Rapports de Human Rights Watch

XII. Normes en matière de droits de l’homme

La détention de patients dans l’impossibilité de payer leurs factures de soins médicaux à l’hôpital public pose un certain nombre de questions en matière de normes internationales concernant les droits de l’homme. Cela touche le droit de ne pas être détenu arbitrairement, ou encore détenu comme débiteur, ou enfin maltraité en détention, comme prévu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L’impact de la politique concernant les individus demandant des soins de santé implique la mise en oeuvre progressive de la part de l’Etat du droit de chacun de bénéficier des soins de santé les plus performants, comme énoncé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et dans d’autres instruments des droits de l’homme. Le Burundi est devenu partie à ces deux conventions en 1990.

La détention

L’emprisonnement des débiteurs — personnes qui sont dans l’impossibilité de régler leur note d’hôpital — est illégal d’après les lois internationales en matière de droits de l’homme. L’article 9 du PIDCP stipule que chacun a droit à la liberté et à la sécurité et que « personne ne devrait être sujet à l’arrestation ou à la détention arbitraire ».   La détention est considérée comme arbitraire si elle est illégale ou si manifestement disproportionnée, injuste, discriminatoire et inprévisible.222 

Plus spécifiquement, l’article 11 du PIDCP établit que: « Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’excécuter une obligation contractuelle». Cette provision interdit la privation de liberté personnelle pour avoir failli à payer une dette dûe soit à un créancier, soit à l’Etat. Les Etats ont l’obligation d’activer des lois et autres mesures afin d’empêcher l’Etat et les créanciers privés de restreindre la liberté personnelle de leurs débiteurs dans l’incapacité de remplir leurs contrats.223

Le PIDCP établit aussi le droit à un traitement humain en détention. L’article 10 mentionne que toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité intrinsèque de la personne humaine. Dans ses observations générales, le Comité des droits de l’homme, l’organe international composé d’experts qui surveille l’application du PIDCP, a clairement établit que cet article s’applique à :

Toute personne privée de sa liberté en vertu des lois et de l'autorité de l'Etat et qui est détenue dans une prison, un hôpital - un hôpital psychiatrique en particulier -, un camp de détention, un centre de redressement ou un autre lieu. Les Etats parties devraient veiller à ce que le principe énoncé dans cette disposition soit respecté dans toutes les institutions et tous les établissements placés sous leur juridiction et où des personnes sont retenues.224

Les patients qui sont retenus dans les hôpitaux d’Etat sont sous la protection de l’article 10.

La santé

La santé est un droit fondamental sanctuarisé dans de nombreux instruments du droit international comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le PIDESC, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, la Convention relative aux droits de l'enfant et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEFDF). Le PIDESC spécifie que chacun a le droit de « jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre ».225

Parce que les Etats ont différents niveaux de ressources, le droit international ne donne pas de mandat sur la nature des soins qui doivent être fournis, au-delà de certaines normes minimales. Le droit à la santé est considéré comme un droit de « réalisation progressive ». En devenant partie aux accords internationaux, un Etat s’engage à « agir au maximum de ses ressources disponisbles» afin d’atteindre la complète réalisation du droit à la santé. Les Etats sont obligés de créer les conditions qui vont assurer l’accès à tous les services médicaux et l’attention médicale en cas de maladie.226

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels fournit des exemples de ce qui constitue un échec d’un gouvernement à remplir ses obligations dans le respect du droit à la santé. Ces exemples incluent l’incapacité à adopter ou à mettre en oeuvre une politique nationale de santé dessinée pour assurer le droit à la santé à chacun; des dépenses insuffisantes ou une mauvaise allocation des ressources publiques qui résultent dans la non-jouissance du droit à la santé par des individus ou des groupes, particulièrement ceux qui sont vulnérables ou marginalisés, et l’échec à réduire le taux de mortalité infantile et maternelle.227 

Le droit international décrit les éléments essentiels du droit à la santé (disponibilité, accessibilité, acceptabilité et qualité), de même qu’un minimum d’« obligations essentielles » pour les gouvernements. Les éléments de base de ce droit et les obligations minimales essentielles sont décrites en détail dans les observations générales No. 14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Ces observations générales insistent sur les obligations minimales essentielles d’un gouvernement en terme de soins de santé, qui comportent, par exemple, « Le droit à l’accès aux équipements, aux biens et aux services de santé, sur une base non-discriminatoire, particulièrement pour les groupes vulnérables ou marginalisés » et que le gouvernement doit « assurer une distribution équitable des équipements, biens et services de santé ». 228 Concernant l’accès économique, le Comité établit :

Les installations, biens et services en matière de santé doivent être d’un coût abordable pour tous. Le coût des services de soins de santé ainsi que des services relatifs aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé doit être établi sur la base du principe de l’équité, pour faire en sorte que ces services, qu’ils soient fournis par des opérateurs publiques ou privés, soient abordables pour tous, y compris pour les groupes socialement dé favorisés. L’équité exige que les ménagesles plus pauvres ne soient pas frappés de façon disproportionnée par les dépenses de santé par rapport aux ménages plus aisés.229

Dans cette perpective, la décision récente de la part du gouvernement burundais de rendre gratuit les soins de santé constitue un pas important vers la mise en oeuvre du droit à la santé.

D’après le droit international concernant le droit à la santé, la priorité est donnée aux enfants et aux femmes. Le PIDESC stipule que les efforts doivent se concentrer sur la santé maternelle et infantile, et cela en prenant des mesures pour réduire le taux d’enfants morts-nés et la mortalité infantile et pour permettre un développement sain à l’enfant.230 Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels énonce qu’assurer

« des soins en matière de santé reproductive, maternelle (pré-natale et post-natale) et infantile » est une priorité comparable aux obligations essentielles. Réduire le taux de mortalité maternelle est défini comme un « objectif majeur » par les gouvernements.  

Bâtissant sur la base des provisions du PIDESC, la Convention relative aux droits de l'enfant a spécifié les droits particuliers des enfants concernant la santé, et énonce que les gouvernements doivent agir dans les domaines de la santé des enfants, dans les soins pré et post-natals, en particulier dans les soins premiers.231 Dans la même perspective, la CEFDF définit le droit des femmes comme pouvoir accéder à la santé sans être victimes de discriminations et recevoir « les soins appropriés en rapport avec la grossesse, le confinement et la période post-natale, permettant des soins gratuits si nécessaires, de même qu’une nutrition adéquate pendant la grossesse et la lactation ».232



222 Voir Manfred Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary (N.P. Engel, 1993), pp. 172-73.

223 Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights, pp. 193-96. Cette provision Ne s’applique pas aux offenses criminelles liées aux dettes comme la fraude et l’incapacité de payer la pension alimentaire.

224 Observations générales No. 21. Quarante quatrième session, 1992, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/87cb3e73d5328ddb80256523004b3734?Opendocument (consulté le 11 mai 2006).

225PIDESC, Article 12.1.

226 Article 12.2.

227 Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels, “Substantive Issues Arising in the Implementation of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights,” Observations générales No. 14 (2000). Le droit au meilleur état de santé possible (article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/40d009901358b0e2c1256915005090be?Opendocument (consulté le 11 mai 2006)

228 Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels, Observations générales No.14.

229 Ibid.  Le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d'être atteint, Paul Hunt, a développé quelques indicateurs pour mesurer les progrès concernant la mise en oeuvre du droit à la santé. Commissariat aux droits de l’homme, « Rapport du Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible », E/CN.4/2006/48, March 3, 2006; “The Right to Health: An Interview with Professor Paul Hunt”, Essex Human Rights Review, vol. 2, no. 1, http://projects.essex.ac.uk/ehrr/archive/pdf/File4-Hunt.pdf (consulté le 12 mai 2006).

230 Article 12.2. (a): « Les mesures que les Etats parties au présent Pacte prendront en vue d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre les mesures nécessaires pour assurer: (a) La diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l'enfant. » D’après le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, cela signifie une amélioration des « soins de santé maternelle et infantile, les services de santé en rapport avec la vie sexuelle et génésiques », généralement incluant l’accès au planning familial, aux soins pré et post-natals, à l’obstétrique d’urgence et à l’information, autant qu’aux ressources nécessaire pour agir sur la base de cette information. Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Observations générales No. 14.

231 Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), Article 24. Le Burundi a ratifié la CDE en 1990. La Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant contient des provisions similaires, bien que le Burundi ne l’aie pas ratifié.

232 Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEFDF), Article 12. La Burundi a ratifié la CEFDF en 1992. La recommandation générale No. 24 du Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes établit que  « Beaucoup de femmes sont en danger de mort ou d’invalidité du fait de causes liées à la grossesse car elles manquent de fonds pour obtenir ou accéder aux services nécessaires, qui incluent des services ante-natals, de maternité et post-natals. Le comité note qu’il est du devoir des Etats parties d’assurer aux femmes leur droit à une maternité saine, et l’accès aux services d’obstétrique d’urgence. Ils devraient allouer à ces services le maximum de ressources disponibles. »