Africa - West

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VII. DROIT INTERNATIONAL ET JUSTICE

Les forces armées et les milices impliquées dans le conflit en Ituri sont responsables de graves violations du droit international humanitaire, aussi connu sous le nom de lois de la guerre. Les individus et les groupes armés qui ont perpétré des massacres, des viols et des actes inhumains comme le cannibalisme ainsi que d'autres crimes en Ituri doivent assumer la responsabilité première de ces crimes. Mais les forces armées et les mouvements politiques sous le contrôle de gouvernements, à savoir l'Ouganda, le Rwanda et la RDC, sont également responsables parce qu'ils ont fourni un soutien militaire et des soutiens d'autre nature à des groupes locaux aux bilans exécrables en matière de droits humains. Mis à part quelques cas exceptionnels où les soldats ougandais ou congolais sont intervenus pour faire cesser les abus, les forces gouvernementales n'ont pas freiné les groupes armés sur lesquels elles exercent un contrôle. L'Ouganda porte une responsabilité particulière parmi les gouvernements parce qu'il a alimenté la violence ethnique entre les Hema et les Lendu dans la poursuite de ses propres intérêts immédiats. Les soldats ougandais ont eux-mêmes commis de nombreuses violations du droit international humanitaire en Ituri, depuis 1999.

Droit international humanitaire

Selon les Conventions de Genève de 1949, la guerre actuelle en RDC, y compris la guerre en Ituri est un conflit armé international qui s'entremêle avec plusieurs conflits internes. Les conflits armés internationaux, définis comme ceux opposant des états, sont régulés par les Conventions de Genève de 1949, le Premier protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève (Protocole I) et le droit international humanitaire coutumier. Les conflits armés internes sont ceux qui se déclarent sur le territoire d'un état partie aux Conventions de Genève et sont couverts par l'Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au Second protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève (Protocole II) ainsi que par le droit coutumier applicable aux conflits internationaux. La RDC a ratifié les Conventions de Genève de 1949 en 1961 et le Protocole I en 1982. L'Ouganda a ratifié les Conventions de Genève en 1964 et les Protocoles I et II en 1991.

L'Article 3 commun aux Conventions de Genève lie expressément toutes les parties à un conflit interne, y compris les groupes armés non-étatiques, comme les milices lendu, les milices ngiti et les milices UPC/hema bien que ces groupes n'aient pas la capacité légale de signer les Conventions de Genève. L'Article 3 commun exige le traitement humain des civils et des combattants captifs et interdit les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, en particulier les meurtres, les mutilations, les traitements cruels et tortures, les prises d'otages, les atteintes à la dignité des personnes, les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué.238 Le droit international humanitaire coutumier interdit également aux groupes armés d'attaquer directement des civils ou de mener des attaques ayant un impact disproportionné ou non sélectif sur la population civile.

En violation de l'article 3commun, les divers groupes politiques armés et les milices, y compris le RCD-ML, le MLC, le RCD-N, les milices UPC/Hema, les milices lendu et les milices ngiti ont commis, sur une vaste échelle, des meurtres délibérés de civils non armés. Ils ont également effectué des meurtres sommaires de combattants captifs, des actes de torture et des arrestations arbitraires, des viols et d'autres attaques directes. Certaines forces se sont également livrées à des actes de cannibalisme et ont délibérément mutilé des cadavres. Si dans certains cas, les coupables présumés ont été identifiés, ceux qui sont responsables d'atrocités innombrables en Ituri n'ont pas été traduits en justice. Cette culture de l'impunité a alimenté encore davantage le cycle de la violence.

Là où les forces ougandaises exerçaient contrôle ou autorité sur la population civile en RDC, elles étaient liées par les dispositions de la Quatrième Convention de Genève qui s'applique aux territoires occupés.239 Les commandants militaires sur place doivent respecter les droits fondamentaux de la population civile.240 Sont spécifiquement interdits la contrainte d'ordre physique ou moral contre les civils et les combattants captifs (article 31), les peines corporelles et la torture (article 32), les peines collectives, le pillage et les mesures de représailles (article 33). Les femmes doivent être particulièrement protégées contre toute attaque, en particulier contre le viol, la contrainte à la prostitution ou tout attentat à leur pudeur. Chacun doit être traité avec la même considération par la puissance occupante sans hostilité spécifique sur base, en particulier, de la race, de la religion ou de l'opinion politique. Les biens privés ne peuvent être confisqués.241 Les soldats ougandais déployés en Ituri se sont parfois livrés à l'une ou plusieurs de ces actions interdites, comme le meurtre délibéré de civils lors de l'attaque sur la résidence du gouverneur et ses environs à Bunia, début août 2002.

Selon le droit international humanitaire, une puissance occupante a le devoir de restaurer et d'assurer l'ordre public et la sécurité sur le territoire sous son autorité. Cette puissance est responsable de protéger la population, y compris les membres des groupes minoritaires contre la violence et les représailles en provenance de parties tierces comme des groupes armés.242 Au cours de la période d'occupation par l'Ouganda, les forces armées ougandaises avaient alors pour devoir de restaurer et d'assurer l'ordre public dans des endroits comme Bunia, Nyakunde, Mongbwalu et Drodro. Dans des cas innombrables, l'armée ougandaise a bafoué ses responsabilités selon les Conventions de Genève en ne défendant pas les populations vulnérables, tant hema que lendu, dans les zones qu'elle contrôlait.

L'Ouganda a également la responsabilité, selon le droit international humanitaire de prévenir les violations du droit international humanitaire par les forces sur lesquelles ce pays exerce un contrôle effectif. La Cour Internationale de Justice a décrété qu'une puissance étrangère est responsable de la conduite d'une faction dans une guerre civile si la faction est de facto l'agent de la puissance étrangère ou si par ailleurs, la puissance étrangère lui donne l'ordre de commettre certains actes.243 Les autorités ougandaises ont eu une relation étroite à différents moments avec les forces de l'UPC, les milices hema, les milices lendu et d'autres de l'ancienne coalition FIPI, ayant armé et formé ces groupes. L'Ouganda a violé le droit international humanitaire en n'usant pas de son influence pour stopper les flagrantes violations des droits humains commises par ces groupes.

La situation en Ituri est celle d'une catastrophe humanitaire : plus de 500 000 personnes ont dû quitter leur foyer et ont été déplacées, et de larges segments de population en danger n'ont pas accès à l'aide humanitaire.244 Selon les Conventions de Genève, l'Ouganda avait la responsabilité de permettre aux agences humanitaires un accès sûr et sans entraves aux populations vulnérables et de respecter l'indépendance et l'impartialité du personnel humanitaire. Le personnel humanitaire devait également être respecté et protégé. En tant que puissance occupante, l'Ouganda avait la responsabilité spéciale de maintenir les hôpitaux et les autres services médicaux « dans toute la mesure de ses moyens »245 ce qui inclut la protection des hôpitaux civils, du personnel médical, des blessés et des malades. L'Ouganda a violé ses obligations internationales en laissant les agences humanitaires bloquées à Bunia pendant plus de six mois en 2002 sans revoir la restriction et sans exercer d'influence pour que soient ouverts les accès aux zones où des civils se trouvaient dans le besoin le plus total. Suite à cela, des milliers de personnes seraient mortes d'un manque d'accès à l'aide humanitaire.

La Cour Pénale Internationale

Le gouvernement de la RDC a ratifié le Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) le 30 mars 2002246 et son cabinet a élaboré une loi de mise en _uvre en juin et octobre 2002 même si celle-ci n'a pas encore été envoyée au parlement. Le projet de loi incorpore dans le droit national tous les crimes de la CPI et prévoit une collaboration complète entre le procureur de la CPI et les autorités judiciaires congolaises.

Avec la ratification du Statut de la CPI, le crime de génocide, les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre247 commis après le 1er juillet 2002 sur quelque partie que ce soit du territoire de la RDC ou ailleurs par des ressortissants congolais peuvent faire l'objet de poursuites judiciaires dans le cadre de la CPI, si le gouvernement de la RDC ne peut ou ne veut poursuivre lui-même en justice de tels cas.

Il est très probable que les crimes commis en Ituri après le 1er juillet 2002 seront soumis à la compétence de la CPI. Le gouvernement de Kinshasa n'a pas encore le contrôle total de l'Ituri et n'est pas en mesure d'exercer des fonctions judiciaires sur le territoire. Tout procès en RDC pour crimes commis en Ituri après le 1er juillet 2002 n'empêchera pas l'exercice de la compétence de la CPI s'il est prouvé que les procès ont été organisés pour des raisons politiques et sans souci du respect des procédures légales.

238 Conventions de Genève du 12 août 1949.

239 Selon le droit international humanitaire, une puissance occupante assume le rôle d'administrateur transitoire d'un territoire souverain. Dans ce cadre, elle n'est pas autorisée à changer le statut légal du territoire, un principe que l'Ouganda a violé en créant la province de l'Ituri.

240 Quatrième Convention de Genève, articles 29 et 47.

241 Convention de la Haye, article 46 ; Quatrième Convention de Genève, article 27.

242 Convention de la Haye de 1907, article 47.

243 Voir Case Concerning Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua, Nicaragua v. U.S.A (Merits) ("Nicaragua"), 1986 I.C.J. Reports ; voir par exemple, ICTY, Prosecutor v. Zlatko Aleksovski, jugement du 25 juin 1999.

244 Estimations du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), janvier 2003.

245 Quatrième Convention de Genève, articles 55 et 56.

246 Journal Officiel de la RDC, 43ème année, numéro spécial, 5 décembre 2002, p. 169.

247 Le droit international humanitaire a historiquement restreint l'utilisation de l'expression « crimes de guerre » aux conflits armés internationaux. Une bonne part du conflit en Ituri est considérée comme un conflit armé non-international (interne). De plus en plus, de graves violations du droit international humanitaire commises dans des conflits armés non-internationaux ont été reconnues comme des crimes de guerre, comme dans le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale.

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