V. La détention dans les hôpitaux publics pour défaut de paiement
Le nombre de détenus à lhôpitalLes statistiques conservées par les hôpitaux burundais montrent quils se sont débattus avec ce problème de factures impayées pendant des années, et que la détention des patients nest une mesure ni nouvelle ni adaptée.37 Les hôpitaux à court de fonds ont commencé à mettre en détention les patients incapables de régler leurs factures dans les années 9038 quand le recouvrement des frais a été pratiqué dans certaines structures, et lont fait avec une fréquence croissante depuis lintroduction généralisée du recouvrement des frais en 2002. Durant 2005, des centaines de patients ont été détenus dans les hôpitaux burundais. Les données combinées de sept des trente-cinq hôpitaux publics du Burundi indiquent 1076 cas de patients qui ont été incapables de payer leurs factures en 2005 (voir tableau 1). Ce chiffre inclut à la fois ceux qui ont été détenus et ceux qui ont réussi à quitter les lieux sans régler leurs factures. Etant donné que cet échantillon ne représente quun cinquième des hôpitaux publics du Burundi, le nombre total de patients dans lincapacité de payer leurs factures était certainement nettement plus élevé. Au seul hôpital Prince Régent Charles, 621 patients ont été détenus en 2005. Parmi ceux-ci, 354 patients ont finalement vu leurs factures réglées par des bienfaiteurs et les 267 autres ont trouvé un moyen de quitter lhôpital sans payer. Les chiffres des factures impayées à lhôpital Roi Khaled montrent des nombres variables depuis 2001 (voir tableau 2), avec un déficit moyen annuel denviron 39 000$ U.S. Dans dautres hôpitaux, des données similaires ne sont pas disponibles, mais il y a des statistiques démontrant la perte de revenu en 2005 (voir tableau 3). A lhôpital Prince Régent Charles, le personnel a aussi établi laugmentation marquée du nombre de factures réglées par des bienfaiteurs : un total de 44 sur les trois années 2001-2003; 85 en 2004 à elle seule, et 352 en 2005.39 On peut supposer que dans la plupart des cas, des bienfaiteurs ont réglé les notes des patients qui ne pouvaient le faire eux-mêmes et avaient été mis en détention. Il est probable que laugmentation représente un véritable accroissement du nombre des détenus à lhôpital, bien que dautres facteurs tel que lintérêt croissant des media pour le problème puisse avoir exagéré cette tendance.40 Les statistiques de la clinique Prince Louis Rwagasore montrent une augmentation du nombre dindigents inscrits dans leurs registres: 11 en 2001, 18 en 2002, 16 en 2003, 16 en 2004, 39 en 2005 (tableau 4). Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Tableau 4
Problèmes médicaux menant à la détentionLes données de quatre hôpitaux montrent quen 2005, les patients en chirurgie ont représenté environ les deux-tiers de tous les patients indigents. Le tiers restant des patients indigents était surtout issu de deux sortes de services : médecine interne (16%) et pédiatrie (10%). Parmi les patients indigents dans leur ensemble, 35% étaient des femmes qui avaient accouché par césarienne.47
La chirurgieIl nest pas surprenant quun grand nombre de victimes de la détention ait subi des opérations chirurgicales, étant donné que la chirurgie est toujours plus coûteuse que les soins médicaux ordinaires. En plus des femmes ayant subi des césariennes (problème abordé ci-dessous), nous avons interviewé plusieurs hommes qui ont eu de graves accidents de la route, une femme atteinte dun cancer du sein et la mère dun bébé ayant besoin en urgence dune opération des intestins.
Les patients souffrant de maladies chroniques ou de longue durée, comme le VIH/SIDALes patients atteints de maladies chroniques ou de longue durée rencontrent aussi des coûts hospitaliers élevés quils ne peuvent pas financer, et cela aboutit à leur détention. Les gens atteints de maladies chroniques sont souvent incapables de travailler et dépendent donc des autres pour régler leurs factures dhôpital. A ce profil correspond Christian B., un jeune homme de 18 ans qui souffre dune grave maladie de peau. Il est orphelin et loncle qui sest occupé de lui ne peut pas payer sa facture dhôpital. Il a dit que les autorités locales refusaient de lui délivrer une carte dindigence, disant que la carte nétait plus utilisée.48 Christian B. nous a raconté :
Il y a au Burundi environ 220 000 personnes50 atteintes du VIH/SIDA, et 46 000 qui ont besoin dun traitement contre le SIDA. Nombre dentre elles doivent aussi affronter la détention à lhôpital.51 Le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria est actuellement en train de fournir environ 21 millions de dollars au gouvernement burundais pour le traitement et la prévention. Sous légide de ce programme, les médicaments antirétroviraux sont donnés gratuitement.52 La Banque mondiale mène au Burundi un programme multi-sectoriel sur le VIH/SIDA de 36 millions de dollars sur quatre ans.53 Même avec ce niveau daide internationale, environ 6 400 personnes seulement ont reçu gratuitement, en 2005, les médicaments salvateurs, alors quenviron 40 000 personnes de plus ont besoin de médicaments et ne peuvent pas en bénéficier, à cause de linaccessibilité des centres de traitement et pour dautres raisons.54 Une grande partie de ceux qui ne reçoivent pas de médicaments antirétroviraux cherchent de laide pour des maladies opportunistes tels que la tuberculose, la pneumonie, les mycoses ou autres, et ils doivent normalement payer pour être soignés.55 Selon le responsable médical du Ministère chargé de la lutte contre le SIDA, environ 70% des patients des services de médecine interne ont le VIH/SIDA.56 Les dossiers de quatre hôpitaux montrent quenviron 15% de tous les patients indigents, en 2005, étaient des patients de médecine interne (voir tableau 5). A cause de la réticence à parler du SIDA et de labsence de précisions à ce sujet dans les dossiers des hôpitaux, nous navons pas rassemblé de données sur la fréquence des détentions des malades du SIDA pour factures impayées. Nous avons parlé avec une malade qui sest présentée elle-même comme souffrant du SIDA. Elle était détenue depuis deux mois pour défaut de paiement dun traitement pour une fracture dun bras et dune jambe.57 Tableau 5
Les problèmes de santé maternelle après le 1er mai 2006Avant la directive présidentielle sur la protection maternelle et infantile du 1er mai 2006, une proportion significative des détenus étaient des femmes qui avaient souffert de complications à la naissance dun enfant, comme celles qui avaient subi une césarienne. Tandis que 35% des patients indigents dans lincapacité de régler leurs factures étaient des femmes qui venaient daccoucher, la situation variait considérablement selon lhôpital.59 A loccasion dune visite à la clinique Prince Louis Rwagasore pour établir ce rapport, en février 2006, tous les détenus étaient des femmes qui avaient accouché par césarienne, et selon les gardiens, cétait souvent le cas.60 Avec 1000 décès pour 100 000 naissances viables, le taux de mortalité maternelle au Burundi est alarmant. Environ 80% des accouchements ont lieu à la maison, sans lassistance de professionnels formés.61 Il ny a pas de système dalerte en fonctionnement qui garantisse laccès en temps utile à lhôpital en cas de complications. Les équipements dobstétrique durgence ne sont pas disponibles aussi largement quils le devraient. Létude a montré que le manque daccès aux soins dobstétrique durgence est une des causes principales de la mortalité maternelle dans le monde.62 Les problèmes de santé des nourrissons et des enfantsUn autre groupe important parmi les détenus environ 10% étaient des nourrissons et des enfants. Comme mentionné plus haut, les taux de mortalité des nourrissons et des enfants sont, au Burundi, parmi les plus hauts du monde. Cest dû pour une large part à la malaria, à la diarrhée, à la pneumonie et au VIH/SIDA. La malaria est responsable de 50% des décès à lhôpital des enfants de moins de cinq ans. Les maladies respiratoires aigües et les diarrhées sont aussi des causes fréquentes de décès des enfants en bas âge, essentiellement dues à un manque deau potable, à une situation sanitaire insuffisante, et des conditions de logement misérables. Environ 44% des enfants sont mal nourris ou handicapés, et 56% souffrent danémie. Approximativement 27 000 enfants de moins de quinze ans sont atteints du VIH/SIDA. Les taux dimmunisation contre les maladies infantiles les plus mortelles ont baissé ces dernières années.63 Les experts ont découvert quenviron deux-tiers des décès denfants auraient pu être évités si des thérapies ayant fait leurs preuves avaient été disponibles.64
Lintroduction de la gratuité des soins pour les femmes qui ont accouché et les enfants de moins de cinq ans constitue une étape importante vers une amélioration de la protection maternelle et infantile et une disparition de la détention pour les membres de ce groupe vulnérable.
« Comme tu nas pas payé, on va temprisonner ici » : Témoignages de patientsLe moment où le personnel de lhôpital communique leurs factures aux patients peut marquer le passage du traitement à la détention. Le personnel de lhôpital essentiellement des infirmières et des médecins impose la détention et tente de la justifier auprès des patients. Les responsables de lhôpital médecins comme administrateurs justifient aussi la détention auprès des chercheurs de Human Rights Watch.65 Le personnel de lhôpital peut mettre en détention les patients parce quil croit que cest nécessaire pour que lhôpital continue à fonctionner. Néammoins, en agissant de la sorte, il viole sa propre éthique66 et sa conduite mène à une rupture de la confiance dans la relation de soin. Il devient aussi lauteur dune violation des droits de lhomme. Christine K., une jeune femme de 18 ans qui a subi une césarienne, a raconté son expérience. Au moment de lentretien, elle était depuis trois semaines en détention, elle raconte :
Pierre B. est un homme dâge moyen qui a été heurté par une voiture alors quil rentrait chez lui après la messe, en novembre 2005, et qui était retenu depuis un mois à lhôpital Prince Régent Charles quand nous lui avons parlé. Il a expliqué :
Joséphine C., dont le bébé était malade, avait essayé de plaider pour sa libération auprès du directeur de lhôpital mais il navait fait que confirmer sa détention:
Certains patients comme Joséphine C., connaissaient le risque de détention. Dautres ont été pris au dépourvu par le coût élevé de leur traitement. Claudine N., une mère de deux enfants de dix-huit ans, ne sattendait pas à une facture élevée pour la naissance de son bébé. Au moment de lentretien, elle était détenue depuis six semaines:
La durée de détention des patients varie énormément, et dépend en partie de la capacité à trouver un bienfaiteur pour régler la facture, ou dun moyen de tromper la surveillance des gardiens et sévader. La plupart des patients interrogés étaient détenus depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois, quelques uns cependant létaient depuis environ un an. La surveillanceDans la plupart des hôpitaux, les patients détenus peuvent déambuler autour du bâtiment mais les agents de sécurité travaillant pour des compagnies privées ayant passé un contrat avec les hôpitaux, les empêchent de quitter les lieux.71 Daprès plusieurs patients, les agents de sécurité, sur le terrain, connaissent généralement les noms et les visages des détenus, souvent parce que le personnel de lhôpital les leur a désigné. Plusieurs détenus ont raconté que les gardes sattachaient à leurs pas, même à lintérieur de lhôpital.72 En conséquence, les patients ne pouvaient pas séloigner un moment, à moins den avoir obtenu la permission. Comme une victime la précisé : « Je suis détenue parce que je ne peux pas ramasser mes affaires et men aller. Sen aller signifie séchapper. »73
Un patient détenu à lHôpital Prince Régent Charles.© 2006 Jehad Nga Théodore N. était détenu depuis deux semaines à lhôpital Prince Régent Charles après avoir été soigné pour une blessure accidentelle. Il nous a raconté :
Les patients des autres hôpitaux ont des expériences similaires. Un patient qui a été détenu pendant trois mois à lhôpital de Gitega sest plaint que chaque fois quil voulait quitter son lit pour sasseoir au soleil, les gardiens ou dautres membres du personnel venaient lui demander où il allait.75 A lhôpital de Ngozi, le directeur administratif et financier a expliqué pourquoi la surveillance par une compagnie privée de sécurité était essentielle. Soit les patients restent jusquà ce quils trouvent quelquun qui règle pour eux, soit sils séchappent la compagnie paie une amende. A cause du grand nombre de gens qui senfuient, lhôpital a négocié un modus vivendi avec la compagnie de sécurité, ramenant lamende à une somme acceptable pour elle :
Félicité G., âgée de 17 ans, avait été détenue pendant deux semaines à lhôpital de Ngozi au moment où elle nous a parlé. Elle a décrit ce que la surveillance a signifié pour elle :
Dautres détenus à Ngozi et ailleurs ont confirmé quils ne pouvaient pas séchapper parce quils craignaient queux ou leurs enfants puissent tomber malades dans le futur et se voir refuser des soins.78 Ils ont préféré rester détenus plutôt que de risquer dêtre interdits dhospitalisation lors de leur prochaine maladie. Pourtant, certains patients ont trouvé des moyens de quitter lhôpital. A lhôpital Prince Régent Charles, ce fut le cas de 191 personnes entre janvier et août 2005. Beaucoup sont partis de nuit, et une personne sest dissimulée sous les vêtements dune musulmane.79 Selon un patient, deux personnes surprises à essayer de sen aller furtivement ont été tournées en dérision et insultées par les infirmières.80 La clinique Prince Louis Rwagasore: la détention dans un cachotLes détenus de la clinique Prince Louis Rwagasore sont maintenus dans une pièce séparée, avec un gardien devant la porte, et ils ne sont pas autorisés à sortir de la pièce. Quand les chercheurs visitaient la clinique le 14 février 2006, à peu près 20 personnes étaient dans la pièce. Environ une douzaine de mères avec des nouveaux-nés étaient confinées là, plus quelques membres de la famille qui les aidaient ou leur rendaient visite. Linstallation sanitaire des détenus et des visiteurs consistait en une toilette et une douche répugnantes. Agnès I., une femme de 23 ans qui a accouché par césarienne le 17 janvier 2006, na pas pu régler sa facture équivalant à 235$ et a été dirigée vers le local fermé où elle était depuis un mois quand nous lui avons parlé. Elle a raconté quon lui avait dit dy rester jusquà ce quelle ait trouvé largent ou un bienfaiteur. Elle a continué : « Jai essayé de rassembler de largent mais je ny suis pas arrivée. Je reste ici, je ne peux pas sortir. Je ne peux même pas sortir pour faire sécher les vêtements que jai lavés. »81 Selon les gardiens, la plupart des détenus sont des femmes qui ont souffert de complications lors de laccouchement. Une grande partie est maintenue en détention jusquà ce que leurs bébés puissent tenir leur tête, cest-à-dire à deux ou trois mois. Quand les patients partent sans payer, il arrive que les gardiens les suivent jusque chez eux.82
Le montant des facturesLes factures varient dans leur montant selon les prestations fournies aux patients. Même des montants qui semblent relativement faibles peuvent dépasser le revenu mensuel dun burundais défavorisé. Félicité G., une jeune mère de 17 ans, était détenue à lhôpital de Ngozi parce quelle ne pouvait pas payer léquivalent de 9$ pour le traitement de son bébé, qui était atteint de malaria.83 A lextrême inverse, David S. de la province de Rutana hospitalisé après un accident de bicyclette, a dû faire face à une facture équivalant à 1 750$, une somme énorme selon les critères ordinaires burundais. Il a raconté :
Quand les factures sont très élevées, cest plus difficile de trouver des bienfaiteurs. Il est donc probable que les patients qui ont subi des opérations coûteuses ou des traitements onéreux seront détenus plus longtemps. Les conditions de détentionAbsence de traitement médicalLes responsables des hôpitaux refusent parfois un traitement supplémentaire aux patients qui se sont montrés dans lincapacité de régler le coût de leurs soins médicaux. A la clinique Prince Louis Rwagasore, deux jeunes mères qui étaient détenues à la suite daccouchements par césarienne ont demandé à léquipe médicale de soigner leurs nouveaux-nés, qui avaient des problèmes respiratoires et vomissaient. Selon ces femmes, le personnel a refusé. Elles ont dit que les médecins et les infirmières nentraient jamais dans le local fermé de la clinique Prince Louis Rwagasore.85 Michelle N., dont le cas a été mentionné précédemment, a donné naissance à un enfant mort-né à lhôpital Prince Régent Charles et est restée inconsciente pendant deux jours après la naissance. Comme elle na pas pu régler la facture, elle a été transférée au service neuf où de nombreux détenus étaient en détention, et où elle est restée pendant environ dix semaines. Il ny avait aucune assistance de la part du personnel médical :
A lhôpital de Gitega, daprès ce quon raconte, les infirmières vont plus loin et refusent denlever les points de suture des cicatrices des césariennes. Si les points de suture ne sont pas enlevés, la cicatrice peut sinfecter. Emérite N., une paysanne pauvre de la province de Mwaro, a donné naissance à lhôpital de Gitega à un enfant qui est mort deux semaines après. En plus de faire face à son chagrin, elle a été accablée par une facture équivalant à 45$ quelle était incapable de payer. Elle a raconté : « On me disait quon ne pouvait enlever les points de suture tant que je navais pas réglé la facture. Ceux-ci me font mal maintenant. Je minquiète que cela sinfecte, et je me sens prise au piège ici ».87 Les hôpitaux refusent aussi quelquefois dadministrer des traitements aux patients qui ne peuvent en assumer les coûts, probablement parce quils veulent éviter des dépenses quils ne pourront pas récupérer. Dorothée H., une veuve qui est dernièrement revenue de Tanzanie où elle était réfugiée, a été recueillie par une famille de Bujumbura et a survécu en vendant des tomates. Elle a eu la malchance de tomber et de se briser la hanche et elle na pas demandé immédiatement des soins. Lorsque son état a empiré, elle a dit quelle était allée dans deux cliniques privées où elle avait été refoulée, dans le second cas parce quil lui manquait léquivalent dà peu près 100$ nécessaires à son admission. Elle fut admise dans un hôpital public où les médecins effectuèrent des analyses et conseillèrent une opération chirurgicale pour remettre sa hanche en place. Comme le coût de celle-ci atteignait 400$, et que cétait clairement au-dessus de ses moyens, lopération na pas eu lieu. Incapable de régler ses frais de soins, même sans lopération chirurgicale, elle reste à lhôpital où elle peut seulement esquisser quelques pas à la fois avec laide dune canne.88 Le manque de nourriturePresque tous les détenus se plaignent de la faim. Les hôpitaux du Burundi ne fournissent généralement pas les repas aux patients, qui dépendent des membres de leurs familles, dorganisations caritatives et de bienfaiteurs pour être approvisionnés en nourriture et en boissons. Human Rights Watch a observé que ceux qui étaient en détention étaient particulièrement touchés à cause de leur indigence et de la longueur de leur séjour à lhôpital, et que ceux qui navaient pas de famille à proximité désireuse de les secourir ou qui navaient pas trouvé daide ailleurs étaient tout simplement affamés. Agnès I., une jeune mère qui avait subi une césarienne, a raconté que sa famille lui apportait rarement de la nourriture et que les patients avaient dû acheter jusquà leau nécessaire au café et au thé.89 Une autre jeune mère qui a été détenue pendant deux mois dans un autre hôpital raconte : « Pour moi, cest difficile de trouver de la nourriture. Ma famille est fatiguée dapporter à manger ici. Je nai même pas eu de thé aujourdhui. Jattends laide de Dieu. »90 Dans certains hôpitaux, les surs ont apporté une fois par jour de la nourriture aux détenus, qui leur en ont été reconnaissants mais ont signalé que la nourriture était de piètre qualité et en quantité insuffisante, en particulier pour les patients se remettant dune maladie ou dune opération. La perte du litLes patients détenus devaient libérer leurs lits pour les patients qui avaient les moyens de payer. Gabriel N., mentionné ci-dessus, nous a raconté quaprès cinq semaines de détention à lhôpital Roi Khaled:
Plusieurs personnes détenues à lhôpital de Ngozi se sont plaintes de la même pratique.92 Christian B., le jeune homme souffrant dune grave maladie de peau, mentionné plus haut, qui était hospitalisé à Ngozi depuis environ six mois en 2005, a été détenu pour le défaut de paiement dune facture de plus de 240$. Il a rapporté avoir dû dormir sur le sol en ciment car les patients qui avaient les moyens de payer avaient besoin dun lit.93 A lhôpital de Ngozi en mars 2006, quatre autres détenus ont été aussi obligés de libérer leurs lits. Lun dentre eux était une veuve de 65 ans. Deux autres étaient Félicité G., âgée de 17 ans et Valentine Z., âgée de 20 ans, toutes les deux dormant avec leurs bébés, sur des matelas très minces posés à même le ciment.94 Les enfants détenus à lhôpitalLes enfants ne sont pas épargnés par la détention à lhôpital. Les mères y séjournent avec les bébés et les enfants en bas âge tandis que les enfants plus grands sont détenus seuls, avec peu ou pas dassistance de la part de lhôpital.95
Mohamed S.Mohamed S., âgé de 3 ans, sétait sérieusement brûlé sur tout le corps alors quil jouait avec dautres enfants qui avaient accidentellement renversé une casserole de haricots bouillants. A cette époque, il était en visite chez sa grand-mère, qui la emmené à lhôpital et est resté avec lui depuis. Ils sont arrivés à lhôpital le 16 novembre 2005, et étaient détenus depuis environ six semaines quand nous leur avons parlé. La grand-mère de Mohamed nous a raconté :
La situation a été particulièrement difficile pour la grand-mère parce que son fils, le père de lenfant, la tient responsable de laccident et refuse de donner de largent pour les frais dhôpital.
Noah B.Noah B., âgé de 13 ans, sest blessé en jouant au football avec ses amis. Il sest cassé quelques os de la cheville et a eu besoin dune opération chirurgicale. Il est issu dune famille de onze enfants et ses parents sont paysans. Sa mère et ses frères et surs sont restés dans leur maison de la province de Muramvya, tandis que le père de Noah laccompagnait à lhôpital Roi Khaled à Bujumbura et prenait soin de lui là-bas, pendant le traitement et la détention qui suivit. Au moment de lentretien, Noah B. avait été détenu depuis environ six semaines. Son père nous a dit :
Noah nous a raconté quil était dans sa première année décole quand la blessure sest produite, et quil veut retourner à lécole dès que possible.98
Félix M.Félix M., âgé de 13 ans, a été détenu à lhôpital Prince Régent Charles pendant plus dun an, après avoir déjà passé une année là, en traitement pour des blessures subies quand un véhicule appartenant à la mission de lUnion africaine au Burundi la heurté en juillet 2004. Son père a depensé ou utilisé largent remis par lOpération des Nations Unies au Burundi (ONUB), lagence qui a succédé à lUnion Africaine, pour le traitement du garçon. Sa mère, qui sest battue pour trouver au moins largent nécessaire pour payer les médicaments de Félix, a été dans lincapacité de trouver un moyen de régler le reste des frais dhôpital. Félix nous a dit :
La réalité du triste sort de Félix ressort de la recherche effectuée pour ce rapport.100 Bien que le père de Félix ait admis quil avait pris largent, il nen a rien laissé.101 En août 2006, Félix était encore détenu à lhôpital. Adèle A.Adèle A., âgée de 12 ans, venant de la province de Cibitoke, a eu la jambe cassée dans un accident dautomobile en janvier 2006, quand elle rentrait de lécole à la maison. Après lopération chirurgicale, elle avait été détenue pendant plus de quatre mois à l hôpital Prince Régent Charles, quand nous lavons interviewée. Elle a raconté :
Le refus de rendre les corpsQuand les patients meurent et que les factures nont pas été réglées, les hôpitaux refusent fréquemment de remettre les corps des morts à leurs familles. Comme un enterrement selon la tradition burundaise devient impossible, cest difficile pour les familles endeuillées dexprimer leur chagrin dans le respect de la tradition. Francine U. mourut de la malaria durant une grossesse en décembre 2005. Linfirmière qui soccupait delle à lhôpital Roi Khaled a témoigné :
Linfirmière a confirmé que les corps étaient souvent conservés à la morgue pendant de longues périodes, si les parents ne pouvaient pas régler les factures, mais elle a ajouté que sil y avait des corps à la morgue pendant très longtemps, finalement « la direction de lhôpital prendrait le problème en charge et les enterrerait ».104 Daprès une étude de lAPRODH, il y avait sept corps à la morgue de lhôpital Roi Khaled en août 2005. Les parents des décédés nont pas réglé les factures, qui totalisent plus de 1400$.105 37 Les hôpitaux consignent souvent les pertes financières quils rencontrent, mais dhabitude ne notent pas le nombre de patients détenus. La plupart des statistiques montrent combien de factures sont restées impayées, et fournissent une linformation sur les dossiers des patients, de même quà propos des bienfaiteurs. Certains hôpitaux montrent seulement le nombre de patients enfuis. Il ny a pas de standards à suivre pour les hôpitaux en la matière et les statistiques varient en détails et en format. 38 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur et dautres responsables, clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 39 Chiffres obtenus dans les archives de lhôpital. 40 Voir section X, ci-dessous, sur le dilemme du bienfaiteur. 41 Les données pour le mois davril manquent. Les ajouts faits à la main pour les statistiques de juin 2005 nont pas été pris en compte. 42 Les données pour le mois de décembre manquent. Les chiffres sont basés sur les listes de factures impayées par les patients qui se sont échappés. 43 http://finance.yahoo.com/currency (consulté le 24 août, 2006) 44 Daprès les archives gardées par les hôpitaux eux-mêmes. Il ny a pas de format standard pour les hôpitaux donc les statistiques varient en détails et en format. 45 Factures impayées par des patients enfuis, janvier-novembre 2005. 46 Lhôpital a gardé les statistiques des patients indigents qui ne pouvaient régler leurs factures. Certains les ont cependant réglées plus tard, grace à des bienfaiteurs. 47 Voir tableau 5. Le chiffre est basé sur les cas recensés dans trois sections séparées, gynécologie/obstétrique, chirurgie et salle dopérations. 48 Voir ci-dessous, section VIII.2, sur les systèmes dexemption. 49 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Christian B., Hôpital de Ngozi, Ngozi, 16 février 2006. La durée de la période de détention après quil ait reçu la facture était peu claire. 50 Treatment Map Burundi, IRIN, janvier 2006, http://www.plusnews.org/AIDS/treatment/Burundi.asp (consulté le 1er août 2006). 51 Chiffres fournis par Progress on Global Access to Anti-Retroviral Therapy, A Report on 3 by 5 and Beyond (OMS, 2006), p. 72, http://www.who.int/hiv/fullreport_en_highres.pdf (consulté le 27 juillet 2006). La carte du traitement dIRIN avance un nombre inférieur de personnes ayant besoin du traitement antirétroviral, environ 25000 personnes; cest cependant un peu dépassé et probablement fondé sur des données anciennes. 52 Le programme original se montait à environ 8 millions de dollars. En mai 2006 le Fonds mondial décida de donner 13 millions de dollars supplémentaires à la lutte contre le VIH/SIDA, http://www.theglobalfund.org/programs/search.aspx?lang=en (consulté le18 mai 2006). 53 Contrôle multisectoriel VIH/SIDA et projet orphelins - Burundi, http://web.worldbank.org/external/projects/main?pagePK=64283627&piPK=73230&theSitePK=343751&menuPK=343783&Projectid=P071371 (consulté le 26 juillet 2006). 54 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec des représentants des ONG au chevet de malades du VIH/SIDA, Bujumbura, 17 février 2006. 55 Il y a cependant un programme spécial pour le traitement de la tuberculose, donc certains patients peuvent ne pas avoir à payer pour ces traitements. Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec le directeur médical du Ministère chargé de la lutte contre le VIH/SIDA, Bujumbura, 19 mai 2006. 56 Ibid. Des statistiques plus anciennes font état de chiffres similaires. En 1995, on a estimé que 70% des patients de lhôpital Prince Régent étaient séropositifs. Voir: Confronting AIDS: Public Priorities in a Global Epidemic, A World Bank Policy Research Report (Oxford University Press, 1997), http://www.worldbank.org/aidsecon/arv/conf-aids-4/ch4-1p2.htm (consulté le 18 mai 2006), table 4.4. 57 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Spéciose N., Bujumbura, 23 février 2006. 58 Les statistiques de la clinique Prince Louis Rwagasore incluent certains cas dindigents qui nont pu payer initialement, mais qui ont finalement trouvé un moyen de régler leur facture. 59 Voir tableau 5. 60 Entretien Human Rights Watch/APRODH avec des gardiens, clinique Prince Louis Rwagasore , Bujumbura, 14 février 2006. 61 OMS, Burundi, Health Sector Needs Assessment. 62 L.P. Freedman, Using human rights in maternal mortality programs: from analysis to strategy, International Journal of Gynecology & Obstetrics, vol. 75 (2001), pp. 51-60; projet du Millénaire, équipe spécialisée sur la santé infantile et la santé maternelle, Whos got the power? Transforming health systems for women and children, http://www.unmillenniumproject.org/documents/maternalchild-complete.pdf (consulté le 31 juillet 2006), pp. 5-6. 63 UNICEF, Statistiques sur le Burundi; OMS, Heath Action in Crises Burundi, http://www.who.int/hac/crises/bdi/background/Burundi_Dec05.pdf (consulté le 28 juillet 2006); WHO, Burundi, Health Sector Needs Assessment. 64 Projet du Millénaire, équipe spécialisée sur la santé infantile et la santé maternelle, Whos got the power? pp. 5-6. 65 Voir la section ci-dessous sur la réponse du gouvernement. 66 Comme dans beaucoup dautres pays, les médecins au Burundi prêtent serment sur une base éthique. Cela sappelle le Serment de Genève et consiste en une modernisation du Serment dHippocrate. Entre autres, il énonce, « Je considererai la santé de mon patient comme mon premier souci ; Je ne permettrai pas que des considérations d'âge, de maladie ou d'infirmité, de croyance, d'origine ethnique, de sexe, de nationalité, d'affiliation politique, de race, d'inclinaison sexuelle, de statut social ou tout autre critère s'interposent entre mon devoir et mon patient; Je nutiliserai pas mes connaissances médicales pour enfreindre les droits de lhomme et les libertés civiques, même sous la menace. » Voir les versions anglaises et françaises sur http://www.wma.net/f/policy/c8.htm (consulté le 8 août 2006). 67 Entretien Human Rights Watch/APRODH avec Christine K., clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 68 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Pierre B., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006. 69 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Joséphine C., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006. 70 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Claudine N., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 71 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Michèle N., Bujumbura, 14 février 2006; Documents non-publiés dune organisation internationale sur la détention en hôpital, août 2005. A lhôpital Prince Régent, des patients détenus sont souvent déplacés au service neuf mais ne sont pas autorisés à bouger ailleurs dans le bâtiment. 72 Entretiens de Human Rights Watch/APRODH avec Théodore N., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006; Michèle N., Bujumbura, 14 février 2006; Félicité G. et Valentine Z., Hôpital de Ngozi, Ngozi, 15 février 2006. 73 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Amélie B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 74 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Théodore N., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006. 75 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec David S., hôpital de Gitega, Gitega, 16 février 2006. 76 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur administratif et financier, hôpital de Ngozi, Ngozi, 15 février 2006. 77 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Félicité G., hôpital de Ngozi, Ngozi, 15 février 2006. 78 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Célestine H., Amélie B., Claudine N., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. Human Rights Watch/APRODH avec Michèle N., Bujumbura, 14 février 2006. 79 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur administratif et financier, hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 10 février 2006. 80 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Michèle N., Bujumbura, 14 février 2006. 81 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Agnès I., clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 82 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec les gardiens, clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 83 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Félicité G., hôpital de Ngozi, Ngozi, 15 février 2006. 84 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec David S., hôpital de Gitega, Gitega, 16 février 2006. 85 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Agnès I. and Christine K., clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 86 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Michèle N., Bujumbura, 14 février 2006. 87 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Emérite N., hôpital de Gitega, Gitega, 16 février 2006. Une autre femme rapporte le même refus des infirmières denlever les points de suture de la cicatrice. Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Berthilde N., hôpital de Gitega, Gitega, 16 février 2006. 88 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Dorothée H., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006. 89 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Agnès I., clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006. 90 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Amélie B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 91 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le père de Noah B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 92 Entretien de lAPRODH avec le personnel de lhôpital de Bururi, Bururi, mars 2006. 93 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Christian B., hôpital de Ngozi, Ngozi, 16 février 2006. 94 Entretiens de lAPRODH avec Régine K. and Joëlle N., hôpital de Ngozi, Ngozi, 15 mars 2006. 95 Dans ce rapport « enfant » se réfère à quiconque âgé de moins de 18 ans. La Convention des Nations Unies sur les droits de lenfant, à laquelle le Burundi est partie, énonce : « Pour les fonctions de la présente Convention, le terme enfant se réfère à tout être humain âgé de moins de dix huit ans, à moins que, daprès une loi applicable à lenfant, la majorité soit atteinte plus tôt. » 96 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec la grand-mère de Mohamed S., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 97 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le père de Noah B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 98 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Noah B., hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. Il y a beaucoup de raisons au fait que les enfants au Burundi vont à lécole plus tard quà lâge normal pour lécole primaire, comme linsécurité pendant la guerre et les frais déducation gouvernementaux de lannée 2005. 99 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec Félix M., hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 13 février 2006. 100 Entretien de Human Rights Watch avec Charles Atebawone, responsable de lunité des plaintes/données de propriété, siège de lONUB, Bujumbura, 7 mars 2006. 101 Entretien de Human Rights Watch avec la mère de Félix M., Bujumbura, 11 mai 2006. 102 Entretien de Human Rights Watch avec Adèle A., Hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 23 juin 2006. 103 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec une infirmière, Hôpital Roi Khaled, Bujumbura, 11 février 2006. 104 Ibid. 105 Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues, « Projet : secours aux indigents emprisonnés dans les hôpitaux, » septembre 2005. |