Rapports de Human Rights Watch

VI. Les conséquences de la détention à l’Hôpital

La pression économique

Les notes d’hôpital élevées ont des conséquences économiques et sociales désastreuses sur leurs destinataires et leurs familles. Si les patients sont détenus, la pression exercée pour le règlement de la facture s’accroît et leur capacité à gagner de l’argent pour régler la facture décroît. Une étude de Save the Children a montré que les ménages défavorisés arrivaient à régler leurs frais de santé; plus de la moitié d’entre eux y sont ainsi arrivés en vendant leur patrimoine. 20% d’entre eux ont emprunté de l’argent à un ami ou à un parent. L’étude conclut que ce sont « des stratégies à risque, irréversibles » qui sont « potentiellement catastrophiques » pour les ménages qui sont déjà pauvres.106 Une étude plus étendue de Médecins Sans Frontières Belgique est arrivée aux mêmes conclusions, trouvant que plus de 80% des ménages sondés avaient payé leurs frais de santé en s’endettant, en vendant leurs biens (bétail, terre et récoltes) ou en prenant un deuxième emploi, par exemple un travail dans l’agriculture.107 

En recherchant leur propre libération ou celle de leurs proches, en vendant des biens tels que la terre ou le bétail bien qu’ils en aient un usage quotidien, les gens sont plongés de plus en plus profondément dans la pauvreté.108 La situation est particulièrement difficile pour ceux qui ont peu de relations sociales, tels que les orphelins, les veuves, les personnes déplacées ou rapatriées, et qui ont de ce fait peu de possibilités d’obtenir de l’aide. Gabriel N., l’homme qui a eu deux accidents de la route a raconté à notre équipe de chercheurs :

J’avais une épouse mais depuis mon accident, elle est partie chez ses parents.  Je suis enfant unique et orphelin. Mes parents sont morts quand j’étais très jeune. Ma femme a essayé de m’aider à payer mes frais de santé, mais quand il ne lui est plus rien resté, elle m’a quitté. Je suis juste un paysan et j’ai seulement un terrain. J’ai l’intention de régler ces factures et je pourrai partir d’ici. Je pourrai être en mesure de payer mes arriérés. Je pense que ma meilleure option est de vendre mon terrain parce qu’autrement, je ne pourrai jamais payer mes frais d’hôpital. Si je peux travailler, je peux gagner de l’argent, mais j’ai besoin d’être en bonne santé. C’est mon dilemme. Je ne sais pas si je dois vendre mon terrain et abandonner ma parcelle ou rester ici dans l’attente d’un bienfaiteur.109

Le père de Noah B., le garçon détenu à la suite d’une opération chirurgicale au pied affronte aussi de sérieuses difficultés matérielles:

Ma terre est tout ce que j’ai. Même si je la vends, cela ne couvrira pas le coût des frais médicaux. J’avais une vache, mais elle a été volée pendant la guerre. Si j’avais encore cette vache, peut-être que j’en aurais d’autres maintenant, et nous aurions plus d’argent. Mon neveu avait l’habitude de m’aider à travailler la terre et nous prêtait de l’argent, mais il a été tué il y a trois semaines par des bandits à Bukeye. Ma femme essaie de gérer la situation. Je vends quelquefois des bananes et occasionnellement de la farine de manioc pour gagner un peu d’argent.110

Souvent, les femmes et les enfants ne peuvent accéder légalement à la propriété ni prendre de décisions concernant la vente d’une terre ou d’un autre bien sans l’approbation d’un homme de la famille. Les chefs de famille mâles contrôlent les revenus familiaux, et les femmes et les enfants peuvent ne pas être informés de la situation financière de la famille, y compris s’il y a en fait les moyens de payer les notes d’hôpital. Cela permet d’expliquer le cas de Félix M., décrit plus haut, dont le père a volé l’argent qu’il avait reçu de l’ONUB, et qui était destiné à régler ses frais d’hôpital.

Les enfants détenus, tels Noah B. et Félix N. ne sont plus scolarisés. Pour certains, il est probable que leur séjour forcé à l’hôpital aura un effet négatif à long terme sur leur éducation et par conséquent sur leurs perspectives de gagner leur vie.

Un garçon détenu à l’Hôpital Roi Khaled.  Son père, paysan, qui ne peut pas payer la facture de la chirurgie, reste avec lui.  © 2006 Jehad Nga

La crainte de demander l’accès aux soins de santé

Au delà des conséquences économiques, la détention démolit la confiance des détenus, et des autres, dans le système de santé. Comme cette pratique est généralement connue, la crainte de la détention peut avoir pour résultat sur les individus de retarder la demande de soins, de l’éviter complètement ou de conduire à la place chez un guérisseur traditionnel. Joséphine C., dont le bébé était malade, a évité à l’origine de venir à l’hôpital parce qu’elle s’attendait à être détenue :

On me gardera ici longtemps car je ne serai pas capable de payer mes frais d’hôpital. Mais, finalement, je n’ai pas le choix. J’étais déjà ici à Bujumbura quand mon bébé est tombé vraiment malade et donc, je suis  venue finalement à l’hôpital ici.111

Olivia N., qui souffre de complications durables à la suite de son accouchement, a aussi retardé son déplacement vers l’hôpital aussi longtemps que possible:

J’ai eu des complications après avoir eu un bébé en juin 2004. J’ai subi une césarienne et c’est là que mes problèmes ont commencé. Le bébé est mort. Je suis allée à l’hôpital de Bururi mais ils n’ont pas pu m’aider. Ils m’ont dit que seul l’hôpital Roi Khaled serait en mesure de m’aider. J’ai eu beaucoup de problèmes de santé pendant un an, mais je n’avais pas l’argent pour améliorer les choses. Finalement, j’ai décidé de venir ici, même sans argent. J’ai deux autres enfants et c’était très difficile car j’étais malade en permanence. Depuis que je suis ici, j’ai subi deux opérations et je ne suis pas encore complètement guérie, mais ça va mieux … Maintenant, je préfèrerais rentrer à la maison pour finir ma convalescence, mais je ne peux pas m’en aller d’ici.112

Gabriel N., de Cibitoke, a passé cinq mois à l’hôpital à la suite d’un accident de voiture. Il a eu la chance de trouver un bienfaiteur qui a payé sa note d’hôpital et il est rentré à la maison, bien qu’il n’ait pas été complètement guéri. Il a dit : « la facture était trop élevée pour que je puisse jamais la payer moi-même.113  Trois mois plus tard, Gabriel N. s’est cassé la jambe et blessé gravement à la bouche dans un accident de motocyclette. Il est resté à la maison espérant se guérir mais a dû finalement se rendre à l’hôpital car ses blessures s’étaient infectées. Il a subi une opération chirurgicale pour réparer sa jambe cassée. « Après l’opération, j’ai dit au médecin de ne pas trop me soigner » a-t-il rapporté, « parce que je savais que je ne pourrais pas régler le coût du traitement. » A ce moment-là, sa facture se montait à environ 275$U.S. Les médecins ont proposé une opération chirurgicale pour réparer les dommages causés à sa bouche, où plusieurs dents de devant avaient été cassées dans sa lèvre et ses gencives, lui causant des difficultés pour parler et  manger. Gabriel N. a refusé, réticent à compliquer encore plus sa situation. Il est resté détenu cependant car il ne pouvait pas payer les 275$.114

Retarder le traitement peut mener à des complications supplémentaires et à la nécessité de soins plus importants — et plus coûteux. Cela augmente en fin de compte la probabilité de la détention une fois que les soins sont demandés. Chez d’autres, il n’y a tout simplement pas de demande de soins, et cela les mène potentiellement au handicap et même à la mort.




106 Save the Children, “The Cost of Coping with Illness,” p. 3. Cette étude est fondée sur des sondages effectués dans les foyers et structures de santé, des groupes de discussion spécialisés et grâce à des entretiens avec des sources d’information clés.  

107 MSF, “Access to Health Care in Burundi,” p .46.

108 Ibid.

109 Entretien de Human Rights Watch/APRODH Gabriel N., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006.

110 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le père de Noah B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006.

111 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Joséphine C., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006.

112 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Olivia N., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 

113 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Gabriel N., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006.

114 Ibid.