IV. ContexteLe contexte politiqueEn 2005, après plus de dix ans de guerre civile et une période de transition, le Conseil national pour la défense de la démocratieForces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) a remporté les élections parlementaires et locales. Pierre Nkurunziza du CNDD-FDD, autrefois le principal groupe rebelle combattant le gouvernement, a présenté sa candidature aux élections indirectes pour la présidence sans rencontrer la moindre opposition. Nkurunziza a accédé au pouvoir en promettant que son gouvernement respecterait les droits humains.2 Un petit groupe rebelle, les Forces Nationales pour la Libération (FNL), a poursuivi la lutte armée contre les forces gouvernementales jusquau 7 septembre 2006, date à laquelle le gouvernement et les FNL ont signé un accord de cessez-le-feu, mettant ainsi fin aux hostilités en cours au Burundi pour la première fois depuis 1993.3 La mise en uvre dudit accord a été reportée et, au moment de la rédaction du présent rapport, les combattants des FNL étaient dans lattente dune démobilisation. Avec des revenus annuels par habitant sélevant à 90$, le Burundi est lun des pays les plus pauvres de la planète, les années de guerre ayant accentué sa pauvreté chronique.4 En 2006, des inondations et de mauvaises conditions de croissance ont donné lieu à des pénuries alimentaires qui, selon les projections, devraient se poursuivre en 2007, mettant davantage à mal les ressources des communautés locales.5 Les enfants en conflit avec la loiAu Burundi, la détention préventive prolongée est une pratique courante que le gouvernement a reconnue comme étant un problème structurel du système judiciaire.6 Bien quune disposition relative à la liberté provisoire existe dans la loi, lors de ses recherches, Human Rights Watch na trouvé aucun cas où, dans la pratique, des enfants avaient bénéficié de cette disposition. En général, il semble dailleurs quelle soit rarement utilisée.7 Par voie de conséquence, un nombre considérable de prévenus sont mélangés aux condamnés, ce qui provoque une surpopulation carcérale. Selon les statistiques gouvernementales, fin 2006, sur les 401 enfants se trouvant en prison, 318 étaient en instance de procès mais navaient pas encore été condamnés.8 Daprès ces mêmes sources, le nombre denfants emprisonnés a augmenté de 180 pour cent sur une période dun peu plus de trois ans, passant de 143 en octobre 2003 à 401 en décembre 2006.9
Comparaison de la population carcérale mineure entre octobre 2003 et décembre 2006 pour chaque prison du Burundi10 Sur tous les enfants incarcérés à la prison centrale de Mpimba début février 2007, pratiquement 40 pour cent étaient accusés ou avaient été reconnus coupables de vol, un peu plus dun quart étaient accusés ou avaient été reconnus coupables de viol, et un peu moins dun quart étaient accusés ou avaient été reconnus coupables de participation aux bandes armées. Les 11 pour cent restants étaient accusés ou avaient été reconnus coupables dautres délits, notamment de meurtre, de tentative de meurtre, de possession de drogue et de coups et blessures.11 Aucune étude na établi pourquoi le nombre denfants en détention semble avoir augmenté et sil reflète une réelle hausse sous-jacente de la délinquance juvénile ou une politique répressive plus agressive menant à davantage darrestations. Lun des facteurs épinglés dans une étude relative au problème connexe des enfants de la rue était que la guerre avait eu un « impact dévastateur » sur les enfants, laissant beaucoup denfants « abandonnés, orphelins, mutilés et traumatisés ».12 De nombreux enfants en conflit avec la loi, notamment ceux vivant dans la rue, ont également souffert des conséquences négatives de la guerre et certains étaient en réalité des enfants de la rue avant leur incarcération. Selon les 136 enfants se trouvant à la Prison centrale de Mpimba à Bujumbura en janvier 2007, les motifs de leur incarcération étaient les suivants : Tableau 1 Motifs darrestation
Les orphelins et le travail des enfantsLes informations émanant de lUNICEF indiquent quenviron 15 pour cent des enfants du Burundi ont perdu un de leurs parents ou les deux, dans la majorité des cas pour cause de maladie ou en raison de la guerre.13 Dans le cadre des recherches réalisées par Human Rights Watch, les statistiques indiquent que la proportion dorphelins est plus élevée en prison que dans lensemble de la population, suggérant une possible corrélation entre la situation dorphelin et le risque pour un enfant de se trouver en conflit avec la loi et dêtre confronté à la prison, par opposition à un enfant dont les deux parents sont en vie. Parmi les 136 enfants interrogés à la prison centrale de Mpimba, 78 dentre eux, soit 57 pour cent, avaient perdu un de leurs parents ou les deux. Près de 20 pour cent avaient perdu leurs deux parents en raison de la guerre ou suite à une maladie.14 Beaucoup denfants emprisonnés ont raconté avoir assisté à la mort de leurs parents et avoir dû se battre pour survivre par la suite. Dautres ont expliqué que lorsquun parent sétait remarié, ils avaient été forcés de quitter la maison et de sinstaller dans la rue. Tableau 2 Situation parentale
Certains enfants avaient eux-mêmes été blessés lors des attaques qui avaient tué leurs parents. Plusieurs ont montré aux chercheurs de Human Rights Watch les cicatrices de blessures quils avaient reçues au cours de ces attaques. « Mon père a été tué lorsque javais dix ans », a expliqué Frédéric N., aujourdhui âgé de 16 ans. « Cétait en 2000 et on courrait pour arriver à la frontière congolaise. Mon père me tenait par la main lorsquil a marché sur une mine. Il est mort mais moi, jai juste été touché par les éclats ».15 Frédéric ne sest pas fait opérer pour ôter les morceaux de métal de ses bras. Nombre denfants forcés de se débrouiller seuls finissent par devenir travailleurs domestiques16 ou bien gardiens de bétail ou de chèvres pour le compte de personnes relativement aisées. Parmi les enfants interrogés à la prison centrale de Mpimba, 30 pour cent (41 sur 136) avaient été employés comme domestiques avant dêtre incarcérés, soit plus que ceux qui avaient été étudiants, avaient effectué dautres types de travail ou étaient sans emploi. Plusieurs ont dit avoir été accusés à tort par leurs employeurs qui ne désiraient pas payer leur salaire, opinion étayée par un militant burundais des droits humains, spécialiste du sujet : « Beaucoup denfants domestiques sont accusés à tort de viol et de vol lorsque leurs employeurs ne veulent pas les payer. Il y a de nombreuses irrégularités dans le cas des enfants domestiques ».17 La vulnérabilité des enfants travaillant comme domestiques a fait lobjet détudes bien documentées dans nombre de pays du monde.18 Ces enfants travaillent dans une relative invisibilité, pendant de longues heures, et ils ont peu accès à léducation. Les informations émanant des 136 enfants interrogés à la prison de Mpimba donnent à penser que les orphelins travaillent plus fréquemment comme domestiques que les autres enfants: 41 pour cent des orphelins travaillaient comme domestiques avant leur incarcération, contre 29 pour cent des enfants ayant leurs deux parents en vie et 26 pour cent des enfants ayant un seul parent. En outre, 46 pour cent des enfants accusés de viol travaillaient comme domestiques avant leur incarcération, pourcentage plus élevé que pour tout autre type doccupation. Les données semblent également indiquer que, par comparaison avec les autres groupes, les orphelins se retrouvaient plus fréquemment en prison suite à une accusation de viol. Motifs darrestation et situation parentale Plusieurs enfants ont expliqué quils avaient été obligés dabandonner lécole et de partir de chez eux pour trouver du travail après le décès de leurs parents. Vital N., âgé de seize ans, a raconté quil avait quitté la province de Muyinga lorsque sa mère et son père étaient décédés suite à une maladie. « Un jour, je suis rentré des champs et [ma mère] était là, morte par terre », a confié Vital. Il a vécu dans la rue jusquà ce quil trouve un emploi de domestique. Il a travaillé plusieurs mois sans percevoir son salaire, et lorsquil a demandé à être payé, il a été accusé de viol par son employeur.19 Gaspard, 15 ans, a dit quil avait abandonné lécole lorsque sa famille avait fui en Tanzanie en 2001 en raison de la guerre. Lorsquil est revenu, il a trouvé du travail comme gardien de bétail. « Je voulais menfuir », a raconté Gaspard. « Mon patron me battait tout le temps, au point que parfois, je pensais que jallais mourir et puis, il refusait de me payer mon salaire ». Un jour où son employeur était absent, Gaspard a dérobé 250 000 FBU (250$) et a essayé de senfuir. Il a été rapidement rattrapé et de nouveau battu. Il a restitué la totalité de la somme et a plaidé coupable. Aujourdhui, il purge une peine de deux ans de prison pour vol.20
Les délits liés à la guerrePendant la guerre civile, tous les camps ont recruté des enfants comme combattants et comme travailleurs pour diverses tâches. Des milliers denfants ont ainsi eu accès à des armes et ont reçu un entraînement pour apprendre à sen servir.21 Depuis larrivée au pouvoir du gouvernement actuel en septembre 2005, la police et larmée ont arrêté des centaines denfants sous linculpation de participation aux FNL. Près dun quart des enfants incarcérés à la prison centrale de Mpimba (31 sur 136) et une vingtaine dautres ailleurs dans le pays sont accusés davoir participé à une bande armée, chef daccusation habituellement invoqué à lencontre des personnes considérées comme ayant aidé les FNL.22 Outre les dizaines denfants en détention dans les prisons, 26 autres considérés comme ayant servi dans les rangs des FNL ont été placés par le gouvernement dans des camps de démobilisation, tout dabord à Randa dans la province de Bubanza, et ensuite dans la province de Gitega.23 Aux termes du cessez-le-feu de septembre 2006, une commission de vérification conjointe était chargée de superviser le cantonnement et la démobilisation.24 Le 19 février 2007, ladite commission a été mise en place et a entamé son travail de mise en uvre des conditions du cessez-le-feu.25 Le 8 février 2007, la presse a rapporté que le ministre de la solidarité nationale avait déclaré que tous les enfants accusés de participation aux FNL seraient relâchés, mais au moment où ont été rédigées ces lignes, leur libération navait pas encore eu lieu.26 Vers la fin de la guerre, certains enfants ont été attirés dans les rangs des FNL par la promesse quils obtiendraient facilement de largent dans le cadre du programme de démobilisation. Bonaventure N., actuellement détenu sous le chef dinculpation de participation aux bandes armées, a raconté :
Dans un autre cas, des membres des milices soutenues par le gouvernement, les « gardiens de la paix », dépités par le fait quils navaient pas reçu largent escompté lors de la démobilisation, ont expliqué que cest le ressentiment qui les avait poussés à commettre un délit. Louis H. et plusieurs autres sattendaient à recevoir un montant de 100$ promis aux « gardiens de la paix ». Lorsque la personne qui dressait la liste des bénéficiaires a omis de les y inclure, ils lui ont volé des vêtements. « Tout le monde était payé, sauf nous », sest plaint Louis à Human Rights Watch. « Alors, nous avons décidé de voler des vêtements chez lui. Mais nous avons été pris ».28 Il a été condamné à trois ans de prison pour vol. Des ex-combattants, y compris des enfants, encore en possession darmes à feu, ont commis des vols et autres délits, ce qui a engendré un sentiment général de suspicion à légard de toutes les personnes possédant une arme à feu, perçues comme de possibles criminels. Par exemple, un jeune prévenu de 14 ans a expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch quil avait été accusé à tort de vol à main armée, simplement parce quil avait cherché à remettre sa Kalashnikov à un poste militaire peu après que quatre ex-combattants eurent été arrêtés pour vol dans la région. Combattant rebelle depuis lâge de neuf ans, lenfant avait été recruté de force après que sa mère fut morte de maladie et que son père eut été tué lors dune attaque.29 2 Burundi: President lays out new policy, IRIN News, 29 août 2005, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=48797 (consulté le 9 octobre 2006). 3 Burundis rebels sign ceasefire. BBC World Service, 7 septembre 2006. http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/5323328.stm (consulté le 9 février 2007). 4 Le Burundi était classé 169e mondial sur 177 pays dans le Rapport des Nations Unies sur le développement humain 2005. Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Rapport sur le développement humain 2005 (New York: Programme des Nations Unies pour le développement, 2005), http://hdr.undp.org/reports/global/2005/francais/pdf/HDR05_fr_HDI.pdf (consulté le 28 septembre 2006); Fonds des Nations Unies pour lenfance (UNICEF), Statistiques sur le Burundi 2005, http://www.unicef.org/infobycountry/burundi_statistics.html (consulté le 1er février 2006). Selon lUNICEF, 79 pour cent de la population a accès à leau potable mais moins de 36% à des équipements dassainissement sûr. Fonds des Nations Unies pour lenfance (UNICEF), Action humanitaire au Burundi 2007, http://www.unicef.org/french/har07/files/Burundi.pdf ( 2007), p. 2. 5 Food crisis looms for two million Burundian flood victims, UN News, 6 février 2007. 6 Ministère de la Justice, « Politique Sectorielle 2006-2010 », juin 2006, p. 24. 7 Loi No 1/015 du 20 juillet 1999 portant réforme du code de procédure pénale, art. 76. Un avocat burundais a laissé entendre à Human Rights Watch que lune des raisons pour lesquelles le système de liberté provisoire nétait pas souvent utilisé était la corruption et le manque de formation du personnel judiciaire. Entretien de Human Rights Watch, 8 mars 2007. La corruption et lignorance de la loi ont également été citées par le gouvernement comme lun des principaux problèmes du système judiciaire. Ministère de la Justice, « Politique Sectorielle 2006-2010 », juin 2006, p. 26. 8 Statistiques fournies par le Directeur Général des Affaires Pénitentiaires, Bujumbura, Burundi, 30 janvier 2007. 9 Cette statistique dresse une comparaison entre les informations fournies dans le rapport gouvernemental de mars 2006, conformément à la Convention contre la torture, et les statistiques récentes fournies par le Directeur Général des Affaires Pénitentiaires à Bujumbura. 10 Pour les besoins de ce graphique, la prison pour hommes et la prison pour femmes de Ngozi ont été traitées comme un seul établissement pénitentiaire car les garçons étaient incarcérés dans la prison des femmes jusquen 2004, date à laquelle plusieurs dentre eux ont réussi à sévader. Aujourdhui, les garçons sont détenus dans la prison des hommes et les filles dans la prison des femmes. 11 Voir tableau 1, annexe. 12 Consortium for Street Children, A Civil Society Forum for Francophone Africa on Promoting and Protecting the Rights of Street Children, 2-5 juin 2004 www.streetchildren.org.uk/resources/details/?type=publication&publication=23 (consulté le 7 février 2007) p. 11. 13 Fonds des Nations Unies pour lenfance (UNICEF), Statistiques sur le Burundi 2005, http://www.unicef.org/infobycountry/burundi_statistics.html (consulté le 3 février 2007). Selon ces données, sur les 3 969 000 enfants du Burundi, 600 000 sont orphelins, soit 15 pour cent. 14 Voir Annexe. 15 Entretien de Human Rights Watch avec Frédéric N., prison de Bubanza, 13 juin 2006. 16 « Travailleur domestique » est utilisé ici pour se référer à une personne qui travaille hors de chez elle pour une famille et qui perçoit un salaire mensuel pour son travail. 17 Entretien de Human Rights Watch avec Pierre-Claver Mbonimpa, Association pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH), 8 février 2007. 18 Human Rights Watch, Child Domestics: The Worlds Invisible Workers, 10 juin 2004 http://hrw.org/english/docs/2004/06/10/africa8789.htm. 19 Entretien de Human Rights Watch avec Vital N., prison de Gitega, 24 mai 2006. 20 Entretien de Human Rights Watch avec Gaspard N., prison de Ruyigi, 25 mai 2006. 21 « Burundi : enlèvement denfants pour des actions militaires », Human Rights Watch, 14 novembre 2001, http://hrw.org/french/docs/2001/11/14/burund7083.htm. Coalition pour mettre fin à lutilisation denfants soldats, Child Soldier Use 2003: A Briefing for the 4th UN Security Council Open Debate on Children and Armed Conflict, janvier 2004, http://hrw.org/reports/2004/childsoldiers0104/4.htm#_Toc59872919 (consulté le 16 février 2007). 22 Human Rights Watch, Warning Signs: Continuing Abuses in Burundi, no. 3, 27 février 2006, http://hrw.org/reports/2006/burundi0206/. Human Rights Watch, Loin de chez eux : les enfants soldats au Burundi, 16 juin 2006, http://hrw.org/french/backgrounder/2006/burundi0606/. Visite de Human Rights Watch, prison centrale de Mpimba, 2 février 2007. 23 Human Rights Watch, Warning Signs: Continuing Abuses in Burundi, no. 3, 27 février 2006, http://hrw.org/reports/2006/burundi0206/. Human Rights Watch, Loin de chez eux : les enfants soldats au Burundi, 16 juin 2006, http://hrw.org/french/backgrounder/2006/burundi0606/. 24 « Burundi: FNL fighters assemble but continue to tax civilians », IRIN News, 20 septembre 2006. http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=55640&SelectRegion=Great_Lakes, (consulté le 5 février 2007). 25 « Gouvernement et FNL réunis pour faire appliquer laccord de cessez-le-feu », AribNews, 19 février 2007. www.arib.info/Flash-info_fevr07.htm, (consulté le 8 mars 2007). 26 « Le Burundi envisage d`abolir la peine de mort », AngolaPress, 8 février 2007. 27 Entretien de Human Rights Watch avec Bonaventure N., prison de Muramvya, 17 août 2006. 28 Entretien de Human Rights Watch avec Louis H., prison de Ruyigi, 25 mai 2006. 29 Entretien de Human Rights Watch avec Jean Bosco S., prison de Ruyigi, 25 mai 2006. |