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<<précédente | index | suivant>> IV. Les élections dans l’Etat du DeltaL’Etat du Delta produit environ 40 pourcent du pétrole du Nigeria. Selon la constitution nigériane de 1999, 13 pourcent des recettes fédérales des ressources naturelles sont retournées — l’Etat d’origine, sur la base de « dérivation ».50 L’Etat du Delta est ainsi l’état le plus riche de la fédération nigériane, et le contrôle de ses institutions gouvernementales un prix majeur, pour les individus et pour les partis politiques concernés. Le Nigeria se retrouve de façon régulière en bas de l’Indice de Perceptions de la Corruption de Transparency International, et dans quelques états le fait de détenir le contrôle des institutions gouvernementales implique aussi un contrôle pratiquement illimité des fonds. Il n’est donc — peine surprenant que parmi les causes principales des combats dans l’Etat du Delta en 2003 (comme en 1999) se trouvent les disputes concernant la manière d’organiser les élections étatiques et fédérales, et le manque de confiance dans les institutions responsables de résoudre ces disputes et d’assurer que le vote est libre et juste. INEC et DSIEC en particulier ont manqué — leur obligation d’organiser les inscriptions dans les registres électoraux d’une manière qui aurait pu persuader les citoyens que le nombre de votants enregistrés était conforme — la réalité de la population de chaque état. Elles ont également manqué — leur obligation de mettre en place un système de délimitation des sections électorales suivant un processus perçu comme équitable. Les gouvernements fédérés et de l’Etat n’ont pas pris d’actions depuis 1999 qui pourraient résoudre la dispute qui existe depuis longtemps concernant la configuration des secteurs de gouvernement local dans la région de Warri. Les échecs des gouvernements fédéraux successifs de faire un recensement fiable ont accentué les problèmes d’enregistrement et de délimitation au niveau des Etats. Des problèmes liés aux élections ont causé les violences de février et celles de mars. L’affrontement au début de février entre les Urhobos et les Itsekiris dans la ville de Warri pendant les élections primaires du PDP était lié aux problèmes concernant les sections électorales. Dans leur déclaration du 3 mars les FNDIC ont demandé entre autre que «l’ INEC ne devait pas tenir compte de l’opération frauduleuse d’enregistrement d’électeurs qui a été organisée par le Conseil de Warri Sud-ouest jusqu'— ce que l’INEC /DSIEC puissent définir d’une manière juste et équitable les frontières des sections électorales ».51 Dans cette situation, où il n’y avait absolument aucune confiance que les élections seraient libres et justes, ceux qui étaient frustrés par le système existant de division de pouvoir (et donc de richesses) se sont tournés vers la violence. Evidemment, ceux qui mènent la violence n’ont pas nécessairement un engagement sérieux pour une répartition plus équitable des ressources, allant au-del— de s’assurer leur part personnelle ; mais ils peuvent profiter d’un sentiment profond d’aliénation par rapport au régime actuel et sa corruption et de frustration face — l’impossibilité de transformer le gouvernement — l’aide des moyens pacifiques, en élisant des personnes prêtes — se battre pour eux. L’Alliance pour la Démocratie (AD : Alliance for Democracy) ainsi que le All Nigeria People’s Party (ANPP) ont demandé que les élections pour l’Assemblée Nationale du 12 avril soient annulées et des nouvelles élections tenues dans l’Etat du Delta, faisant référence aux fraudes et — l’absence même de tentative d’organiser le vote dans quelques régions. La demande a été répétée après les élections de gouverneur. Le candidat pour le poste de gouverneur de l’AD, Great Ogburu, a déclaré que beaucoup de ses partisans ont été arrêtés dans la matinée du 19 avril, le jour des élections de gouverneur et des élections présidentielles, et il a exigé l’annulation des résultats. Le candidat de la All Progressive Grand Alliance (APGA), Prince Ned Nwoko, a déclaré que ses partisans avaient été intimidés par des « voyous » du PDP qui ont agi en complicité avec la police. Le 20 avril, le lendemain des élections, des jeunes armés ont pris d’assaut une station de radio privée — Effurun, juste en dehors de Warri, et l’ont forcée — annoncer la victoire d’Ogburu. Plus tard dans la journée, la radio nationale a annoncé la victoire du gouverneur sortant, Ibori. Seulement quelques jours avant les élections, la Cour d’appel ordonnait la révision du procès dans lequel deux membres du PDP de l’Etat du Delta avaient demandé la disqualification d’Ibori en tant que candidat parce qu’il avait été condamné pour négligence criminelle et abus de confiance en 1995.52 Le 28 avril, des dirigeants Ijaws ont demandé la suspension des élections de l’assemblée de l’Etat du Delta et des élections locales pour les secteurs de gouvernement local de Warri Nord, Sud et Sud-ouest jusqu'— ce qu’ « une solution permanente soit trouvée — la crise de Warri ». Ils ont déclaré qu’ « une situation où la minorité Itsekiri serait présidents, vice-présidents et conseillers ainsi que membres de l’assemblée dans tous les secteurs de gouvernement local de Warri ne serait plus acceptée par la majorité Ijaw de Warri. »53 L’Union Progressive Urhobo (Urhobo Progressive Union) a également demandé que les élections pour l’assemblée de l’Etat du 4 mai soient annulées, en déclarant que « le peuple Urhobo ne peut pas et ne veut pas participer dans des élections qui ne sont qu’une comédie, et qui ne feront que prolonger les injustices des années passées. »54 L’incertitude jusqu’— la dernière minute pour savoir si les élections auraient effectivement lieu et sur quelle base, a augmenté la probabilité de violences avant les trois jours d’élections en avril et en mai. Tous les observateurs indépendants nationaux et internationaux qui ont assisté aux élections de 2003 dans l’Etat du Delta étaient d’accord pour dire qu’elles avaient été totalement illégitimes. L’Union Européenne (UE), par exemple, la plus grande délégation internationale aux élections nigérianes, a remarqué des irrégularités sérieuses dans l’Etat du Delta dans les élections présidentielles, de gouverneur, et des assemblées nationales et de l’Etat, parmi lesquelles des intimidations généralisées, des vols d’urnes électorales, des cas de votes multiples, des bureaux de votes qui n’ont pas ouvert du tout, des modifications des résultats, des centaines de votes ajoutés en faveur du parti au pouvoir dans les centres de collecte, le contrôle du processus électoral exercé par le parti au pouvoir, et d’autres abus qui ont fait que « les exigences minimales pour des élections démocratiques n’ont pas été respectées ». L’Etat du Delta faisait partie de ces Etats où l’UE a déclaré que les élections « manquaient de crédibilité et des mesures appropriées doivent être adoptées afin de proposer aux électeurs un processus électoral véritablement démocratique ».55 Dans Warri Sud et Warri Sud-ouest, les secteurs de gouvernement local les plus affectés par la violence avant les élections, les sites Internet de la Commission Electorale Indépendante Nationale se contente de dire que les résultats des élections de gouverneur « ne sont pas disponibles ».56 Malgré tout cela, dans son entretien avec Human Rights Watch, le gouverneur adjoint de l’Etat du Delta B.S.C Elue a nié qu’il y ait eu des irrégularités dans l’organisation des élections.57 Si le gouvernement de l’Etat du Delta n’est pas perçu comme possédant la légitimité démocratique, il y a peu de chances qu’il sera capable de trouver une solution — la crise de violence qui a entouré sa création. Le niveau de fraudes et de violence dans l’Etat du Delta était au-del— de ce qui peut être résolu par des tribunaux électoraux nommés pour décider les disputes concernant les résultats : les élections doivent être tenues de nouveau, en commençant par le processus d’enregistrement dans les registres électoraux, et en prenant en compte les recommandations faites par les différents groupes d’observateurs. Le manque de confiance dans le processus électoral augmente la probabilité que la violence soit employée comme moyen d’allocation de positions gouvernementales. 50 Selon article 16 (2) de la constitution : “The President, upon the receipt of the advice from the National Revenue Mobilisation, Allocation and Fiscal Commission, shall table before the National Assembly proposals for Revenue Allocation from the Federation Account, and, in determining the formula, the National Assembly shall take into account allocation principles especially those of Population, Equality of States, Internal Revenue Generation, Land Mass, Terrain, as well as Population Density: provided that the principle of derivation shall be constantly reflected in any approved formula as being not less than 13 percent of the revenue accruing to the Federation Account directly from any natural resources.” 51 Sola Adebayo, “Warri War — The battle in the Creeks, the agonies of victims”, Vanguard, 30 mars 2003. 52 Sola Adebayo, “Armed youths force radio station to announce Ogburu winner in Delta”, Vanguard, 21 avril 2003; “Saturday polls — Gubernatorial winners”, Vanguard, 21 avril 2003; “As Appeal Court Upturns Abuja Ruling…” This Day, 17 avril 2003. 53 Sola Adebayo, “Ijaw want assembly, LG polls suspended in Warri LGs”, Vanguard, 29 avril 2003. 54 Oma Djebah, Eddy Odivwri, “Govt moves to stop violence in delta”, This Day, 3 mai 2003. 55 Les déclarations et le rapport de la mission de l’UE ‘European Union Election Observation Mission’ sont disponibles sur www.eueomnigeria.org 56 Les résultats des élections peuvent être obtenues sur www.inecnigeria.org. 57 Human Rights Watch entretien, 10 septembre 2003.
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