Rapports de Human Rights Watch

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III. Historique : Le bilan des droits de l’Homme au Maroc

La reconnaissance par le Maroc des violations du passé

Les progrès du Maroc en matière de droits humains ont commencé au cours des dernières années de règne de Hassan II, qui a duré trente-huit ans. Ces progrès se poursuivent depuis que Mohammed VI a succédé à son père sur le trône, à la mort de ce dernier en juillet 1999.

Les progrès ont été enregistrés dans plusieurs domaines. Les élections sont devenues plus transparentes. Les Marocains bénéficient d’une plus grande liberté pour critiquer ceux qui les gouvernent, tant dans la presse que lors de rassemblements publics. A la fin des années 80, Hassan II avait commencé à libérer la plupart des prisonniers politiques dont les présumés responsables du coup d’Etat de 1972, détenus depuis des années et bien après avoir accompli leurs peines de prison, dans le célèbre bagne secret de Tazmamart. Ainsi, en 1991,  le roi libère 270 personnes que les services de sécurité avaient fait « disparaître » près de dix-neuf ans auparavant.1 En 1994, il amnistie plus de 400 prisonniers politiques2. De nombreuses personnalités de l’opposition rentrent au Maroc après plusieurs années d’exil ; l’un d’entre eux, Abderrahmane Youssoufi est nommé Premier ministre par le roi Hassan II et accomplit, de 1998 à 2002, une législature complète. En 2000, le roi Mohammed VI libère le leader du mouvement islamiste non reconnu Justice et Bienfaisance (al-`Adl wal-Ihsan), assigné à résidence depuis plus de dix ans.

En 1993, le Maroc ratifie la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), la convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’encontre des femmes (CEDAW) et la convention sur les droits de l’enfant (CRC). Il émet toutefois un certain nombre de réserves sur chacune.3

Au cours des dix dernières années, les autorités ont montré une plus grande tolérance à l’égard des activités des ONG de défense des droits humains locales et internationales. Elles ont également ouvert les prisons à des missions d’enquête de l’Observatoire Marocains des Prisons, une organisation indépendante qui publie chaque année un rapport critique sur les conditions d’incarcération.

En octobre 2003, des révisions du code de procédure pénale ont permis d'accroître les garanties à un procès équitable pour les accusés. Les amendements aux articles 396-415 de ce code prévoient une extension du droit de faire appel pour les condamnations entraînant des peines de prison. Jusqu’à cette date, ces condamnations criminelles ne pouvaient faire l’objet d’appel sur le fond ; les accusés pouvaient seulement chercher à faire annuler leur jugement par la Cour de Cassation, pour mauvaise application de la loi par les tribunaux subalternes.4

En février 2004, le Parlement a adopté une importante réforme du code de la famille, abolissant la plupart des dispositions qui déniaient l’égalité entre hommes et femmes en matière de mariage, de divorce et de garde d’enfants.

La presse marocaine jouit d’une plus grande liberté de ton, publiant des articles qu’elle n’aurait pu ou voulu publier avant. Les journaux ont brisé de nombreux tabous en enquêtant sur la corruption gouvernementale, les scandales financiers, les violations des droits humains et sur les maux de la société comme la pauvreté, la prostitution, la violence à l’encontre des femmes, le sida et la pédophilie. Certains journaux vont même jusqu’à critiquer la gestion gouvernementale du conflit au Sahara Occidental.

Mais les progrès ont été partiels et conditionnels. Les tribunaux continuent de statuer en fonction de motivations politiques plutôt qu’au regard des preuves présentées et les accusés, dans des affaires sensibles, ont peu de chance de bénéficier d’un procès équitable.

Pour les journalistes ou les dissidents, les “lignes rouges” qui délimitent ce qui peut être exprimé publiquement sont restées les mêmes. Ceux qui les franchissent risquent des poursuites judiciaires ou de la prison et leurs publications peuvent être suspendues ou interdites. Si les manifestations sont devenues monnaie courante à Rabat, la capitale, les participants à des rassemblements ou des sit-in d’opposition sont parfois dispersés à coups de matraque par la police pour participation à rassemblement « illégal ».

Le dossier des “disparus”

Un des indicateurs de progrès est l’ampleur avec laquelle les tabous qui entouraient les décennies de répression précédentes ont été levés. Depuis le milieu des années 90, les Marocains ont commencé à raconter, dans une avalanche de livres et d’articles, la façon dont les services de sécurité du roi Hassan II avaient écrasé les adversaires supposés du Palais, les gauchistes, les islamistes, les tenants de l’indépendance du Sahara Occidental et les présumés responsables des coups d’état. Ils ont décrit la manière dont la police secrète avait fait « disparaître » des centaines d’hommes et de femmes, y compris le leader de l’opposition en exil, Mehdi Ben Barka, kidnappé en pleine rue de Paris en 1965 et qui n’a plus jamais été revu depuis (voir ci-dessous).

Parmi les « disparus », les plus chanceux ont été libérés par le roi Hassan II après avoir passé des années dans des prisons secrètes, mais plusieurs centaines, selon les estimations, sont toujours portés manquants5. Des centaines d’autres opposants à Hassan II ont été arrêtés de façon arbitraire, torturés dans des commissariats de police comme le célèbre Derb Moulay Chérif à Casablanca, avant d’être condamnés à de longues peines de prison au cours de procès inéquitables.

Pendant des années, les officiels marocains, du roi jusqu’au bas de la pyramide, ont catégoriquement nié toutes violations graves des droits humains. En 1989, lors d’une interview télévisée, Hassan II déclarait « si 1% des violations des droits humains dénoncées par Amnesty International était vrai, je ne pourrai plus dormir ».6 Mais face aux pressions croissantes, tant nationales qu’internationales, le roi crée en 1990 le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (CCDH) à qui il demande de « mettre un terme à toutes les allégations…et de clore ce dossier [des droits humains] ».7

Parmi les missions du CCDH, celle d’enquêter sur les violations graves du passé. En octobre 1998, il annonce ses résultats, affirmant qu’un total de 112 Marocains ont été victimes de la « disparition », dont cinquante-six sont morts. Hassan II accepte les conclusions du CCDH et lui demande de concevoir un plan de règlement, étalé sur six mois, des cas restés en suspens. Le 9 octobre 1998, le roi déclare devant le Parlement :

Nous souhaitons – et nous y sommes résolus – clore définitivement le dossier des droits humains…Nous avons donné nos instructions pour que soient mises en place les procédures nécessaires à la fermeture de ce dossier et ce, afin que le Maroc ne traîne plus derrière lui une réputation qui ne reflète pas son vrai visage ni ne correspond à son passé ou son présent.8

Mohamed Aujjar, alors ministre des droits de l’Homme, déclare à propos de la liste des 112, « ceux qui sont morts seront déclarés décédés. Les certificats de décès et les indemnisations suivront. »9

En avril 1999, le CCDH publie son rapport final sur les 112 cas de “disparition ». Il propose au roi de créer une institution chargée d’indemniser les victimes et partant, de clore définitivement le dossier de la « disparition ».

Les associations de défense des droits humains dénoncent rapidement la manière avec laquelle le CCDH à gérer le dossier de la « disparition ». Elles dénoncent le chiffre de 112 « disparus », largement inférieur au vrai nombre de Marocains et de Sahraouis toujours manquants après avoir accompli leur peines de prison et affirment que le vrai chiffre est plus proche de 600. Elles critiquent également le CCDH pour n’avoir fourni aucun détail sur les 112 cas mentionnés – comment ces « disparitions » ont été exécutées, par qui et où ont été emmenées les personnes.

Loin de clore définitivement le dossier, le rapport du CCDH apparaît comme une première étape, imparfaite, d’une série de mesures adoptées par les autorités pour régler la question des violations des droits humains. Ces étapes ont été façonnées d’un côté, par les pressions exercées par les victimes et les associations de droits de l’homme, de l’autre par la détermination des autorités à protéger les institutions et les individus complices de ces exactions.

Dans un discours prononcé le 20 août 1999, un mois après son accession au trône, Mohammed VI reconnaît la responsabilité de l’Etat dans les « disparitions » passées, ce que son père n’avait jamais fait. Le roi annonce également la création, au sein du CCDH, d’une « Instance d’arbitrage indépendante pour l’indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la disparition et de la détention arbitraire et leurs ayants droits » (IAI). Il charge l’IAI de recevoir les demandes d’indemnisations des victimes (ou de leurs ayants droits) de la disparition forcée et de la détention arbitraire et de déterminer le montant des indemnisations que l’Etat devra leur verser.10

Selon un document présenté par l’IER :

A l’expiration du délai fixé le 31 décembre 1999, l’IAI a reçu 5 127 demandes de réparations. Elle a auditionné près de 8 000 personnes au cours de 196 auditions générales. A la date du 10 juillet 2003 à laquelle fut achevée sa mission, l’IAI a rendu 5 500 sentences. Dans 750 cas, l’IAI a ordonné des expertises ou alloué des indemnités provisionnelles. Elle a rendu 4 700 décisions finales dont près de 3 700 allouant des indemnités définitives. 890 demandes ont été rejetées, faute de relation avec la disparition forcée ou la détention arbitraire. Enfin, 130 sentences d’omission, du fait de la non comparution des demandeurs malgré les convocations qui leur avaient été adressées ou parce qu’ils n’avaient pas produit les documents nécessaires. Le montant global des indemnités allouées s’est élevé à près d’un milliard de dirhams, soit l’équivalent de 100 millions de dollars ».11

Abdelaziz Benzakour, membre de l’IAI (du CCDH et plus tard de l’IER) a présenté ces données lors du Forum National sur la réparation ajoutant, que « ces indemnités ont pratiquement toutes été réglées à leurs bénéficiaires, le gouvernement, au niveau de la Primature, ayant procédé à l’exécution des sentences arbitrales au fur et à mesure qu’elles lui étaient notifiées par l’IAI ».12

Néanmoins, l’IAI  a été vivement critiquée par les associations de droits de l’homme et boycottée par de nombreuses victimes et leurs ayants droits. Parmi les principaux griefs :

  • Le fait que la commission ait été chargée, de manière arbitraire, de réparer certaines formes d’abus en excluant les autres ;
  • Qu’elle n’ait le pouvoir de proposer que des réparations financières en excluant tout processus de vérité ou de justice ;
  • Qu’au lieu d’être composée de personnes désignées par les différentes parties concernées, elle ne soit composée que serviteurs du roi ;
  • Que ses méthodes de travail et d’arbitrage soient restées opaques ; et
  • Qu’elle ait exigé des demandeurs d’accepter par écrit, au début du processus, les conclusions de son rapport comme définitives.

L’enquête du CCDH, en 1998-1999 sur les « disparitions » et le travail de l’IAI, de 1999 à 2003 constituent deux étapes pour reconnaître et réparer les exactions commises dans le passé. Mais ces étapes demeurent insuffisantes alors que les espérances nationales et internationales se font plus fortes sur la manière dont l’Etat doit affronter la question des violations graves du passé. Ayant gagné l’acceptation officielle du principe de réparation, la société civile marocaine focalise dorénavant ses demandes sur la création d’une commission de vérité indépendante.

En novembre 2003, le CCDH, récemment restructuré de manière à accroître son pouvoir et son indépendance vis-à-vis du Palais, recommande officiellement au roi la création d’une Instance Equité et Réconciliation pour régler la question de la « disparition » et de la détention arbitraire. Le roi accepte et, dans un discours prononcé lors de son installation, le 7 janvier 2004, il qualifie l’Instance de « dernier jalon sur un parcours devant conduire à la clôture définitive d’un dossier épineux ».

Une nouvelle fois, la monarchie marocaine évoque les violations graves des droits humains comme s'il s'agissait d'un problème du passé qui serait définitivement enterré grâce à une initiative du Palais.

Alors que l’Instance est le fruit de l’amélioration des conditions des droits humains au Maroc, elle est apparue à un moment où ces conditions se sont détériorées, et dans une certaine mesure aggravées, en raison du terrorisme et de la réponse choisie par l’Etat pour y faire face. Cette détérioration a mis l’IER dans une situation difficile : focalisée sur le passé et sur les recommandations pour l’avenir, quelles sont ses obligations, si elle en a, envers les abus du présent ? La manière dont l’IER a abordé cette question est traitée dans la Section VIII de ce rapport.

Les conséquences des attentats de Casablanca

La fragilité des acquis au plan des droits humains au Maroc est apparue avec la réponse de l’Etat  aux premières attaques terroristes de masse. Dans la nuit du 16 mai 2003, des kamikazes ont frappé plusieurs endroits de Casablanca, tuant quarante-cinq personnes y compris douze d’entre eux.

Moins d’une semaine après, le Parlement a adopté à l’unanimité la loi anti-terroriste (loi n°03-03) en discussion depuis l’automne 2002 et qui avait suscité une levée de boucliers des associations de défense des droits humains. Cette loi porte de huit à douze jours le délai légal de garde à vue pour tous les cas considérés en relation avec le terrorisme. Elle introduit également une définition très large du « terrorisme ». Ainsi, une série d’actes sont considérés comme terroristes dès lors que « leur principal objectif est de troubler l’ordre public par l’intimidation, la force, la violence, la peur ou la terreur ». Ce qui inclut, outre les attaques physiques à l’encontre des personnes, « la participation à des groupes ou rassemblements organisés avec l'intention de commettre un acte terroriste » et « la promulgation et la diffusion de propagande ou de publicité de ces actes ». Dans les mois qui ont suivi les attentats de Casablanca, le gouvernement s’est appuyé sur cette définition très large pour condamner des centaines de membres présumés de cellules terroristes, ainsi que plusieurs journalistes accusés de faire l’apologie de la terreur. 

Plusieurs organisations de droits de l’Homme ont montré que les droits de plus de 2 000 présumés islamistes, détenus par les forces de sécurité et les tribunaux marocains dans les semaines qui ont suivi les attentats de Casablanca, avaient largement été bafoués.13 La plupart ont été maintenu au secret pendant des jours voire des semaines et ont été soumis, par des policiers, à différentes formes de mauvais traitements voire, dans certains cas, à des actes de torture afin de leur soutirer des aveux. Les tribunaux  leur ont refusé le droit à un procès équitable, refusant régulièrement d’entendre les témoins de la défense et d’ordonner des expertises médicales à ceux qui affirmaient avoir été torturés. La plupart ont été jugés de manière expéditive et condamnés avant octobre 2003, date à laquelle les réformes leur conférant le droit de faire appel de leur condamnation sur la base des faits a pris effet (voir ci-dessus).14

Le 11 juillet 2003, un tribunal a condamné Mustapha Alaoui, directeur de publication de l’hebdomadaire arabophone al-Ousbou`, à un an de prison avec sursis et à la suspension de sa publication pour trois mois, pour « apologie d’actes terroristes par voie de publication ». Le Parquet a estimé que la publication en Une, du texte d’une organisation inconnue se faisant appeler « as-Saiqa » revendiquant sa responsabilité dans trois des cinq attentats de Casablanca était une « violation caractérisée » de la loi anti-terroriste 03-03. Alaoui est libéré après quarante-cinq jours de prison. Le 4 août 2003, Mohamed el-Hourd et Abdelmajid Bentaher, respectivement directeur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire ash-Sharq,  et Mustapha Kechnini, directeur de l’hebdomadaire al-Hayat al-Maghribiyya, sont condamnés à des peines de un à trois ans de prison pour « incitation à la violence » pour avoir publié le texte d’un islamiste, Zakaria Boughrara qui faisait l’éloge des actions du mouvement jihadiste au Maroc. Ils seront finalement graciés par le roi et libérés en janvier 2004.

Autres motifs d’inquiétudes en matière de droits humains

La traque des présumés militants islamistes, après les attentats à la bombe de Casablanca, constitue une détérioration alarmante des conditions des droits des personnes. Cependant, ce n’est pas le seul domaine où continuent de s’exercer les violations au Maroc et où les autorités instrumentalisent les tribunaux à des fins politiques.

Liberté de rassemblement, d’association et d’expression sont tolérées jusqu’à un certain point. Les manifestations pacifiques et les sit-in de protestation sont monnaie courante à Rabat mais peuvent être parfois interdits par le ministère de l’Intérieur et violemment dispersés par la police. Ainsi, le 28 janvier 2004, la police a dispersé une manifestation de protestation contre la signature de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Les sit-in organisés par l’association nationale des diplômés chômeurs – que le gouvernement n’a toujours pas reconnue officiellement – sont régulièrement dispersés par la police. En avril 2005, suite à une marche de protestation des habitants de Tamassint dans le Rif (nord du Maroc), qui réclamaient l’aide promise après le tremblement de terre d’al Hoceima (février 2004), trois de ces organisateurs ont été emprisonnés et accusés “d’outrages envers des fonctionnaires et des élus” et de “comportement subversif incitant la population à la révolte”. En mai 2005, la police a brutalement dispersé une seconde marche dans la région.

Le code de la presse, révisé en 2002, condamne les attaques envers “la religion islamique, le régime monarchique et l’intégrité territoriale” (articles 29 et 41) ; il faut comprendre par “intégrité territoriale” la revendication du Maroc sur le Sahara Occidental.  Les publications étrangères convaincues d’avoir commis cette offense peuvent être interdites par le gouvernement, les journalistes marocains risquent quant à eux des amendes et à des peines de prison et leurs publications, la suspension.

Nadia Yassine, du mouvement  Justice et Bienfaisance – un mouvement islamiste non reconnu par le gouvernement – a été traduite en justice le 28 juin 2005, pour “atteinte au régime monarchique” après avoir déclaré que ce régime ne convenait plus au Maroc et qu’il était sur le point de tomber. Le journaliste Ali Lmrabet a passé sept mois en prison en 2003 pour “outrage à la personne du roi”, “atteinte au régime monarchique” et “atteinte à l’intégrité territoriale du royaume”. En cause : une série d’articles, d’interview et de dessins publiés dans ses deux publications. Dans une autre affaire, en avril 2005 – seize mois après que le roi l’a gracié – Lmrabet est condamné pour diffamation et interdit d’exercer sa profession de journaliste pendant dix ans. Il avait déclaré que les Sahraouis vivant dans les camps de Tindouf en Algérie étaient des “réfugiés” et non des “séquestrés” du Polisario comme l’affirme la position officielle marocaine, une affirmation que le tribunal a considéré comme diffamatoire à l’encontre d’une obscure association marocaine. Cette décision illustre sans équivoque le manque patent d’indépendance des tribunaux lorsqu’ils ont à juger des affaires politiques.

Dans le territoire disputé du Sahara Occidental, la présence des forces de sécurité est plus forte, les libertés sont plus restreintes et la tolérance à l’égard des dissidents moins grande que partout ailleurs. En 2003, les autorités ont fermé la section locale du Forum Marocain pour la Vérité et la Justice une organisation indépendante. L’AMDH a obtenu la reconnaissance officielle de sa section locale de Lâayoune (Sahara Occidental) en 2005, après deux ans d’obstacles bureaucratiques.

En mai 2005, des manifestations à Lâayoune ont dégénéré en affrontements avec les forces de police dans plusieurs villes. Les ONG de défense des droits humains, nationales et internationales, ont accusé la police de tortures et de mauvais traitements à l’égard de ceux qui avaient été arrêtés dans le cadre de ces manifestations.15 Vingt-et-un manifestants ont été condamnés, en appel, à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison, pour formation de gang criminels, usage d’armes, saccages de lieux publics et violences envers des agents de l’Etat. En juin et juillet, la police a arrêté six militants sahraouis des droits humains, les accusant d’être à l’origine des manifestations organisées en mai à Laâyoune et d’avoir participé à un soulèvement armé. Selon Amnesty International, deux d’entre eux ont été torturés au cours de leurs interrogatoires.16 Au cours d’un autre incident en 2003, dans la ville côtière de Safi (au sud de Casablanca), des policiers ont torturé dans l’exercice de leurs fonctions, un autre militant des droits humains, Mohamed Rachid Chrii de l’AMDH.17

Etapes positives

En réponse aux critiques émises en matière de respects des droits humains, les autorités ont adopté un certain nombre de mesures. Le 28 décembre 2004, le conseil de gouvernement, présidé par le Premier ministre, approuve un projet de loi criminalisant la torture. Le Parlement a approuvé ce texte le 21 octobre 2005. Cette loi, qui attend sa publication au bulletin officiel, facilitera les poursuites pour les actes de torture et soumettra les responsables à de longues peines de prison et à de lourdes amendes.

D’autres mesures vont dans le même sens, le 22 février 2005, le Premier ministre Driss Jettou annonce l’intention du Maroc de lever des réserves sur la Convention contre la torture (CAT). Il annonce également la volonté de son pays d’adhérer au protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), de lever les réserves sur l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD). Enfin, Driss Jettou annonce son intention de lever les réserves du Maroc sur l’article 14 de la Convention des droits de l’enfant (CRC) et sa substitution par une déclaration explicative ainsi que la poursuite, par le Maroc, de l’examen de la levée des réserves sur la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).18

Certaines de ces mesures sont effectives au moment où ce rapport est publié. Le Maroc a ainsi reconnu la compétence du comité de l’ONU contre la torture selon l’article 22 de la CAT, mais pas selon l’article 20. Le premier autorise le comité à enquêter sur des plaintes pour tortures soumises par des individus ; le dernier autorise le comité à lancer des enquêtes après avoir reçu des informations faisant état de tortures systématiques. Le Maroc a levé ses réserves sur l’article 14 de la CERD mais pas celles sur la CRC. De même, il n’a toujours pas adhéré au protocole facultatif de l’ICCPR.

Au regard d’autres pays où les agents de l’Etat ont procédé à des « disparitions », le Maroc a joué un rôle constructif aux Nations Unies pour faire adopter la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’ONU le 23 septembre 2005.19 Cette convention, non rétroactive, s’applique aux futurs cas de disparitions, et sera prête à être ratifiée par les pays dès son adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Elle exige que les états criminalisent la disparition forcée dans leur législation (article 7) et poursuivent les responsables présumés comme les supérieurs qui ont ordonné ou qui savaient qu’une « disparition » allait être commise (article 6). Elle énumère un certain nombre de garanties pour ceux qui sont maintenus en détention (article 17) et établit « le droit de savoir » pour les proches des personnes placées en détention (article 24.2).



[1] Amnesty International, “les disparus au Maroc”, (Londres, Amnesty International, Avril 1993) MDE 29/001/1993 [online] http://web.amnesty.org/library/Index/FRAMDE290011993?open&of=FRA-394

[2] Jacques de Barrin, « L'amnistie royale pourrait décrisper la vie politique, » Le Monde, 23 juillet 1994.

[3] Pour plus de détails sur les réserves émises par le Maroc, voir http://www.ohchr.org/english/countries/

[4] La procédure de cassation vise à s’assurer de la bonne application de la loi aux actes incriminés par les juges précédents. En d'autres termes, la cassation passe en revue l'application de la loi et de la procédure mais ne revient pas sur les faits

[5] La FIDH, en se fondant sur des informations provenant d’organisations non gouvernementales (ONG), avait conclu dans son rapport 2000, que leur nombre était au moins de 600, « “Les disparitions forcées au Maroc: répondre aux exigences de vérité et de justice, » novembre 2000, rapport hors série de la lettre mensuelle de la FIDH, no. 298, p. 9, [online] www.fidh.org/IMG/pdf/dispmar.pdf.   p. 9.

[6] Cité dans Jacques de Barrin, « Le sort des prisonniers politiques, droits du Roi, droits de l’Homme, » Le Monde, 30 novembre 1990.

[7] Discours du roi Hassan II lors de l’installation du CCDH, 8 mai 1990, online en français sur : http://www.ccdh.org.ma/_fr_rubrique.php?id_rubrique=113.

[8] Associated Press, “Hassan II appelle le Parlement marocain à résoudre le dossier des droits de l’Homme,” 9 octobre 1998.

[9] José Garçon, « Geste du Maroc pour les droits de l’Homme », Libération (Paris), 2 octobre 1998.

[10] Le règlement intérieur de l’Instance d’Arbitrage Indépendante a été publié en août 1999 et est consultable en ligne en français sur : http://www.ccdh.org.ma/_fr_article.php?id_article=87.

[11] IER “L’expérience de l’Instance d’arbitrage indépendante pour l’indemnisation,” document d’information distribué lors du Forum national sur la réparation, organisé par l’IER à Rabat du 30 septembre au 2 octobre.

[12] Présentation orale lors du Forum National sur la réparation, Rabat, 1er octobre 2005.

[13] Voir les rapports de l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme, Muhakamat ikhtal fiha mizan al-`adalah [Procès au cours desquels les balances de la Justice ont vacillé), (Rabat, novembre 2003) [online] http://www.omdh.org/news/16mai.htm ; Human Rights Watch, « Maroc : les droits de l’Homme à la croisée des chemins », (New York, Human Rights Watch, octobre 2004) [online] http://hrw.org/reports/2004/morocco1004/; Amnesty International, Maroc/Sahara Occidental : « Observations et recommandations au Comité contre la Torture », (Londres, Amnesty International, novembre 2003) [online]  http://web.amnesty.org/library/Index/ENGMDE290112003?open&of=ENG-MAR; Amnesty International,

Maroc/Sahara Occidental, lutte contre le terrorisme et recours à la torture : le cas du centre de détention de Témara », [online] http://web.amnesty.org/library/Index/ENGMDE290042004?open&of=ENG-MAR;

FIDH, « “Les autorités marocaines à l’épreuve de terrorisme: la tentation de l’arbitraire,” (Paris: FIDH, février 2004) n°379 [online] http://www.fidh.org/IMG/pdf/ma379f-3.pdf.

[14] En novembre 2003, le Comité contre la torture s’est dit préoccupé par « l'extension considérable du délai de garde à vue, période pendant laquelle le risque de torture est le plus grand, ainsi que de l'accroissement du nombre d'arrestations pour des motifs politiques, du nombre de détenus et de prisonniers, et du nombre d'allégations de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, impliquant la Direction de la surveillance du territoire (DST) ». [online]Conclusions et recommandations du Comité contre la Torture, Maroc, 5/2/2004, CAT/C/CR/31/2 http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/35b5adec21c0a623c1256e680033c4fb?Opendocument

Le document est consultable en français sur http://www.arabhumanrights.org/countries/morocco/cat/cat-c-cr-31-2-04f.pdf

Un an plus tard, le 5 novembre 2004, après examen du 5ème rapport périodique présenté par le Maroc sur le respect de ses obligations en tant qu’état partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme de l’ONU pointe 27 sujets de préoccupations, au nombre desquelles « les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements à l'égard de personnes en détention et (le fait) que des fonctionnaires coupables de telles actions ne voient, en général, que leur responsabilité disciplinaire engagée pour autant qu'il y ait une sanction. Dans ce contexte, le Comité note avec préoccupation l'absence d'enquêtes conduites de manière indépendante dans les commissariats de police et autres lieux de détention, afin de s'assurer de l'absence de torture et mauvais traitements ».

Tout comme il ne manque pas de souligner que « l’indépendance de la magistrature n’est pas pleinement garantie ». Comité des droits de l’Homme de l’ONU, 82ème session, [online] http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/0/5201618D9776587FC1256F4300579F8A?opendocument.

[15] Amnesty International, “Maroc/Sahara Occidental : Au nom de la justice, il faut commencer par mener des enquêtes sur les actes de torture », 22 juin 2005, MDE 29/003/2005 [online] http://web.amnesty.org/library/index/framde290032005 ; et l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, «Rapport de la Commission d’Enquête relative aux événements de Laâyoune », 15 octobre 2005.

[16] Amnesty International, “Maroc/Sahara Occidental : nouvelles arrestations et allégations de torture à l’encontre de défenseurs des droits humains sahraouis », 1er août 2005, MDE 29/004/2005 [online] http://web.amnesty.org/library/index/framde290042005

[17] Voir Amnesty International, “Observations au Comité contre la torture”, novembre 2003, MDE 29/011/2003 [online] http://web.amnesty.org/library/Index/FRAMDE290112003?open&of=FRA-MAR

[18] Sur les réserves émises par le Maroc, voir Amnesty International, [online]

« Moyen-Orient et Afrique du Nord, Les réserves à la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes affaiblissent la protection des femmes contre la violence », [online] http://web.amnesty.org/library/index/fraior510092004

http://web.amnesty.org/library/Index/ENGIOR510092004?open&of=ENG-IRQ.

[19] E.CN.4.2005.WG.22.WP.1.REV.4 [online] www.ohchr.org/english/issues/disappear/docs/E.CN.4.2005.WG.22.WP.1.REV.4.pdf.


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