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II. Contexte

Les tensions qui entourent l’organisation du gouvernement dans la région de Warri, la deuxième ville pétrolière au Nigeria après Port Harcourt précèdent l’indépendance du Nigeria en 1960.1 Warri même, la ville la plus grande (mais pas la capitale) de l’Etat du Delta, est revendiquée par trois groupes ethniques comme étant leur patrie ; les Itsekiris, les Urhobos et les Ijaws. Les Itsekiris, un petit groupe ethnique composé de quelques centaines de milliers de personnes et dont la langue se rapproche au Yoruba (un des plus grands groupes ethniques du Nigeria), vivent aussi dans des villages parsemés le long des rivières Bénin et Escravos dans les zones mangroves vers l’Océan Atlantique. Les Urhobos, un groupe beaucoup plus grand avec quelques millions de membres et proche des peuples parlant l’Edo dans la ville de Bénin, vivent dans la ville de Warri et dans le Nord. Dans le Sud et l’Est, ainsi que dans les mangroves, se trouvent les Ijaws de l’Ouest, qui font partie du groupe ethnique des Ijaws, qui avec ses dix millions de membres sont le plus grand groupe ethnique du Delta du Niger et vivent dans plusieurs états différents.

La question concernant le « droit de propriété » sur Warri est une source de conflit depuis des décennies — elle date de bien avant l’indépendance — et elle est l’objet de vif débats dans les tribunaux nigérians et dans les médias, ainsi que dans les maisons de Warri. Elle est au cœur des arguments présentés par les différents groupes ethniques pour expliquer les causes de la violence de la dernière décennie. Etroitement liée — la question de « propriété » se trouve celle de la représentation dans les institutions formelles du gouvernement, — la fois au niveau local et au niveau étatique. L’Etat du Delta a été créé en 1991, ainsi que plusieurs autres états, par le régime militaire du Général Ibrahim Babangida. Les Ijaws et les Urhobos considèrent tous les deux que la pratique actuelle de l’Etat, où les Itsekiris dominent les structures gouvernementales dans les trois secteurs de gouvernement local (LGAs : local government areas) de Warri, Warri Nord, Warri Sud et Warri Sud-ouest, est injuste. Ils se plaignent que cette dominance implique que les Itsekiris et leur chef traditionnel, l’Olu de Warri (en soi-même un titre contesté, en ce qu’il a été changé en 1952 de l’Olu d’Itsekiri), profitent d’une manière disproportionnée des ressources gouvernementales — — la fois au niveau des nominations et contrats gouvernementaux, et, par exemple, en ce qui concerne l’obtention de « certificats d’origine » afin d’obtenir des bourses gouvernementales pour l’éducation supérieure. Le contrôle des institutions gouvernementales apporte également d’autres avantages, notamment un plus grand contact avec les compagnies pétrolières, ce qui peut conduire — l’attribution de contrats importants. Parmi les exigences des Ijaws et des Urhobos on trouve la création de nouvelles sections électorales et de secteurs de gouvernement local qui pourraient assurer une représentation plus efficace de leur groupe ethnique.

Human Rights Watch ne prent pas de position sur la question concernant qui sont « les vrais indigènes » de Warri, ni sur celle qui concerne la création de sections électorales ou secteurs de gouvernement local. Cependant, la paix durable dans l’Etat du Delta dépend en partie de ce qu’une solution — ces questions politiques soit trouvée et ceci d’une manière qui assure la représentation équitable de tous ceux qui vivent dans l’Etat, indépendamment de leur origine. Avant tout, le processus pour arriver — un arrangement doit être vu comme étant juste. Le concept d’ « indigène » est en lui-même problématique : tous ceux concernés sont des Nigérians, et devraient avoir les mêmes droits en relation au gouvernement de l’Etat dans lequel ils vivent.2

La première éruption de violence dans la région de Warri ces dernières années a eu lieu en mars 1997 et tournait autour de la création, par le régime militaire de l’époque, d’un nouveau secteur de gouvernement local, Warri Sud-ouest, et la location de ses quartiers généraux.3 Sur la base de déclarations officielles, les Ijaws s’attendaient — ce que les quartiers généraux du gouvernement local se situent — Ogbe-Ijoh, une ville Ijaw, et ils ont été déçus de voir dans la gazette du gouvernement fédéral que l’endroit choisi s’est avéré être Ogidigben, une zone Itsekiri. Entre mars et mai, des affrontements considérables ont continué de se produire, dans lesquels des centaines de personnes sont mortes dans chaque camp. Une production de plus de 200.000 barils par jour (bpj) a été arrêtée pendant quelques semaines.4 Le gouvernement de l’Etat du Delta sous l’administrateur militaire Colonel J. Dungs a nommé une commission pour faire des enquêtes sur la violence, dirigée par le juge Alhassan Idoko, qui s’est réunie pendant les mois de juin et juillet en 1997. Le rapport de l’enquête n’a jamais été publié, et les recommandations n’ont pas été exécutées ou incorporées dans un « livre blanc » du gouvernement qui établit les réponses officielles aux conclusions de la commission.

La violence a éclaté régulièrement dans la région depuis ces événements, ce qui a donné lieu — des mesures répressives de la part des autorités. En octobre 1998, un couvre-feu a été déclaré dans la ville de Warri par le nouvel administrateur militaire, le commandeur de la marine Walter Feghabor, suite — des affrontements entre Ijaws et Itsekiris qui ont fait au moins cinq victimes et un grand nombre de maisons incendiées. Cependant la violence a continué, dans la ville de Warri et dans les criques alentour, avec des attaques aux dirigeants de chaque ethnie. Les exportations pétrolières ont été réduites de plusieurs milliers de barils par jour pendant plusieurs semaines.

Fin mai et juin 1999, — l’époque du passage de pouvoir du gouvernement militaire — un gouvernement civil au Nigeria, la violence a encore une fois éclaté — Warri et dans ses environs, au moment où les nouveaux fonctionnaires du gouvernement local devaient prêter serment dans le secteur de gouvernement local contesté établi en 1997. Jusqu’— deux cents personnes auraient été tuées lors des raids des milices Ijaws et Itsekiris dans les zones peuplées par des membres d’autres groupes ethniques. Le nouveau gouverneur civil, James Onanefe Ibori, a imposé un couvre-feu qui est resté en place pendant des mois. Des centaines de troupes gouvernementales ont de nouveau été déployées dans la ville de Warri et ses environs. Le nouveau président Olusegun Obasanjo a visité Warri le 11 juin 1999, et a plaidé pour qu’on trouve une solution juste aux problèmes. En septembre 1999, l’assemblée de l’Etat du Delta a voté une loi qui a transféré les quartiers généraux du gouvernement local de Warri Sud-ouest de Ogidigben — Ogbe Ijoh. Bien que les combats intenses de 1999 se soient calmés, il y a eu de nouveaux affrontements tout au long des quatre années qui ont suivi, pendant lesquels des dizaines de personnes ont été tuées au total. Des centaines de milliers de barils de production de pétrole ont également été perdus dans les fermetures périodiques des stations de pompage suite — des occupations par les jeunes armés ou non armés (un terme qui au Nigeria peut inclure les hommes jusqu’— l’âge de trente-cinq ou quarante ans), ou par d’autres résidents locaux, y compris des groupes de femmes. Dans quelques cas, les occupations étaient causées par des griefs avec les compagnies pétrolières, dans d’autres, par le mécontentement avec le gouvernement.

Il n’y a eu aucune enquête systématique sur les crimes commis dans le conflit de Warri depuis 1997, ni sur le nombre de victimes ou l’ampleur des dégâts matériels causés. Il y a eu peu d’arrestations et encore moins de poursuites pour les meurtres, s’il y en a eu du tout : soit les personnes impliquées dans la violence ont été tuées par la police au moment de leur arrestation, soit, dans les cas ou des arrestations ont eu lieu, les suspects ont été relâchés suite — des interventions de leurs dirigeants auprès de la police. Il existe également des rapports crédibles venant de partout au Nigeria dénonçant le fait que beaucoup de personnes interpellées pour des crimes sont sommairement exécutées pendant qu’elles se trouvent en détention policière. Souvent il n’y a pas de conséquences pour ceux qui sont impliqués dans la violence : il n’y en a jamais eu pour les dirigeants politiques qui sont derrière ceux qui se battent sur le terrain. L’impunité qui existe depuis des années de violence brutale est une des causes principales qui expliquent pourquoi les combats ont repris en 2003.



1 Voir Obaro Ikime, Niger Delta Rivalry : Itsekiri-Urhobo Relations and the European Presence 1884-1936 (New York: Humanities Press, 1969); T.A Imobighe, Celestine O. Bassey, Judith Burdin Asuni, Conflict and Instability in the Niger Delta: The Warri Case (Abuja: Academic Associates Peaceworks, 2002).

2 Voir “Jos: A City Torn Apart,” Human Rights Watch, December 2001, pour une discussion du concept “d’indigène" dans la constitution nigériane.

3 Il y a également eu des affrontements en 1993, entre les Urhobos et les Itsekiris. Une enquête gouvernementale a été faite, dirigée par le Juge Nnaemeka Agu (le rapport de cette enquête n’a jamais été publié), mais la violence n’était pas au même niveau que les affrontements récents.

4 Voir, Human Rights Watch, The Price of Oil: Corporate Responsibility and Human Rights Violations in Nigeria’s Oil Producing Communities (New York: Human Rights Watch, février 1999), pp. 111-114.


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décembre 2003