Rapports de Human Rights Watch

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II. Historique

Le 19 septembre 2002, des rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) ont attaqué des cibles stratégiques à Abidjan, la capitale commerciale et de facto du pays, ainsi que les villes de Bouaké et de Korhogo dans le nord du pays.  Bien qu’il n’ait pas réussi à s’emparer d’Abidjan, le MPCI, avec l’aide de deux autres groupes rebelles —le Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP) et le Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO)— ont finalement réussi à occuper et contrôler la moitié du territoire ivoirien. Les trois groupes ont constitué ultérieurement une alliance politico-militaire sous le nom de Forces Nouvelles.5 

Les objectifs déclarés des dirigeants des rebelles étaient la fin de la discrimination ethnique contre les personnes originaires du nord et le retrait du Président Laurent Gbagbo, dont la présidence était considérée comme illégitime du fait d’élections truquées en 2000, desquelles quatorze des dix-neuf candidats au mandat présidentiel avaient été exclus. La rébellion était aussi considérée par certains comme la manifestation du sentiment largement répandu parmi les habitants du nord selon lequel depuis 1990 au moins ils avaient été régulièrement exclus du pouvoir politique du fait de leur identité et de leur appartenance ethnique.6

La Côte d’Ivoire étant réellement divisée en deux, les tentatives pour résoudre le conflit entre le gouvernement et les Forces Nouvelles ont reposé sur une succession d’accords de paix non respectés (les accords de Linas-Marcoussis, Accra III et Pretoria).7 Bien que ces accords aient entraîné et maintenu jusqu’ici une cessation de la guerre civile, ils n’ont apporté au pays ni la paix ni l’unité. L’échec des parties à mettre complètement en application le dernier des trois accords, celui de Pretoria, a conduit le gouvernement en septembre 2005 à annuler les élections programmées pour octobre 2005.

Pour éviter une crise constitutionnelle résultant de l’expiration du mandat du Président Gbagbo le 30 octobre 2005, l’Union Africaine (U.A.) a publié un communiqué le 6 octobre 2005, réaffirmant que les accords de Linas-Marcoussis, Accra III, et Pretoria étaient le “cadre de travail approprié” pour résoudre la crise en Côte d’Ivoire. L’ U.A. a réclamé une prolongation d’un an du mandat de Gbagbo à la tête de l’état ; la création d’un nouveau gouvernement de partage du pouvoir et la désignation d’un nouveau Premier ministre qui aurait la “pleine autorité” sur le cabinet ; et la continuation des efforts pour mettre en œuvre les dispositions prévues dans le cadre des accords précédents.8 Le plan établi dans le communiqué demandait aussi la création d’un Groupe de Travail International (GTI) —comprenant des responsables de pays africains ainsi que de l’U.A. et du groupe régional ouest africain ECOWAS, et également des Etats-Unis, de la France, du Royaume Uni et de la Banque mondiale— pour contrôler la mise en œuvre du plan par le biais de réunions mensuelles. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a avalisé le plan le 21 octobre 2005, dans la Résolution 1633, et a appelé à la tenue d’élections crédibles au plus tard le 31 octobre 2006.9

Le 4 décembre 2006, Charles Konan Banny, le gouverneur de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), a été nommé Premier ministre de la République de Côte d'Ivoire conformément à la Résolution 1633 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui appelait à choisir un Premier ministre “acceptable pour tous.”10 

Les premiers mois du Premier ministre Banny à son poste ont été tumultueux, caractérisés par une agitation civile et politique. Le 2 janvier 2006, les tensions politiques ont été exacerbées lorsque des assaillants non identifiés ont attaqué l’une des principales bases militaires ivoiriennes dans la région d’Abidjan, et à nouveau deux semaines plus tard quand les bases des Nations Unies et les locaux d’organisations humanitaires ont été attaqués après un communiqué controversé où le IWG semblait mettre en question la continuation du parlement. Les violations des droits humains commises dans le contexte de ces événements sont décrites ci après.

Depuis les événements de janvier et leurs suites, il y a eu des signes de détente politique, tels que des contacts et des dialogues accrus entre des responsables clés militaires et politiques ivoiriens. Après avoir d’abord refusé de venir à Abidjan pour des raisons de sécurité, le chef des Forces Nouvelles Guillaume Soro, qui a été désigné par le Premier ministre Banny comme ministre de la Reconstruction, participe maintenant à des réunions ministérielles à Abidjan. Le candidat de l’opposition Alassane Ouattara est revenu en Côte d’Ivoire après plus de trois ans d’exil pour commencer sa campagne pour les élections présidentielles. La Commission électorale indépendante, qui était paralysée depuis des mois à cause des désaccords sur sa composition, a finalement été constituée sur la base d’un compromis obtenu entre les principaux partis politiques.11 

Malgré ces développements encourageants, qui ont dépassé les progrès antérieurs vers une stabilité politique, les mesures concrètes exigées pour les élections, telles que le désarmement, l’établissement de documents d’identité appropriés pour les citoyens ivoiriens qui se sont vu jusqu’ici refuser des documents d’identité, et l’inscription des personnes pouvant voter, doivent encore être prises.12  Peu, pour ne pas dire aucun, des problèmes qui sont au cœur du conflit ivoirien —comme l’accession à la citoyenneté pour des millions d’immigrants résidents et la compétition pour la terre entre les communautés “indigènes” et immigrantes dans la région instable de l’ouest— ont été résolus.13




[5]  Voir Human Rights Watch, “Prise entre deux guerres.”

[6]  Ibid.

[7]  L’accord de Linas-Marcoussis a été négocié par le gouvernement français en janvier 2003, Accra III a été négocié par les pays ouest africains et le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan en juillet 2004, et l’accord de Pretoria a été négocié par le Président sud africain Thabo Mbeki au nom de l’Union Africaine et signé en Afrique du Sud le 6 avril 2005.

[8]  Voir Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, “Communiqué des 40th Réunion du Conseil de Paix et de Sécurité,” PSC/AHG/Comm (XL), 6 octobre 2006.

[9]  Résolution 1633 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 2005, S/RES/1633 (2005).

[10]  Ibid.

[11]  “Côte d’Ivoire: Reprise du dialogue entre les principaux leaders ivoiriens à la conférence de Yamoussoukro,” IRIN, 1 mars 2006.

[12]  On estime que trois millions d’Ivoiriens n’ont pas de documents de nationalité ou de cartes électorales, voir “Côte d’Ivoire: Le processus d’identification tarde à démarrer,” IRIN, 3 avril 2006, [online] http://www.irinnews.org/frenchreport.asp?ReportID=6838&SelectRegion=Afrique_de_l_ouest&SelectCountry=C%F4te_d_Ivoire.  Cette question est considérée par beaucoup comme la raison d’être de la rébellion, selon des responsables des Forces Nouvelles avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu à Abidjan et Bouaké en mars 2006.  La programmation du désarmement et de l’identification devant conduire aux élections a constitué une pierre d’achoppement constante dans les négociations de paix, voir “Côte d’Ivoire: Storms still brewing over disarmament,” IRIN, 28 avril 2006, [online] http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=53066&SelectRegion=West_Africa.

[13]  La Côte d’Ivoire était l’un des pays les plus stables et prospères de l’Afrique de l’Ouest durant les trente ans qui ont suivi  son indépendance de la France en 1960. A cause en partie de la politique d’immigration de portes ouvertes du président Felix Houphouët-Boigny, qui a dirigé la Côte d’Ivoire depuis1960 jusqu’à sa mort en 1993, la Côte d’Ivoire a été le principal pays d’accueil pour les immigrants venus de toute la région, la population de Burkinabés, Maliens, Guinéens et autres immigrés de l’Afrique de l’Ouest étant évaluée au quart de la population totale.  Au cours de l’ère Houphouët-Boigny, il n’y avait pas d’obstacles juridiques à l’utilisation de la terre par les immigrés : on cite souvent sa politique qui était que “la terre appartient à celui qui la met on valeur.” La présence d’immigrés possédant des terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire est devenue une source de fortes frictions intercommunautaires et a conduit à des demandes selon lesquelles les Ivoiriens indigènes devraient réclamer les terres aux populations immigrées.


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