<<précédente | index | suivant>> V. Conditions carcéralesLes recherches effectuées par Human Rights Watch à propos des conditions qui prévalent dans les prisons guinéennes où sont incarcérés des détenus en prévention et dautres ont révélé de graves inadéquations sur le plan de la surpopulation, de la nourriture, de la nutrition, ainsi quune carence au niveau de la formation dispensée à la plupart des gardiens de prison. Bien que la visite de Human Rights Watch se soit limitée à la plus grande prison de Guinée, la Maison Centrale de Conakry, les conditions et problèmes sont identiques dans tout le pays.41
SurpopulationLénorme surpopulation carcérale est reconnue comme étant le problème le plus fondamental et le plus chronique dont souffre la Maison Centrale.42 Cette dernière était à lorigine prévue pour accueillir de 240 à 300 prisonniers.43 La population actuelle avoisine les 1 000 personnes mais au cours des dernières années, elle a été jusquà héberger 1 500 personnes.44 En dautres termes, pour chaque espace existant à la Maison Centrale, il y a 3-3,5 personnes qui prétendent loccuper. Résultat: la plupart des prisonniers et détenus passent 24 heures sur 24 dans des cellules exiguës, faiblement éclairées, avec de la place pour dormir et presque rien dautre.45 Comme il a été expliqué précédemment, lincarcération des détenus en attente dun procès est un facteur qui contribue fortement à la surpopulation carcérale en Guinée.46
Des prisonniers de la Maison Centrale regardent au dehors, depuis leur cellule surpeuplée, faiblement éclairée. © 2005 Kim Osborn Manque de nourriture et malnutritionLEnsemble de règles minima de lONU pour le traitement des détenus stipule expressément que tout détenu « doit recevoir une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces ». Pratiquement tous les prisonniers et détenus interrogés par Human Rights Watch ont indiqué quils navaient pas suffisamment de nourriture. Les hommes adultes incarcérés à la Maison Centralereçoivent généralement deux poignées de riz nature une fois par jour, arrosé dune cuillère dhuile de palme ou dune sauce peu consistante.47 En 2004, environ sept personnes mouraient chaque mois de malnutrition ou de maladie à la Maison Centrale.48 Bien que Human Rights Watch ait appris par le directeur de la Maison Centrale que ce chiffre avait diminué depuis lors, il est difficile de déterminer le nombre actuel de décès dus à la malnutrition et à la maladie dans cette prison, en partie parce que le directeur de létablissement a pour politique de libérer les personnes qui sont sur le point de mourir, quelle quen soit la cause, afin de ne pas avoir de décès en détention.49 Il ne fait toutefois aucun doute que les décès dus à la malnutrition continuent: une organisation locale de défense des prisonniers a rapporté à Human Rights Watch quà Coyah, une petite ville située à environ une heure de route de Conakry, deux personnes étaient mortes peu après leur libération en mai 2006, suite à des complications dues à la malnutrition.50 Le directeur national de ladministration pénitentiaire a déclaré à Human Rights Watch quil estimait à 10 - 15 pour cent la proportion de prisonniers et de détenus souffrant de malnutrition à la Maison Centrale.51 Une organisation de défense des prisonniers interrogée par Human Rights Watch a toutefois laissé entendre que ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé.52 Le directeur national de ladministration pénitentiaire a expliqué à Human Rights Watch que pour atténuer le problème, il aimerait créer des tâches génératrices de revenus pour les prisonniers et détenus afin que la prison puisse obtenir suffisamment dargent pour offrir une nourriture adaptée.53 En raison de la nourriture insuffisante fournie par la prison, les prisonniers et détenus dépendent souvent de leur famille pour compléter leurs rations, même si les gardiens exigent que les familles leur versent 3 000 GNF (0.60$) pour leur livrer un repas. Certaines personnes dénoncent aussi le fait que les gardiens trient les repas pour manger la viande avant de livrer les plats.54 Lors de sa visite, Human Rights Watch a été témoin dune scène où une famille suppliait un gardien de livrer de la nourriture, lui affirmant quelle ne disposait pas du montant quil lui réclamait. Gardiens de prison volontairesLes prisons guinéennes, notamment la Maison Centrale, emploient un grand nombre de gardiens « volontaires », qui nont pas de formation et ne sont pas payés par lEtat pour les services quils fournissent. Par contre, ils sont nourris par le gouvernement en utilisant de largent du budget alloué à lalimentation des prisonniers et des détenus.55 Les gardiens sont généralement aussi « rétribués » en argent, vêtements et autres objets de valeur en échange de marchandises quils vendent aux prisonniers et détenus, notamment de la marijuana et des cigarettes.56 Ils se font aussi de largent en extorquant les détenus. Par exemple, bien que les garçons soient habituellement séparés des hommes adultes à la Maison Centrale, certains gardiens se servent du placement en cellule avec des adultes comme moyen dextorsionun garçon qui a reçu de largent de ses parents peut être placé avec des adultes jusquà ce que lenfant accepte de donner au gardien une partie de son argent.57 De telles pratiques violent lArticle 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lequel stipule que « les jeunes prévenus sont séparés des adultes ».58 Un fonctionnaire du Ministère de la Justice interrogé par Human Rights Watch a déploré labsence de salaire et de formation, y voyant là une explication au fait que certains gardiens de prison se livrent à ce quil a appelé « le côté pervers des choses ».59 Human Rights Watch a appris par des fonctionnaires du Ministère de la Justice que le gouvernement avait lespoir que les gardiens recevraient un salaire et une formation dans un proche avenir.60 Notre organisation na recueilli aucune preuve de violence physique infligée par les gardiens de prison.61
[41] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [42] Ibid., et entretiens de Human Rights Watch avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, 15 juin, et avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, 14 juin 2006. [43] Construite en 1930 par les colonisateurs français dans le centre de Conakry, la Maison Centrale est un ensemble de bâtiments décrépits entouré de murs de béton peu élevés, surmontés de barbelés. Depuis leur construction originale, peu de transformations ont été faites aux trois bâtiments qui abritent le gros de la population de la prison, des hommes adultes. Entretien de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, Conakry, 22 juin 2006. [44] Ibid., et entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [45] Les prisonniers adultes de sexe masculin ne sont presque jamais autorisés à sortir de leurs cellules exiguës, de crainte quils ne sévadent. Entretiens de Human Rights Watch avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, 15 juin, et avec une organisation locale de défense des prisonniers, 14 juin 2006. Le Régisseur de la Maison Centrale a donné pour exemple un incident survenu en mai 2005, lorsque des « centaines » de prisonniers se sont évadés. [46] Entretiens de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, avec le Procureur Général de la Cour dAppel, Yves William Aboly, avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, et avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, juin 2006. [47] Lors de sa visite, Human Rights Watch a eu loccasion dobserver à plusieurs reprises le moment des repas. [48] Entretiens de Human Rights Watch avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, 15 juin 2006. [49] Ibid., et entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [50] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [51] Entretien de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, Conakry, 22 juin 2006. [52] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [53] Entretien de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, Conakry, 22 juin 2006. [54] Entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers et des détenus, Conakry, 20 et 23 juin 2006. [55] Entretiens de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, 22 juin, et avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, 15 juin 2006. [56] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [57] Ibid., et entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers et des détenus, Conakry, juin 2006. Les gardiens punissent également les mineurs pour diverses infractions, notamment lorsquils se battent entre eux, en les plaçant dans des cellules avec des adultes. [58] Voir aussi la Convention relative aux droits de lenfant, Article 37(c). LEnsemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, Article 8(d), stipule également que « les jeunes détenus doivent être séparés des adultes ». Human Rights Watch a aidé à extraire cinq mineurs de la section des adultes lors dune visite initiale des installations. [59] Entretien de Human Rights Watch avec le Directeur National de lAdministration Pénitentiaire, Naby Youssouf Sylla, Conakry, 22 juin 2006. [60] Ibid., et entretien de Human Rights Watch avec le Régisseur de la Maison Centrale, Soriba Bangoura, Conakry, 15 juin 2006. [61] Entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers, des détenus et une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, juin 2006.
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