; prison de Rumonge, 23-24 août 2006.

81 Entretiens de Human Rights Watch, prison centrale de Mpimba, 16 mai, 12 et 15 juin 2006; prison de Muyinga, 8-9 juin 2006.

82 Entretien de Human Rights Watch avec Ferdinand S., prison de Muyinga, 8 juin 2006.

83 Entretien de Human Rights Watch avec Pascal N., prison de Muyinga, 8 juin 2006.

84 Entretien de Human Rights Watch avec Gabriel M., prison de Bubanza, 13 juin 2006.

85 Entretien de Human Rights Watch avec Benoît N., prison de Ngozi, 6 juin 2006.

86 Entretiens de Human Rights Watch avec Juvénal C., Bujumbura, 1er août 2006 et entretiens à la prison de Muyinga, à la prison centrale de Mpimba et à la prison de Ngozi.

87 Visites de Human Rights Watch dans dix prisons du Burundi en mai, juin et août 2006.

88 Entretien de Human Rights Watch avec Benoît N., prison de Ngozi, 6 juin 2006, et visites dans dix prisons du Burundi en mai, juin et août 2006.

89 Entretiens de Human Rights Watch avec le CICR, Bujumbura, 19 et 23 février 2006.

90 Entretien de Human Rights Watch avec un enfant en détention, prison centrale de Mpimba, Bujumbura,16 mai 2006.

91 Constitution du Burundi, art. 46, « Tout enfant a le droit d’être séparé des détenus de plus de 16 ans et de faire l’objet d’un traitement et de conditions de détention adaptés à son âge ».

92 Entretien de Human Rights Watch avec Daniel N., lieu omis, 25 mai 2006.

93 Entretien de Human Rights Watch avec Innocent N., prison de Bubanza, 13 juin 2006.

94 Entretien de Human Rights Watch avec Gaspard N., prison de Ruyigi, 25 mai 2006.

95 Entretien de Human Rights Watch avec Lambert N., prison de Bubanza, 13 juin 2006.

96 Entretien de Human Rights Watch avec le directeur de la prison de Ruyigi, 26 mai 2006.

97 Entretien de Human Rights Watch avec Raphaël N., lieu omis, 28 août 2006.

98 Entretien de Human Rights Watch avec Patrick H., prison de Muramvya, 17 août 2006.

99 Entretiens de Human Rights Watch, prison de Rutana,  28 août 2006.

100 Entretien de Human Rights Watch avec le directeur de la prison de Ruyigi, 26 mai 2006.

101 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Bosco S., prison de Ruyigi, 25 mai 2006.

102 En 2002, Amnesty International a fait état de la même situation. L’organisation écrivait, « Les détenus manifestent de la réticence à admettre qu'ils ont été victimes de sévices sexuels, mais d’anciens prisonniers ont été plus loquaces, confirmant l'existence d'agressions sexuelles, y compris le viol, et de prostitution ». Amnesty International, Burundi - Pauvres, isolés, maltraités : les mineurs face à la justice, p 19.

103 Entretien de Human Rights Watch avec Emmanuel H., prison de Bururi, 23 août 2006.

104 Entretien de Human Rights Watch avec Joseph B., prison de Gitega, 23 mai 2006.

105 Entretien de Human Rights Watch avec Abdoul N., prison de Gitega, 23 mai 2006.

106 Entretien de Human Rights Watch avec Adolphe M, prison de Gitega, 23 mai 2006.

107 Entretiens de Human Rights Watch avec Salvator Doyidoyi, 14 juin 2006 et Anaclet Gasamirwa, 30 janvier 2007.

108 Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les besoins nutritionnels augmentent de façon significative au cours de l’adolescence pour répondre aux besoins physiologiques de croissance et de développement rapides. Chez l’adolescent, la croissance a lieu à plus de quatre-vingts pour cent au début de l’adolescence, entre 10 et 15 ans. La croissance peut être ralentie ou retardée si le régime alimentaire est sérieusement restreint. Organisation Mondiale de la Santé, Adolescent Nutrition: A Review of the Situation in Selected South-East Asian Countries, Chapter 5: Nutritional Needs During Adolescence, mars 2006. p. 12-19. 

109 Un détenu adulte a été hospitalisé début 2007 après avoir mangé de l’herbe car il n’avait rien d’autre. Entretien de Human Rights Watch avec un représentant de la Section des droits de l’homme du BINUB, 8 février 2007.

110 Entretien de Human Rights Watch avec Adrien N., prison de Ruyigi, 26 mai 2006.

111 Certains enfants ont dit que cette quantité de farine correspondait à une boule de « fufu » plus ou moins grande comme leur poing.

112 Entretiens de Human Rights Watch avec Antoine B., prison centrale de Mpimba, Bujumbura, 15 juin 2006; et avec Jean de Dieu N., prison de Muramvya, 18 août 2006.

113 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Jacques N., prison centrale de Mpimba, Bujumbura, 15 juin 2006, et entretiens dans toutes les prisons.

114 Entretien de Human Rights Watch avec Juvénal C., Bujumbura, 1er août 2006.

115 Esdras Ndikumana, “Burundi schools await free education scramble,” Agence France Presse, 15 septembre 2005, http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/VBOL-6G9E52?OpenDocument (consulté le 6 février 2007).

116 “Burundi: Free schooling starts with huge logistical problems,” IRIN News, 19 septembre 2005, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=49129. (consulté le 6 février 2007).

117 « Le Gouvernement du Burundi face au défi des droits humains, Pas à pas: Bulletin d’information des institutions », No 007, 21 novembre 2006, http://www.info-burundi.net/modules.php?name=Downloads&d_op=getit&lid=118 (consulté le 6 février 2007).

118 Convention relative aux droits de l’enfant, art. 28; Charte africaine,  art. 11; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) at 49, U.N. Doc. A/6316 (1966), 993 U.N.T.S. 3, entré en vigueur le 3 janvier 1976, art. 13.

119 Voir Annexe.

120 Entretien de Human Rights Watch avec Donatien C., prison de Gitega, 23 mai 2006.