<<précédente | index | suivant>> III. Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur des suspects en garde à vueEn juin 2006, Human Rights Watch a interrogé 35 personnes à Conakry, la capitale de la Guinée, dont de nombreux enfants, qui ont fourni des récits détaillés et concordants à propos des mauvais traitements et tortures infligés par des policiers pendant leur garde à vue. Beaucoup de ces personnes ont confié à Human Rights Watch que lors des interrogatoires de police, elles avaient été attachées dans des positions pénibles, suspendues à un arbre ou à un crochet accroché au plafond, et ensuite violemment battues, brûlées et maltraitées par la police jusquà ce quelles acceptent davouer le crime dont elles étaient accusées. Les expériences des prisonniers et détenus actuels à Conakry ainsi que les informations émanant dassociations locales de défense des droits de lhomme semblent indiquer que lusage de la torture par la police est monnaie courante. La Constitution guinéenne garantit le droit de ne pas faire lobjet de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.8 Les conventions internationales ratifiées par la Guinée, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte Africaine des Droits de lHomme et des Peuples, la Convention de lONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que la Convention relative aux droits de lenfant, interdisent également lusage de la torture.9 La torture, telle quelle est définie par la Convention de lONU, est un acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne par un agent de la fonction publique ou à son instigation, aux fins notamment d'obtenir d'elle des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit.10 Les recherches réalisées par Human Rights Watch mettent clairement en évidence le caractère habituel de la torture infligée aux suspects en garde à vue. Pratiquement tous les cas dexactions décrits répondent aux éléments de définition repris ci-dessus et peuvent donc être assimilés à des cas de torture.11 Arrestation et interrogatoire de suspectsAprès leur arrestation, la plupart des suspects détenus par la police en Guinée sont placés en garde à vue et interrogés dans lun des nombreux postes que compte la police. En vertu de la loi guinéenne, une personne peut rester 48 heures maximum en garde à vue avant dêtre présentée aux autorités judiciaires pour être inculpée.12 Pourtant, sept personnes interrogées par Human Rights Watch ont déclaré avoir passé des semaines, voire des mois, en garde à vue avant de comparaître pour la première fois devant un juge. Les personnes interrogées ont signalé que cétait pendant cette période de garde à vue quelles avaient été victimes dexactions policières constitutives de torture. Types de torture ou traitements cruels, inhumains et dégradants subis en garde à vueLes types dexactions les plus fréquents commis par la police guinéenne et décrits à Human Rights Watch par les victimes étaient notamment dattacher le détenu avec des cordes en nylon dans des positions pénibles pour ensuite le passer à tabac. Selon les descriptions, les détenus avaient souvent les bras attachés derrière le dos juste au-dessus du coude et en dessous de lépaule avec une corde serrée très fort et ils étaient suspendus à un arbre dans une cour ou accroché au plafond par un crochet. De la pesanteur du corps découlait que la corde leur entaillait profondément la peau. Certaines victimes ainsi suspendues ont expliqué quelles avaient également les chevilles attachées et les jambes repliées derrière le dos. Une fois suspendus, le détenu était alors battu avec des matraques, des morceaux de bois ou autres objets et brûlés avec des cigarettes tout en étant interrogé.13 Les personnes qui ont subi cette technique dinterrogatoire sont aisément reconnaissables car elles présentent de larges cicatrices circulaires autour des bras, juste au-dessus du coude et sous lépaule, provoquées par les liens utilisés lorsquelles étaient suspendues. Lors de sa visite à la plus grande prison de Guinée, la Maison Centrale, Human Rights Watch a identifié au moins soixante-dix personnes présentant ce type de cicatrices et elle en a interrogé vingt, dont trois enfants. Un membre dune organisation locale de défense des prisonniers a raconté avoir vu un prisonnier dont les blessures infligées par la suspension étaient si profondes quelles laissaient entrevoir ses os.14 Plusieurs victimes interrogées par Human Rights Watch ont confié que leurs mains navaient pas encore retrouvé toutes leurs sensations, même des années après avoir été suspendues. Selon un défenseur local des droits de lhomme, ces techniques remontent à la période Sékou Touré.15
Des prisonniers incarcérés à la Maison Centrale de Conakry présentent des cicatrices provoquées, selon eux, par la méthode de torture utilisée lors des interrogatoires de police, consistant à les attacher au moyen de cordes et à les suspendre en lair. © 2006 Human Rights Watch Ce qui suit est le témoignage dun détenu de 16 ans qui est détention provisoire depuis quatre ans environ. Il a confié à Human Rights Watch que la police lui avait fait subir le traitement décrit plus haut à lâge de 12 ans, avant de le transférer en prison:
Une variante de la technique décrite ci-dessus consiste à forcer le détenu à se pencher en avant en position accroupie et ses mains sont attachées sous les chevilles. On fait ensuite basculer le détenu sur le visage ou sur le côté et il est battu avec une matraque, un morceau de bois ou une corde, comme lexplique le témoignage suivant (et la photo qui laccompagne) émanant dun détenu arrivé à la Maison Centrale en juin 2006:
Un prisonnier de la Maison
Centrale montre les blessures qui lui auraient été faites en le battant et
en le fouettant à diverses reprises sur les fesses lors des interrogatoires de
police en juin 2006. Plusieurs personnes interrogées par Human Rights Watch ont signalé dautres techniques de torture moins fréquentes quelles ont subies lors des interrogatoires de police. Elles ont notamment eu des dents arrachées, ont été brûlées avec des substances caustiques et ont été coupées avec des lames de rasoir.20 Les personnes viséesParmi les 35 victimes de torture interrogées par Human Rights Watch, toutes étaient des hommes et la plupart avaient entre 16 et 40 ans. Sept étaient des enfants21 au moment où elles ont été torturées; deux dentre elles étaient très jeunes, 12 et 14 ans à lépoque. Toutes les personnes interrogées étaient accusées ou avaient été condamnées pour des délits de droit commun tels que des larcins, des attaques à main armée et parfois des meurtres. Il semble que la plupart des personnes soumises aux séances de torture les plus brutales étaient celles accusées de délits impliquant lusage dune arme, notamment les vols à main armée. Pratiquement toutes les personnes interrogées par Human Rights Watch ont rapporté que les policiers les avaient torturées jusquà ce quelles soient disposées à « reconnaître les faits » dont elles étaient accusées et que dès quelles lavaient fait, la torture avait cessé.22 Les personnes interrogées ont signalé quune séance de torture durait normalement de une à douze heures. Beaucoup ont déclaré avoir été soumises à plusieurs séances de ce type avant davouer.23 Une fois que les aveux sont obtenus, la police dresse un procès-verbal qui est présenté au juge et qui mentionne les aveux.24 La réponse du gouvernementAprès plusieurs tentatives infructueuses de Human Rights Watch au moment de sa présence à Conakry pour rencontrer le ministre de la sécurité, sous lautorité duquel se trouve la police, lorganisation de défense des droits de lhomme a envoyé une lettre au ministre lui demandant de répondre aux allégations de tortures policières aujourdhui décrites dans le présent rapport. Bien que Human Rights Watch ait appris par un fonctionnaire du Ministère de la Sécurité que la lettre était parvenue au ministre et quelle était à létude,25 aucune réponse ne nous était parvenue à lheure où ce rapport a été mis sous presse. Les défenseurs des droits de lhomme interrogés par Human Rights Watch en avril et juin 2006 ont signalé quils navaient jamais entendu parler dune quelconque enquête ouverte par le gouvernement à propos des tortures policières ni de quelconques poursuites judiciaires engagées à lencontre de personnes mises en cause. Bien que la plupart des victimes interrogées par Human Rights Watch aient déclaré ne pas avoir cherché à aborder la question des tortures policières avec les autorités judiciaires, les cicatrices constatées par Human Rights Watch permettent de croire que bon nombre de victimes devaient présenter des blessures visibles à lil nu au moment de leur comparution devant les autorités judiciaires. Les rares victimes qui ont confié avoir soulevé auprès dun juge le problème des mauvais traitements infligés par la police ont affirmé que leur plainte avait été ignorée. [8] Constitution de la République de Guinée, 1990, Titre II, Article 6. [9] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 999 U.N.T.S. 171 (entré en vigueur le 23 mars 1976; ratifié par la Guinée en 1978); Charte Africaine des Droits de lHomme et des Peuples, adoptée le 27 juin 1981, OAU Doc. CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), (entré en vigueur le 21 octobre 1986; ratifié par la Guinée en 1982); Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. Res. 39/46, annex 39, UN Doc. A/39/51 (entrée en vigueur le 26 juin 1987; ratifiée par la Guinée en 1989); Convention relative aux droits de lenfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, G.A. Res. 44/25, UN Doc. A/RES/44/25 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990; adhésion de la Guinée en 1990). [10] Convention contre la torture, Article 1. [11] Convention contre la torture, Article 16. [12] Code de Procédure Pénale de la Guinée, 1998, Article 60. Une prolongation de 48 heures peut être autorisée par un procureur ou un juge dinstruction, pour un total de 96 heures. [13] Entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers et des détenus, Conakry, 20 et 23 juin 2006. [14] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation locale de défense des prisonniers, Conakry, 14 juin 2006. [15] Entretien de Human Rights Watch avec un défenseur local des droits de lhomme, Conakry, 30 juin 2006. [16] Entretien de Human Rights Watch avec un détenu, Conakry, 23 juin 2006. [17] Un quartier du centre de Conakry. [18] Human Rights Watch a eu loccasion de rencontrer deux des « innocents » dénoncés par cette personne ; ils étaient également détenus à la Maison Centrale. Entretiens de Human Rights Watch avec des détenus, Conakry, 23 juin 2006. [19] Entretien de Human Rights Watch avec un détenu, Conakry, 23 juin 2006. [20] Entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers et des détenus, Conakry, 20 et 23 juin 2006. [21] Aux termes de la Convention relative aux droits de lenfant, Article 1, « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». [22] Entretiens de Human Rights Watch avec des prisonniers et des détenus, Conakry, 20 et 23 juin 2006. [23] Ibid. [24] Entretiens de Human Rights Watch avec un avocat de la défense pénaliste, des prisonniers et des détenus, Conakry, 16, 20 et 23 juin 2006. [25] Correspondance électronique de Human Rights Watch avec un fonctionnaire du Ministère de la Sécurité, 29 juillet 2006.
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