publications

<<précédente  | index  |  suivant>>

VIII. Les enfants soldats

Aussi bien des garçons que des filles ont pris part dans l’attaque des FNL sur Gatoke, à Bujumbura, dans la nuit du 12 juillet.206 Les habitants ont entendu leurs jeunes voix, chantant des cantiques, en même temps que les combattants opéraient dans les rues. Les combattants FNL chantent régulièrement des chants religieux pendant les attaques pour s’assurer la protection divine. Le jour suivant, les habitants du quartier ont retrouvé le corps d’environ dix à vingt enfants, âgés de dix à quatorze ans, gisant parmi les victimes des combats.207 Le nombre d’enfants tués à cette occasion était inhabituellement élevé, mais il n’est guère inhabituel que des enfants participent avec les adultes dans les opérations militaires des FNL.

Dans les jours qui suivirent, les autorités militaires et civiles burundaises critiquèrent l’utilisation, par les FNL, d’enfants soldats. Or, l’armée burundaise, aussi bien que les FDD, ne sont pas les derniers à utiliser des enfants soldats dans leurs rangs.

Le gouvernement burundais, les FNL et les FDD sont tous repris dans un rapport de novembre 2002 du Secrétaire Général des Nations Unies, sur la liste des forces et des groupes armés qui recrutent ou utilisent des enfants en violation de leurs obligations internationales.208

Le Burundi a signé le Protocole Optionnel à la Convention des Droits de l’Enfant sur l’implication des enfants dans les conflits, le 13 novembre 2001, mais ne l’a pas ratifié.209 Les parties au Protocole s’engagent à prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher que les enfants en dessous de dix-huit ans prennent part aux combats. Au début de l’année 1999, le gouvernement burundais s’était engagé envers Olara Otonnu, le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour les enfants en situation de conflits armés, de mettre un terme au recrutement d’enfants sous l’âge de dix-huit ans, mais n’a jamais concrétisé ses promesses par une législation adaptée. C’est donc l’âge de seize ans qui demeure le seuil en dessous duquel un enfant ne peut pas être enrôlé pour le service militaire.210 L’armée burundaise a reconnu utiliser aussi des centaines d’enfants, dénommés Doriya, pour des services divers et la collecte de renseignements. Certains, qui ont à peine douze ans, ont servi de porteurs ou de guides.211

En plusieurs endroits du Burundi, et particulièrement à Bururi, Cibitoke et Kayanza, des garçons et jeunes hommes ont été recrutés pour servir comme Gardiens de la paix, un programme gouvernemental d’autodéfense. Nombre d’entre eux avaient moins de dix-huit ans lorsqu’ils ont rejoint ces groupes, et certains étaient même très jeunes. Bien que recrutés – dans certains cas, par intimidation – par des représentants administratifs, ce sont des militaires qui ont entraîné et dirigé ces gardiens. Ils ont reçu une arme mais aucun salaire, de sorte que la plupart d’entre eux vivent de ce qu’ils pillent auprès des populations qu’ils sont censés protéger.212

N’étant pas considérés comme membres réguliers des forces armées et eut égard à la confusion qui entoure les plans de réorganisation de la nouvelle armée, les Gardiens de la paix craignent pour l’incertitude de leur futur. Certains, comme à Rumonge, ont déjà choisi de gagner les rangs des FNL ou FDD, d’autres, l’armée, souvent sur insistance des administratifs. Dans au moins un cas, un administrateur a offert aux Gardiens de la paix, des tôles et autres matériels destinés à les convaincre de rejoindre les forces armées régulières. Les tôles représentent un bien important au Burundi où les maisons sont si souvent détruites. Des Gardiens de la paix ont aussi déjà été forcés de monter dans des camions militaires et emmenés pour participer à des opérations militaires.213

Tous les mouvements rebelles ont déployé de grands moyens pour convaincre des jeunes écoliers de quitter l’école pour les rejoindre, et dans certains cas, les ont même enlevés de force. Même après la signature d’un cessez-le-feu en décembre 2002, les FDD ont tenté de gonfler leurs rangs à l’occasion des discussions relatives au cantonnement et à la distribution de nourriture.214 A la mi-juillet, en province Muyinga, la police a mis à jour un site d’entraînement où des instructeurs FDD enseignaient à un groupe de jeunes hommes et femmes, le maniement des armes et des grenades, sur la frontière tanzanienne.215 Avec l’établissement d’un premier site de cantonnement à Muyange, les FDD de Ndayikengurukiye et les FNL de Mugabarabona ont tout fait pour recruter de nouvelles recrues, soit par des promesses pécuniaires, soit par ruse.216

Non seulement ce cantonnement a encouragé le phénomène de recrutement d’enfants soldats, mais plus grave, il n’a été assorti d’aucune provision spécifique en rapport avec ce type de combattants, récemment ou anciennement recrutés. A la mi-juillet, le site de cantonnement de Muyange comptait douze enfants, dont un de douze ans, mais apparemment à l’époque, sans aucun programme leur étant spécifiquement destiné.217

Certains enfants, qui furent un jour membre d’un groupe rebelle, ont cherché à fuir la vie militaire mais n’ont trouvé, par la suite, aucune place où aller. Un de ces garçons, un orphelin, avait quitté le foyer de parents éloignés et peu aimables, pour, en 1998, à l’âge de douze ans, rejoindre les FDD. Il avait été encouragé en ce sens par un voisin qui lui avait promis des vêtements, de l’argent, une meilleure vie. Il a été pris en charge, avec vingt autres enfants, quelques-uns plus jeunes que lui, et a rejoint, après une nuit entière de marche, un camp d’entraînement situé au lieu dit Muhana. On leur a coupé les cheveux et confisqué leurs vêtements et chaussures, en échange de vêtements usés qui convenaient mieux, leur a-t-on dit, à la vie de rebelle. Avec les autres enfants, dont des filles, il rejoignait ainsi les rangs des FDD de Ngayigenkurukiye et fut soumis à un entraînement physique intensif. Les enfants étaient battus régulièrement, et devaient courir de très longues distances à travers les collines. Ils ne mangeaient qu’une seule fois par jour et dormaient dehors, sans couverture. L’enfant soldat a admis que « Certains enfants sont morts parce que c‘était trop dur. » Il a également reçu un enseignement idéologique qui lui a appris qu’ils « se battaient pour la démocratie. »

Après trois mois d’entraînement, l’enfant était devenu ce qu’il appelle « un vrai combattant de première ligne. » Il a combattu dans divers endroits du Burundi, à savoir à Rukambasi, Makamba, Nyanza lac, Kabonga, Mutungu et Vuzigo. Lors des attaques, les enfants se battaient aux côtés des adultes. On leur donnait des pilules pour couper la faim et s’ils avaient besoin de nourriture, ils se servaient dans les champs ou dans la population.

L’enfant soldat fut envoyé ensuite en RDC, avec un groupe de 250 combattants parmi lesquels des enfants qui, selon lui, « était vraiment trop petits. » Déployé là « pour aider l’armée de Kabila », il a combattu aux alentours de Uvira, une importante ville du Sud Kivu. Il essaya de s’enfuir parce que, dit-il, « Je me sentais vraiment fatigué et parce qu’ils avaient menti, en nous disant que quand nous serions au pouvoir, nous aurions tout ce que nous voudrions. » Il fut alors capturé par les Mai-Mai, un groupe armé congolais, qui le recrutèrent de force. Il réussit à nouveau à s’échapper et a eu la chance de pouvoir retourner au Burundi. Il avait passé trois ans en RDC.

A seize ans, et sans aucun projet, il ne sait rien du programme de cantonnement lancé pour les forces rebelles, auquel pourtant il n’aurait guère de chance de pouvoir être intégré puisqu’il est auto-démobilisé. Il a fini par se demander, « J’ai quitté les FDD parce que je n’avais rien, mais je n’ai toujours rien. » Reconnaissant qu’il serait probablement puni pour désertion s’il rejoignait les FDD, il ajoute néanmoins que « Je pourrais bien décider de retourner chez les FDD. Ce n’est pas dans mon cœur, mais je peux tenter. »218

Un autre garcon de seize ans, burundais et qui a servi pour les FDD en territoire congolais, a précisé que la moitié des combatants dans son unité était des enfants. Il a expliqué:

“On nous disait que les petits sont de meilleurs combattants. Par exemple, s’il y une attaque, on nous envoie en première ligne pour barrer la route aux ennemis. On n’a pas peur car on est tous ensemble et on nous donne des protections. Mais ce n’est pas pour tout le monde, les sorciers donnaient ça seulement à ceux qui allaient se battre. » 219

L’enfant, qui considère lui-même qu’il est devenu « un bon soldat maintenant », était incapable d’expliquer ce pour quoi les FDD étaient supposés se battre. Il a surtout retenu que la vie était misérable, la nourriture mauvaise, qu’il était habillé en vêtements militaires déchirés et en haillons, qu’il était frappé et devait dormir dehors. Il a conclu en prenant à partie « les hauts chefs qui sont responsables de tout » : « Je suis fâché contre eux, c’est leur guerre. J’ai des amis de mon âge qui sont morts. »220

Sous tutelle du Ministère des droits de l’homme, le gouvernement du Burundi dispose, depuis 2002, d’un Bureau National pour la Démobilisation et la Réintégration des enfants soldats enrôlés dans les rangs de l’armée burundaise, des Gardiens de la paix et des FDD de Ndayikengurukiye et FNL de Mugabarabona, les deux groupes rebelles minoritaires qui ont signé des accords de cessez-le-feu avec le gouvernement à l’époque où le bureau se mettait en place. Le Bureau National, chargé aussi de la prévention du recrutement des enfants dans les rangs armés, dispose de points focaux dans les principaux camps militaires du pays. Les FDD de Ndayikengurukiye et FNL de Mugabarabona ont aussi délégué deux représentants qui font partie du Bureau à Bujumbura.

Malgré qu’ils aient intégré les institutions et qu’ils participent au travail du Bureau, les dirigeants des deux mouvements minoritaires précités ont refusé, pendant des mois, de permettre aux vingt-sept enfants qu’ils revendiquent appartenir à leur mouvement et qui sont cantonnés à Muyange, de rentrer chez eux pour reprendre la vie civile. A la mi-novembre, Ndayikengurukiye a finalement donné l’autorisation nécessaire et les enfants de son groupe devraient quitter le site, mais Mugabarabona refuse toujours, malgré les interventions du Bureau et de l’Unicef.221



206 En concordance avec la Convention des Droits de l’Enfant, Human Rights Watch définit l’enfant comme une personne qui n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans.

207 Entretien de Human Rights Watch par téléphone avec Bujumbura, 14 et 16 juillet 2003 ; Iteka, “Des enfants soldats utilisés par la rébellion du Palipehutu-FNL », 14 juillet 2003.

208 Le rapport du Secrétaire Général de novembre 2002 faisait suite à la résolution 1379 du Conseil de Sécurité de 2001 relative aux enfants dans les conflits armés. Il liste vingt-deux parties en conflit qui recrutent ou utilisent des enfants dans les conflits amés en violation de leurs obligations internationales.

209 En tant que partie signataire du Protocole Optionnel, le Burundi a l’obligation de ne pas entreprendre d’actions contraires à l’objet et au but du traité (Convention de Vienne sur le droit des traités, article 18.)

210 Coalition internationale contre l’utilisation des enfants soldats, Global Report on Child Soldiers, 2001.

211 Gouvernement du Burundi, Ministre des droits de l’homme, « Enfants soldats, un défi à relever pour le Burundi », septembre 2001 ; Rapport de Human Rights Watch, « Vider les collines, regroupement au Burundi », juillet 2002.

212 Rapport de Human Rights Watch, « Protéger le peuple : programme gouvernemental d’autodéfense au Burundi », décembre 2001.

213 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juin 2003.

214 Rapport de Human Rights Watch, « Burundi : Les civils paient le prix d’un processus de paix chancelant », février 2003.

215 Iteka, « Recrutement des combattants du CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza en province de Muyinga », 14 juillet 2003.

216 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 9 juin 2003 ; et voir supra, section sur le cantonnement.

217 Entretien de Human Rights Watch, Bruxelles, 15 juillet 2003.

218 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 13 juin 2003.

219 Entretien de Human Rights Watch, Uvira, RDC, 5 novembre 2003.

220 Ibid.

221 Entretiens de Human Rights Watch, Bujumbura, septembre 2003.


<<précédente  |  index  |  suivant>>

decembre 2003