Africa - West

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I. RESUME

L'Ituri est souvent décrit comme l'un des coins les plus sanglants de la République Démocratique du Congo (RDC). Malgré trois accords de paix censés mettre un terme à la guerre qui dure depuis cinq ans au Congo, les combats dans le Nord-Est de la RDC se sont intensifiés, fin 2002 et début 2003. Début mai 2003, des centaines de civils ont été massacrés dans la ville de Bunia et des dizaines de milliers d'autres ont été forcés de fuir. Certains ont cherché refuge près de l'enceinte des Nations Unies, espérant désespérément trouver une protection contre la violence. Alors que la communauté internationale se concentrait sur la ville de Bunia, les massacres se sont poursuivis dans d'autres parties de l'Ituri, loin de l'attention des médias. Comme l'a décrit un témoin : « L'Itui était couvert de sang. »

Sur la base des informations rassemblées par ses chercheurs et sur d'autres rapports, Human Rights Watch estime qu'au moins 5 000 civils sont morts des suites de la violence directe en Ituri, entre juillet 2002 et mars 2003. Ces victimes s'ajoutent aux 50 000 civils qui, selon les Nations Unies, sont morts là-bas depuis 1999. Ces pertes représentent juste une partie d'un total estimé à 3,3 millions de civils, morts dans tout le Congo, un bilan qui fait de cette guerre, la guerre la plus meurtrière pour les civils, depuis la seconde guerre mondiale.

Les groupes armés ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et d'autres violations du droit humanitaire international et des droits humains sur une vaste échelle, en Ituri. Les assaillants ont massacré des civils désarmés, souvent pour la seule raison de leur appartenance ethnique, tuant des dizaines et parfois des centaines de civils dans chacune des attaques de ce type. Dans l'un de ces massacres étudiés par les chercheurs de Human Rights Watch, les combattants ngiti avec les soldats de l'Armée Populaire Congolaise (APC) de Mbusa Nyamwisi ont tué au moins 1 200 enfants hema et bira, des femmes et d'autres civils à Nyakunde. Sur une période de dix jours, les assaillants ont exécuté une opération bien planifiée, massacrant systématiquement et parfois torturant des civils dans leurs fouilles, maison par maison et exécutant des malades encore dans leur lit d'hôpital. De nombreux autres massacres, en particulier ceux qui se sont produits dans des zones plus reculées, n'ont même jamais été rapportés.

Les groupes armés ont également perpétré des exécutions sommaires, enlevant de force des personnes dont le sort est aujourd'hui encore inconnu. Ils ont arbitrairement arrêté et illégalement détenu d'autres personnes, dont certaines qu'ils ont soumises à une torture systématique. Des survivants ont affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch que l'Union des Patriotes Congolais (UPC), groupe hema, avait pratiqué une « chasse à l'homme » contre les Lendu et d'autres opposants politiques, peu de temps après l'accession de ce groupe au pouvoir, en août 2002. De nombreux Lendu ont été arrêtés. D'autres ont fui ou sont allés se cacher, effrayés de marcher à découvert dans les rues de Bunia. Selon des témoins, des officiers militaires de haut rang appartenant à l'UPC avaient la charge de deux sites de détention devenus célèbres pour être des lieux d'exécutions sommaires et de torture.

Les combattants des groupes armés ont également commis des viols et des actes aussi inhumains que des mutilations et du cannibalisme, une pratique censée apporter une force rituelle à ceux qui s'y livrent et inspirer la terreur chez leurs adversaires.

Tous les groupes ont recruté des enfants pour le service militaire, certains âgés de sept ans seulement, les soumettant aux risques et difficultés des opérations militaires. Alors que la guerre s'intensifiait, le recrutement forcé a tellement augmenté que des observateurs ont décrit les forces belligérantes comme des « armées d'enfants ».

Plus de 500 000 personnes ont été contraintes de quitter leur maison en Ituri, se trouvant souvent confrontées à une autre violence au cours de leur fuite. Les membres des groupes armés ont pillé nombre de ces maisons et ont souvent incendié et détruit des villages entiers pour décourager tout retour. Des groupes politiques armés et leurs soutiens extérieurs ont violé le droit humanitaire international en empêchant délibérément les agences humanitaires d'apporter leur assistance aux gens qu'ils auraient définis comme étant leurs ennemis. L'année dernière, il y a eu plus de trente cas de détention de travailleurs humanitaires, avec menaces, coups ou expulsion de l'Ituri. L'attaque la plus grave fut le meurtre de six employés du Comité International de la Croix Rouge en avril 2001, un incident aux vastes répercussions décrites plus loin dans ce rapport.

Les auteurs de ces crimes sont rarement punis. Selon les informations accessibles aux chercheurs de Human Rights Watch, les groupes armés hema, lendu et autres n'ont mené d'enquête sur aucun des abus décrits dans ce rapport et n'ont tenu pour responsables de leurs actes aucun de leurs auteurs. Dans les quelques rares cas où les mouvements politiques ont plié sous les pressions locales et internationales et ont jugé les coupables présumés, les procédures n'étaient pas conformes aux critères internationaux pour des procès équitables.

La guerre en Ituri est un écheveau complexe de conflits locaux, nationaux et régionaux qui se sont développés après qu'une dispute locale entre Hema et Lendu eut été exacerbée par les acteurs ougandais et aggravée par la guerre internationale plus large qui déchirait la RDC. Les groupes rebelles nationaux comme le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération (RCD-ML) et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Goma (RCD-Goma) ont soutenu des milices locales dans leurs conflits afin d'étendre la base de leur propre pouvoir dans le gouvernement provisoire de la RDC ou peut-être même pour faire capoter les négociations. Ces groupes nationaux, ainsi que les groupes ethniques locaux en Ituri ont été et dans certains cas, sont encore soutenus par les gouvernements de l'Ouganda, du Rwanda et de la RDC.

L'Ituri est maintenant le champ de bataille d'une guerre entre les gouvernements de l'Ouganda, du Rwanda et de la RDC qui ont fourni un soutien politique et militaire aux groupes armés locaux malgré de nombreuses preuves de violations très répandues du droit humanitaire international. En agissant de la sorte et en étant incapables d'exercer leur influence sur ces groupes afin que soit mis un terme à ces abus, ils partagent la responsabilité de ces crimes. Les responsables internationaux et le Conseil de Sécurité des Nations Unies dénoncent régulièrement ces crimes mais ont également échoué à y mettre un terme ou à les traiter en justice.

L'Ouganda, puissance occupante en Ituri de 1998 à 2003, a échoué dans l'obligation qui est la sienne, selon le droit humanitaire international, de protéger la population civile. Les autorités ougandaises ont joué un rôle direct dans les changements politiques et administratifs en Ituri, stimulant la création de nouveaux partis politiques et de milices. Alors que ce conflit s'étendait pour englober plus de gens et des zones plus vastes, l'Ouganda l'a utilisé comme un prétexte pour demeurer présent dans cette région riche en ressources, exploitant ses minerais et son commerce.

Le fait qu'un soutien politique et militaire en provenance d'acteurs extérieurs, gouvernements nationaux ou mouvements rebelles, ait été disponible, a encouragé les responsables locaux à former de nouveaux groupes, généralement sur la base d'une loyauté ethnique. Certains de ces groupes sont devenus les défenseurs de positions à base ethnique de plus en plus extrêmes. Les responsables de ces groupes ont souvent défini leurs propres priorités et ont facilement changé de maîtres, en fonction de ce que leur dictaient leurs intérêts. Dans cet environnement très changeant, une constante est demeurée : les abus commis contre la population civile.

Le conflit en Ituri est important, non seulement à cause de l'ampleur des souffrances et des destructions imposées aux populations locales mais aussi à cause de ses liens avec des luttes plus larges. La complexe imbrication de conflits locaux, nationaux et régionaux existe également dans les Kivus où les civils ont souffert de massacres et d'autres graves abus et une telle situation pourrait se développer ailleurs en RDC. La poursuite de ce type de combat de niveau local met en danger le processus de paix dans tout le pays et au-delà.

Jusqu'à récemment, le conflit en Ituri a été largement ignoré par la communauté internationale. En dépit d'informations contraires, certains états membres des Nations Unies et certains officiels des Nations Unies percevaient l'Ituri comme une simple « guerre tribale », sans liens avec la guerre plus large en RDC. Entre 1999 et avril 2003, la Mission de l'organisation des Nations Unies en RDC (MONUC) disposait seulement d'une petite équipe de moins de dix observateurs pour couvrir cette région très changeante d'environ 4,2 millions de personnes. Les effectifs de la MONUC ont été augmentés, dans l'urgence, de plusieurs centaines d'hommes en avril 2003 mais ces derniers n'avaient pas la capacité de protéger des milliers de civils qui avaient fui et s'étaient réfugiés auprès d'eux, en quête de protection lorsque des affrontements ont de nouveau éclaté, entre des milices rivales, début mai. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a autorisé une Force Multinationale Intérimaire d'Urgence avec un mandat Chapitre VII afin de protéger les civils et le personnel des Nations Unies, dans la ville de Bunia pour une courte période pendant que la MONUC renforçait sa présence. Cette décision, si elle a aidé les habitants de la ville, a laissé des dizaines de milliers de civils à l'extérieur de Bunia, sans protection et à la merci de groupes armés qui ont continué à combattre. Au moment de la publication de ce rapport, Human Rights Watch continue de recevoir des rapports sur des massacres en Ituri.

Ce rapport est le résultat d'un travail de terrain réalisé par deux chercheurs de Human Rights Watch, en février 2003, se concentrant sur la violence à base ethnique, les violations du droit humanitaire international et le rôle des armées étrangères en Ituri. Il s'appuie sur des enquêtes à Bunia, dans les camps pour personnes déplacées au nord de Beni et dans les zones frontières de l'Ouest de l'Ouganda. Human Rights Watch exprime sa gratitude et son respect pour l'assistance offerte à ses chercheurs par les organisations congolaises de défense des droits humains et par de nombreux autres groupes et individus qui ont pris de grands risques en fournissant ces informations. Par souci de préserver leur sécurité, nous ne communiquons pas leurs noms, ni les détails nécessaires à la protection de leur identité.

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