publié dans Jeune Afrique
par Cheikh Yérim Seck
21 septembre 2008
|
Les soixante premières pages expliquent, archives et témoignages d’ex-responsables à l’appui, comment Habré a créé la DDS, comment il la contrôlait, lui donnait des ordres et était tenu informé de ses activités. Elles évoquent le cas de 1 208 personnes mortes en détention et de 1 265 dossiers, concernant 898 détenus, adressés au dictateur par la DDS.
La vague de répression déclenchée en août 1990, après la diffusion par des intellectuels et des officiers supérieurs d’un tract dénonçant les abus du régime, retient tout particulièrement l’attention des plaignants. Tous les témoignages montrent que c’est Habré en personne qui a supervisé l’arrestation, les interrogatoires et les tortures infligées aux présumés « porteurs de tracts » : il suivait les auditions par talkie-walkie. Boukar Aldoumngar Mbaidge, l’une des victimes, raconte qu’il a été amené devant le dictateur avec des traces de torture bien visibles sur le corps, pour « complément d’information ».
Tout cela procède à l’évidence du souci d’accélérer le cours de la justice. Deux ans après le mandat reçu de l’Union africaine pour juger l’ex-despote réfugié sur son territoire depuis décembre 1990, le Sénégal tarde en effet à s’exécuter. Au moment où le garde des Sceaux envisage d’envoyer une mission au Tchad et en Belgique (où l’affaire a été instruite), les plaignants ont sans doute voulu l’aider à prendre rapidement connaissance du dossier.
« La plainte reflète aussi le souci d’indiquer au Sénégal, qui n’en avait pas jusqu’ici, une stratégie de poursuite », commente Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch. Plutôt qu’un procès-fleuve, les plaignants souhaitent des poursuites ciblées, rapides, efficaces et portant sur des faits précis.
Pour écarter tout doute sur la culpabilité d’Habré, ils ont fourni, parmi les documents annexés à la plainte, 206 interviews de témoins, le rapport de la commission d’enquête tchadienne, les archives de la DDS… Mais également une déclaration de cinquante pages d’un ancien haut responsable de ce service recueillie par Alain Werner, un avocat suisse travaillant par ailleurs à La Haye dans le cadre du procès de l’ancien dictateur libérien Charles Taylor.
Les victimes n’entendent pas s’arrêter là et envisagent de déposer une seconde plainte concernant le « septembre noir » tchadien (massacres perpétrés dans le sud du pays, en 1984) et la répression des Hadjeraïs, en 1989-1990.