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IX. Déplacements, pillages, et entraves à l’action humanitaire

La guerre a rendu instable la situation des populations civiles ainsi que des travailleurs humanitaires qui tentent de leur porter secours. Même lorsque le processus de paix est présenté comme étant en progrès, les petits citoyens burundais sont, chaque jour, victimes de violations et exposés à la pire des misères. Un témoin a, très simplement mais très justement, résumé leur situation, « Vous savez, c’est tous les jours que nous sommes victimes. C’est tous les jours que nous sommes soumis au pillage des militaires et des rebelles. »222

Alors même que le site de cantonnement de Muyange accueillait ses premiers combattants, les combats opposaient toujours l’armée gouvernementale aux FDD dans la province voisine de Kayanza, occasionnant le déplacement de 35.000 à 50.000 civils, contraints de quitter leurs habitations. Une semaine plus tard, 32.000 d’entre eux restaient déplacés, certains dans des marais.223

La précipitation et la peur qui entourent la fuite empêchent les gens d’emporter la plupart de leurs biens. Beaucoup n’ont pas pu prendre de quoi manger, et si oui, ne disposent pas des ustensiles nécessaires à la préparation des repas. Ils n’ont souvent aucun vêtement de rechange et pas même une couverture pour se protéger la nuit. Parmi les centaines de déplacés qui doivent passer la nuit dehors sans toit ni abri, on note une nette augmentation des cas de pneumonie et autres maladies respiratoires.224

La population de Bubanza, où est situé le site de cantonnement, a été particulièrement exposée à l’augmentation de l’insécurité dans les derniers mois. Un homme originaire de Ruce, à proximité de la Kibira, a expliqué qu’il ne dormait plus chez lui depuis le mois d’avril. « D’habitude, je rentrais chez moi passer la nuit», dit-il, « mais depuis le mois de mai, je n’ose même plus le faire. Je connais huit personnes qui sont retournées à Ruce pour récolter dans leurs champs mais sept d’entre elles ont été tués. » Exhibant ses pauvres vêtements, il a expliqué que c’étaient les seuls qu’il avait pu emporter, abandonnant tout dans sa fuite. Il a mis en garde contre les problèmes sérieux de manque de nourriture qui risquaient de se poser. « Soit, nous n’avons plus accès à nos champs pour les entretenir ou récolter à cause de l’insécurité, soit, ils ont été détruits complètement par les bombes. »225

La population déplacée dans cette région, comme un peu partout dans le pays, a dénoncé les « pillages systématiques quotidiens par des gens en tenue armée. » «Pas une nuit ne se passe sans qu’on entende un coup de feu », a conclu amèrement un homme.226 Un autre a ajouté « Ce qu’ils n’ont pas pris la première fois, ils viennent le rechercher au second passage. »227

Les soldats gouvernementaux ont parfois l’habitude de prévenir les civils que des opérations militaires sont en cours en tirant en l’air, mais, dans certains cas, ils utilisent leurs armes, même en l’absence de tout ennemi. Un homme a ainsi expliqué :

« Les militaires viennent souvent sous prétexte qu’il y a rumeur d’une attaque des rebelles, tirent en l’air pour effrayer la population qui fuit, et pillent tout dans les maisons. Les rebelles, eux, nous contraignent à cotiser. Chaque jour, nous sommes victimes. Nous sommes les grands oubliés de la capitale Bujumbura. » 228

Depuis le début du mois de septembre, les affrontements entre les FDD et FNL ont contraint près de 50.000 civils à fuir leur ménage. 229 Le centre de Kinama, dans Bujumbura rural, a accueilli des centaines de gens qui ont quitté les collines avoisinantes de Kirama, Gatebe, Kavya de la province voisine de Muramvya ou celles de la zone voisine de Mayego, et sont venues s’y abriter. D’autres se sont cachés dans les bananeraies, sous la pluie qui commence à tomber régulièrement. Sans autre choix que d’attendre la fin de leur calvaire, dépendant de l’aide qui leur est distribuée, observant les militaires « qui viennent parfois à Kinama pour regarder ce qui se passe sur les collines en face et ne font rien », la situation de ces gens est résumée par une femme :

« On est dans une situation où on ne sait plus quoi faire. Ils combattent en plein milieu de la population. On doit fuir. C’est la saison des cultures et on ne cultive pas. Ils ont pillé jusqu’à nos semences. Je ne vois pas d’avenir. »230

Les activités militaires qui ont lieu dans une région sont souvent de nature à entraver le travail de délivrance du secours humanitaire pour les populations déplacées et celles des régions touchées. L’article 18 du Protocole II impose pourtant aux parties à un conflit armé non international de permettre aux agences humanitaires et impartiales de délivrer de la nourriture, du matériel médical et autres secours aux populations civiles qui souffrent de privation excessive. A l’époque où Bujumbura était attaquée, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) était dans l’impossibilité d’envoyer de la nourriture à Rutana, Ruyigi, Gitega et dans des parties de Bujumbura où environ 25.000 personnes survivaient dans l’attente de cette aide.231 Dans un rapport, le PAM a observé que dans certains cas, « l’absence d’autorisation gouvernementale » limitait l’assistance humanitaire qu’ils pouvaient délivrer.232 A Ruyigi, où des chercheurs de Human Rights Watch avaient déjà documenté des entraves manifestement injustifiées à l’aide humanitaire en janvier et février 2003, les autorités, six mois plus tard, ne permettaient encore qu’un accès limité à certaines parties du Moso. Le PAM n’a pas pu délivrer à manger à 21.165 personnes à Nyabitsinda en mai 2003. Dans certains cas où les autorités militaires se sont opposées à tout secours humanitaire, des travailleurs humanitaires ont cherché à obtenir l’accès, à leurs propres risques, et n’ont pas trouvé de preuve d’activités militaires dans ces régions.233



222 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 7 juin 2003.

223 Agence France Presse, « De 35.000 à 50.000 déplacés par les combats dans le Nord du Burundi », 23 juin 2003 et « Trois morts et 32.000 déplacés dans le nord du Burundi en une semaine », 27 juin 2003.

224 IRIN, « Burundi : WFP food relief for displaced civilians in Kayanza », 26 juin 2003.

225 Entretien de Human Rights Watch, Musenyi, province Bubanza, 11 juin 2003.

226 Entretien de Human Rights Watch, Musenyi, 11 juin 2003.

227 IRIN, « Civilians losing the war », 14 mai 2003.

228 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 7 juin 2003.

229 IRIN, « Burundi: Rebel fighting displaces 47,500 civilians », 25 septembre 2003.

230 Entretien de Human Rights Watch, Kinama, Bujumbura rural, 7 octobre 2003.

231 IRIN, « Burundi : UN agency steps up efforts to feed thousands of displaced civilians », 18 juillet 2003.

232 IRIN, « Burundi : Civilians losing the war », 14 mai 2003.

233 Entretien de Human Rights Watch, Ruyigi, 16 et 17 juin 2003.


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decembre 2003