Rapports de Human Rights Watch

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VII. Equité envers les victimes : les Sahraouis

L'IER a du faire face à des difficultés particulières pour mener à bien ses travaux au Sahara Occidental ; d’une part à cause des défis opérationnels, d’autres part à cause des tensions dans la région. Elle doit aussi compter avec un chauvinisme officiellement encouragé au Maroc sur tout débat portant sur cette région et des lois punissant les propos remettant en cause la marocanité du territoire.65

Comme indiqué précédemment, l’audition publique prévue à Lâayoune, au Sahara Occidental, est la seule des huit auditions planifiées à avoir été annulée. Bien qu’à la connaissance de Human Rights Watch aucune raison officielle n’ait été donnée à cette annulation, des membres de l’IER nous ont dit que c’était en raison du climat politique tendu qui a suivi les événements violents de mai. Une des conséquences de cette annulation est que les événements de cette région ont été sous-représentés dans les auditions publiques de l’IER. Selon les statistiques fournies par l’Instance sur son site, les événements en relation avec le conflit du Sahara Occidental représentent seulement 2% des événements décrits par les témoins au cours des sept auditions.

Jusqu’au cessez-le-feu de l’ONU en 1990, le Maroc a connu quinze ans de guerre peu intense avec le Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro, plus connu sous le nom de Polisario.  Le Polisario revendique l’indépendance du Sahara Occidental, une région que l’ONU a classé comme « territoire non autonome » et qui reste sous le contrôle effectif du Maroc. Le cessez-le-feu était supposé mener à l’organisation d’un référendum sous l’égide de l’ONU pour choisir entre la souveraineté marocaine ou l’Indépendance. Cependant, le Maroc a contesté la liste des électeurs éligibles au référendum, en retardant d’autant l’échéance, et a proposé comme alternative, une autonomie régionale.

Au cours du conflit armé, les forces de sécurité marocaine ont procédé à des centaines de disparitions forcées et arrêté des centaines d’autres personnes qui ont été condamnées à de longues peines de prison après des procès inéquitables. Bien que la répression ait diminué après 1990 et que le roi Hassan II, en 1991, ait libéré 270 de ces « disparus » sahraouis, la police de sécurité maintient un contrôle beaucoup plus étroit au Sahara Occidental que dans les autres régions du pays. La répression continue et les tensions politiques de la région ont compliqué la tache de l’IER.

Les autorités de l’Etat ont restreint les activités des défenseurs des droits humains dans la région. En juin 2003, un tribunal a ordonné la fermeture de la section locale du Forum Marocain pour la Vérité et la Justice, au motif qu’elle soutenait les « séparatistes » et exerçaient des « activités illégales ». Le FVJ est une association nationale, représentant les victimes des violations du passé, qui a été active dans le travail de suivi de l’IER. Un groupe local, l’association sahraouie des victimes des violations de droits humains perpétrées par l’Etat marocain au Sahara Occidental, a rencontré de nombreux obstacles administratifs pour déposer ses statuts légaux. L’AMDH a reçu l’autorisation d’ouvrir une section à Lâayoune en 2005, après deux ans d’attente.

Les habitants de la région peuvent hésiter à parler des abus qu’ils ont subis dans le passé, par crainte des représailles des autorités. Ils peuvent aussi hésiter en raison d’un sentiment de méfiance à l’égard des institutions marocaines ou en raison des pressions politiques exercées par les séparatistes sur la population pour mettre la cause « nationale » devant les cas individuels. Il y a aussi le fait qu’une large partie de la population sahraouie vit dans les camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie, depuis les années 70, rendant difficile pour l’IER de solliciter leur participation à son travail.

Personne ne conteste que les forces de sécurité marocaines  aient fait « disparaître » des sahraouis au cours des décennies 70 et 80 mais leur nombre demeure l’objet de controverse. Au cours des années, un certain nombre d’associations des droits humains et d’ONG sympathisantes de l’autodétermination des Sahraouis ont établi et distribué des listes faisant état de près de 1500 sahraouis, « disparus » aux mains des autorités marocaines dans les années 70 et 80.

Le président de l’IER Benzekri a affirmé que l’Instance avait soigneusement vérifié et recoupé toutes les listes de « disparus » Sahraouis, consulté les archives de l’armée et de la gendarmerie, envoyé des équipes de recherche dans le Sahara Occidental, entendu des proches des personnes disparues, travaillé avec le groupe de l’ONU sur la disparition forcée et avec le Comité International de la Croix Rouge et avoir obtenu, grâce aux bons auspices du CICR, des informations sur des Sahraouis anciennement détenus par le Maroc et vivant actuellement dans les camps de Tindouf. Benzekri maintient que ces recherches ont permis à l’IER de « clarifier de nombreux cas, même si beaucoup reste à expliquer ». Il a également précisé que le nombre global de personnes « disparues » et toujours manquantes avoisinait les 260, indiquant ainsi que le nombre de cas confirmés de Sahraouis disparus est bien inférieur aux estimations des ONG. Selon lui, certaines listes d’ONG contiennent des noms de personnes manquantes pour qui il n’existe pas de preuve qu’elles ont été détenues par les forces marocaines avant de « disparaître ». Elles pourraient inclure également des combattants du Polisario, tués par les forces marocaines, mais dont les corps n’ont jamais été retrouvés ou enterrés sans que leurs proches ne soient informés.

Comme pour les autres catégories d’exactions dont ont souffert les populations civiles au Sahara Occidental, l’IER va, selon son président, déterminer les situations dans lesquelles le droit international humanitaire s’applique. Ce régime légal donne aux armées une certaine latitude dans ses relations avec les populations civiles. Par exemple, dans l’hypothèse où l’armée a du déplacer des civils d’une zone de conflit, il est nécessaire que l’IER détermine si l’armée marocaine « a procédé à ces déplacements selon les règles ».

Finalement, l’IER doit montrer qu’elle a traité les cas individuels et l’histoire de la répression au Sahara Occidental comme elle l’a fait partout ailleurs.



[65] La récente condamnation du journaliste Ali Lmrabet après qu’il eut déclaré que les Sahraouis de Tindouf étaient « des réfugiés » plutôt que des « séquestrés » comme le veut la position officielle marocaine, démontre l’intolérance persistante des autorités. Voir section III du présent rapport.


<<précédente  |  index  |  suivant>>novembre 2005